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Urteil Kantonsgericht (VD)

Zusammenfassung des Urteils Jug/2010/17: Kantonsgericht

Die Witwe und die Kinder von E.W.________ haben gegen P.________SA geklagt, nachdem E.W.________ bei einem Verkehrsunfall ums Leben kam. Die Gerichte haben entschieden, dass die Fahrerin des Autos, M.M.________, keine Schuld am Unfall trägt, da der Radfahrer die Vorfahrt missachtet hat. Es wurde festgestellt, dass der Radfahrer mit hoher Geschwindigkeit unterwegs war und nicht rechtzeitig gestoppt hat. Die Experten haben die Dynamik des Unfalls analysiert und festgestellt, dass der Radfahrer extrem gebremst hat, was zum Sturz führte. Trotz Meinungsverschiedenheiten über die Verantwortlichkeiten wurde entschieden, einen unabhängigen Rechtsexperten, Prof. Vincent Brulhart, zu konsultieren. Dieser kam zu dem Schluss, dass die Autofahrerin keine Schuld trägt, da der Radfahrer nicht rechtzeitig angehalten hat.

Urteilsdetails des Kantongerichts Jug/2010/17

Kanton:VD
Fallnummer:Jug/2010/17
Instanz:Kantonsgericht
Abteilung:
Kantonsgericht Entscheid Jug/2010/17 vom 04.05.2010 (VD)
Datum:04.05.2010
Rechtskraft:
Leitsatz/Stichwort:
Schlagwörter : été; était; éhicule; Avenue; Accident; ésé; érie; éfenderesse; Entre; Selon; étent; Frésard-Fellay; édez; érêt; édé; étenteur; Brehm; Entreprise; Assurance; Accès; écès; éalisé; érieur; ériode; ègle; -part; établi; édéral
Rechtsnorm:Art. 1 SVG;Art. 100 BGG;Art. 14 VRV;Art. 24b LAVS;Art. 26 SVG;Art. 29 UVG;Art. 3 VRV;Art. 307 StPo;Art. 31 SVG;Art. 32 SVG;Art. 33 SVG;Art. 34b SchKG Art. 36 SVG;Art. 39 SVG;Art. 40 VRV;Art. 58 SVG;Art. 59 SVG;Art. 62 SVG;Art. 65 SVG;Art. 70 SVG;Art. 72 VVG;Art. 72 SchKG Art. 73 SchKG Art. 8 ZGB;Art. 88 SVG;Art. 96 VVG;
Referenz BGE:-
Kommentar:

Entscheid des Kantongerichts Jug/2010/17

TRIBUNAL CANTONAL

CO05.019093

67/2010/PHC



COUR CIVILE

_________

Audience de jugement du 28 avril 2010

_________________

Présidence de M. Bosshard, président

Juges : Mme Carlsson et M. Hack

Greffier : Mme Monti

*****

Cause pendante entre :

A.W.____

B.W.____

C.W.____

D.W.____

(Me Ph. Nordmann)

et

P.____SA (Me D. Pache)

(anciennement

P.____SA)


- Du même jour -

Délibérant immédiatement à huis clos, la Cour civile considère :

En fait:

1. Les demandeurs A.W.____, B.W.____, C.W.____ et D.W.____ sont respectivement la veuve et les enfants de feu E.W.____.

La demanderesse est née le [...] août 1956. E.W.____ était né le [...] février 1960.

2. a) Le dimanche [...] août 2002 vers 10 h 10 s'est produit un accident de la circulation impliquant le cycliste E.W.____ et l'automobiliste M.M.____ (ci-après : M.M.____). Le rapport de gendarmerie du 17 septembre 2002 indique notamment ce qui suit :

"(…)

Circonstances

M. E.W.____, au guidon de son cycle, venait du centre [...] et circulait en direction [...], via l'avenue des [...], à une allure soutenue. Alors qu'il arrivait au terme de cette dernière avenue, qui est déclassée par un signal de priorité "Cédez le passage", et débouche en biais sur celle [...], il franchit la ligne d'attente sans avoir remarqué l'auto pilotée normalement par Mme M.M.____ (…). Cette personne quittait l'artère principale pour enfiler la voie d'accès à l'EMS des [...] sise à sa droite. M. E.W.____ freina énergiquement, bloquant sa roue avant. Dès cet instant, il bascula en avant et les poignées du guidon frottèrent le sol. Les chaussures étant fixées aux pédales, il resta solidaire du cycle. Lors de sa projection en avant, il toucha l'aile arrière droite de la Honda et chuta lourdement sur la chaussée où il resta inanimé, sur le dos.

Description des lieux

A son terme, l'avenue des [...] débouche en biais sur celle [...]. En palier, elle comprend une voie pour chaque sens de circulation et décrit une courbe peu prononcée à gauche, selon le sens de marche du cycliste. A cet endroit, un îlot central sépare les deux courants du trafic. La voie empruntée par M. E.W.____ a une largeur de 6.20 m, à son débouché. Elle est bordée à gauche par ledit îlot; à droite, elle l'est par un trottoir, un muret et une haie. De ce côté, un signal "Cédez le passage" (OSR 3.02) est implanté visiblement en bordure de l'artère, à proximité immédiate de l'intersection. Le revêtement bitumineux était propre, sec et en bon état d'entretien. La visibilité est étendue et la vitesse limitée à 50 km/h par des signaux.

L'avenue [...], en palier, décrit une courbe à grand rayon à gauche, selon le sens de marche de l'automobiliste. Elle comprend une voie pour chaque sens. Au droit du débouché de l'avenue des [...], les deux courants du trafic sont séparés par des îlots centraux, entre lesquels un passage est aménagé pour les véhicules. La voie empruntée par Mme M.M.____ (…), large de 5.60 m, est bordée à gauche par les îlots et le passage susmentionnés; à droite, elle l'est par une bande cyclable (OSR 6.09), le débouché de l'avenue précitée et la voie d'accès à l'EMS des [...]. Le revêtement bétonné était propre, sec et en bon état d'entretien. La visibilité est étendue et la vitesse limitée à 50 km/h par des signaux.

Conditions atmosphériques

De jour, beau temps, température voisine de 22°C.

(…)

témoin(s)

La déposition de M. X.____ a été consignée dans un procès-verbal.

Mme A.W.____, [...].08.1956, domiciliée à [...], entendue à son domicile, (…).

(…)

Casque(s)

M. E.W.____ portait un casque de protection.

(…)

Véhicule(s) – pneumatiques – dommages – RC

La voiture de tourisme M.M.____ (…)

(…)

Dommages: aile arrière droite légèrement griffée.

(…)

Le cycle de course E.W.____, (…) marque Cilo (…).

Pneumatiques : profil normal, en bon état.

Dommages : guidon endommagé.

(…)

Remarques

M. E.W.____ roulait avec un développement de 5.95 mètres (53/19). Par conséquent, on peut admettre que son allure pouvait varier entre 25 et 30 km/h.

(…)

Cause(s) et dénonciation(s)

Dimanche [...] août 2002, M. E.W.____ se leva à 0715 après avoir bénéficié d'un repos de quelque 8 heures. Ensuite, il quitta son domicile, dans le but de se rendre à vélo dans le canton de [...], pour y fêter l'anniversaire de son épouse. A [...], il emprunta l'avenue des [...] puis, parvenu à proximité du débouché de celle [...], prioritaire, alors qu'il circulait à une allure soutenue, il remarqua tardivement une auto qui quittait l'artère principale, ce qui ne lui a pas permis, suite à un brusque freinage, de garder la maîtrise de son cycle. Lors de sa projection en avant, il toucha l'automobile et chuta lourdement sur la chaussée, où il resta inanimé, grièvement blessé.

(…)

Identité(s)

E.W.____, né le [...].02.1960, (…) indépendant, domicilié à [...].

(…)"

Le lendemain de l'accident, soit le [...] août 2002, E.W.____ est décédé au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) d'une rupture des vertèbres cervicales.

b) La piste cyclable de l'avenue [...] s'étend sur toute la longueur du carrefour formé par le débouché de l'avenue des [...]. Ce constat vaut tant au moment de l'accident qu'au moment du dépôt de la demande.

Lors de l'inspection locale effectuée à l'audience de jugement du 28 avril 2010, la Cour civile a protocolé au procès-verbal les constatations suivantes :

"La Cour constate que l'avenue des [...] se termine par un cédez le passage sur l'avenue [...], cédez le passage qui figure tel qu'en traitillé sur la pièce 101.

Elle constate que l'avenue [...] est composée, sans interruption sur sa droite, d'une bande cyclable. Juste après le débouché se situe l'entrée à l'EMS [...] et un immeuble intitulé [...].

Sur le trottoir bordant cette entrée se situe un poteau sur lequel est indiqué l'EMS [...] et [...].

Sur le trottoir de l'avenue des [...] avant le débouché de l'avenue [...] est érigé un panneau "cédez le passage".

La Cour constate qu'avant de s'engager dans la rue privée en direction de l'EMS des [...], un automobiliste venant de l'avenue [...] doit effectuer la légère courbe à gauche de l'avenue [...] décrite dans le rapport de police.

En raison de la brisure de la ligne de cédez le passage qui termine l'avenue des [...], la bande cyclable sur l'avenue [...] est plus large avant l'entrée à l'accès de l'EMS des [...] que sur le reste de la rue [...].

Pour entrer sur la voie d'accès de l'EMS, les véhicules, habituellement, sur la base des traces de pneu figurant sur la chaussée, circulent à environ deux mètres après le cédez le passage de l'avenue des [...] (ce point étant le côté droit de la voiture).

La Cour constate aussi que le trottoir est abaissé depuis le cédez le passage.

La Cour constate qu'une voiture qui voudrait s'engager dans l'accès privé à l'EMS peut suivre l'axe de la brisure de la ligne du cédez le passage.

En face du débouché de l'avenue des [...] se situe la piste pour prendre l'avenue [...] en direction [...]."

3. Le détenteur du véhicule au volant duquel circulait la conductrice M.M.____ est son mari N.M.____. La responsabilité civile de ce dernier est assurée auprès de la défenderesse P.____SA.

Suite à cet accident mortel, une enquête pénale PE [...] a été ouverte d'office par les soins du Juge d'instruction du [...].

Entendue le [...] août 2002 en tant que conductrice impliquée dans l'accident, M.M.____ a notamment déclaré ce qui suit :

" (…) je circulais à une allure voisine de 50 km/h, le 3e rapport des vitesses engagé. Je ne suivais aucun véhicule et personne ne me précédait. Arrivée au droit de l'EMS, j'ai regardé sur ma droite et j'ai remarqué un cycliste, qui circulait à une vitesse relativement élevée pour ce moyen de locomotion, sur l'avenue des [...] ceci à une trentaine de mètres avant l'intersection. Pensant que ce cycliste m'avait vue, j'ai enclenché mes indicateurs de direction droits et j'ai obliqué dans cette direction pour enfiler le parking de l'EMS. Alors que la moitié de mon véhicule était engagé sur le chemin, j'ai ressenti un choc à l'arrière droit de mon Honda. (…)"

Entendu en qualité de témoin le 11 septembre 2002, X.____ a notamment déclaré ce qui suit :

"(…) Alors que j'arrivais au débouché sur l'avenue [...], j'ai remarqué un cycliste qui circulait dans la même direction que moi, à bonne allure, équipé d'un casque et d'un sac à dos, la tête baissée. Au même instant, un véhicule bleu circulait sur l'avenue [...] (…). (…) l'automobile dépassa l'intersection et arrivée à la hauteur de l'EMS, son conducteur a ralenti. (…) Aussitôt, arrivé à proximité du "Cédez le passage", il [réd.: le cycliste] tourna sa tête sur sa gauche, pour regarder dans cette direction. Simultanément, il se trouva en présence de la voiture bleue qui obliquait à droite et était engagée sur le chemin d'accès au parking de l'EMS. (…)"

La conductrice M.M.____ a bénéficié d'un non-lieu selon ordonnance du 6 décembre 2002. Le juge d'instruction a notamment émis les considérations suivantes :

"(…)

qu'au même moment, M.M.____ (…) roulait au volant de sa voiture sur la rue d' [...], en direction [...],

que l'avenue des [...], qui débouche sur la route d' [...], est déclassée par un signal de "Cédez le passage" et un marquage de même type apposé au sol,

que la conductrice, qui voulait se rendre à l'EMS des [...], a enclenché son clignotant, puis ralenti et s'est engagée sur la voie d'accès à l'EMS qui se trouvait sur sa droite,

(…)

qu'E.W.____, qui roulait à une vitesse soutenue, la tête baissée, a remarqué tardivement la voiture de M.M.____ (…), qui circulait correctement,

qu'il a freiné énergiquement, mais perdu la maîtrise de son cycle,

qu'il a été projeté en avant, a touché l'arrière de l'automobile puis a chuté sur la chaussée;

qu'ainsi, la survenance de l'accident n'est pas imputable au comportement d'une tierce personne,

qu'aucune infraction pénale ne peut être retenue à la charge d'un tiers,

(…)"

Les demandeurs ont recouru sans succès, leur recours étant rejeté par arrêt du Tribunal d'accusation du 30 janvier 2003. Cette décision a notamment la teneur suivante :

"(…)

qu'il ressort en effet du rapport de police (P. 12) et des photographies prises par les gendarmes au lieu de situation (P. 13) que l'avenue des [...] est déclassée à son débouché sur la route d' [...] par un signal de priorité "Cédez le passage" et un marquage correspondant apposé au sol,

que le cycliste E.W.____, qui circulait à une allure soutenue sur l'avenue précitée alors qu'il parvenait à proximité dudit débouché, a remarqué tardivement le véhicule de la conductrice M.M.____ (…), qui quittait correctement la route d' [...], prioritaire, par la voie d'accès à l'EMS des [...], laquelle suit immédiatement, à droite, le marque du "Cédez le passage",

que, malgré un brusque freinage, le prénommé n'est pas parvenu à conserver la maîtrise de son cycle,

qu'il a alors été projeté en avant, a touché l'arrière de l'automobile de M.M.____ (…) et a finalement chuté lourdement sur la chaussée,

que le témoin X.____ a confirmé les faits tels que constatés par les gendarmes, relevant en outre que le cycliste circulait la tête baissée à l'arrivée du débouché de l'avenue des [...] (…),

qu'ainsi, au vu de ces éléments, il s'avère qu'aucun comportement fautif ne peut être reproché à la conductrice prénommée ni à aucun autre tiers,

(…)

que, par conséquent, il convient de rejeter le recours et de confirmer l'ordonnance,

que les frais d'arrêt sont mis à la charge d'A.W.____ (art. 307 CPP).

(…)"

Dans la présente procédure, les parties ont admis que le fait même qu'il n'y ait pas eu de choc et que le vélo se soit arrêté si brusquement que le cycliste a été précipité en avant démontre que le freinage effectué par E.W.____ a été extrême.

Il n'est pas établi qu'à un quelconque moment dans cette enquête pénale aurait été évoqué le fait que la conductrice devait couper la bande cyclable de la rue [...] pour s'engager dans la voie d'accès à l'EMS. Il n'apparaît pas non plus qu'aurait été évoquée la règle de l'art. 40 al. 4 OCR, selon laquelle "s'ils doivent traverser une piste ou une bande cyclable ailleurs qu'aux intersections, par exemple pour accéder à une propriété, les conducteurs d'autres véhicules doivent céder la priorité aux cyclistes".

4. Par lettre du 16 septembre 2003, le conseil des demandeurs s'est adressé notamment en ces termes à la défenderesse :

"(…)

Votre assurée, Mme M.M.____ (…) a été acquittée au pénal.

Ce fait n'a cependant pas une influence décisive sur l'aspect civil (art. 53 CO).

(…)

La cause principale de l'accident réside dans le fait que votre assurée a coupé la piste cyclable où se trouvait M. E.W.____, pour pénétrer dans le parking privé de l'EMS [...].

Dans le cadre du procès pénal, il a été dit que la victime, M. E.W.____, aurait dû céder la priorité à votre assurée, au débouché de la rue des [...] sur l'avenue [...].

Les choses ne sont toutefois pas aussi simples : M. E.W.____ ne s'est certes pas arrêté au débouché de la rue des [...], mais cela tout simplement parce qu'à ce débouché il y avait une piste cyclable qu'il comptait emprunter pour continuer sur l'avenue [...]. Autrement dit, dans l'esprit de M. E.W.____, le véhicule M.M.____ ne devait en aucun cas être gêné par lui, car Mme M.M.____, qui s'approchait du carrefour avec son clignotant, pouvait soit tourner à droite pour emprunter la rue des [...], soit continuer normalement sur la rue [...] et cela sans croiser la trajectoire de M. E.W.____.

C'est malheureusement une 3ème hypothèse à laquelle M. E.W.____ n'a pas pensé qui s'est réalisée et qui a provoqué l'accident : Mme M.M.____ n'a ni bifurqué à droite dans la rue des [...] ni continué tout droit sur la rue [...], mais elle a bifurqué à droite pour entrer dans le parking privé.

Ce faisant, elle a coupé la trajectoire du cycle E.W.____.

Cette situation est exactement celle qui est prévue à l'art. 40 al. 4 OCR (…).

(…)

2. Il vous est demandé de vous prononcer sur le principe de la responsabilité de votre assurée, au vu des explications qui précèdent et qui amènent des éléments nouveaux, notamment cet art. 40 al. 4 OCR. (…)"

La défenderesse a répondu le 25 septembre 2003 que le cycliste E.W.____ n'avait pas respecté le droit de priorité de la conductrice M.M.____ et qu'il portait donc l'entière et exclusive responsabilité de l'accident.

Le 26 septembre 2003, le conseil des demandeurs a notamment écrit ce qui suit à la défenderesse :

"(…)

La perte de priorité de M. E.W.____ est indiscutable, par exemple à l'égard d'un autre cycliste qui, au débouché de l'avenue des [...], aurait circulé sur la bande cyclable de la rue [...]. En revanche, à l'égard d'une voiture qui aurait continué normalement son chemin, M. E.W.____ n'avait pas à "céder le passage" puisque les trajectoires des deux véhicules ne se seraient jamais croisées.

(…)"

Dans cette écriture, le conseil des demandeurs acceptait le principe d'une rencontre au sujet des questions de responsabilité.

5. Le 3 novembre 2003, un rapport d'expertise a été établi par l'ingénieur HTL [...], du service d'analyse d'accidents de la défenderesse. Ce rapport, qui se prononce sur la dynamique de l'accident et la vitesse du vélo, retient en substance ce qui suit :

"(…)

Vu les dégâts aux véhicules, du point de vue technique il est peu vraisemblable que le cycliste ait touché la voiture avant de chuter. Plus probablement le cycliste, à cause d'un brusque freinage non contrôlé, a bloqué (ou presque) la roue avant de son cycle et a culbuté par-dessus le guidon, tombant directement avec la tête sur l'asphalte. La collision contre la voiture est très vraisemblablement survenue tout de suite après cette phase.

Cette reconstitution des faits est confirmée par le témoin X.____.

(…)
5. Vitesse de marche du vélo :

Si on admet que le cycliste roulait en donnant 80 coups de pédale par minute (cadence normale) et qu'il utilisait un développement de 53/19 avec une roue de diamètre nominale de 700 mm, nous pouvons calculer sa vitesse de marche avec la formule suivante (nous avons admis une circonférence dynamique de la roue de 2,14 m) :

Vo = (80 x 53/19 x 2,14) ÷ 60 = 7,96 m/s = 28,65 km/h.

A relever qu'une vitesse de 28 km/h est tout à fait normale pour un cycliste entraîné qui parcourt des longs trajets.

6. Vitesse de la voiture :

La voiture, après la collision, a parcouru seulement environ 1,7 m avant de s'arrêter. Admettant que sa conductrice a freiné pendant tout cet espace, on calcule que la vitesse de l'auto au point de collision ne pouvait pas être supérieure à environ 17 km/h (…).

