Zusammenfassung des Urteils Entscheid/2023/967: Kantonsgericht
Die Chambre des recours pénale hat am 27. September 2023 über einen Einspruch von S.________ gegen die Einstellungsverfügung des Ministère public im Fall PE21.022309-VWT entschieden. Der Fall bezieht sich auf einen Verkehrsunfall, bei dem S.________ als Radfahrer verletzt wurde. Der Fahrer des VW Passat, I.________, wurde beschuldigt, gegen Verkehrsregeln verstossen zu haben. Das Gericht entschied jedoch, dass I.________ keine strafbare Handlung begangen hat und die Verfahrenskosten vom Staat getragen werden. S.________ legte gegen diese Entscheidung Einspruch ein, der jedoch abgelehnt wurde.
Kanton: | VD |
Fallnummer: | Entscheid/2023/967 |
Instanz: | Kantonsgericht |
Abteilung: |
Datum: | 27.09.2023 |
Rechtskraft: |
Leitsatz/Stichwort: | |
Schlagwörter : | ’il; était; édure; éhicule; énal; ègle; ’au; éviter; énale; ’expert; ’arrêt; Ministère; ’éviter; ésion; Automobiliste; édé; ésions; ’indemnité; ’automobiliste; édéral; Arrêter; Accident; ’intimé; écembre |
Rechtsnorm: | Art. 100 BGG;Art. 31 SVG;Art. 319 StPo;Art. 32 SVG;Art. 385 StPo;Art. 389 StPo;Art. 396 StPo;Art. 4 SVG;Art. 4 VRV;Art. 428 StPo;Art. 429 StPo;Art. 436 StPo;Art. 8 StPo;Art. 91 SVG; |
Referenz BGE: | - |
Kommentar: |
TRIBUNAL CANTONAL | 796 PE21.022309-VWT |
CHAMBRE DES RECOURS PENALE
______________________
Arrêt du 27 septembre 2023
__________
Composition : Mme B Y R D E, présidente
M. Krieger et Mme Giroud Walther, juges
Greffier : M. Ritter
*****
Art. 12 al. 3, 125 al. 1 et 2 CP ; 319 CPP ; 26 al. 1, 31 al. 1 LCR ; 4 al. 1 OCR
Statuant sur le recours interjeté le 28 mars 2023 par S.____ contre l’ordonnance de classement rendue le 16 mars 2023 par le Ministère public de l’arrondissement de La Côte dans la cause n° PE21.022309-VWT, la Chambre des recours pénale considère :
En fait :
A. a) Le 23 décembre 2021, le Ministère public de l’arrondissement de La Côte (ci-après : le Ministère public) a décidé de l’ouverture d’une instruction pénale contre I.____, né en 1976, pilote de ligne, à raison d’un accident de la circulation dans lequel ce conducteur avait été impliqué le 21 décembre précédent et lors duquel S.____, cycliste, avait été blessé, sous les chefs de prévention de lésions corporelles graves par négligence, de conducteur se trouvant dans l’incapacité de conduire (véhicule automobile, taux alcoolémie qualifié) et de conducteur se trouvant dans l'incapacité de conduire (véhicule automobile, autres raisons).
A Cuarnens, sur la route de Chevilly, au droit de l’intersection avec la route Gilbert-Strasse, le 22 décembre 2021, vers 17h15, alors qu’il circulait au volant de son véhicule automobile VW Passat immatriculé [...], de Chevilly en direction de Cuarnens où la limite de vitesse autorisée est de 80 km/h, I.____ n’a pas été en mesure d’éviter la collision avec S.____, qui circulait en sens inverse au guidon de son cycle. Suite au choc, S.____ a été désarçonné de son cycle. Il a percuté le pare-brise du véhicule VW Passat avant de retomber lourdement sur la chaussée, où il est resté inanimé.
b) Entendu par la gendarmerie le 22 décembre 2021, I.____ a déclaré notamment qu’il roulait à une vitesse de 50 à 60 km/h quand il avait soudainement aperçu une « ombre » devant lui à environ 30 à 40 mètres, qui cheminait en direction de Chevilly. Puis, il avait vu cette ombre bouger et partir sur sa gauche, soit sur sa droite à lui. Lorsqu’il a donné un coup de volant à gauche pour l’éviter, l’ « ombre » était simultanément revenue sur sa droite. C’est à ce moment qu’il s’était aperçu qu’il s’agissait d’un cycliste et que la collision s’était produite. Ses feux de croisement étaient enclenchés et il était attentif à la route. Il a ajouté qu’il n’était ni fatigué, ni surmené lors des faits.