7. Espace d'arrêt / de freinage du cycliste :

Vu la dynamique de l'accident (le cycliste a culbuté par-dessus le guidon en raison du blocage de la roue avant), nous pouvons conclure que le vélo était équipé de très bons freins.

(…)

Pour une vitesse initiale de 28 km/h, l'espace d'arrêt (réaction + freinage) calculé avec ces paramètres est de 15,6 m (temps = 3 s). L'espace de freinage serait de 9,4 m.

8. Analyse espace/temps de la phase avant collision :

Le cycliste a freiné très brusquement juste avant l'impact. Admettant un temps de réaction normale de 0,8 secondes, nous pouvons conclure qu'il s'est aperçu de la voiture seulement environ 1,0 – 1,5 secondes avant l'impact.

Afin d'évaluer la position des véhicules dans les instants qui ont précédé la collision, il est nécessaire d'estimer le comportement des conducteurs. Ceci sera évalué sur la base des déclarations de la conductrice du véhicule et du témoin.

Pour nos calculs, nous allons admettre les paramètres suivants :

le cycliste s'est approché à une vitesse constante de 28 km/h (il a freiné seulement environ 1,0 à 1,5 m avant le point d'impact et lors du freinage son vélo s'est immédiatement renversé)

l'automobiliste roulait à une vitesse de 50 km/h et a freiné avec une décélération moyenne comprise entre 2 et 3 m/s2 jusqu'à atteindre une vitesse de 17 km/h au point de choc.

(…)

Si on évalue les positions réciproques des véhicules dans les secondes qui ont précédé l'impact, on note que le cycliste aurait sans doute pu voir l'indicateur de direction de la Honda déjà plusieurs secondes avant la collision (toujours admettant qu'il était en fonction).

(…)"

Ce rapport comprend des photos (reprises du rapport de gendarmerie) et les planimétries suivantes, illustrant les positions approximatives de l'automobile et du cycle dans la phase précédant l'accident :


Hypothèse d'une décélération de la voiture à 2 m/s2 :

Hypothèse d'une décélération de la voiture à 3 m/s2 :

6. a) Les divergences entre les parties au sujet des responsabilités n'ayant pas pu être aplanies, elles sont tombées d'accord de consulter un expert juridique indépendant dont l'avis ne lierait pas les parties. Le 27 novembre 2003, les demandeurs ont proposé quatre professeurs d'université. La défenderesse, de son côté, a proposé un juge, un professeur et un avocat. Finalement, les parties sont tombées d'accord sur le nom du Professeur Vincent Brulhart et la défenderesse a envoyé à celui-ci la lettre du 19 janvier 2004 résumant sa position. La reconstitution (ou mise en œuvre de l'expert) a eu lieu le 5 mars 2004. Le Professeur Brulhart a déposé son avis le 29 avril 2004.

L'avis de droit du Professeur Vincent Brulhart a notamment la teneur suivante :

"(…)

3. L'avenue des [...] est déclassée par rapport à l'avenue de [...] par un signal "cédez le passage" complété par quelques triangles de "cédez le passage" imprimés au sol à la limite de l'intersection.

(…)

Il ressort du rapport d'analyse de l'accident établi par la P.____SA, notamment, que le cycliste roulait avant l'accident à une allure de 28 km/h environ. (…) Il en découle aussi qu'au moment où Madame M.M.____ a débuté la manœuvre qui la conduisait vers l'EMS, soit lorsqu'elle franchit la bande cyclable, le cycliste ne s'y trouvait pas. Il semble bien d'ailleurs qu'il ne s'y soit jamais trouvé puisque le brusque freinage l'a jeté sur le trottoir à droite de sa voie de circulation où il gisait après l'accident (cf. photo n° 4 du rapport de police).

(…)

La question se pose de savoir si, au vu des circonstances, Madame M.M.____ ne devait pas prendre en compte le risque que le cycliste ne s'arrête pas à temps. A cet égard, il faut noter qu'au moment où elle l'a aperçu, la conductrice a constaté que le cycliste circulait à vitesse relativement élevée. Madame M.M.____ circulait par ailleurs sur une voie de circulation bordée d'une bande cyclable. De surcroît, elle envisageait de quitter sa voie de circulation pour enfiler un chemin de traverse à sa droite. Considérant les circonstances objectives, compte tenu de l'expérience générale, au vu enfin du comportement de feu E.W.____ tel qu'il lui était connu, l'automobiliste ne pouvait raisonnablement pas exclure que le cycliste, circulant à vive allure, eût l'intention de se glisser au bord de la voie de circulation de l'avenue de [...] pour poursuivre sa route vers [...]. Considérant cette éventualité, l'automobiliste devait faire preuve d'une attention particulière avant d'enfiler le chemin de l'EMS. Il aurait suffi d'un coup d'œil supplémentaire à droite avant d'entamer la manœuvre d'oblique. (…)

(…)

Approchant d'une intersection où il était débiteur de la priorité, le cycliste devait adapter son comportement, notamment sa vitesse. C'est pour avoir circulé à une vitesse excessive, et parce qu'il a été surpris, que feu E.W.____ a freiné avec violence.

(…)

Le cycliste était débiteur de la priorité. Il s'est approché de l'intersection "tête baissée" et à vive allure (témoignage X.____). Par bonne visibilité, il s'est laissé surprendre par le véhicule prioritaire. Le témoin X.____ a pu observer que feu E.W.____ n'a tourné sa tête sur sa gauche qu'au moment d'arriver à proximité du signal "cédez le passage" pour regarder dans cette direction. Le comportement de la victime est lourdement fautif.

Il découle de ce qui précède que le détenteur répond du risque inhérent et d'une faute légère à moyenne, tandis que le cycliste répond d'une faute grave. (…) Considérant que la faute du détenteur peut être qualifiée de légère à moyenne, il en découle une responsabilité à charge du cycliste de 60 %. En d'autres termes, le dommage du cycliste doit être réparé à hauteur de 40 %.

(…)"

b) Le 7 mai 2004, le conseil des demandeurs a adressé à la défenderesse ses déterminations sur l'avis de droit du Professeur Vincent Brulhart. En substance, ce conseil a relevé que l'imprévision de la conductrice, qui n'avait pas envisagé que le cycliste allait chercher à s'engager au bord de la voie de circulation de l'avenue [...], était d'autant plus grave que cette route était assortie d'une bande cyclable et que la conductrice savait qu'elle aurait à la couper pour accéder au parking. Quant au cycliste, sa faute consistant en une violation du "cédez le passage" avait une cause particulière tirée de l'état des lieux, le cycliste étant excusable de penser qu'il pouvait entrer sur la piste cyclable sans gêner le véhicule prioritaire. Il incombait à l'automobiliste d'établir que l'indicateur était actionné, car une telle preuve était de nature à accroître la faute de la victime. Enfin, on ne pouvait reprocher à la victime d'avoir freiné brutalement, dans la mesure où il s'agissait d'un geste purement réflexif et la seule réponse adéquate et logique face à un danger imminent. Ces quatre éléments appelaient la conclusion suivante :

"(…)

Au vu de ces 4 éléments, qui modifient passablement l'appréciation du Prof. Brulhart, mes clients accepteraient une inversion de la clé de répartition en ce sens que votre compagnie devrait réparer non pas 40 %, mais 60 % du dommage subi par la famille E.W.____. Si vous ne pouvez pas vous rallier à cette clé de répartition ni formuler une contre-proposition acceptable, tenant compte des considérations émises ci-dessus, mes clients devront à regret envisager la voie judiciaire.

(…)"

Le 25 mai 2004, la défenderesse a invité le conseil des demandeurs, "tous droits réservés et sans reconnaissance de responsabilité ou d'obligation", à chiffrer ce qu'il estimait constituer le dommage des ayants droit. Le 30 juin 2004, elle lui a adressé une copie de la note d'honoraires du Professeur Brulhart en l'invitant à régler la somme de 3'600 fr., soit le 60 % de la note.

Dans un courrier du 5 juillet 2004, le conseil des demandeurs a relevé en substance qu'à titre purement transactionnel, il avait proposé une clé de répartition inverse, soit 40 % de responsabilité à la charge du cycliste et 60 % à la charge de l'automobiliste. Il a proposé que la défenderesse règle cette facture et que le montant éventuellement dû par la famille E.W.____ soit cas échéant porté en déduction de ses prétentions en fonction de l'issue finale de l'affaire.

Par courrier du 7 juillet 2004, la défenderesse a informé le conseil des demandeurs qu'elle avait réglé la note d'honoraires litigieuse tout en réservant la participation des demandeurs.

c) Par courrier du 16 août 2004, le conseil des demandeurs a adressé à la défenderesse un mémoire de calcul du dommage comprenant 3 annexes et a invité celle-ci à faire des propositions de dédommagement jusqu'à la fin du mois de septembre 2004. Ce mémoire daté du 13 août 2004 retient notamment qu'E.W.____ aurait réalisé le revenu net hypothétique suivant :

- de 42 à 47 ans, soit les cinq premières années comme indépendant : progression linéaire de 100'000 fr. à 250'000 fr.;

- de 48 à 60 ans : progression linéaire de 250'000 fr. à 350'000 fr.;

- dès 60 ans : stagnation à 350'000 fr.;

- dès 65 ans (préjudice de rente) : 55 % de 350'000 fr. = 192'500 francs.

La défenderesse a contesté le mémoire de calcul et le dommage.

Le 27 août 2004, le conseil des demandeurs a écrit à la défenderesse que le dépôt d'une procédure serait inévitable si elle n'étayait pas quelque peu sa position. Il a précisé que son courrier valait mise en demeure formelle à hauteur de 10 millions de francs.

7. a) E.W.____, né le [...] février 1960, a obtenu en 1979 un certificat fédéral de capacité comme mécanicien de précision. En 1982, il s'est vu délivrer un diplôme d'ingénieur ETS en microtechnique par l'Ecole d'ingénieurs de l'Etat de Vaud. Le 17 juin 1994, il a obtenu un diplôme de l'Institut supérieur de management à Lausanne, à l'issue d'un cours d'une année en gestion d'entreprise qui s'est achevé par des examens et un travail de diplôme. La même année, il a participé à un cours de formation continue organisé par l'Institut de microtechnique de l'Université de Neuchâtel, traitant de la mécanique fine au micro-usinage. En janvier 1997, il a suivi un cours de deux jours sur la direction générale et la production à délai court organisé par la société Bill Belt SA à Paris. En 1998, il a effectué une formation d'auditeur de système qualité s'étendant sur vingt demi-journées. Enfin, en 1999, il a participé à une formation d'une journée dispensée par la Société suisse pour la prévention de la contamination.

b) Du 1er décembre 1983 au 30 juin 1985, E.W.____ a été responsable technique et commercial au service des ventes intérieures de la société [...] (Suisse) SA. Du 1er juillet 1985 au 31 décembre 1987, il a été ingénieur des ventes et directeur technique au sein de la société [...] SA. Dans son certificat de travail, cette dernière a notamment souligné qu' E.W.____ avait accompli ses tâches avec un grand succès et à son entière satisfaction, qu'il était un interlocuteur et un supérieur apprécié des autres collaborateurs et qu'il avait fait usage quotidiennement de ses connaissances excellentes de l'allemand et de l'anglais. La société avait honoré ses prestations en l'élisant au conseil d'administration au mois de mai 1986. Du 4 janvier 1988 au 31 octobre 1993, E.W.____ a été responsable des ventes de la division mécanique de l'entreprise [...]. Dans son certificat de travail, celle-ci a relevé que l'intéressé s'était acquitté de ses tâches à son entière satisfaction et avait toujours entretenu de bonnes relations tant avec ses collègues qu'avec ses supérieurs. Le 1er novembre 1993, E.W.____ a été engagé comme directeur adjoint, puis directeur de la société Z.____SA. Selon l'art. 1 du contrat de travail, il était notamment chargé de coordonner l'activité de cette société avec celles des autres sociétés du groupe [...]. Selon l'art. 4, son salaire brut était de 115'000 fr. pour la première année. A ce salaire devait s'ajouter un bonus dont les critères étaient en cours d'élaboration.

Par courrier du 29 juin 2000 adressé à [...], président du conseil d'administration de la société Z.____SA, E.W.____ a déclaré résilier son contrat de travail pour le 31 décembre 2000 en invoquant son souhait de donner une nouvelle orientation à sa carrière professionnelle. Ce courrier contenait notamment le passage suivant :

"(…) En ce qui concerne les aspects contractuels qui nous lient, je souhaite vous rencontrer pour en discuter les modalités étant entendu que je reste volontiers comme directeur chez Z.____SA jusqu'à la fin de mon préavis, pour autant que la fonction soit identique à celle que j'occupe actuellement. En revanche et si vous le souhaitez, je peux aussi libérer mon poste de suite. Dans ce cas, vous me libéreriez de l'obligation de travailler. (…)"

E.W.____ aurait voulu acheter la société Z.____SA à la place de [...] et consorts. Il a démissionné pour ne pas avoir à subir un rétrécissement de sa marge de manoeuvre. Il y a un rapport de causalité entre le rachat de Z.____SA par [...] et le départ d'E.W.____. Avec l'arrivée de [...], la manière de travailler a beaucoup changé, cette société donnant des instructions strictes. A l'instar du directeur financier des montres [...], dont Z.____SA était une filiale, E.W.____ a vu sa marge de manoeuvre se réduire. Son esprit d'entrepreneur s'accommodant mal d'une telle attitude, il a préféré prendre une nouvelle voie.

Dans sa déclaration d'impôt 1999-2000, E.W.____ a déclaré avoir réalisé en 1997 un revenu brut de 219'000 fr. et un revenu net, après déduction des cotisations sociales, de 194'958 fr.; pour 1998, il a déclaré un revenu brut de 148'000 fr. et un revenu net de 129'040 fr.

Le compte individuel d'E.W.____ auprès de la Caisse de compensation de l'industrie horlogère fait état des revenus suivants réalisés au sein de l'entreprise Z.____SA :

1994 : 116'011 fr.

1995 : 136'850 fr.

1996 : 149'360 fr.

1997 : 209'128 fr.

1998 : 121'192 fr.

1999 : 312'413 fr.

2000 : 252'229 fr.

2001 : 45'952 fr.

Ces revenus n'englobent pas la valeur des options d'achat d'actions de [...] SA (cf. infra ch. 11).

c) E.W.____ a acquis, avec effet au 31 décembre 2000, la raison individuelle E.____ [...] pour le prix de 150'000 francs. Cette entreprise appartenait à [...], mécanicien ayant atteint l'âge de la retraite, qui souhaitait se retirer des affaires. Selon des personnes qui le connaissaient bien, E.W.____ ambitionnait de développer cette entreprise et espérait réaliser un revenu au moins aussi important que par le passé; ces éléments sont déduits du caractère "fonceur" d'E.W.____ et du souci qu'il manifestait pour sa famille. Ont notamment été entendus à ce sujet les témoins [...], frère du défunt, [...], ami d'enfance du défunt et [...], proche des demandeurs, ces deux derniers ayant discuté de la procédure avec la demanderesse. La cour ne retient dès lors les déclarations de ces témoins que dans la mesure où elles sont corroborées par d'autres éléments du dossier.

Dans sa déclaration d'impôt 2001 et 2002, E.W.____ a indiqué pour les années 2001 et 2002 un revenu annuel présumé de 25'000 fr. pour lui-même, et un salaire annuel présumé de 45'500 fr. pour son épouse, employée de E.____.

Selon les comptes au 31 décembre 2001, l'entreprise d'E.W.____ a réalisé un bénéfice de 33'510 francs. Le poste "salaires et frais de personnel" s'élève à 124'708 francs.

Selon un bilan intermédiaire au [...] août 2002, le goodwill de l'entreprise rachetée par E.W.____ est de 48'750 francs. Le Registre du commerce fait état d'un goodwill de 30'000 fr. au moment de la reprise des biens de la raison individuelle par la société E.____ SA, en juillet 2003.

8. a) Le 20 novembre 2002, le secteur "prestations vie individuelle" de la société [...] Vie SA a établi à l'attention de la demanderesse un décompte indiquant un capital décès au 1er septembre 2002 de 170'665 fr. et des excédents de 6'493 fr. 40, soit au total 177'158 fr. 40.

b) La demanderesse a été instituée usufruitière de l'entier de la succession d'E.W.____. Selon l'acte notarié de partage successoral du 10 avril 2003, la part des acquêts matrimoniaux revenant à la demanderesse est de 401'593 fr. 41. L'actif successoral net grevé d'un usufruit en faveur de la demanderesse est de 414'618 fr. 40. Dans le cadre du partage, la demanderesse s'est vu notamment attribuer intégralement l'entreprise que son époux exploitait sous la raison individuelle " E.____, E.W.____ successeur". Elle est devenue administratrice-présidente de la société anonyme E.____ SA, qui a repris la raison individuelle précitée au mois de juillet 2003.

Dans sa déclaration d'impôt 2003, la demanderesse a déclaré un revenu professionnel net de 54'322 francs. Pour la période fiscale 2004, son revenu imposable était de 111'100 francs.

Selon une communication de l'Office d'impôt des personnes morales du 11 avril 2007, la société E.____ SA a affiché un bénéfice imposable de zéro franc pour la période de taxation 2004. Pour la période de taxation 2005, son bénéfice imposable était de 18'543 fr., selon communication de l'office précité du 30 juillet 2007.

Il est admis que la société E.____ est actuellement une petite entreprise employant 2 ou 4 personnes au plus.

9. Selon une attestation du 24 août 2004 valant pour l'année scolaire en cours, soit du 23 août 2004 au 1er juillet 2005, le demandeur B.W.____ se trouvait à cette date en 2ème année d'apprentissage de technicien ET exploitation/productique, auprès du Centre professionnel [...].

Selon deux attestations du 23 août 2004 délivrées par l'Ecole technique de la [...], le demandeur C.W.____ était à cette date élève en classe MIC 3, ses études ayant débuté le 26 août 2002 et devant s'achever le 30 juin 2006, tandis que le demandeur D.W.____ était élève en classe MIC 1, ses études ayant débuté le 23 août 2004 et devant s'achever le 30 juin 2008.

Sur la base de ces éléments et des témoignages recueillis, la cour retient que B.W.____ a terminé sa formation le 30 juin 2005, C.W.____ le 30 juin 2006 et D.W.____ le 30 juin 2008.

10. a) De l'avis des personnes qui connaissaient bien le couple E.W.____ et leurs enfants, c'était une famille unie et les survivants ont été très affectés par le brutal décès de leur mari et père.

b) Selon un calcul effectué par l'Office fédéral des assurances sociales en prévision du recours, calcul fondé sur la date du 1er septembre 2002, la valeur capitalisée des prestations AVS est de 256'644 fr. pour la veuve et de 178'657 fr. pour les enfants, soit au total 435'301 francs. La rente AVS de veuve en faveur de la demanderesse est de 1'648 fr. par mois à compter du 1er septembre 2002, puis de 1'688 fr. dès le 1er mars 2003. Pour les enfants, la rente AVS est de 824 fr. par mois à compter du 1er septembre 2002, puis de 844 fr. dès le 1er mars 2003.

Selon un calcul effectué par la SUVA en prévision du recours, calcul fondé sur la date du 1er septembre 2002, la valeur capitalisée des prestations LAA est de 448'623 fr. pour la veuve et de 53'305 fr. pour les enfants, soit au total 501'928 francs. Les rentes LAA sont respectivement de 709 fr. en faveur de la veuve et de 798 fr. en faveur des enfants. La rente de veuve a augmenté à 2'294 fr. dès le 1er octobre 2005 et à 2'500 fr. dès le 1er mars 2009. Pour les enfants, la rente a augmenté à 860 fr. dès le 1er octobre 2005.

La rente annuelle LPP pour la demanderesse est de 1'338 fr. 60 du 1er septembre 2002 au 31 décembre 2005, de 1'650 fr. 60 du 1er janvier 2006 au 30 juin 2006, puis de 3'762 fr. dès le 1er juillet 2006. La rente annuelle LPP pour le demandeur B.W.____ est de 445 fr. 80 du 1er septembre 2002 au 31 décembre 2005. Pour le demandeur C.W.____, elle est de 445 fr. 80 du 1er septembre 2002 au 31 décembre 2005, puis de 550 fr. 20 du 1er janvier 2006 au 30 juin 2006. Pour D.W.____, elle est de 445 fr. 80 du 1er septembre 2002 au 31 décembre 2005, de 550 fr. 20 du 1er janvier au 30 juin 2006, puis de 1'254 fr. dès le 1er juillet 2006.

c) Le 28 juin 2005, le conseil des demandeurs a adressé à ceux-ci une note d'honoraires intermédiaire de 19'900 fr. (TVA comprise) pour les opérations effectuées entre le mois de juillet 2003 et le 28 juin 2005.

11. En cours d'instance, une expertise a été confiée à l'expert-comptable diplômé [...], qui a rendu un rapport principal le 27 février 2009 et un rapport complémentaire le 31 août 2009, dont la teneur est en substance la suivante :

a) Le 8 février 1999, E.W.____, alors directeur technique et membre du conseil d'administration de Z.____SA, a signé une convention avec le Groupe F.____ qui l'employait, convention qui lui donnait la possibilité d'acquérir jusqu'à 49'411 actions de la société F.____ France SA au prix de 10 francs français (FF) par action. Z.____SA et F.____ France SA faisaient alors partie du Groupe F.____. Le 6 octobre 1999, la direction du Groupe F.____ a décidé de remplacer les options sur l'acquisition d'actions F.____ France SA par l'octroi d'options sur l'achat d'actions de la société F.____. Par convention du 6 octobre 1999, E.W.____ s'est vu octroyer la possibilité d'acquérir 28 actions de F.____ au prix unitaire de 11'111,11 FF. Cette nouvelle convention résultait des négociations en cours avec une filiale du [...] intéressée au rachat du Groupe F.____.

Le 15 octobre 1999, E.W.____ a reçu la somme de 640'054 fr. en règlement partiel de l'exercice de ses options et la cession des actions correspondantes. Le 12 octobre 2000, il a donné son accord quant au décompte final relatif au montant qui devait lui revenir suite à l'exercice de ses options. Il a alors reçu la somme prévue de 210'000 fr. en date du 13 novembre 2000. Ainsi, E.W.____ a reçu globalement pour la réalisation de ses options un montant total de 850'054 francs.

Les entreprises du Groupe F.____ (y compris la société Z.____SA) faisaient des pertes d'exploitation qui se sont répétées jusqu'en 1999. Le rôle des responsables du Groupe F.____, dont E.W.____ et [...] faisaient partie, était de procéder au redressement financier du groupe. Sept dirigeants du Groupe F.____ ont participé au plan des options mis en place le 8 février 1999. Lors de l'octroi des options le 8 février 1999, la société F.____ France SA n'avait aucune valeur de rendement; il n'y avait donc pratiquement pas d'écart entre la valeur vénale de ses actions et le prix de l'option fixé à 10 FF. La valeur éventuelle des options portait alors uniquement sur le développement du groupe. Le 14 septembre 1999, [...] a convenu du rachat du Groupe F.____. Le 6 octobre 1999, [...] SA, qui détenait le Groupe F.____, a obtenu de [...] l'essentiel du prix de vente des actions du Groupe F.____. Il en est résulté une valorisation tout à fait inattendue des options octroyées le 8 février 1999. Alors que l'octroi des options était censé inciter les collaborateurs à développer les sociétés du Groupe F.____ sur le long terme, la vente des actions à [...] a précipité la réalisation des options, à un prix élevé. Ce n'est donc pas en raison de la bonne marche des entreprises du Groupe F.____ SA que les actions de F.____ SA ont pris de la valeur au fil des années, mais presque uniquement en raison du fait que le Groupe F.____ s'est trouvé face à une opportunité exceptionnelle d'un acquéreur intéressé à reprendre la marque F.____ et l'outil de production de mouvements haut de gamme.

Il n'est donc pas exact d'affirmer que l'essentiel des 850'000 fr. touchés par E.W.____ résultait de son travail pour le compte de Z.____SA et des entreprises du groupe F.____ de 1993 à 2000. C'est essentiellement la reprise de la marque F.____ qui a permis de valoriser les options à un prix élevé en 1999, cela de manière tout à fait inattendue. Les avantages obtenus par les sept dirigeants lors de l'exercice de leurs options résultaient principalement du fait que le Groupe F.____ avait trouvé en 1999 un acquéreur inattendu intéressé surtout à reprendre la marque, qui représentait la principale valeur de l'entreprise. Compte tenu du court laps de temps qui s'est écoulé entre la date de l'octroi des options (8 février 1999) et la date de réalisation de ces options (15 octobre 1999), il est très improbable que l'avantage financier en découlant pour les intéressés ait pu résulter de leur travail assidu et du développement de Z.____SA et du Groupe F.____.

En bref, durant la période de son engagement dans le Groupe F.____, soit entre le 1er novembre 1993 et le 31 décembre 1999, E.W.____ a eu l'opportunité, en 1999, de participer à un plan d'options qui lui a permis de réaliser un gain en capital de 850'054 fr., de manière tout à fait exceptionnelle. Il ne s'agit pas d'un revenu assimilable à un salaire. Reste réservée la quote-part de la plus-value réalisée sur les options qui a été annoncée comme revenu salarial soumis aux charges sociales, selon le décompte établi le 1er octobre 1999 par Z.____SA, soit un revenu brut de 10'577 fr. 75 (annexe 7).

b) La plupart des comptabilités n'étant plus disponibles en raison de la prescription de 10 ans, l'expert a procédé a une reconstitution des salaires annuels d'E.W.____ sur la base de son dossier personnel consulté auprès de Z.____SA. L'expert a ainsi pu vérifier l'exactitude des certificats de salaire délivrés à l'intéressé, en se référant aux fiches de salaires mensuelles et/ou aux récapitulations annuelles de salaires annoncés par l'employeur à la Caisse AVS. Il en résulte les chiffres suivants :

Salaire Allocations Salaire

brut familiales AVS

fr. fr. fr.

1997 219'088 9'960 209'128

1998 148'029 9'960 138'069

1999 311'996 10'160 301'836

+ options * 10'577 10'577 *) formellement, cette somme aurait

dû être mentionnée dans le certificat de salaire

2000 262'669 10'440 252'229

+ bonus final 45'952 45'952

Total des salaires AVS 957'791 (dont fr. 10'577 pour les options

octroyées en 1999)

Indemnités pour frais de représentation

(fr. 10'800 par année, montant assimilable

à du salaire) 43'200

Revenus globaux en 4 ans 1'000'991

Moyenne annuelle 250'248

Le produit financier obtenu lors de la réalisation des options représente pour l'essentiel un gain en capital non lié à l'activité de salarié et n'est donc pas assimilable à un salaire, s'agissant d'un cas très particulier où les options ont été réalisées quelques mois seulement après leur octroi à l'employé, suite à une opportunité exceptionnelle.

c) Le chiffre d'affaires de l'entreprise E.____ a évolué comme il suit :

1999 fr. 320'996

2000 non connu

2001 fr. 387'958

2002 fr. 450'000

2003/2004 (moyenne annuelle) fr. 456'322

2005 fr. 777'663

2006 fr. 619'292

Le fait que le chiffre d'affaires ait pratiquement doublé durant ces quelques années démontre que l'entreprise avait un certain potentiel de développement, sans qu'on puisse affirmer que ce potentiel était excellent.

Dans son rapport complémentaire faisant suite à la production des comptes annuels pour les exercices 2007 et 2008, l'expert retient en sus les chiffres d'affaires suivants :

2007 fr. 726'904

2008 fr. 767'196

L'expert constate que le chiffre d'affaires a plus que doublé par rapport au chiffre réalisé en 1999, ce qui démontre à nouveau que l'entreprise avait un certain potentiel de développement.

En 1999, le bénéfice net ressortant des comptes annuels est de 167'639 fr. 95 (compte tenu d'une erreur d'addition de 3 fr.) et représente plus de la moitié du chiffre d'affaires de 320'996 fr. 50. L'expert n'a pas pu obtenir les comptes pour l'année 2000. Le bénéfice net de l'exercice 2001 est de 33'510 francs. Pour la période du 1er janvier au [...] août 2002, les ventes se sont élevées à 275'246 francs. Le bénéfice net de la période correspondante est de 29'994 francs. Il ressort par ailleurs de l'annexe n° 23 de l'expertise que le résultat net pour l'année 2002 complète est de 23'520 francs. Pour le premier semestre 2003, le résultat net est de – 47'455 francs. Pour la période du 4 juillet 2003 au 31 décembre 2004 (18 mois), le résultat net est de – 17'121 francs. En procédant à une moyenne pour 2003 et 2004, on obtient un résultat net moyen annuel de – 32'289 francs. En 2005, le résultat net de l'exercice est de 35'664 fr., et en 2006 de 4'901 francs. Selon l'annexe 3 du rapport complémentaire, le résultat net de E.____ SA est de 2'888 fr. en 2007 et de 805 fr. en 2008.

Compte tenu du changement dans la structure de l'entreprise, qui a été exploitée en raison individuelle jusqu'au 30 juin 2003, puis en société anonyme dès le 1er juillet 2003, et qui a vu le nombre de ses dirigeants augmenter en 2004, les résultats nets ne sont absolument plus comparables. Depuis le 1er janvier 2004, la société a en effet compté un responsable de plus (M. [...]), dont le salaire est venu grossir les frais de personnel.

d) Pour la période allant jusqu'au 30 juin 2003, l'entreprise était exploitée en raison individuelle, si bien que le bénéfice net présenté correspond en principe à la rémunération globale du chef d'entreprise. A partir du 1er juillet 2003, les comptes d'exploitation de la SA présentent, comme il se doit, un résultat net après déduction des salaires versés aux dirigeants de l'entreprise.

En ce qui concerne l'exploitant en raison individuelle E.W.____ Micromécanique, son revenu n'était pas inclus dans les frais de personnel de l'entreprise, mais se confondait avec le résultat net comptable tel qu'il ressort du compte d'exploitation, soit :

bénéfice net de l'année 2001 : fr. 33'510

bénéfice net du 1er janvier 2002 au [...] août 2002 : fr. 29'994

Quant à la demanderesse, son salaire a effectivement été englobé dans les frais de personnel :

Revenu mentionné sur le certificat

de salaire de l'intéressée

(y compris les allocations familiales)

brut net

2001 51'080 fr. 45'178 fr. Salaire net compris dans frais de

personnel : 44'958 fr. 70

2002 58'730 fr. 52'827 fr. Salaire net compris dans frais de

personnel : 52'620 fr. 80

2003 (1.1-30.6.2005) 26'750 fr. 23'825 fr. La fiche individuelle de salaire du 1er

2003 (1.7-31.12.2005) 26'750 fr. 23'825 fr. semestre 2003 présente pour Mme

A.W.____ un total brut de fr. 25'200 fr.

sans compter sa quote-part 13e mois

2004 62'995 fr. 56'137 fr.

2005 14'681 fr. 12'748 fr.

e) En se fondant sur l'inventaire successoral produit en annexe 27 de son rapport, l'expert conclut à une fortune nette de 803'186 fr. acquise par liquidation du régime matrimonial et par succession.

Cette fortune est notamment composée d'un immeuble [...] (parcelle [...]) retenu pour ½ dans les acquêts du conjoint survivant. L'inventaire de l'annexe 27 révèle que l'immeuble [...] d'une valeur fiscale de 360'000 fr. est réparti à raison de 240'000 fr. dans les propres du conjoint survivant et de 240'000 fr. dans ses acquêts. Il s'agit d'un bien propriété de la demanderesse et non d'un bien successoral. Selon les déclarations fiscales produites en annexes 28 ss, la villa servant de logement principal, d'une valeur fiscale de 360'000 fr., est sise au chemin [...], [...], localité rattachée à la commune [...]. Il s'agissait déjà du logement familial avant le décès, comme le relève le rapport de gendarmerie.

D'après les éléments de fortune ressortant des déclarations d'impôt de la demanderesse, sa fortune nette n'a pas diminué depuis le [...] août 2002. Elle s'est trouvée augmentée en raison notamment du capital décès versé par la [...] Assurances à la fin de l'année 2002. Par la suite, elle a très peu varié entre 2003 et 2006.

Selon les déclarations fiscales de la demanderesse, les revenus de sa fortune ont évolué comme il suit :

2003 2004 2005 2006

Titres et placements 14'003 15'218 5'808 5'619

Immeubles (valeur locative du logement) 9'816 9'027 9'113 10'349

Frais d'entretien d'immeubles -1'963 -1'805 -1'822 -2'069

Intérêts sur emprunts -5'239 -1'343 0 0

Total des revenus de fortune 16'617 21'097 13'099 13'899

La moyenne annuelle est de 16'178 fr., ce qui correspond à un rendement d'environ 2 % de la fortune acquise au décès. Même si l'on remplace la valeur locative du logement par un loyer normal plus élevé et si l'on tient compte d'une très légère plus-value réalisée lors de la cession du capital-actions de la société E.____ SA (seule une faible partie des actions a été vendue au prix correspondant à 110 % de la valeur nominale), il faut constater que le rendement de la fortune acquise par la demanderesse au décès de son mari n'atteint en tout cas pas 5 %.

f) Par lettre du 20 novembre 2002, la [...] Assurances a annoncé le versement d'un capital décès de 177'158 fr. 40. Le 5 décembre 2002, [...] AG a finalement versé la somme de 178'971 fr. 70 sur le compte épargne de la demanderesse auprès de la Banque [...]. Ces fonds ont été affectés à raison de 170'000 fr. au remboursement d'une partie de l'emprunt hypothécaire contracté auprès de cette même banque, dont le taux d'intérêt était alors de 3 ¾ % l'an, taux qui est tombé à 3 ¼ % le 1er juillet 2003. Le capital reçu de l'assurance-vie a permis d'obtenir indirectement un rendement qui ne dépassait en tout cas pas 3 ¾ %.

g) Selon la convention passée le 22 décembre 2000, E.W.____ a repris l'entreprise E.____ pour le prix de 150'000 francs. Ce prix comprenait 50'000 francs de machines, le solde de 100'000 fr. représentant le prix payé pour le goodwill. Deux ans et demi plus tard, le goodwill de l'entreprise a été cédé à la nouvelle société E.____ SA pour le prix de 30'000 fr., valeur au 30 juin 2003. Le prix de 30'000 fr. ne paraît pas être inférieur à la valeur réelle du goodwill à cette date, ce qui aurait signifié une sous-évaluation de l'apport pour des raisons fiscales. La demanderesse a entamé un processus de vente des actions de la SA nouvellement constituée, en les valorisant principalement à leur valeur nominale (seules quelques actions ont pu être estimées lors de la revente à 110 % de la valeur nominale. La revente du goodwill s'est faite dès juillet 2003 au travers de la cessions des actions de la SA, à une valeur proche de la valeur comptable de 30'000 francs. Le goodwill a subi en deux ans et demi une baisse de valeur très importante, qui tend à présumer un prix d'achat surfait. On ne peut dès lors pas affirmer que les conditions d'achat de l'entreprise E.____ aient été particulièrement favorables pour E.W.____.

12. Par demande du 1er juillet 2005, A.W.____, B.W.____, C.W.____ et D.W.____ ont pris contre P.____SA, succursale de Lausanne, les conclusions suivantes, avec dépens :

"I.- La défenderesse est débitrice des demandeurs de fr. 3'760'000.- (…) plus intérêt à 5 % l'an dès le [...] août 2002 sur fr. 140'000.- (…) et dès le 28 août 2004 sur le solde."

Par réponse du 10 novembre 2005, la défenderesse a conclu au rejet de la demande, avec suite de dépens.

Par courrier du 5 janvier 2010, la défenderesse a produit un extrait du Registre du commerce selon lequel la raison sociale de P.____SA est désormais P.____SA. Par courrier du 19 janvier 2010, le conseil des demandeurs a informé qu'il n'avait aucune d'objection à ce que la défenderesse soit désormais P.____SA.

En droit:

I. Les demandeurs agissent en réparation du dommage et du tort moral qu'ils soutiennent avoir subis du fait du décès de leur époux et père consécutif à l'accident de la circulation du [...] août 2002.

a) Les art. 58 ss de la loi fédérale sur la circulation routière (LCR – RS 741.01) instaurent une responsabilité spéciale du détenteur de véhicule automobile, plus sévère que celle de droit commun. Celle-ci trouve sa justification dans le risque spécial résultant de l'emploi d'un véhicule automobile (ATF 72 II 217 c. 2; Brehm, Motorfahrzeughaftpflicht [ci-après : Haftpflicht], n. 5; Bussy/Rusconi, Code suisse de la circulation routière, 3ème éd., n. 1.5 ad art. 58 LCR).

a1) Selon l'art. 58 al. 1 LCR, si, par suite de l'emploi d'un véhicule automobile, une personne est tuée ou blessée ou qu'un dommage matériel est causé, le détenteur est civilement responsable. Cette disposition institue une responsabilité causale du détenteur, liée à l'"emploi" du véhicule, notion qui implique la manifestation d'un danger dû à la réalisation du risque spécifique résultant de l'utilisation des organes proprement mécaniques du véhicule (TF 4A_44/2008 du 13 mai 2008 c. 3.2.2; ATF 114 II 376 c. 1b, JT 1988 I 686). Plutôt que d'emploi, il serait préférable de parler de fonctionnement du véhicule (ATF 72 II 217 c 2; Brehm, Haftpflicht, n. 163). L'événement dommageable, considéré dans son ensemble, doit apparaître comme la conséquence adéquate du risque lié au fonctionnement des organes proprement mécaniques du véhicule, notamment du moteur ou des phares (ATF 114 II 376 c. 1b, JT 1988 I 686; ATF 88 II 455 c. 1; ATF 72 II 217 c. 2). Le fonctionnement du véhicule automobile a pour caractéristiques principales la vitesse et la masse, dont la combinaison produit l'énergie cinétique. Le bruit, l'effet de surprise ou encore l'éblouissement des phares font aussi partie du risque inhérent au fonctionnement du véhicule (Brehm, Haftpflicht, n. 165; Bussy/Rusconi, op. cit., n. 7.4 ad art. 58 LCR). Un contact physique entre le véhicule et la victime n'est pas nécessaire (Brehm, Haftpflicht, n. 225).

a2) L'art. 59 al. 1 LCR permet au détenteur du véhicule automobile de se libérer de sa responsabilité s'il prouve que l'accident a été causé par la force majeure ou par une faute grave du lésé ou d'un tiers sans que lui-même ou les personnes dont il est responsable aient commis de faute et sans qu'une défectuosité du véhicule ait contribué à l'accident. Il s'agit-là d'une exception au principe selon lequel le risque inhérent à l'emploi du véhicule suffit à fonder la responsabilité du détenteur; dès lors, la possibilité de se libérer d'une telle responsabilité doit être assortie d'exigences strictes, sauf à rendre la protection du lésé illusoire. La faute du lésé ou d'un tiers doit prédominer à tel point que le risque inhérent au véhicule automobile n'a plus de poids et n'entre plus en considération comme cause adéquate de l'accident (TF 4C.332/2002 du 8 juillet 2003 c. 3.3; Brehm, Haftpflicht, n. 8, relève que l'art. 59 al. 1 LCR énumère de façon exhaustive trois cas de rupture de la causalité adéquate). Constitue une faute grave la violation de règles élémentaires qui devraient s'imposer à tout homme prudent dans la même situation. Pour décider de la gravité de la faute, le juge doit prendre en considération non seulement les circonstances objectives de l'acte, mais également les conditions subjectives propres à son auteur, notamment quant à son discernement, par exemple lorsqu'il s'agit d'apprécier la faute d'enfants (TF 4C.278/1999 du 13 juillet 2000 c. 1c/aa, SJ 2001 I 110; ATF 111 II 89 c. 1a). La faute grave peut prendre la forme d'une négligence grave (Brehm, Haftpflicht, n. 425).