c) S.____ a dû être hospitalisé des suites de l’accident, d’abord au CHUV, puis à la Clinique romande de réadaptation, à Sion ; atteint de lésions à la mâchoire, à la clavicule, aux côtes et à la jambe (du côté gauche) ayant nécessité plusieurs oppértions, il a subi une incapacité de travail totale (cf. not. P. 58/1/3 à 6 et 8 ; P. 58/1/7). Il a présenté notamment un état de stress post-traumatique et un épisode dépressif sévère (P. 50/1). Il s’est constitué demandeur au pénal le 14 juin 2022 (P. 28/0).
d) Une expertise technique, confiée à DTC Dynamic Center AG, a été établie à la réquisition du Ministère public, dont le rapport a été déposé le 23 mai 2022 (P. 21), puis un rapport complémentaire le 20 juillet 2022 (P. 41). Il sera fait état de ces avis ci-dessous autant que nécessaire.
B. Par ordonnance du 16 mars 2023, le Ministère public a prononcé le classement de la procédure pénale dirigée contre I.____ pour lésions corporelles graves par négligence, conducteur se trouvant dans l’incapacité de conduire (véhicule automobile, taux alcoolémie qualifié) et conducteur se trouvant dans l'incapacité de conduire (véhicule automobile, autres raisons) (I), lui a alloué un montant de 180 fr. à titre d’indemnité au sens de l’art. 429 CPP (Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 ; RS 312.0) (II), a fixé à 2'192 fr. 40, TVA et débours inclus, l’indemnité allouée au défenseur d’office de I.____ (III) et a laissé les frais de procédure, y compris l’indemnité fixée sous chiffre III du dispositif, à la charge de l’Etat (IV).
A l’appui du classement prononcé, la Procureure a considéré ce qui suit :
« (…) l’expert a constaté que le véhicule VW Passat circulait entre 61 km/h et 64 km/h au moment du choc avec le cycliste. Interrogé sur la dynamique de l’accident selon ses observations et les élément recueillis par ses soins et ceux de la police, l’expert a également constaté un écart de la part du cycliste, peu avant le choc, vers le centre de la chaussée, donc sur sa gauche. Cet écart a semble-t-il eu lieu à un endroit où le bord de la chaussée (selon le sens de marche du cycliste) a été réparé et n’était donc plus uniforme. Il se peut donc que pour éviter de passer sur cette « réparation » du revêtement de la chaussée, le cycliste se soit momentanément déporté vers le centre de la chaussée, peut-être même jusqu’à empiéter sur la partie réservée au trafic inverse. Ainsi, le conducteur du véhicule VW Passat, voyant cela, se serait alors déplacé dans la direction opposée, donc sur sa gauche à lui, afin d’éviter le cycliste. Mais au dernier moment, le cycliste aurait regagné le bord droit de la chaussée, heurtant l’avant droit du véhicule VW Passat, qui se trouvait à cet instant sur la partie de chaussée réservée au trafic inverse.
(…).
En l’espèce, il convient de se demander si I.____ a enfreint les dispositions de la Loi fédérale sur la circulation routière et de son ordonnance d’exécution, condition sine qua non pour qu’une violation du devoir de prudence puisse être retenue.
Compte tenu des éléments du dossier, en particulier des résultats de l’expertise technique, dont il est fait mention ci-dessus, il sera retenu que I.____ a circulé à une vitesse en-dessous de celle autorisée et qu’il a effectué une manœuvre d’évitement en se déplaçant vers la gauche (coup de volant), suivi ensuite d’un freinage afin d’éviter d’entrer en collision avec le cycliste, lequel s’était, selon toute vraisemblance, déporté au-delà du milieu de la chaussée. Dans ces circonstances, on ne saurait reprocher à I.____ d’avoir manqué d’attention à la route et à la circulation ou encore d’avoir empiété sur la voie de circulation opposée pour tenter d’éviter une collision. De plus, les éléments constitutifs de l’infraction de conduite malgré une incapacité (art. 91 LCR) ne sont pas réalisés. En définitive, force est de constater que I.____ n’a commis aucune infraction à la législation routière.
La procédure doit être classée en sa faveur, conformément à l’art. 319 al. 1 let. a et b CPP.
Enfin, dans la mesure où S.____, lequel circulait insuffisamment à droite, a été directement atteint par les conséquences de son acte au point qu’une peine serait inappropriée, il sera renoncé à le poursuivre conformément à l’art. 8 CPP en relation avec l’article 54 CP.
(…) ».
C. Par acte du 28 mars 2023, S.____, représenté par son conseil de choix, a recouru contre cette ordonnance, en concluant, sous suite de frais, à son annulation et au renvoi du dossier de la cause au Ministère public pour qu’il en reprenne l’instruction et rende une nouvelle décision, une équitable indemnité de partie de 1’940 fr. 44 lui étant allouée pour ses « frais de défense dans la procédure de recours ». Il a produit des pièces.