Sous l'angle de la preuve, le détenteur doit donc prouver non seulement qu'il n'a lui-même commis aucune faute, mais encore que l'accident a été causé par une faute grave du lésé (TF 4A_227/2007 du 26 septembre 2007 c. 2.2, rés. in JT 2007 I 540; sur le degré de preuve requis quant à l'absence de faute du détenteur, cf. TF 4C.332/2002 du 8 juillet 2003 c. 3.3 et 3.4, qui requiert une preuve stricte, tandis que pour Brehm, Haftpflicht, nn. 480 ss, la vraisemblance prépondérante suffit). En cas de doute sur la faute grave exclusive du lésé, le détenteur est tenu pour responsable (Brehm, Haftpflicht, n. 431). Le lésé pourra ainsi profiter de l'impossibilité d'établir certains faits (TF 4C.278/1999 du 13 juillet 2000 c. 1c/aa, SJ 2001 I 110). Un acquittement du conducteur dans un jugement pénal, faute de preuve, ne permet pas à lui seul de considérer que la preuve de l'absence de faute a été rapportée (BJM 2007, p. 244, rés. in JT 2007 I 560).

Le lésé doit quant à lui prouver que le fonctionnement du véhicule du détenteur lui a causé un dommage et démontrer en quoi consiste ce dommage (Brehm, Haftpflicht, nn. 101 et 398).

a3) La libération du détenteur n'est possible que si la faute grave du lésé est exclusive (ATF 124 III 182 c. 4a et c, JT 1998 I 756). Si le détenteur ne peut se libérer en vertu de l'art. 59 al. 1 mais prouve qu'une faute du lésé a contribué à l'accident, le juge fixera l'indemnité en tenant compte de toutes les circonstances (art. 59 al. 2 LCR). L'effet réducteur ou libérateur de la faute du lésé est exclusivement réglé par l'art. 59 al. 1 et 2 LCR, de sorte que le recours à l'art. 44 al. 1 CO est inutile. Contrairement à ce que prévoit la norme générale de l'art. 44 CO, le juge ne peut pas exonérer entièrement le détenteur de sa responsabilité en cas de faute du lésé, même grave, qui ne serait pas exclusive (ATF 132 III 249 c. 3.1, JT 2006 I 468; ATF 124 III 182 c. 3c, JT 1998 I 756).

Selon le Tribunal fédéral et la doctrine majoritaire, il convient de répartir en principe l'ensemble du dommage de 100 % en fonction des différentes causes pertinentes en droit de la responsabilité; une quote-part du dommage total doit être attribuée à chacun des facteurs causals pertinents (TF 6S.411/2006 du 8 février 2007 c. 3; ATF 132 III 249 c. 3.1, JT 2006 I 468). Le juge tiendra compte en particulier de la faute du lésé, de la faute du détenteur (ou de la personne dont il répond) et du risque inhérent au véhicule (Brehm, Haftpflicht, n. 582; Bussy/Rusconi, op. cit., n. 2.1 ad art. 59 LCR). Il comparera la gravité des fautes respectives et appréciera, le cas échéant, le poids des autres facteurs ayant contribué à provoquer le dommage. Pratiquement, l'indemnité sera réduite dans une mesure moindre que ne le justifierait la faute concurrente considérée pour elle-même; en effet, il faut tenir compte, à la charge du détenteur, du risque inhérent au véhicule, qu'il assume, et en outre de sa faute (ATF 95 II 573 c. 3, JT 1970 I 433; Bussy/Rusconi, op. cit., n. 2.2 let. b ad art. 59 LCR). Lorsque le lésé est un cycliste, il n'y a pas lieu de prendre en considération le risque inhérent à l'usage d'une bicyclette, qui peut occasionner des accidents lourds de conséquence pour son usager; le cycliste est en effet soumis à la responsabilité pour faute des art. 41 ss CO, applicables par renvoi de l'art. 70 al. 1 LCR (TF 6S.411/2006 du 8 février 2007 c. 3).

Selon un auteur, en cas de faute légère du détenteur et de faute grave du lésé non détenteur, la responsabilité du détenteur doit être de l'ordre de 30 à 40 %. En cas de faute moyenne du détenteur et de faute grave du lésé, la responsabilité du détenteur doit être de l'ordre de 50 à 60 % (Brehm, Haftpflicht, nn. 588 et 594).

b) En l'espèce, le cycliste E.W.____ circulait sur une route non prioritaire tête baissée, à une vitesse d'environ 28 km/h selon les conclusions concordantes de la gendarmerie et du service d'analyse d'accidents de la défenderesse. Arrivant dans ces conditions à proximité du débouché sur une route prioritaire (avenue [...]) annoncé par un signal "cédez le passage" et un marquage au sol , le cycliste a tourné la tête sur sa gauche et s'est alors trouvé confronté au véhicule conduit par M.M.____, qui quittait l'avenue [...] en ralentissant pour prendre sur sa droite une route d'accès située juste après la marque du "cédez le passage". Le cycliste a freiné très brusquement, bloquant sa roue avant. Resté solidaire du cycle en raison du fait que ses chaussures étaient fixées aux pédales, il a été projeté en avant et a chuté sur la chaussée, restant inanimé sur le dos. Dans le cadre de cette chute, il a touché l'aile arrière droite de l'automobile, lui occasionnant une légère griffure. Le guidon du cycle a été endommagé. Le lendemain de l'accident, le cycliste est décédé d'une rupture des vertèbres cervicales.

c) Le régime spécial des art. 58 al. 1 et 59 LCR est applicable au cas d'espèce. Le véhicule automobile détenu par l'assuré de la défenderesse était en circulation; le cycliste a freiné pour tenter d'éviter une collision avec ce véhicule, qui s'est trouvé sur sa trajectoire. Il s'en est suivi une chute aux conséquences mortelles. Cette situation se distingue de l'arrêt cité par la défenderesse, où un camion se trouvait à l'arrêt sur le bord de la route et constituait, par sa masse, un obstacle n'ayant rien à faire avec le risque spécial créé par l'emploi d'un véhicule automobile (ATF 97 II 161 c. 3, rés. in SJ 1972 p. 128).

d) S'agissant tout d'abord de l'appréciation du comportement du cycliste, il faut relever à titre liminaire que celui-ci était soumis aux règles de la circulation (art. 26 à 57 LCR) en vertu de l'art. 1 al. 2 LCR. Il avait en particulier l'obligation de rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence (art. 31 al. 1 LCR). A ce titre, il devait vouer son attention à la route et à la circulation (art. 3 al. 1 de l'ordonnance sur la circulation routière, OCR – RS 741.11). Il devait en outre avoir une vitesse adaptée aux circonstances, notamment aux conditions de la route, de la circulation et de la visibilité (art. 32 al. 1 LCR) et accorder la priorité aux véhicules circulant sur la route [...], signalée comme principale (art. 36 al. 2 LCR). A teneur de l'art. 14 al. 1 OCR, celui qui est tenu d'accorder la priorité ne doit pas gêner dans sa marche le conducteur bénéficiaire de la priorité. Il réduira sa vitesse à temps et, s'il doit attendre, s'arrêtera avant le début de l'intersection. La ligne d'attente (série de triangles blancs en travers de la chaussée) indique l'endroit où les véhicules doivent s'arrêter, le cas échéant, près d'un signal "Cédez le passage", pour accorder la priorité. La partie frontale du véhicule ne doit pas dépasser la ligne d'attente (art. 75 al. 3 de l'ordonnance sur la signalisation routière, OSR – RS 741.21).

L'art. 26 al. 1 LCR prescrit à chacun de se comporter, dans la circulation, de manière à ne pas gêner ni mettre en danger ceux qui utilisent la route conformément aux règles établies. Selon le principe de la confiance déduit de cette disposition, l'usager de la route qui se comporte de façon réglementaire est en droit de compter, sauf circonstances particulières, que les autres usagers se comporteront également de manière conforme aux règles de la circulation (TF 6S.411/2006 du 8 février 2007 c. 2.1.2.1; ATF 127 IV 34 c. 3c/aa, JT 2001 I 455; Bussy/Rusconi, op. cit., nn. 4.1 ss ad art. 26 LCR). Seul celui qui se comporte réglementairement peut invoquer le principe de la confiance. Cette limitation n'est cependant plus applicable lorsque la question de savoir si l'usager a violé une règle de la circulation dépend précisément de la possibilité qu'il a d'invoquer le principe de la confiance (TF 6B_746/2007 du 29 février 2008 c. 1.1.2). Le principe de la confiance est notamment voué à s'appliquer entre un usager prioritaire et un usager non prioritaire. Le premier peut en principe compter que le second respectera son obligation (cf. au surplus infra, let. e). Quant au second, il peut aussi escompter que l'usager prioritaire respectera les règles du trafic et que, par exemple, aucun véhicule ne surgira à l'improviste à une vitesse exagérée dans une intersection à mauvaise visibilité comportant une courbe (ATF 99 IV 173 c. 3c, JT 1974 I 427; cf. aussi Bussy/Rusconi, op. cit., n. 4.1 ad art. 26 LCR).

En l'occurrence, la vitesse du cycliste (environ 28 km/h), sa position tête baissée jusqu'à proximité du "cédez le passage", ainsi que les indications techniques fournies par le service d'analyse d'accidents de la défenderesse, dont le rapport est établi de façon sérieuse et scientifique, font inférer que le cycliste n'était pas en mesure de s'arrêter sur la ligne du "cédez le passage". Dans leur mémoire de droit, les demandeurs eux-mêmes tiennent pour "très vraisemblable" que le cycliste n'entendait pas respecter ce signal. De fait, il ne s'est aperçu du véhicule qu'environ 1 à 1,5 secondes avant l'impact, alors que la visibilité était étendue et qu'il aurait pu voir le véhicule plusieurs secondes avant la collision. Il faut en déduire que le cycliste a circulé à une vitesse inadaptée, sans faire preuve de l'attention commandée par les circonstances. Il ne s'est inquiété qu'au dernier moment du trafic prioritaire, alors qu'il n'était déjà plus en mesure de s'arrêter régulièrement sur la ligne du "cédez le passage", ce qui eût nécessité environ 3 secondes ou 15,6 mètres. L'inobservation de ces règles l'a conduit à perdre la maîtrise de son cycle en freinant brusquement, lorsqu'il a remarqué tardivement la voiture. Un tel comportement est constitutif de faute grave.

Les demandeurs objectent que compte tenu de la configuration des lieux, le devoir de respecter la priorité ne s'imposerait qu'aux automobilistes circulant sur l'avenue des [...] à l'exclusion des cyclistes. Tout au plus ceux-ci devraient-ils accorder la priorité aux cyclistes circulant sur la piste cyclable de l'avenue [...] prioritaire.

Selon le Tribunal fédéral, le conducteur qui doit attendre à une intersection peut se prévaloir du principe de la confiance en ce sens que si le trafic lui permet de s'engager sans gêner un véhicule prioritaire, on ne saurait lui reprocher une violation du droit de priorité s'il entrave malgré tout la progression du véhicule prioritaire en raison du comportement imprévisible de ce dernier. Toutefois, dans l'optique d'une règle de priorité claire, on ne saurait admettre facilement que le débiteur de la priorité n'a pas à compter avec le passage, respectivement l'entrave d'un usager prioritaire (TF 6B_263/2009 du 14 juillet 2009 c. 1.1 in fine; ATF 120 IV 252, JT 1994 I 689).

L'avenue [...] est bordée sur sa droite, sans interruption, d'une bande cyclable. Elle décrit une courbe à grand rayon à gauche, dans le sens de marche de l'automobiliste. La rue non prioritaire des [...] débouche en biais sur cette avenue, en décrivant une courbe peu prononcée à gauche. Il résulte des photos et planimétries reproduites ci-dessus que le véhicule circulant sur l'avenue [...] disposait de trois possibilités. Selon une première hypothèse, il pouvait quitter cet axe par la droite pour emprunter la rue des [...] dans le sens inverse du cheminement du cycliste, les deux voies de trafic de la rue des [...] étant séparées par un îlot. Dans ce cas de figure, les trajectoires des deux véhicules ne se croisaient pas, l'automobile prioritaire quittant l'avenue plusieurs mètres avant l'endroit où devait déboucher le cycliste. Selon une deuxième hypothèse, l'automobile pouvait suivre le cheminement de l'avenue [...]. La bande cyclable bordant la droite de cette avenue s'élargit avant l'entrée à l'accès de l'EMS, en raison de la brisure de la ligne de cédez-le passage qui termine la rue [...]. Le cycliste provenant de cette rue non prioritaire pouvait venir aisément s'insérer sur cette piste cyclable sans croiser la trajectoire de l'automobile suivant le tracé de l'avenue prioritaire. Enfin, selon une troisième hypothèse, le véhicule circulant sur l'avenue [...] pouvait venir emprunter la route d'accès à l'EMS située juste après le débouché de l'avenue des [...]. Avant de s'engager sur cette voie d'accès, le véhicule doit effectuer une légère courbe à gauche; il peut ensuite suivre l'axe de la brisure de la ligne du cédez le passage, coupant ainsi de façon quasi perpendiculaire la trajectoire d'un cycliste provenant de l'avenue des [...], et ce deux mètres environ après le cédez le passage, si l'on se réfère aux traces de pneu figurant sur la route.

Cette troisième hypothèse s'est réalisée dans le cas d'espèce. Il se pose dès lors la question de la prévisibilité du comportement de la conductrice.

La route d'accès à l'EMS, quasi perpendiculaire à la trajectoire du cycliste, est signalée par deux panneaux indicateurs fixés à un poteau sur le trottoir bordant l'entrée de la voie d'accès, panneaux indiquant l'EMS et l'immeuble " [...]". Comme cela ressort notamment des photos, ces panneaux sont bien visibles pour celui qui circule sur la rue des [...]. Le cycliste devait donc compter avec la possibilité qu'un véhicule automobile prioritaire coupe sa propre trajectoire pour emprunter la voie d'accès et devait en conséquence adapter sa vitesse en ralentissant à l'approche du débouché afin d'être en mesure de respecter son obligation de "cédez le passage". A cela s'ajoute que le cycliste disposait d'une bonne visibilité et, s'il avait levé la tête, aurait pu voir le véhicule sur l'avenue prioritaire plusieurs secondes avant la collision. Par ailleurs, le véhicule a ralenti pour emprunter la voie d'accès, sa vitesse au moment de la collision étant estimée à 17 km/h. On ne saurait retenir un comportement imprévisible à l'encontre de la conductrice, qui aurait par exemple roulé à vive allure avant d'emprunter subitement la voie d'accès. La question de savoir si celle-ci avait ou non enclenché son clignotant droit est sans incidence sur l'appréciation de la faute du cycliste (cf. au surplus infra let. e). Celui-ci n’a en effet pas pu être influencé par l'indication ou l'absence d'indication du changement de direction, puisqu'il n'a regardé en direction du trafic prioritaire qu'au dernier moment, alors qu'il était trop tard pour pouvoir s'arrêter régulièrement sur la ligne de perte de priorité.

Les demandeurs invoquent vainement le droit de priorité fondé sur l'art. 40 al. 4 OCR. Cette disposition prévoit que s'ils doivent traverser une piste ou une bande cyclable ailleurs qu'aux intersections par exemple pour accéder à une propriété, les conducteurs d'autres véhicules doivent céder la priorité aux cyclistes. En l'occurrence, il découle des photos que la route d'accès se situe juste après la ligne du "cédez le passage" et que la trajectoire du cycliste non prioritaire est ainsi susceptible de croiser celle de l'automobiliste prioritaire juste après l'intersection; selon les traces de pneu, les véhicules circulent à environ deux mètres du cédez le passage. Dans un tel contexte, la perte de priorité du cycliste débouchant d'une route non prioritaire prime le droit de priorité découlant de la piste cyclable sur la route prioritaire, en ce sens qu'il ne peut acquérir le droit de l'art. 40 al. 4 OCR qu'après avoir lui-même satisfait à son obligation de "cédez le passage". Sur la base des constatations techniques du service d'analyse d'accidents de la défenderesse et des photos, l'on peut exclure que le cycliste se soit déjà trouvé sur la bande cyclable lorsque la conductrice l'a franchie; du reste, dans une telle hypothèse, l'impact sur le véhicule aurait été beaucoup plus marqué que la simple griffure constatée. Quand bien même le cycliste se serait déjà trouvé sur la piste cyclable, il faudrait constater que c'était en violation de son devoir de priorité. Les demandeurs tentent vainement d'établir un parallèle avec les piétons à l'approche d'un passage pour piétons. L'art. 33 al. 2 LCR impose certes au conducteur de circuler avec une prudence particulière avant les passages pour piétons et au besoin de s'arrêter pour laisser la priorité aux piétons qui se trouvent déjà sur le passage ou s'y engagent; la situation du cycliste est toutefois différente dans la mesure où il était soumis à une obligation de "cédez le passage" avant l'accès à la piste cyclable.

En bref, en contrevenant notamment à ses obligations de respecter la priorité et de circuler à une vitesse adaptée aux circonstances, le cycliste a commis une faute devant être qualifiée de grave. Une première condition de l'art. 59 al. 1 LCR est ainsi réalisée.

e) Il convient ensuite d'examiner le comportement de la conductrice, dont le détenteur répond (art. 58 al. 4 LCR).

Au préalable, il convient de mentionner l'art. 53 CO, selon lequel le juge n'est point lié par l'acquittement prononcé au pénal pour décider s'il y a eu faute commise ou si l'auteur de l'acte illicite était capable de discernement; le jugement pénal ne lie pas davantage le juge civil en ce qui concerne l'appréciation de la faute et la fixation du dommage.

M.M.____ circulait sur une route prioritaire qu'elle entendait quitter pour emprunter une route d'accès sise sur sa droite, juste après le débouché de l'avenue des [...] déclassée par un signal de "cédez le passage". Sur l'avenue [...], la visibilité est étendue. Selon ses propres dires, la conductrice a regardé à droite et a remarqué un cycliste circulant à une vitesse qu'elle a jugée "relativement élevée", à une trentaine de mètres avant l'intersection. Elle a pensé que le cycliste l'avait vue, dit avoir actionné son clignotant droit et a obliqué sur la droite pour s'engager sur la route d'accès.

La défenderesse plaide l'absence de faute de la conductrice dès lors qu'elle se trouvait sur une route prioritaire et qu'elle a actionné son clignotant droit.

La conductrice circulant sur l'avenue [...] bénéficiait d'un droit de priorité par rapport au trafic en provenance de l'avenue des [...]. L'avenue [...] était bordée sur la droite d'une piste cyclable que la conductrice devait franchir pour emprunter la route d'accès également située sur sa droite; en vertu de l'art. 40 al. 4 OCR, elle devait accorder la priorité aux cyclistes se trouvant sur la piste cyclable. Comme cela vient d'être dit, les conclusions du service d'analyse d'accidents de la défenderesse et la quasi-absence de dégât sur le véhicule font inférer que le cycliste ne se trouvait pas sur la piste cyclable lorsque la conductrice l'a franchie. Sous l'angle de l'art. 40 al. 4 OCR, elle n'a donc pas commis de faute.

Le conducteur qui entend changer de direction doit manifester à temps son intention au moyen des indicateurs de direction; cette règle vaut notamment lorsqu'il s'agit d'obliquer (art. 39 al. 1 let. a LCR). Tout déportement n'a pas à être signalé d'avance, le critère étant celui de la gêne causée aux usagers qui suivent et celui de l'intérêt de l'avertissement pour ceux qui viennent en sens inverse. Par "obliquer", il faut entendre le fait de sortir de la route pour emprunter une autre route à une intersection ou pour quitter la route à un endroit qui n'est pas une intersection au sens légal (Bussy/Rusconi, op. cit., nn. 1.2.2 et 1.2.3 let. a ad art. 39 LCR). Le conducteur qui signale son intention aux autres usagers de la route n'est pas dispensé pour autant d'observer les précautions nécessaires (art. 39 al. 2 LCR).

Dans le cas d'espèce, il faut admettre que la conductrice était tenue d'actionner son clignotant droit dès lors qu'elle quittait la route principale pour prendre sur sa droite une route d'accès et qu'il y avait lieu d'avertir le cycliste aperçu sur la voie non prioritaire. La conductrice a déclaré avoir respecté son obligation. La preuve de l'indication du changement de direction ne saurait être rapportée par une simple affirmation de la personne à qui incombait une telle obligation. Le fardeau de la preuve d'absence de faute incombant au détenteur responsable civilement, il doit supporter les conséquences de ne pas avoir rapporté une telle preuve. Quoi qu'il en soit, il a déjà été constaté que l'omission d'indiquer le changement de direction n'était pas causale dans la mesure où le cycliste n'avait regardé que tardivement en direction du trafic prioritaire. De surcroît, à supposer même qu'elle ait indiqué son changement de direction, ce qui n'est pas établi, la conductrice restait tenue d'observer les précautions nécessaires (art. 39 al. 2 LCR).

Selon l'art. 26 al. 2 LCR, une prudence particulière s'impose à l'égard des enfants, des infirmes et des personnes âgées, et de même s'il apparaît qu'un usager de la route va se comporter de manière incorrecte. Cette disposition apporte une limite au principe de la confiance lorsqu'il existe des indices qu'un usager de la route va se comporter de manière incorrecte. De tels indices existent lorsque, sur la base du comportement adopté jusque-là par l'usager, il faut compter avec la possibilité qu'il se comporte de manière dangereuse et contraire aux règles de la circulation. Une simple possibilité abstraite de violation est insuffisante; il faut bien plutôt des indices concrets, sauf à ôter toute signification au principe de la confiance (ATF 118 IV 277 c. 4a, JT 1993 I 703). Il n'est pas possible de réaliser que quelqu'un va se conduire d'une manière incorrecte avant que se manifeste un signe concret d'un comportement fautif (TF 4P.339/2005 du 6 avril 2006 c. 3.5). De tels indices peuvent résulter non seulement d'un comportement manifeste, mais aussi d'une situation confuse et incertaine qui, selon l'expérience générale, cache la possibilité imminente qu'un tiers commette une faute (TF 6S.370/2003 du 12 novembre 2003 c. 3).

Ainsi, lorsque l'automobiliste prioritaire voit, ou devrait voir en faisant preuve de l'attention nécessaire, qu'il va être entravé dans l'exercice de sa priorité – notamment en présence d'un véhicule qui arrive à une vitesse telle qu'il ne pourra pas respecter la priorité – le premier ne doit pas se fier aveuglément à son droit de priorité aux dépens de la sécurité du trafic et doit faire tout son possible pour éviter une collision (ATF 92 IV 138 c. 1, JT 1967 I 415). L'usager prioritaire n'est en principe pas tenu de ralentir à l'approche d'une intersection à mauvaise visibilité; toutefois, si la situation est à ce point confuse qu'il faut craindre qu'un autre usager n'entrave la circulation, l'usager prioritaire doit réduire sa vitesse même si elle apparaît normalement adaptée aux circonstances (ATF 118 IV 277 c. 4a, JT 1993 I 703).

Pour être en mesure de satisfaire à son devoir de prudence particulière (art. 26 al. 2 LCR), l'usager doit être constamment maître de son véhicule et vouer à la route ainsi qu'à la circulation toute l'attention nécessaire (art. 31 al. 1 LCR et art. 3 al. 1 OCR). Le degré de cette attention doit être apprécié en regard de toutes les circonstances, telles que la densité du trafic, la configuration des lieux, l'heure, la visibilité, les sources de danger prévisibles (ATF 103 IV 101 c. 2a). L'automobiliste doit porter son attention en premier lieu vers les dangers prévisibles et tout au plus à titre secondaire aux comportements inhabituels et aberrants d'autres usagers du trafic (ATF 122 IV c. 2c, JT 1997 I 784).

Dans le cas d'espèce, la conductrice a de son propre aveu aperçu le cycliste qui se trouvait à une trentaine de mètres de l'intersection et qui circulait à une vitesse qu'elle a jugée "relativement élevée". Elle dit avoir "pensé" qu'il l'avait vue, avoir enclenché son clignotant droit et avoir obliqué sur la droite pour emprunter la voie d'accès.

En vertu du principe de la confiance, la conductrice aurait normalement pu s'attendre à ce que le cycliste fasse en sorte de pouvoir cas échéant s'arrêter sur la ligne du "cédez le passage". Toutefois, l'automobiliste disposait en l'espèce d'indices concrets que le cycliste risquait de ne pas respecter les règles lui incombant. A seulement trente mètres de l'intersection, il roulait à une allure que la conductrice elle-même a jugée plutôt élevée; de surcroît, il circulait tête baissée, selon les indications du témoin X.____. A cela s'ajoute la configuration des lieux. L'avenue [...] dispose d'une piste cyclable que le cycliste pouvait atteindre sans avoir à entraver le cours du trafic poursuivant "normalement" son cours sur l'avenue [...] en direction d' [...]. Ces éléments devaient faire inférer à la conductrice que le cycliste risquait de venir se "glisser" sur la piste cyclable de l'avenue prioritaire sans s'arrêter au "cédez le passage" et qu'il existait un risque de collision dans la mesure où la conductrice devait franchir la piste cyclable pour quitter l'avenue [...].

Dans ces circonstances, la conductrice ne pouvait se fier aveuglément à son droit de priorité ni compter que le cycliste respecterait l'obligation de "cédez le passage". Peu avant de quitter la route principale et de couper la trajectoire prévisible du cycliste, elle aurait à nouveau dû jeter un coup d'oeil à droite pour examiner quelle était la progression du cycliste. Il n'est pas allégué ni établi que des circonstances particulières l'auraient empêchée de satisfaire à ses devoirs, par exemple parce qu'elle aurait dû porter une attention particulière vers un autre endroit. Au contraire, la conductrice a déclaré qu'elle ne suivait aucun véhicule et que personne ne la précédait. D'après les photos, des piétons étaient potentiellement susceptibles de cheminer sur la chaussée que devait franchir la conductrice pour atteindre la route d'accès; outre qu'il n'est pas établi qu'il se soit trouvé des piétons à ce moment, on pouvait attendre de la conductrice qu'elle voue son attention aussi bien au cycliste qu'aux abords de la route d'accès. En s'abstenant de jeter un coup d'œil vers la droite pour vérifier où se trouvait le cycliste avant d'entamer son changement de direction, la conductrice a manqué à son devoir de prudence qui existait indépendamment de tout ordre de priorité; elle a ainsi contrevenu à l'art. 26 al. 2 LCR. La situation d'espèce se distingue d'autres affaires jugées, où une faute grave exclusive avait été retenue à l'encontre d'un cycliste ou d'un cyclomotoriste débouchant d'une route non prioritaire dans des intersections à mauvaise visibilité pour l'usager prioritaire (ATF 63 II 209, rés. in JT 1938 I 474; ATF 77 II 255; JT 1979 I 449).

Selon le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, l'omission de la conductrice de vérifier la position du cycliste était de nature à favoriser l'avènement d'un accident aux conséquences mortelles. Même si la faute du cycliste est grave, elle n'est pas extraordinaire au point de reléguer à l'arrière-plan le facteur essentiel qui a contribué à l'avènement du résultat, soit la conduite de M.M.____ (sur la notion de causalité adéquate, cf. par exemple TF 6B_868/2008 du 20 janvier 2009 c. 2.3.1). La conductrice a ainsi commis une faute causale dont le détenteur doit répondre (art. 58 al. 4 LCR).

La faute de la conductrice doit être qualifiée de légère. A cela s'ajoute la responsabilité pour le risque inhérent au véhicule automobile.

f) Les prévisions de l'art. 59 al. 2 LCR sont ainsi réalisées, en ce sens que le détenteur ne peut pas se libérer de sa responsabilité, mais a établi qu'une faute (grave) du lésé avait contribué à l'accident. Une action directe peut être intentée contre l'assurance RC du détenteur (art. 65 LCR). La défenderesse n'a pas allégué ni établi que le contrat d'assurance comportait des montants limites.

Il convient de déterminer l'importance respective des différentes causes ayant concouru à l'accident. Outre le risque inhérent au véhicule automobile, le détenteur répond de la faute légère de la conductrice, tandis que le cycliste répond d'une faute grave.

Au vu de ce qui précède, il convient de chiffrer à 40 % la responsabilité à la charge du détenteur et à 60 % la responsabilité du cycliste.

II. a) Le mode et l’étendue de la réparation ainsi que l’octroi d’une indemnité à titre de réparation morale sont régis par les principes du Code des obligations concernant les actes illicites (art. 62 al. 1 LCR). Le renvoi de l’art. 62 LCR vise les art. 42 à 47 CO, sous réserve des dispositions contraires de la LCR (Bussy/Rusconi, op. cit., nn. 1.2 et 1.3 ad art. 62 LCR).

b) L'art. 45 al. 3 CO dispose que lorsque, par suite de la mort, d'autres personnes ont été privées de leur soutien, il y a également lieu de les indemniser de cette perte.

L'art. 45 al. 3 CO est une exception au principe selon lequel le dommage réfléchi – soit le dommage subi par une tierce personne en relation avec la victime de l'atteinte – n'est pas réparé. De ce fait, il doit être interprété restrictivement (TF 4C.195/2001 du 12 mars 2002 c. 4; Brehm, Commentaire bernois, 2ème éd., nn. 31 et 35 ad art. 45 CO; Werro, Commentaire romand, n. 15 ad art. 41 CO et n. 11 ad art. 45 CO).

Deux conditions sont posées à l'octroi d'une indemnité de soutien. En premier lieu, le défunt doit apparaître comme un soutien effectif ou probable du demandeur. Est considérée comme un soutien la personne qui, par des prestations gratuites, en espèces ou en nature, assure ou aurait selon une grande vraisemblance assuré tout ou partie de l'entretien d'une autre personne (TF 4C.195/2001 du 12 mars 2002 c. 4 et 5a; Werro, op. cit., n. 14 ad art. 45 CO). Le mari est en règle générale le soutien de sa femme et le père le soutien de ses enfants (Werro, op. cit., n. 15 ad art. 45 CO et réf. citées). Les prestations d'entretien sont celles fournies régulièrement et en principe durablement pour couvrir les besoins normaux et courants de la personne soutenue (Frésard-Fellay, Le recours subrogatoire de l’assurance-accidents sociale contre le tiers responsable ou son assureur, thèse Fribourg 2007, n. 1661). En second lieu, la personne soutenue doit avoir besoin du soutien. Tel est le cas lorsque le niveau de vie dont jouissait la personne soutenue est effectivement réduit après le décès du soutien (Brehm, op. cit., n. 54 ad art. 45 CO et réf. citées; Frésard-Fellay, op. cit., n. 1665 et réf. citées). L'indemnité pour perte de soutien de l'art. 45 al. 3 CO tend à assurer à la personne soutenue une situation financière proche de ce qu'elle aurait été sans la mort du soutien, afin que l'ayant droit n'ait pas à modifier son niveau de vie de manière essentielle (ATF 129 II 49 c. 2 et 4.3.2, SJ 2003 I 157; ATF 112 II 87 c. 2b, JT 1986 I 439). Il s'agit de comparer la situation économique de la personne soutenue après l'accident avec la situation qui serait la sienne si le soutien n'était pas décédé (Schaetzle/Weber, Manuel de capitalisation, 5ème éd., n. 3.351 p. 424).

Le droit au soutien est un droit propre, qui n'est pas dérivé de la personne du défunt. La personne civilement responsable peut toutefois invoquer des circonstances afférant au défunt, en particulier la faute de celui-ci (art. 44 CO; Brehm, op. cit., n. 34 ad art. 45 CO). Si le défunt soutenait plusieurs personnes, il convient de calculer le montant de la perte pour chaque ayant droit (Werro, op. cit., n. 24 ad art. 45 CO).

c) Lorsque le soutien était assuré par le revenu d'une activité lucrative, le calcul du dommage implique de déterminer le revenu hypothétique que le défunt aurait réalisé, la part de revenu qui aurait été consacrée à la personne soutenue, la durée de l'entretien et les réductions possibles (Werro, op. cit., n. 25 ad art. 45 CO). Il convient de distinguer la période de vie active du soutien de celle de la retraite, car le mode de calcul est différent (Frésard-Fellay, op. cit., n. 1673).

La doctrine souligne la nécessité de trouver le juste milieu entre la grande complexité du calcul de la perte de soutien et la "praticabilité" du droit, qui appelle nécessairement des simplifications (Stark, Berechnung des Versorgersschadens, RDS 105 [1986] I 337 ss, spéc. p. 340, qui parle de "Verfeinerung des Rechts"; Frésard-Fellay, op. cit., nn. 1670-1672).

Contrairement à la perte de gain découlant d'une invalidité, la perte de soutien ne doit pas être calculée de façon concrète jusqu'au jour du jugement rendu en dernière instance cantonale et de façon abstraite pour la période postérieure. Le calcul abstrait doit être fait au jour du décès, attendu que l'on ne sait pas si, sans l'accident, la victime aurait vécu jusqu'à la date du jugement (ATF 119 II 361 c. 5b, JT 1994 I 738). Le juge peut toutefois tenir compte de faits postérieurs à la mort du soutien. La jurisprudence exigeait qu'il fasse preuve de retenue dans l'appréciation de ces faits; toutefois, des arrêts plus récents ne mentionnent plus cette exigence au demeurant critiquée par certains auteurs (ATF 124 III 222 c. 4c, JT 1998 I 757 et l'arrêt non publié cité par Frésard-Fellay, op. cit., note infrapaginale 2928 p. 554; pour cet auteur, ainsi que Schaetzle/Weber, op. cit., n. 3.352 p. 424, il n'y a pas de motif de se montrer plus strict qu'en matière de perte de gain).

Le revenu concret que le défunt réalisait au moment de l'accident constitue un point de repère. Le juge formule ensuite un pronostic sur son évolution probable sans l'accident. L'élément déterminant repose en effet davantage sur ce qu'aurait gagné annuellement le lésé dans le futur (ATF 131 III 360 c. 5.1, JT 2005 I 502, relatif à une perte de gain; Zen-Ruffinen, La perte de soutien, pp. 64-66; Frésard-Fellay, op. cit., n. 1675). Le juge peut tenir compte d'une fluctuation du revenu s'il est suffisamment rendu vraisemblable qu'elle aurait eu lieu. Lorsque l'augmentation du revenu serait provenue d'une élévation du chiffre d'affaires (commerce ou entreprise en plein essor, personne exerçant une profession libérale installée depuis peu), il n'est pas toujours aisé de la déterminer. Les comparaisons dans la catégorie professionnelle de la victime peuvent donner des renseignements utiles; le recours à un expert est souvent souhaitable (Zen-Ruffinen, op. cit., pp. 66-67). Le Tribunal fédéral a ainsi jugé qu'il n'était pas contraire au cours ordinaire des choses de retenir qu'un relieur de 30 ans, seul dans sa région, sérieux, travailleur et compétent, aurait vu son chiffre d'affaires augmenter en dix ans de 21'000 fr. à 30'000 fr. et son gain net de 10'772 fr. à 15'000 fr. environ (ATF 89 II 396 c. 1).

Le juge doit disposer d'un minimum de données concrètes. Il incombe au demandeur, respectivement à la partie défenderesse, de rendre vraisemblables les circonstances de fait dont le juge peut inférer les éléments pertinents pour établir la probabilité des augmentations ou diminutions de revenu qu'aurait réalisées le lésé sans l'accident. Ce principe n'est autre que la concrétisation de la règle selon laquelle la preuve du dommage incombe en principe au lésé (art. 42 al. 1 CO et art. 8 CC). Certes, l'art. 42 al. 2 CO prévoit que, lorsque le montant exact du dommage ne peut être établi, le juge le détermine équitablement, en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée. Cette disposition, qui tend à instaurer une preuve facilitée en faveur du lésé, ne le libère cependant pas de la charge de fournir au juge, dans la mesure où c'est possible et où on peut l'attendre de lui, tous les éléments de fait constituant des indices de l'existence du dommage et permettant ou facilitant son estimation; elle n'accorde pas au lésé la faculté de formuler sans indications plus précises des prétentions en dommages-intérêts de n'importe quelle ampleur (cf. ATF 131 III 360 c. 5.1, JT 2005 I 502, et ATF 129 III 135 c. 2.2, JT 2003 I 511, concernant aussi une perte de gain).

d) Dans le cas d'espèce, les demandeurs plaident qu'on ne saurait se fonder sur le revenu ponctuel minime réalisé juste avant l'accident, alors que la victime venait de reprendre une affaire à développer. Il conviendrait bien plutôt de se référer aux revenus moyens réalisés auparavant, à son cursus et aux éloges recueillies, ainsi qu'au bon potentiel de développement de son entreprise. Il faudrait selon eux se fonder sur un revenu hypothétique net de 100'000 fr. en 2002, évoluant jusqu'à un plafond de 350'000 fr. atteint en 2020 et maintenu jusqu'à l'année de la retraite en 2024.

La défenderesse objecte que la victime avait choisi de vivre autrement en reprenant une entreprise et que le seul élément concret dont on dispose est le bénéfice net réalisé entre la reprise de l'entreprise E.____ et le décès d'E.W.____. A défaut d'indices plus précis qu'auraient pu et dû fournir les demandeurs –notamment quant au nombre exact d'employés de l'entreprise, à leur fonction et à leur salaire –, il faudrait admettre ex aequo et bono que la victime aurait réalisé un revenu brut de 110'000 fr. par an, auquel il conviendrait d'ajouter celui de la demanderesse. Au total, un revenu global de 170'000 fr. pourrait être arrêté.

Le défunt, ingénieur ETS en microtechnique, avait été pendant plusieurs années directeur de la société Z.____SA faisant partie d'un groupe horloger. Son contrat conclu en 1993 prévoyait pour la première année un salaire brut de 115'000 fr., bonus non compris. Au cours de ses quatre dernières années de service (1997-2000), il avait réalisé un revenu annuel moyen de 250'250 francs. Le 31 décembre 2000, E.W.____ avait racheté l'entreprise individuelle E.____, qui avait réalisé en 1999 un chiffre d'affaires de 320'996 fr. et un bénéfice net de 167'639 fr. 95. En 2001, sous la nouvelle direction du défunt, cette entreprise avait réalisé un chiffre d'affaires de 387'958 fr. et un bénéfice net de 33'510 francs. Pour la période du 1er janvier au [...] août 2002, date du décès, son chiffre d'affaires avait été de 275'246 fr. et son bénéfice net de 29'994 francs. Selon l'expert, le bénéfice net de l'entreprise individuelle se confond en principe avec la rémunération globale du chef d'entreprise.

Ainsi, à la veille de son décès, la victime réalisait un revenu annuel moyen de 38'890 fr. 75, arrondi à 39'000 fr. ([33'510 + 29'994] ÷ 596 jours x 365 jours).

Le défunt s'était engagé dans la voie indépendante un peu plus d'une année et demie avant son accident. S'il existe un lien de causalité entre sa démission et le rachat de son employeuse par un grand groupe, il apparaît aussi que le défunt, doté d'un esprit d'entrepreneur et souvent chargé de postes à responsabilité, aurait souhaité racheter la société qui l'employait. N'ayant pu réaliser son souhait, il a racheté une autre entreprise. Compte tenu du choix opéré par le défunt et de son caractère, il n'y a pas d'indices concrets qu'il aurait par la suite renoncé à une activité d'indépendant pour reprendre une activité de salarié. Il faut dès lors pronostiquer qu'il aurait conservé une activité d'indépendant dans le futur.