Invité à se déterminer sur le recours, le Ministère public a déclaré le 23 août 2023 renoncer à procéder. Egalement invité à se déterminer, I.____, intimé au recours, représenté par son défenseur d’office, a, par mémoire du 14 septembre 2023, conclu au rejet du recours et à l’octroi, en sa faveur, d’une indemnité fixée à dire de justice, les frais de la procédure de recours étant laissés à la charge de l’Etat. Il a produit une liste d’opérations de son défenseur.
En droit :
1.
1.1 Les parties peuvent attaquer une ordonnance de classement rendue par le Ministère public en application des art. 319 ss CPP dans les dix jours devant l’autorité de recours (art. 322 al. 2 et 396 al. 1 CPP ; cf. art. 20 al. 1 let. b CPP), qui est, dans le canton de Vaud, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal (art. 13 LVCPP [Loi vaudoise d’introduction du Code de procédure pénale suisse du
19 mai 2009 ; BLV 312.01] ; art. 80 LOJV [Loi vaudoise d’organisation judiciaire du 12 décembre 1979 ; BLV 173.01]).
1.2 Le recours a été interjeté en temps utile devant l’autorité compétente, par le plaignant qui, comme lésé s’étant constitué demandeur au pénal, a la qualité pour recourir. Au surplus, le recours satisfait aux conditions de forme prescrites (art. 385 al. 1 CPP). Il est donc recevable. Les pièces nouvelles produites en annexe au recours sont également recevables (cf. art. 389 al. 3 CPP ; TF 1B_550/2022 du 17 novembre 2022).
2.
2.1 L’ordonnance de classement attaquée retient que le prévenu et intimé I.____ a roulé en-dessous de la vitesse autorisée sur le tronçon en question, qu’il a effectué une manœuvre d’évitement suivie d’un freinage pour éviter d’entrer en collision avec le cycliste recourant, lequel s’était, selon toute vraisemblance, déporté au-delà du milieu de la chaussée. A l’endroit du déport du cycliste, la route était inégale (ensuite d’une réparation du bitume), ce qui aurait conduit le cycliste à l’éviter en se déportant au milieu de la chaussée, voire à empiéter sur la voie réservée au trafic en sens inverse. L’automobiliste intimé se serait déplacé sur sa gauche pour l’éviter, mais au dernier moment, le cycliste avait regagné le bord droit de la chaussée et les deux véhicules se seraient heurtés. La procureure a considéré que, dans ces conditions, aucune infraction ne pouvait être retenue à la charge de l’automobiliste intimé.
Le recourant conteste le classement, en faisant valoir qu’il ressort de la configuration des lieux que le croisement était impossible, ce qui aurait dû inciter l’automobiliste à réduire sa vitesse pour pouvoir s’arrêter sur la moitié de la distance sur laquelle portait sa visibilité. Or il ressortirait de l’expertise et du rapport de police que la distance sur laquelle portait l’éclairage de l’automobile était de 50 m, ce qui impliquait de pouvoir s’arrêter sur une distance de 25 m, nécessitant une vitesse maximale d’environ 46 km/h. La vitesse réelle adoptée, comprise entre 63 et 67 km/h au moment de la réaction à la présence du recourant, constituait une vitesse inadaptée à la configuration des lieux, dès lors qu’elle ne permettait pas la réaction à la présence d’un danger sur la route. Partant, d’après le recourant, elle était à l’origine de l’accident. A contrario, toujours selon le recourant, il ressortirait de l’expertise qu’en circulant à une vitesse inférieure à 46 km/h, la collision aurait pu être évitée.
2.2 Selon l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure notamment lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) ou lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).
De manière générale, les motifs de classement sont ceux « qui déboucheraient à coup sûr ou du moins très probablement sur un acquittement ou une décision similaire de l'autorité de jugement » (Message du Conseil fédéral du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 p. 1057 ss, spéc. 1255). La décision de classer la procédure doit être prise en application du principe in dubio pro duriore, qui signifie qu'en règle générale, un classement ou une non-entrée en matière ne peut être prononcé par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1, JdT 2017 IV 357 ; ATF 138 IV 86 consid. 4.1.2 et les réf. citées ; TF 6B_1148/2021 du 23 juin 2023 consid. 3.1). En revanche, le ministère public doit classer la procédure s’il apparaît, sur la base de faits assez clairs pour qu’il n’y ait pas lieu de s’attendre à une appréciation différente de l’autorité de jugement (ATF 143 IV 241 consid. 2.3.2), qu’un renvoi aboutirait selon toute vraisemblance à un acquittement.