Le revenu moyen de 39'000 fr. n'est pas parlant. Il découle de l'exploitation d'une entreprise dont l'acquisition était relativement récente. A dire d'expert, E.____ présentait un certain potentiel de développement, attesté par le fait que le chiffre d'affaires a par la suite plus que doublé. A cela s'ajoutent le caractère entreprenant d'E.W.____, le souci qu'il manifestait pour sa famille, son parcours professionnel, les certificats de travail positifs recueillis et son intérêt pour les formations complémentaires. Selon les données de l'Office fédéral de la statistique, qui sont accessibles à chacun, notamment par l'intermédiaire du site Internet, et sont ainsi notoires, le revenu brut moyen d'un cadre supérieur ou dirigeant indépendant masculin à plein temps était de 105'000 fr. sur la période des années 2002 à 2009; en 2002 il était de 98'400 fr. et en 2009 de 100'000 fr. ("Revenu professionnel brut par année des personnes actives occupées selon le statut d'activité, les groupes de professions, le taux d'occupation et le sexe" pour la période 1991 à 2009; l'étude indique que les montants nets ont été convertis en montants bruts sur la base d'un taux global de cotisations aux assurances sociales calculé en fonction du statut professionnel et de l'âge). La défenderesse elle-même a admis que le défunt aurait réalisé un revenu brut de 110'000 francs.

Au vu de tous ces éléments, il faut pronostiquer que la victime aurait réalisé un revenu hypothétique brut de l'ordre de 110'000 francs.

On peut donner acte aux demandeurs du fait que la jurisprudence retient parfois des augmentations hypothétiques importantes, en particulier dans l'exemple qu'ils citent où le revenu hypothétique retenu passait de 125'000 fr. à 400'000 fr.; toutefois, au contraire du cas présent, ce pronostic reposait sur un rapport d'expert qui s'était fondé sur une évolution de carrière normale pour le type de profession exercé, en regard notamment de statistiques représentatives du marché envisagé et du curriculum vitae de la victime (Cciv. 45/2006 du 24 mars 2006, non réexaminé sur ce point par le Tribunal fédéral statuant sur un recours en réforme, TF 4C.415/2006 du 11 septembre 2007 c. 4.3). En l'espèce, il n'a pas été établi que l'entreprise de la victime ou une entreprise de ce secteur était susceptible de procurer au chef d'entreprise un revenu allant jusqu'à 350'000 fr.; interrogé sur le potentiel de développement de l'entreprise, que les demandeurs alléguaient être excellent, l'expert a tout au plus reconnu un certain potentiel, ce qui exclut de retenir un tel plafond. Quant au bénéfice net de 167'600 fr. réalisé en 1999 par l'entreprise E.____ avant son rachat par la victime, il s'agit d'une donnée isolée d'autant moins significative qu'elle apparaît anormalement élevée dans la mesure où elle représente plus de la moitié du chiffre d'affaires. Il n'y a ainsi pas d'indices concrets permettant de retenir un revenu brut hypothétique moyen allant au-delà de 110'000 fr. par an.

e) Il convient ensuite de déterminer si la capitalisation de la perte de soutien doit porter sur le revenu brut ou net.

Le décès du soutien a entre autres conséquences d'interrompre le financement de la prévoyance de vieillesse qu'il opérait par son revenu (Frésard-Fellay, op. cit., n. 1698). Il se peut que le conjoint survivant touche des prestations de vieillesse réduites en raison d'un capital de couverture insuffisant et de lacunes dans les cotisations. Le tiers responsable est aussi tenu de réparer ce dommage, désigné par l'expression "dommage de rente" ou "dommage de diminution de rente" (ATF 126 II 237 c. 5a, JT 2002 IV 93; Frésard-Fellay, op. cit., nn. 1698-1699). Il s'agit d'un dommage différé, qui n'apparaît qu'après la fin présumée de l'activité professionnelle du défunt (Frésard-Fellay, op. cit., n. 1701).

Initialement, le dommage de rente était calculé en capitalisant les cotisations formatrices de rente versées par l'employeur aux assurances sociales. La perte de gain ou de soutien était donc calculée sur la base du revenu brut, incluant les cotisations aux assurances sociales (ATF 116 II 295 c. 4, JT 1991 I 38, et ATF 113 II 345 c. 1b/aa, JT 1988 I 696, relatifs à une incapacité de gain; ATF 126 II 237 c. 5b, JT 2002 IV 93, relatif à une perte de soutien). Le Tribunal fédéral a ensuite changé de méthode pour déterminer le dommage de rente en cas d'invalidité. Il convient désormais de comparer les rentes d'invalidité et de vieillesse versées par les assurances sociales (AVS, LAA, LPP) avec les prestations de vieillesse que le lésé aurait touchées sans l'accident, le dommage de rente étant réalisé si le premier poste est supérieur au second. Cette méthode présuppose que la perte de gain soit calculée sur la base du revenu net (ATF 129 III 135 c. 2.2, JT 2003 I 511). Selon la doctrine, la méthode comparative doit aussi s'appliquer à la perte de soutien (Frésard-Fellay, op. cit., nn. 1704 ss).

S'agissant du dommage direct de la personne soutenue, il convient d'évaluer d'une part les rentes de vieillesse hypothétiques que le soutien et la personne soutenue aurait touchées sans l'événement dommageable et d'autre part les rentes effectives que la personne soutenue percevra. Il faut se fonder sur le revenu hypothétique que la victime aurait obtenu à la veille de la retraite (Frésard-Fellay, op. cit., nn. 1706 et 1711). Par simplification, la jurisprudence admet de se référer à des valeurs d'expérience, selon lesquelles les prestations de vieillesse hypothétiques oscillent entre 50 % et 80 % de la rémunération brute au moment de la cessation de l'activité lucrative (TF 4C.194/2002 du 19 décembre 2002 c. 3.3). Le Tribunal fédéral a toutefois mis en doute l'exactitude d'une telle règle dans le cas d'un indépendant, pour le motif que le revenu soumis à cotisation est largement inférieur à son revenu global et que le taux de cotisation est fonction d'un barème dégressif (TF 4C.234/2006 du 16 février 2007 c. 3.2.3; cf. Schaetzle/Weber, op. cit., n. 3.500 p. 457, pour qui la fourchette de 50 à 80 % devrait couvrir toutes les situations, le taux étant inversement proportionnel au revenu).

Une fois déterminées les rentes de vieillesse hypothétiques de la communauté de soutien, on évalue la part qui aurait été consacrée à l'entretien de la personne soutenue. Cas échéant, il peut se justifier de retenir une quote-part de soutien plus élevée que pendant la vie active du soutien pour tenir compte de la réduction des revenus de la communauté (Frésard-Fellay, op. cit., n. 1712). On obtient ainsi la perte de soutien pour la période de retraite du soutien. Il faut ensuite imputer les rentes de vieillesse et de remplacement (LAA) que percevra la personne soutenue (Frésard-Fellay, op. cit., nn. 1713-1714; cf. en outre l'exemple 21d de Schaetzle/Weber, op. cit., pp. 199 s.).

En pratique, lorsque les calculs sont trop complexes, il est tenu compte de la perte sur pensions en se fondant sur un revenu brut (Frésard-Fellay, op. cit., n. 1678, qui relève que tel est le cas en pratique subrogatoire; cf. aussi TF 4C.108/2003 du 1er juillet 2003 c. 5.1 et 5.2 se référant à l'impossibilité de calculer de manière concrète le dommage de rente).

En l'espèce, on ne dispose pas des éléments permettant de calculer le dommage de rente selon la méthode concrète; par ailleurs, s'agissant d'un indépendant, on ne saurait appliquer sans autre les valeurs d'expérience retenues par la jurisprudence pour les salariés. Il se justifie dès lors de tenir compte du dommage de rente dans le cadre d'une capitalisation du revenu brut.

f) La méthode dite des frais fixes s'applique lorsque le soutien et le conjoint survivant faisaient ménage commun. Elle intègre le fait qu'à cause des frais fixes, les frais d'entretien d'une personne seule sont plus élevés que ceux supportés en communauté domestique (Frésard-Fellay, op. cit., n. 1680; Schaetzle/Weber, op. cit., n. 3.356 p. 425; Zen-Ruffinen, op. cit., p. 76). Selon cette méthode, les frais fixes sont d'emblée déduits du revenu du défunt. Puis il convient d'estimer quel pourcentage du montant restant le défunt aurait consacré à l'entretien de la personne soutenue; selon une donnée d'expérience, ce pourcentage est de 50 %, les conjoints partageant à part égale les dépenses variables. Une fois ce pourcentage converti en francs, sont ajoutés les frais fixes qui avaient été déduits; on obtient ainsi la perte de soutien déterminante (ATF 119 II 361 c. 3 non publié, SJ 1994, 86; Schaetzle/Weber, op. cit., n. 3.356-3.359 pp. 425-427). Le montant des frais fixes et la proportion entre ceux-ci et les frais variables dépendent des circonstances concrètes et de l'organisation de la communauté domestique; les statistiques peuvent fournir des renseignements utiles (Schaetzle/Weber, op. cit., nn. 3.359 et 3.361 p. 427).

Dans le cas d'espèce, il convient de s'en tenir à la méthode "directe", faute d'indications sur ces frais fixes. A cela s'ajoute que cette méthode complique les calculs lorsque le soutien subvenait aux besoins d'un conjoint et d'enfants (Frésard-Fellay, op. cit., n. 1682). Par mesure de simplification, il est possible de renoncer à déterminer les frais fixes concrets et de se référer aux valeurs tirées de l'expérience (méthode des quotes-parts). A cet égard, on admet généralement que le conjoint survivant doit pouvoir jouir de 50 à 60 %, voire 65 ou 70 % du revenu antérieur. La quote-part est d'autant plus importante que le revenu est bas (Frésard-Fellay, op. cit., n. 1681).

g) La demanderesse contribuait aussi aux besoins de la famille. Elle exerçait une activité de salariée dans l'entreprise de son mari, activité qu'elle a poursuivie après le décès de celui-ci. Entre 2001 et 2005, elle a touché un revenu annuel brut moyen de 48'197 fr. 20 ([51'080 + 58'730 + 53'500 + 62'995 + 14'681] ÷ 5), arrondi à 48'200 fr., et un revenu annuel net moyen de 42'908 fr. ([45'178 + 52'827 + 47'650 + 56'137 + 12'748] ÷ 5), arrondi à 43'000 francs. Il découle en outre des annexes 27 ss de l'expertise que la demanderesse est propriétaire d'un immeuble grevé d'une hypothèque qui servait de logement familial du vivant du soutien, ce qui est toujours le cas. La demanderesse contribuait ainsi aux besoins de la famille partiellement par un revenu et partiellement en nature.

La participation de l'épouse aux dépenses familiales peut être prise en compte de deux façons. Soit on réduit le taux de sa quote-part de soutien; on considère ainsi que la part de revenu que le soutien aurait consacrée à son épouse est moindre dans la mesure où celle-ci subvenait également aux besoins familiaux (Brehm, op. cit., n. 133 ad art. 45 CO; Stark, op. cit., p. 349). Soit on additionne les revenus des deux époux; après déduction des frais fixes, on fixe la quote-part de soutien de la veuve. A ce pourcentage converti en francs sont ajoutés les frais fixes. La différence entre le montant obtenu et le revenu que la personne soutenue perçoit constitue la différence de soutien. La doctrine est favorable à cette dernière solution (Frésard-Fellay, op. cit., n. 1688; Brehm, op. cit., n. 134 ad art. 45 CO; Stark, op. cit., p. 349; Schaetzle/Weber, op. cit., n. 3.363 p. 427, exemples 25 et 28).

Dans la mesure où l'on ne dispose pas de données sur les frais fixes, il faut se fonder sur la première méthode et tenir compte du seul revenu de l'époux avec réduction de la quote-part de soutien pour tenir compte du fait que l'épouse participait aux besoins de la famille.

III. a) Il convient de déterminer la quote-part de soutien de la demanderesse et des demandeurs, respectivement épouse et enfants du défunt.

Les enfants n'ont besoin de soutien que tant qu'ils ne sont pas en mesure de pourvoir eux-mêmes à leur entretien. La limite se trouve comprise entre 18 et 25 ans; elle est souvent fixée à 20 ans (Schaetzle/Weber, op. cit., n. 2.519 p. 219 et n. 3.383 p. 430). Normalement, la quote-part de l'épouse va en augmentant au fur et à mesure que les enfants entrent dans la vie active et cessent d'avoir besoin du soutien. Pour éviter des calculs compliqués fondés sur des quotes-parts évoluant avec le temps, la pratique admet de se fonder sur les valeurs moyennes retenues dans les tables de Stauffer/Schaetzle (Brehm, op. cit., n. 142 ad art. 45 CO; Frésard-Fellay, op. cit., nn. 1683 ss).

L'application de ces valeurs moyennes suppose que soit établie la durée moyenne des rentes d'orphelin.

En l'espèce, l'aîné des demandeurs a été en formation jusqu'en juin 2005, le puîné jusqu'en juin 2006 et le cadet jusqu'en juin 2008.

Dans leur mémoire de droit, les demandeurs font valoir que dans un contexte économique difficile, nul n'est certain de trouver un emploi et de devenir financièrement indépendant aussitôt sa formation achevée. Ils requièrent de retenir "ex aequo et bono" une perte de soutien d'une durée moyenne jusqu'à l'âge de 23 ans, soit jusqu'à la fin de l'année 2006 pour l'aîné, respectivement fin 2008 pour le puîné et fin 2011 pour le cadet.

Les demandeurs n'ont pas allégué leurs dates de naissance; ils n'ont pas davantage allégué ni établi qu'ils n'étaient pas en mesure de pourvoir à leur entretien nonobstant la fin de leur formation, alors qu'il eût été possible de le faire dans le cadre de la procédure d'échange d'écritures ou à tout le moins par le biais d'une réforme. Il faut dès lors s'en tenir aux dates de fin de formation.

Le décès du soutien étant survenu le [...] août 2002, la durée moyenne des rentes d'orphelin est de 4,33 ans. Le chiffre le plus proche selon les tables de Stauffer/Schaetzle est de 5 ans (Schaetzle/Weber, op. cit., tableau n° 7, n. 4.134 p. 524).

Les tables proposent 5 variantes s'agissant de la quote-part de soutien du conjoint veuf dans l'hypothèse où il serait sans enfants, la quote-part variant de
50 % à 70 %, intégrant ainsi les chiffres retenus par la jurisprudence (Schaetzle/Weber, op. cit., n. 4.125 p. 521). Plus le revenu est bas, plus la quote-part de soutien doit être élevée (Schaetzle/Weber, ibidem; Brehm, op. cit., n. 104 ad art. 45 CO). Selon une opinion largement répandue, la quote-part de la veuve vivant seule se situe entre 50 et 60 % du revenu conjugal (Brehm, op. cit., n. 106 ad art. 45 CO et réf. citées).

En l'espèce, il se justifie d'opter pour la quote-part la plus basse dès lors que l'épouse subvenait aussi aux besoins du ménage par son revenu et son immeuble, et que les revenus du couple étaient relativement élevés; est donc retenu le chiffre de 50 %, soit la variante A.

Sur la base de cette variante A et d'une durée moyenne des rentes d'orphelins de 5 ans, on obtient une quote-part moyenne de 46 % pour la veuve et de 12,5 % pour chacun des trois enfants selon le tableau n° 7 de Schaetzle/Weber (op. cit., n. 4.134 p. 524).

Les quotes-parts étant arrêtées, il convient de déterminer la perte de soutien pour chaque personne soutenue.

b) La demanderesse, veuve de la victime, a en principe le droit à une quote-part de 46 % sur un revenu de 110'000 fr., soit 50'600 francs.

b1) Se pose tout d'abord la question d'une réduction pour tenir compte d'un éventuel remariage. Les chances de remariage sont en principe examinées en tenant compte de l'âge de la veuve au moment du décès. Ce point est critiqué par une partie de la doctrine, qui relève que cette solution conduit à ne pas tenir compte du non-remariage au moment du jugement, alors qu'un remariage peut être pris en considération (Brehm, op. cit., n. 126 ad art. 45 CO et réf. citées; Frésard-Fellay, op. cit., n. 1694). Les données statistiques doivent être prises avec retenue, dans la mesure où l'évolution des mœurs conduit à une diminution du nombre des mariages; à cela s'ajoute que le remariage ne supprime pas nécessairement la perte de soutien. Il convient de rechercher une éventuelle intention de remariage (Frésard-Fellay, op. cit., nn. 1691-1692 et réf. citées; ATF 108 II 434 c. 5c).

En l'occurrence, la demanderesse, née le [...] août 1956, était âgée de 46 ans au moment du décès de son époux. Elle avait alors 8 % de chances de se remarier selon les statistiques de l'OFIAMT fondées sur la population suisse, respectivement 1 % selon les statistiques CNA (Schaetzle/Weber, op. cit., tableau 8, n. 4.141 p. 526). Au jour du jugement, la demanderesse est âgée de 53 ans et 8 mois, soit 54 ans. Selon l'OFIAMT, les chances de remariage à cet âge sont de 4 %. La CNA ne fournit pas de chiffre.

Compte tenu des faibles chances de remariage, de l'absence d'indice d'une intention ou d'une possibilité de se remarier et des circonstances tragiques dans lesquelles la demanderesse a perdu son mari alors qu'ils formaient une famille unie, il convient de renoncer à opérer une réduction de ce chef.

b2) Les revenus de la fortune héritée du soutien sont imputés de la perte de soutien; en revanche, le capital n'est pas déduit (ATF 95 II 411 c. 1, rés. in JT 1970 I 248; Brehm, op. cit., nn. 55 ss ad art. 45 CO et réf. citées; Frésard-Fellay, op. cit., n. 1686). Il en est de même des revenus de la part qui va au conjoint survivant à la suite de la liquidation du régime matrimonial (Frésard-Fellay, ibidem; Zen-Ruffinen, op. cit., p. 106). La déduction des revenus successoraux doit se faire selon une appréciation équitable, en tenant compte de la possibilité d'une diminution des revenus (ATF 95 II 411 c. 1b, rés. in JT 1970 I 248; ATF 99 II 207 c. 7, qui tient compte de frais médicaux de la veuve; Zen-Ruffinen, op. cit., pp. 106-107).

Selon l'expert, le revenu annuel moyen de la fortune héritée est de l'ordre de 2 %, soit 16'178 fr., arrondi à 16'000 fr., à porter en déduction de la quote-part de la veuve. Toutefois, l'expert a pris en compte à tort les revenus de l'immeuble propriété de la demanderesse : le revenu successoral annuel moyen est ainsi de 10'162 fr., arrondi à 10'000 fr. :

2003 2004 2005 2006

Titres et placements 14'003 15'218 5'808 5'619)

b3) Les capitaux d'assurances de sommes (appelées aussi assurances de personnes), ne doivent pas être imputés (Frésard-Fellay, op. cit., n. 1686; Brehm, op. cit., n. 61 ad art. 45 CO; Zen-Ruffinen, op. cit., pp. 151-152). En effet, l'art. 96 de la loi fédérale sur le contrat d'assurance (LCA – RS 221.229.1) prévoit que dans l'assurance de personnes, les droits que l'ayant droit aurait contre des tiers en raison du sinistre ne passent pas à l'assureur. En d'autres termes, la loi autorise la personne soutenue à cumuler les prestations contre l'assurance avec celles contre le tiers responsable (Frésard-Fellay, op. cit., n. 390; Brehm, op. cit., n. 62 ad art. 45 CO; TF 5C.243/2006 du 19 avril 2007 c. 3.3.1). L'idée est que le responsable n'a pas à profiter de la prévoyance du défunt qui avait contracté une assurance et payé des primes (ATF 64 II 420 c. 4a, JT 1939 I 262; ATF 62 II 55; Brehm, op. cit., n. 60 ad art. 45 CO). Pour les assurances de dommages, la règle inverse s'applique : l'art. 72 al. 1 LCA prévoit que les prétentions que l'ayant droit peut avoir contre des tiers en raison d'actes illicites passent à l'assureur jusqu'à concurrence de l'indemnité payée.

L'assurance de personnes est celle qui a pour objet une personne physique et où la prestation de l'assureur dépend généralement d'un événement qui atteint la personne de l'assuré, tel que maladie, accident, lésion corporelle, invalidité, décès. L'assurance de personnes se caractérise, par rapport à l'assurance contre les dommages, par sa nature non indemnitaire : elle est une promesse de capital indépendante du montant effectif du préjudice subi par le preneur ou l'ayant droit (TF 5C.3/2003 du 31 mars 2003 c. 3.1). Les prestations versées en cas de décès d'une personne n'ont généralement pas pour fonction de couvrir un dommage déterminé et découlent dès lors d'une assurance de sommes. Peu importe, à cet égard, qu'elles permettent de couvrir, le cas échéant, une perte de soutien réelle et que cela corresponde à la volonté du preneur d'assurance. En effet, le propre de toute assurance, qu'il s'agisse d'une assurance contre les dommages ou d'une assurance de sommes, est de parer à d'éventuels revers de fortune. Le critère de distinction décisif ne réside donc pas dans le but, mais dans les conditions de la prestation (ATF 119 II 361 c. 4, JT 1994 I 738).

La doctrine est divisée sur la question de savoir si les revenus des capitaux d'assurances de sommes doivent être imputés (contre l'imputation : Frésard-Fellay, op. cit., n° 1686 et réf. citées; favorable : Brehm, op. cit., n. 65 ad art. 45 CO et réf. citées).

Selon l'expert, [...] AG a versé un capital de 178'971 fr. 70 sur le compte épargne de la demanderesse le 5 décembre 2002; ces fonds ont été affectés à raison de 170'000 fr. au remboursement d'une partie de l'emprunt hypothécaire, dont le taux d'intérêt était alors de 3 ¾ %, taux qui est tombé à 3 ¼ % le 1er juillet 2003. L'expert conclut que le capital reçu de l'assurance-vie a permis d'obtenir indirectement un rendement qui ne dépassait en tout cas pas 3 ¾ %.

Dans la mesure où le capital a été versé en vertu d'une assurance-vie, soit une assurance de personnes, il n'y a pas lieu d'imputer cette prestation. La défenderesse elle-même ne le prétend d'ailleurs pas. Il n'y a pas matière non plus à déduire d'éventuels intérêts. D'une part, l'expert lui-même admet qu'il ne s'agit que d'un rendement "indirect". D'autre part, le législateur a prévu un régime particulier pour les prestations d'assurance de sommes (ATF 95 II 411 c.1b, rés. in JT 1970 I 248; ATF 64 II 420 c. 4a, JT 1939 I 262); ce qui vaut pour le capital d'assurance doit aussi valoir pour les revenus de ce capital. Les motifs pour lesquels la jurisprudence refuse l'imputation du capital successoral ne sont pas les mêmes que ceux sous-jacents à l'art. 96 LCA; il s'agit plutôt de considérations économiques, qui tendent à éviter que la personne soutenue soit contrainte de réaliser à un moment défavorable des élément de fortune successorale sans rendement (Brehm, op. cit., n. 57 ad art. 45 CO).

b4) On obtient ainsi une perte de soutien annuelle de 40'600 fr. ([46 % de 110'000 fr.] – 10'000 fr. de revenus successoraux).

Ce montant doit être capitalisé en fonction de la durée du soutien, soit jusqu'au moment où la victime aurait cessé d'exercer son activité lucrative (Brehm, op. cit., n. 27 des remarques précédant les art. 45-46 CO). Les demandeurs n'ont pas allégué ni fourni des indices qu'E.W.____ aurait poursuivi son activité d'indépendant au-delà de 65 ans. Au contraire, dans leur "mémoire de calcul du dommage" du 13 août 2004, auquel renvoie leur mémoire de droit, ils ont indiqué que la victime aurait atteint l'âge hypothétique de la retraite en 2025, soit lorsqu'il aurait eu 65 ans. Ils confirment encore cet élément dans leur mémoire de droit (cf. ch. 8 de leurs "explications" du tableau Excel). Il faut dès lors retenir que la victime, née le [...] février 1960, aurait cessé son activité professionnelle en février 2025. Comme la personne soutenue aurait pu disparaître avant le soutien, il convient de capitaliser sur la base d'une rente temporaire sur deux têtes jusqu'à l'âge de 65 ans du soutien actif ou au décès de l'épouse, soit la table 16 des Tables de capitalisation de Stauffer/Schaetzle (ATF 126 II 237 c. 4c et d, JT 2002 IV 93; Schaetzle/Weber, op. cit., n. 2.504 p. 212; Cciv. 183/2008 du 12 décembre 2008). Les tables de capitalisation ne donnent que des âges entiers; il faut se fonder sur la date d'anniversaire la plus proche et arrondir vers le haut ou le bas. Dans le cas présent, il faut retenir qu'en date du [...] août 2002, le soutien avait 43 ans et l'épouse soutenue (née le [...] août 1956) 46 ans; selon la table 16, le facteur de capitalisation est de 14,22. Pour une pleine responsabilité, la perte de soutien capitalisée s'élève ainsi à 577'332 francs (40'600 x 14,22).

b5) Doit encore être examinée la question d'une éventuelle déduction des prestations des assurances sociales et des caisses de pension.

Dans le domaine du droit de la responsabilité civile, l'interdiction de l'enrichissement est un principe général reconnu qui exclut d'allouer au lésé des dommages et intérêts supérieurs au préjudice subi en raison d'un événement dommageable. Il y a surindemnisation lorsque plusieurs indemnités sont versées à la même personne pendant le même laps de temps et pour le même événement dommageable et que la somme des indemnités est supérieure au dommage subi. Doivent par conséquent être imputées les prestations faites par des tiers qui coïncident matériellement, temporellement et personnellement avec l'événement en cause (principe de la concordance des droits) et pour lesquelles se pose la question de la subrogation ou du recours, ainsi que celle du droit préférentiel du lésé. L'interdiction de la surindemnisation vaut notamment dans les rapports entre les assurances sociales et le droit de la responsabilité civile (ATF 132 III 321 c. 2.2.1, JT 2006 I 447).

En vertu d'une subrogation légale, l'assurance sociale qui indemnise la personne lésée se voit transférer, jusqu'à concurrence du montant payé, la créance de cette dernière contre l'auteur du dommage (Frésard-Fellay, op. cit., n. 383). Le lésé ne peut donc réclamer au tiers responsable (ou à son assureur responsabilité civile) que la réparation du dommage non couvert par l'assurance sociale. En d'autres termes, les prestations concordantes couvertes par les assurances sociales sont déduites du dommage que le lésé peut réclamer au responsable ou à son assureur. Ce mécanisme permet notamment d'éviter une surindemnisation du lésé (ATF 131 III 360 c. 6.1, JT 2005 I 502 ; ATF 131 III 12 c. 7.1, JT 2005 I 488).

L'art. 72 al. 1 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA – RS 830.1) prévoit que dès la survenance de l'événement dommageable, l'assureur est subrogé, jusqu'à concurrence des prestations légales, aux droits de l'assuré et de ses survivants contre tout tiers responsable. Cette loi ne s’applique pas aux événements assurés antérieurs à son entrée en vigueur survenue le 1er janvier 2003 (ATF 131 III 360 c. 7.1, JT 2005 I 502; Frésard-Fellay, op. cit., n. 66). Toutefois, les règles de subrogation prévues autrefois dans les différentes lois et règlements d’assurances sociales conduisaient à un résultat identique. L'ancien art. 48ter de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (aLAVS – RO 1978, 401 et RO 1996, 2481) et l'ancien art. 41 de la loi fédérale sur l'assurance-accident (aLAA – RO 1982,1688) avaient une teneur semblable à l'art. 72 al. 1 LPGA.

Le législateur adoucit toutefois le mécanisme de la subrogation par l'institution du droit préférentiel du lésé (Quotenvorrecht). Cette règle tend à permettre au lésé de cumuler les prestations concordantes de l'assurance sociale et du tiers responsable (ou de son assureur RC) jusqu'à concurrence de son dommage effectif, y compris dans l'hypothèse où le lésé ne peut obtenir du tiers responsable (ou de son assureur RC) qu'une indemnisation réduite, par exemple en raison d'une faute concomitante du lésé (Frésard-Fellay, op. cit., nn. 978, 983 et 985; Bussy-Rusconi, op. cit., n. 1.3 ad art. 88 LCR; TF 4C.402/2006 du 27 février 2007, JT 2007 I 543; ATF 131 III 12 c. 7.1, JT 2005 I 488). Pratiquement, lorsque la prestation de l'assurance sociale est inférieure au dommage effectif, le lésé dispose d'un droit de priorité par rapport à l'assurance pour agir contre le tiers responsable jusqu'à réparation totale de son dommage (ATF 134 III 636 c. 1.3.1, JT 2009 I 209; Frésard-Fellay, op. cit., nn. 975 ss et 983). Du fait du droit préférentiel du lésé, l'assurance ne dispose que d'un recours subrogatoire subsidiaire contre le tiers responsable (ou son assureur RC) : elle ne peut l'exercer que si et dans la mesure où les prestations qu'elle alloue, jointes à la réparation due par le tiers, excèdent le montant du dommage total (Frésard-Fellay, op. cit., n. 988; ATF 93 II 423 c. 6, JT 1968 I 290). Le droit préférentiel du lésé fait ainsi supporter à l'assurance sociale les motifs de réduction de la réparation due par le tiers responsable (Frésard-Fellay, ibidem).

Sous des formulations différentes, le droit préférentiel du lésé est consacré à l'art. 88 LCR et à l'art. 73 LPGA, lequel remplace notamment les art. 48quater aLAVS et 42 al. 1 aLAA sans les modifier matériellement (Frésard-Fellay, op. cit., nn. 971-973). Contrairement à l'art. 73 al. 1 LPGA, l'art. 88 LCR s'applique également à l'assurance de dommage privée (Frésard-Fellay, op. cit., n. 973).

b6) Dans le cas d'espèce, le plein préjudice de la demanderesse pour perte de soutien s'élève à 577'332 francs. La défenderesse ne doit que 40 % de ce montant, soit 230'933 fr., compte tenu de la faute concurrente de la victime fixée à 60 %.

Selon le calcul de l'Office fédéral des assurances sociales en prévision du recours, la valeur capitalisée des prestations AVS est de 256'644 fr. pour la demanderesse. Il se fonde sur une rente mensuelle de veuve de 1'648 fr. à compter du 1er septembre 2002, puis de 1'688 fr. dès le 1er mars 2003.

La subrogation suppose que l'assureur social couvre, par ses prestations, un dommage similaire aux prétentions en responsabilité que peut faire valoir le lésé. Il doit exister une concordance au niveau de l'événement dommageable, ainsi qu'une concordance temporelle, personnelle et fonctionnelle (matérielle) entre les prestations sociales et le dommage dont la réparation est demandée sur le plan civil (ATF 131 III 360 c. 7.2, JT 2005 I 502; Frésard-Fellay, op. cit., nn. 1229 ss). En l'occurrence se pose la question de la concordance temporelle, les autres éléments de concordance étant manifestement réalisés (sur la concordance fonctionnelle, cf. art. 74 al. 2 let. f LPGA).

Avant la 10ème révision de l'AVS, la rente de veuve s'éteignait ex lege lorsque naissait le droit à une rente vieillesse (ATF 126 V 506 c. 3 in fine). Selon l'art. 24b LAVS, entré en vigueur le 1er janvier 1997, si une personne remplit simultanément les conditions d'octroi d'une rente de veuve et d'une rente de vieillesse, seule la rente la plus élevée sera versée. En principe, la rente de vieillesse est la plus élevée et se substitue donc à la rente de veuve (ATF 126 V 506 c. 3 in fine). La rente de veuve doit être calculée en capitalisant une rente sur deux têtes temporaire jusqu'à l'âge terme du soutien et jusqu'à l'âge AVS de la veuve (ATF 124 III 222 c. 3c, rés. JT 1998 I 757, qui se réfère à la table 26a de la 4ème éd. des Tables de Stauffer/Schaetzle), soit selon la table 16a de Stauffer/Schaetzle. Pour un homme soutien de 43 ans et une femme soutenue de 46 ans, le facteur de capitalisation est de 12,67. En se fondant par simplification sur une rente mensuelle AVS de 1'688 fr., soit 20'256 fr. par an, le recours AVS pour la rente de veuve porte sur le montant de 256'644 francs. (20'256 x 12,67). Ce montant, qui correspond au calcul de l'AVS, doit être déduit de la perte de soutien.

Selon le calcul de la SUVA en prévision du recours, la valeur capitalisée des prestations LAA est de 448'623 fr. pour la demanderesse. Il se fonde sur une rente LAA initiale de 709 fr., qui a ensuite augmenté à 2'294 fr. depuis le 1er octobre 2005 et à 2'500 fr. depuis le 1er mars 2009.

La rente LAA allouée au conjoint survivant est en principe viagère (art. 29 al. 6 LAA). Dans l'hypothèse où l'on examine séparément la perte de soutien pour la période de l'activité lucrative et pour la période de la retraite, la concordance temporelle implique la scission de la rente de survivants LAA en deux parts, soit celle pour la période jusqu'à l'âge AVS et celle pour la période postérieure, jusqu'au décès de l'ayant droit (Frésard-Fellay, op. cit., n. 1264).

Compte tenu de la complexité du calcul des rentes différées et temporaires sur deux têtes , la pratique admet, en cas de rente croissante, qu'il soit procédé à une capitalisation sur une seule tête (Frésard-Fellay, op. cit., n. 1767; Schaetzle/Weber, op. cit., n. 2.571 p. 242).

On obtient les montants suivants :

rente LAA mensuelle de base de 709 fr. dès le 1er septembre 2002 :

709 x 12 = 8'508 fr., capitalisable comme rente temporaire jusqu'au 65 ans du soutien (table 11), âge 43 ans = facteur 14,44;

8'508 x 14,44 = 122'856 fr.;

- 1ère augmentation : rente de 2'294 fr. dès le 1er octobre 2005 :

2'294 – 709 = 1'585 x 12 = 19'020 fr.;

facteur d'une rente différée de 3 ans [par rapport à 43 ans], temporaire jusqu'à 65 ans =

soustraction facteur "rente temporaire jusqu'au 65 ans du soutien" (table 11) – facteur "rente temporaire d'une durée de 3 ans" (table 12x), soit 14,44 – 2,84 = 11,6

19'020 x 11,6 = 220'632 fr.;

- 2ème augmentation : rente de 2'500 fr. dès le 1er mars 2009 :

2'500 – 2'294 = 206 x 12 = 2'472 fr.;

facteur d'une rente différée de 6 ans [par rapport à 43 ans], temporaire jusqu'à 65 ans = soustraction facteur "rente temporaire jusqu'au 65 ans du soutien" (table 11) – facteur "rente temporaire d'une durée de 6 ans" (table 12x), soit 14,44 – 5,37 = 9,07

2'472 x 9,07 = 22'421 fr.

Le total de 365'909 fr., inférieur au calcul SUVA (448'623 fr.), qui ne couvre probablement pas la même période.

Même en se fondant sur le plus bas montant, il apparaît que les prestations LAVS et LAA (256'644 + 365'909 = 622'553 fr.) excèdent le préjudice total (577'332 francs).

En ce qui concerne la prévoyance professionnelle, il n'y avait pas de droit de subrogation ancré dans la loi avant que soit adopté l'art. 34b LPP, entré en vigueur le 1er janvier 2005 (Duc, Coordination et droit de recours in Journées du droit de la circulation routière 14-15 mars 2006, p. 188). Cet article n'a pas d'effet rétroactif sur les événements dommageables intervenus avant le 1er janvier 2005, selon le principe général du droit transitoire (ATF 132 III 321 c. 2.3.1, JT 2006 I 447). Selon l'art. 26 aOPP2 applicable jusqu'au 31 décembre 2004, l'institution de prévoyance pouvait, si son règlement le prévoyait, exiger de celui qui demandait des prestations de survivants ou d'invalidité qu'il lui cédât ses droits envers le tiers responsable du dommage jusqu'à concurrence du montant des prestations qu'elle devait. Cette disposition conditionnait l'exercice du recours contre le tiers responsable à l'existence d'une cession des ayants droit à l'institution de prévoyance. Les termes de l'art. 26 alinéa 2 OPP2 "jusqu'à concurrence du montant des prestations qu'elle doit" signifiaient que la cession s'étendait à toutes les prestations réglementaires, tant à celles de la prévoyance professionnelle obligatoire qu'à celles de nature surobligatoire, et ce, aussi longtemps qu'elles étaient en concordance matérielle et temporelle avec le dommage. Cette disposition ne faisait que prévoir un droit de cession, sans instituer un véritable droit de subrogation ou de recours en faveur de l'institution de prévoyance. Faute de dispositions légales, il fallait appliquer par analogie les règles du Code des obligations, en particulier celles de l'art. 51 al. 2 CO relatif au concours de diverses causes du dommage (Duc, op. cit., pp. 188 et 189; Cciv., 45/2006 du 24 mars 2006).

En bref, le fondement juridique du droit de recours des caisses de pension s'inscrit d'une part dans l'art. 51 al. 2 CO appliqué par analogie, d'autre part dans l'art. 26 OPP2. L'institution de prévoyance a dans tous les cas un droit de recours pour les prestations courues conformément à l'art. 51 al. 2 CO, et ce, même sans droit de cession prévu dans le règlement. Le recours de l'art. 51 al. 2 CO ne concerne que les prestations passées. Pour les prestations futures, un recours n'est possible que moyennant une déclaration de cession valable (Duc, op. cit., p. 192; Cciv., 45/2006 du 24 mars 2006).

Dans le cas d'espèce, le règlement de l'institution de prévoyance n'a pas été produit et n'a pas fait l'objet d'une réquisition de production. En l'absence d'un droit de cession établi, le recours de l'institution de prévoyance doit être établi sur la base des seules prestations passées.

Par simplification, le calcul se fonde sur des prestations allouées jusqu'au 30 avril 2010, le jugement étant rendu le 28 avril 2010. Le décompte est le suivant :

1) rente annuelle LPP de 1'338 fr. 60 (= rente mensuelle de 111 fr. 55)

pour la période du 1er septembre 2002 au 31 décembre 2005 (4 mois + 3 ans)

= 446 fr. 20 + 4'015 fr. 80 = 4'462 fr.

2) rente annuelle LPP de 1'650 fr. 60

pour la période du 1er janvier au 30 juin 2006 (6 mois)

= 825 fr. 30 (1'650 fr. 60 ÷ 2)

3) rente annuelle LPP de 3'762 fr. (= 313 fr. 50)

pour la période du 1er juillet 2006 au 30 avril 2010 (3 ans + 10 mois)

= 11'286 fr. + 3'135 fr. = 14'421 fr.

Au total, le recours pour les prestations LPP déjà servies s'élève à 19'708 fr. 30.

La demanderesse ne dispose dès lors d'aucune prétention en perte de soutien contre la défenderesse.

c) Dans son mémoire de droit, la demanderesse prétend à une quote-part de 50 % sur le revenu hypothétique de 175'000 fr. que le défunt toucherait après sa retraite à l'âge de 65 ans en 2025; ce revenu équivaudrait au 50 % de son dernier revenu hypothétique de 350'000 francs.

Le revenu hypothétique de 110'000 fr. tient compte des cotisations aux assurances sociales (supra, c. 2d). Celles-ci ayant été inclues dans la capitalisation, le dommage consécutif à la diminution de rente a déjà été pris en compte (ATF 126 II 237 c. 5, JT 2002 IV 93).

d) Il convient ensuite de déterminer la perte de soutien subie par les trois enfants de la victime. En se fondant sur une quote-part de 12,5 % chacun sur un revenu annuel hypothétique de 110'000 fr., on obtient une perte de soutien annuelle de 13'750 francs.

Il n'a pas été allégué ni établi que les enfants de la victime tiraient des revenus de la fortune héritée, de sorte qu'il n'y a pas de déduction à opérer de ce chef.

Il convient de capitaliser les montants dus selon la table 12x de Stauffer/Schätzle, relative à une rente d'activité temporaire pour un homme, au taux d'intérêt de 3,5 %. L'âge du père était de 43 ans au moment du décès.

Pour l'aîné, la durée de soutien est de 3 ans, soit jusqu'en 2005. Le facteur de capitalisation est de 2,84. La perte de soutien totale s'élève à 39'050 francs; en tenant compte de la faute de la victime, le montant dû par la défenderesse est de 15'620 fr. (40 % de 39'050 fr.). Pour le puîné, la durée de soutien est de 4 ans, soit jusqu'en 2006; le facteur de capitalisation est de 3,72; la perte de soutien totale est de 51'150 fr.; le montant dû est de 20'460 fr. (40 % de 51'150 fr.). Pour le cadet, la durée de soutien est de 6 ans, soit jusqu'en 2008; le facteur de capitalisation est de 5,37; la perte de soutien totale est de 73'837 fr. 50; le montant dû est de 29'535 fr. (40 % de 73'975 fr.). Le plein préjudice de perte de soutien pour les trois enfants est de 164'037 fr. (39'050 + 51'150 + 73'837).

De ce montant doivent être déduites les prestations concordantes des assurances.

Selon les calculs de l'OFAS et de la SUVA, les prestations capitalisées AVS et LAA pour eux trois s'élèvent à 231'962 fr. (178'657 + 53'305).

Il faut s'assurer que ces montants couvrent la même période de soutien que celle retenue ici, soit respectivement jusqu'au mois de juin 2005, juin 2006 et juin 2008.

En recalculant les droits de subrogation AVS et LAA sur la base des rentes initiales, par simplification, on obtient les montants suivants :

Aîné :

Rente AVS : 824 fr. x 12 = 9'888 fr., rente temporaire de 3 ans, table 12x = facteur 2,84 = 28'081 francs.

Rente LAA : 798 fr. x 12 = 9'576 fr. x 2,84 = 27'196 francs.

Puîné :

Rente AVS : 9'888 fr., rente temporaire de 4 ans x facteur 3,72 = 36'783 francs.

Rente LAA : 9'576 fr. x 3,72 = 35'623 francs.

Cadet :

Rente AVS : 9'888 fr., rente temporaire de 6 ans x facteur 5,37 = 53'098 francs.

Rente LAA : 9'576 fr. x 5,37 = 51'423 francs.

Selon ce calcul, la capitalisation des prestations AVS est de 117'962 francs. Quant aux prestations LAA, elles atteignent 114'242 fr., soit un montant inférieur à celui versé par la SUVA, lequel fait foi (53'305 fr.). Au total, les prestations AVS et LAA s'élèvent ainsi à 171'267 fr. (117'962 + 53'305). Ce montant est déjà supérieur au plein préjudice subi par les trois demandeurs. Il faut encore y ajouter la subrogation pour les prestations LPP versées. Ceux-ci ne peuvent dès lors former aucune prétention en perte de soutien.

IV. Les demandeurs prétendent au paiement d'une indemnité pour tort moral.

a) La responsabilité du détenteur au sens de l'art. 58 al. 1 LCR couvre le dommage corporel, y compris le tort moral. L'octroi de l'indemnité pour tort moral est régi par l'art. 47 CO (art. 62 al. 1 LCR; Brehm, Haftpflicht, nn. 43, 291 et 293).

Selon l'art. 47 CO, le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles ou, en cas de mort d'homme, à la famille une indemnité équitable à titre de réparation morale.

Cette indemnité a pour but exclusif de compenser le préjudice que représente une atteinte au bien-être moral. Le principe d'une indemnisation du tort moral et l'ampleur de la réparation dépendent d'une manière décisive de la nature et de la gravité de l'atteinte, de l'intensité et de la durée des effets sur la personnalité de la victime concernée, du degré de la faute de l'auteur de l'atteinte et de la possibilité d'adoucir de façon sensible, par le versement d'une somme d'argent, la douleur physique ou morale. Les "circonstances particulières" dont le juge doit tenir compte consistent dans l'importance de l'atteinte à la personnalité du lésé (TF 4A_489/2007 du 22 février 2008 c. 8.2; ATF 132 II 117 c. 2.2.2; ATF 125 III 412 c. 2a, JT 2006 IV 118). En cas de décès, il faut tenir compte de l'intensité des relations qui existaient entre le défunt et ses proches; la proximité des liens de parenté et l'existence d'un ménage commun constituent des présomptions de fait en faveur d'une indemnité plus élevée. La perte d'un conjoint est considérée comme la souffrance la plus grave; vient ensuite celle causée par la mort d'un enfant, puis celle due au décès du père ou de la mère (Werro, op. cit., n. 23 ad art. 47 CO; Brehm, op. cit., nn. 136, 141 et 148 ad art. 47 CO). La douleur morale des proches d'une personne devenue gravement invalide à vie est considérée comme supérieure à celle résultant d'un décès (ATF 113 II 323 c. 6, JT 1988 I 699).

L'art. 59 al. 1 et 2 LCR s'applique aussi à la réparation du tort moral. L'auteur de l'atteinte ne peut dès lors se libérer de sa responsabilité pour tort moral qu'en cas de faute grave exclusive du lésé. En cas de faute non exclusive, l'indemnité peut tout au plus être réduite en application de l'art. 59 al. 2 LCR (ATF 124 III 182 c. 4d). L'ampleur de la réduction est en principe du même ordre que celle effectuée pour les dommages-intérêts (ATF 129 IV 149 c. 4.1, JT 2005 IV 193).

La détermination de l'indemnité pour tort moral relève du pouvoir d'appréciation du juge. Destinée à réparer un dommage difficilement réductible à une simple somme d'argent, cette indemnité échappe à toute fixation selon des critères mathématiques; son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites. L'indemnité allouée doit être équitable. Le juge en proportionnera le montant à la gravité de l'atteinte subie et évitera que la somme accordée n'apparaisse dérisoire à la victime (ATF 129 IV 22 c. 7.2, rés. in JT 2006 IV 182).

La comparaison avec d'autres affaires doit se faire avec prudence, dès lors que le tort moral touche aux sentiments d'une personne déterminée dans une situation donnée et que chacun réagit différemment au malheur qui le frappe. Cela étant, une comparaison n'est pas dépourvue d'intérêt et peut être, suivant les circonstances, un élément utile d'orientation (TF 6B_199/2007 du 13 mai 2008 c. 6.2). S'il s'inspire de certains précédents, le juge veillera à les adapter aux circonstances actuelles pour tenir compte de la dépréciation de la monnaie (ATF 129 IV 22 c. 7.2, rés. in JT 2006 IV 182).

b) La doctrine propose l'alternative suivante : soit le juge détermine le montant de l'indemnité en se fondant sur les critères d'évaluation ("Ansätzen") en vigueur à la date de l'accident et alloue un intérêt de 5 % dès cette date; soit il se place au jour du jugement et alloue une indemnité pour tort moral sans intérêt pour la période antérieure au jugement, considérant que l'ayant droit bénéficie d'une indemnité plus élevée que si elle avait été fixée au jour de l'accident (Brehm, op. cit., nn. 94-96 ad art. 47 CO, cité à l'ATF 116 II 295 c. 5b, JT 1991 I 38, dans lequel le Tribunal fédéral ne se prononce pas sur cette alternative). Dans un arrêt rendu en 2002, le Tribunal fédéral a souligné que l'intérêt fait partie de la réparation du tort moral et qu'on ne saurait prétendre satisfaire à ce principe simplement en fixant le montant de l'indemnité d'après les critères en vigueur au moment du jugement. La Haute Cour a mis en doute l'exactitude de l'alternative évoquée dans l'arrêt précité, d'une part parce qu'il paraît problématique de parler de "critères d'évaluation" au regard du large pouvoir d'appréciation dont dispose le juge, d'autre part parce qu'en cas de modification générale dans l'ordre de grandeur des sommes allouées, les principes généraux commandent de juger toute décision pendante à l'aune de la nouvelle pratique (ATF 129 IV 149 c. 4.2, JT 2005 IV 193). Dans une affaire de 2005, le Tribunal fédéral a constaté que l'indemnité allouée excédait très nettement les montants octroyés dans les années précédant l'accident survenu en 1972; en revanche, elle était conforme à la pratique judiciaire en vigueur. L'autorité intimée avait néanmoins fait courir l'intérêt dès la date de l'accident. A défaut de recours de la part de l'assurance RC, la Haute Cour a renoncé à examiner s'il eût été préférable, en vue de l'application correcte de l'art. 47 CO, de ne pas allouer d'intérêt antérieurement au jugement; tout au plus a-t-elle constaté que la décision entreprise ne comportait, au détriment de la victime et recourante, aucun excès du pouvoir d'appréciation ni aucune iniquité choquante (TF 4C.433/2004 du 2 mars 2005 c. 4.3).

c) La veuve de la victime demande 50'000 fr. d'indemnité pour tort moral et chacun des trois enfants 30'000 francs, ces sommes portant intérêt dès l'accident. Quant à la défenderesse, elle admet au maximum une indemnité de 40'000 fr. pour le conjoint survivant et 25'000 fr. par enfant; ces montants s'entendraient sans intérêt et avant déduction pour faute concomitante du lésé.

d) La victime est décédée subitement dans un accident de la circulation à l'âge de 43 ans. De l'avis des personnes qui connaissaient bien le couple et leurs enfants, c'était une famille unie et les survivants ont été très affectés par le brutal décès de leur mari et père.

Pour la perte d'un conjoint, la pratique entre 1998 et 2000 tendait à allouer une indemnité moyenne de 30'000 francs. Entre 2001 et 2005, l'indemnité moyenne était comprise entre 30'000 et 40'000 francs (Hütte/Ducksch/Guerrero, Die Genugtuung, Eine tabellarische Übersicht über Gerichtsentscheide, 3ème éd., état août 2005, II/1). Par ailleurs, pour la perte d'un père ou d'une mère, la pratique entre 1998 et 2000 tendait à allouer une indemnité moyenne comprise entre 13'000 et 15'000 francs. En 2001 et 2002, l'indemnité moyenne se situait entre 25'000 et 30'000 francs. Entre 2003 et 2005, l'indemnité moyenne était de 25'000 francs (Hütte/Ducksch/Guerrero, op. cit., IV/1).

En 2006, la cour de céans a alloué une indemnité de 30'000 fr. pour un enfant âgé d'un peu plus de 3 ans et demi au moment de la mort de son père dans un accident de la circulation survenu en 1997. L'enfant n'avait eu que des contacts irréguliers avec son père. L'auteur du dommage avait commis une faute grave; le lésé répondait d'une faute concomitante justifiant un facteur de réduction de 20 %. Une indemnité de 24'000 fr. a été allouée, portant intérêt à 5 % dès l'accident (Cciv. 60/2006 du 27 avril 2006).

En 2008, la cour de céans a alloué une indemnité de 30'000 fr. par veuve et de 15'000 fr. par enfant majeur, ceux-ci étant très liés à leur père et traumatisés par sa disparition. Les sommes portaient intérêt dès l'accident d'avion survenu en 1996 (Cciv. 183/2008 du 12 décembre 2008)

Au vu des éléments qui précèdent, il se justifierait d'allouer, dans l'hypothèse d'une pleine responsabilité du détenteur, une indemnité pour tort moral de 45'000 francs pour la veuve et de 30'000 fr. pour chacun des trois enfants du défunt. En tenant compte d'une réduction de 60 % pour faute concomitante de la victime, la demanderesse a droit à un montant de 18'000 fr. (40 % de 45'000 fr.) et chacun des trois demandeurs à un montant de 12'000 fr. (40 % de 30'000 fr.). L'intérêt à 5 % l'an court dès le jour du jugement.

La demanderesse se prévaut vainement d'une jurisprudence du Tribunal fédéral. Dans l'affaire en cause, la veuve s'était certes vu allouer une indemnité pour tort moral de 70'000 francs. Toutefois, la faute du conducteur était particulièrement grave, celui-ci ayant volontairement empêché un autre véhicule de le dépasser et provoqué ainsi une collision frontale mortelle; la mort de la victime aurait aisément pu être évitée. La veuve, qui avait assisté à l'accident, était depuis lors affectée d'une incapacité de travail à 100 % et sous soins médicaux constants (TF 4A_423/2008 du 12 novembre 2008 c. 2.4 et 2.6). Les situations ne sont dès lors pas comparables.

V. Les demandeurs prétendent enfin à l'indemnisation de leurs frais d'avocat avant l'ouverture de l'action, à concurrence de 20'000 francs.

a) Bien que les frais de défense ne constituent ni un dommage corporel ni un dommage matériel au sens des art. 58 al. 1 et 61 LCR, le Tribunal fédéral refuse de les ranger dans les dommages purement économiques ou autres dommages dont l'indemnisation est exclue par la loi. Les frais de défense avant procès doivent être traités comme les dommages qui résultent directement d'une atteinte à l'intégrité corporelle ou aux choses (TF 4C.51/2000 du 7 août 2000 c. 2, SJ 2001 I 153).

Ainsi, les frais liés à l'intervention d'un avocat avant l'ouverture d'un procès civil constituent un dommage réparable selon le droit de la responsabilité civile pour autant qu'ils ne soient pas compris dans les dépens accordés selon le droit de procédure cantonal et que l'assistance qui a donné lieu à ces frais soit justifiée, nécessaire et appropriée (TF 4C.303/2004 du 19 août 2008 c. 6.1). Sont inclus dans les frais antérieurs au procès les dépenses découlant de pourparlers transactionnels ou celles engagées dans une procédure pénale, dans la mesure où le lésé a participé à celle-ci pour défendre ses intérêts de nature civile et où l'assistance juridique qui a donné lieu à ces frais est justifiée, nécessaire et appropriée. Toutefois, si cette procédure antérieure permet d'obtenir des dépens, même tarifés, il n'est alors plus possible de faire valoir une prétention en remboursement des frais de défense par une action ultérieure en responsabilité civile (TF 4C.51/2000 du 7 août 2000 c. 2, SJ 2001 I 153). Il s'agit d'un poste de dommage soumis aux facteurs généraux pouvant entraîner une réduction de l'indemnité, tels que la faute concomitante du lésé. Il n'y a faute concomitante que si le comportement reproché au lésé est en rapport de causalité naturelle et adéquate avec la survenance du préjudice. Il s'ensuit qu'une réduction de l'indemnisation des frais d'avocat en fonction de la quote-part de responsabilité de la victime de l'accident ne doit intervenir que si son comportement fautif a contribué à provoquer ou à aggraver ce poste de dommage. La quotité de la réduction peut ne pas être identique à celle qui est appliquée pour les autres postes de dommage (TF 4C.303/2004 du 19 août 2008 c. 6.1 et 6.2).

b) En l'occurrence, la note d'honoraires du conseil des demandeurs, d'un montant de 19'900 fr., couvre la période comprise entre le mois de juillet 2003 et le 28 juin 2005. L'arrêt du Tribunal d'accusation confirmant l'ordonnance de non-lieu date du 30 janvier 2003, et le dépôt de la demande civile du 1er juillet 2005. Les frais d'avocat ne concernent donc pas la procédure pénale.

Il ressort de l'état de fait qu'au cours de la période considérée, le conseil des demandeurs a adressé plusieurs correspondances à la défenderesse. Il existait des divergences au sujet des responsabilités du cycliste et de la conductrice. Les parties ont consulté un expert juridique indépendant, ce qui a nécessité une séance de mise en œuvre puis le dépôt de déterminations. La défenderesse a invité les demandeurs à chiffrer ce qu'ils estimaient être leur dommage. En août 2004, le conseil des demandeurs a déposé un mémoire de calcul de dommage.

Il existe sans conteste un rapport de causalité adéquate entre le comportement du cycliste, respectivement le problème de répartition des responsabilités, et les frais d'avocat. Le même facteur de réduction peut être retenu que pour les autres postes du dommage, soit 60 %, de sorte que la part des honoraires que doit couvrir la défenderesse doit être arrêtée à 7'960 fr. et arrondie à 8'000 francs.

Les demandeurs concluent à un intérêt de 5 % l'an à compter du 28 août 2004, date de réception de leur courrier de mise en demeure formelle.

Le dommage comprend l'intérêt à partir du moment où l'événement dommageable a manifesté ses effets financiers ("sich finanziell ausgewirkt hat") jusqu'au paiement. L'intérêt compensatoire se distingue de l'intérêt moratoire avant tout par le fait qu'il ne requiert pas de sommation du débiteur (ATF 131 III 12 c. 9.1, JT 2005 I 488; ATF 130 III 591 c. 4, JT 2006 I 131). Selon le Commentaire bernois, les frais d'avocat constituent un dommage patrimonial (par opposition à un dommage corporel ou matériel) qui naît avec l'exigibilité de la facture (Brehm, op. cit., n. 101f ad art. 41 CO). L'intérêt compensatoire de 5 % commence dès lors à courir dès la date de la facture, soit le 28 juin 2005.

VI. Obtenant gain de cause sur une partie seulement de leurs conclusions, les demandeurs ont droit à des dépens réduits de trois quarts, à la charge de la défenderesse, qu'il convient d'arrêter à 35'434 fr. 85, savoir :

a)

10'000

fr.

à titre de participation aux honoraires de leur conseil;

b)

500

fr.

pour les débours de celui-ci;

c)

24'934

fr.

85

en remboursement du quart de leur coupon de justice.

Par ces motifs,

la Cour civile,

statuant à huis clos,

prononce :

I. La défenderesse P.____SA doit payer :

- 18'000 fr. (dix-huit mille francs), plus intérêt à 5 % l'an dès le 28 avril 2010, à la demanderesse A.W.____,

- 12'000 fr. (douze mille francs), plus intérêt à 5 % l'an dès le 28 avril 2010, au demandeur B.W.____,

- 12'000 fr. (douze mille francs), plus intérêt à 5 % l'an dès le 28 avril 2010, au demandeur C.W.____, et

- 12'000 fr. (douze mille francs), plus intérêt à 5 % l'an dès le 28 avril 2010, au demandeur D.W.____.

II. La défenderesse P.____SA doit payer la somme de 8'000 fr. (huit mille francs), plus intérêt à 5 % l'an dès le 28 juin 2005, aux demandeurs A.W.____, B.W.____, C.W.____ et D.W.____.

III. Les frais de justice sont arrêtés à 99'739 fr. 40 (nonante-neuf mille sept cent trente-neuf francs et quarante centimes) pour les demandeurs, solidairement entre eux, et à 25'519 fr. 95 (vingt-cinq mille cinq cent dix-neuf francs et nonante-cinq centimes) pour la défenderesse.

IV. La défenderesse versera aux demandeurs, solidairement entre eux, le montant de 35'434 fr. 85 fr. (trente-cinq mille quatre cent trente-quatre francs et huitante-cinq centimes) à titre de dépens.

V. Toutes autres ou plus amples conclusions sont rejetées.

Le président : Le greffier :

P. - Y. Bosshard D. Monti

Du

Le jugement qui précède, dont le dispositif a été communiqué aux parties le 4 mai 2010, lu et approuvé à huis clos, est notifié, par l'envoi de photocopies, aux conseils des parties.

Les parties peuvent recourir au Tribunal cantonal dans les dix jours dès la notification du présent jugement en déposant au greffe de la Cour civile un acte de recours en deux exemplaires désignant le jugement attaqué et contenant leurs conclusions en nullité, ou leurs conclusions en réforme dans les cas prévus par la loi.

Le présent jugement peut faire l'objet d'un recours en matière civile devant le Tribunal fédéral au sens des art. 72 ss LTF et 90 ss LTF (loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral - RS 173.110), cas échéant d'un recours constitutionnel subsidiaire au sens des art. 113 ss LTF. Ces recours doivent être déposés devant le Tribunal fédéral dans les trente jours qui suivent la présente notification (art. 100
al. 1 LTF). L'art. 100 al. 6 LTF est réservé.

Le greffier :

D. Monti

Bitte beachten Sie, dass keinen Anspruch auf Aktualität/Richtigkeit/Formatierung und/oder Vollständigkeit besteht und somit jegliche Gewährleistung entfällt. Die Original-Entscheide können Sie unter dem jeweiligen Gericht bestellen oder entnehmen.

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