2.3
2.3.1 L'art. 125 al. 1 CP réprime le comportement de celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé. Si la lésion est grave, le délinquant sera poursuivi d'office (art. 125 al. 2 CP). La réalisation de l'infraction réprimée par l'art. 125 CP suppose la réunion de trois éléments constitutifs, à savoir une négligence imputable à l'auteur, des lésions corporelles subies par la victime, ainsi qu'un lien de causalité naturelle et adéquate entre la négligence et les lésions (TF 6B_1081/2020 du 17 novembre 2021 consid. 1.2 ; TF 6B_33/2021 du 12 juillet 2021 consid. 3.1 ; 6B_1420/2016 du 3 octobre 2017 consid. 1.1.1).
Conformément à l'art. 12 al. 3 CP, il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l'auteur a agi sans se rendre compte ou sans tenir compte des conséquences de son acte. Il faut que l'auteur ait, d'une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d'autre part, il n'ait pas déployé l'attention et les efforts que l'on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir (ATF 143 IV 138 consid. 2.1 ; ATF 135 IV 56 consid. 2.1 et les références citées). Pour déterminer plus précisément les devoirs imposés par la prudence, on peut se référer à des normes édictées par l'ordre juridique pour assurer la sécurité et éviter des accidents (ATF 143 IV 138 consid. 2.1 p. 140). S'agissant d'un accident de la route, il convient de se référer aux règles de la circulation routière (ATF 122 IV 133 consid. 2a ; plus récemment : TF 6B_286/2022 du 15 juin 2023 consid. 4.1.1 ; TF 6B_33/2021 du 12 juillet 2021 consid. 3.1).
Une des conditions essentielles pour l'existence d'une violation d'un devoir de prudence et, partant, d'une responsabilité pénale fondée sur la négligence, est la prévisibilité du résultat. Pour l'auteur, le déroulement des événements jusqu'au résultat doit être prévisible, au moins dans ses grandes lignes. C'est pourquoi, il faut commencer par se demander si l'auteur aurait pu et dû prévoir ou reconnaître une mise en danger des biens juridiques de la victime. Pour répondre à cette question, on applique la règle de la causalité adéquate. Le comportement incriminé doit être propre, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, à produire ou à favoriser un résultat du type de celui qui est survenu. La causalité adéquate ne doit être niée que lorsque d'autres causes concomitantes, comme par exemple la faute d'un tiers, un défaut de matériel ou un vice de construction, constituent des circonstances si exceptionnelles qu'on ne pouvait s'y attendre, de telle sorte qu'elles apparaissent comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amender et notamment le comportement de l'auteur (ATF 143 III 242 consid. 3.7 ; ATF 134 IV 255 consid. 4.4.2 ; ATF 133 IV 158 consid. 6.1 ; ATF 131 IV 145 consid. 5.2 ; cf. en matière de circulation routière : TF 6B_286/2022 précité consid. 4.1.1 et ATF 127 IV 34 consid. 2a).
2.3.2 D'après l'art. 31 al. 1 LCR, le conducteur devra rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence.
L'art. 32 al. 1 LCR dispose que la vitesse doit toujours être adaptée aux circonstances, notamment aux particularités du véhicule et du chargement, ainsi qu'aux conditions de la route, de la circulation et de la visibilité. Cette règle implique notamment qu’on ne peut circuler à la vitesse maximale autorisée que si les conditions de la route, du trafic et de visibilité sont favorables (ATF 121 IV 286 consid. 4b ; ATF 121 II 127 consid. 4a ; TF 6B_286/2022 précité consid. 4.2.3). Aux endroits où son véhicule pourrait gêner la circulation, le conducteur est tenu de circuler lentement et, s'il le faut, de s'arrêter, notamment aux endroits où la visibilité n'est pas bonne, aux intersections qu'il ne peut embrasser du regard, ainsi qu'aux passages à niveau (TF 6B_658/2022 du 24 mai 2023 consid. 2.2.2). L'art. 4 al. 1 OCR (ordonnance sur les règles de la circulation routière du 13 novembre 1962 ; RS 741.11) précise que le conducteur ne doit pas circuler à une vitesse qui l'empêcherait de s'arrêter sur la distance à laquelle porte sa visibilité ; lorsque le croisement est malaisé, il doit pouvoir s'arrêter sur la moitié de cette distance.
L'observation de la règle de l'adaptation de la vitesse aux « circonstances » est la première condition de la maîtrise du véhicule. S'il veut pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence comme le prescrit l'art. 31 al. 1 LCR, le conducteur devra, avant tout, adapter sa vitesse pour qu'elle ne constitue ni une cause d'accident, ni une gêne excessive pour la circulation (Bussy/Rusconi/ Jeanneret/Kuhn/Mizel/Müller, Code suisse de la circulation routière commenté, 4e éd. 2015, nn. 1.1 et 1.2 ad art. 32 LCR). Il n'existe pas de vitesse adaptée en soi, ni de vitesse excessive en soi. C'est la prudence commandée par les circonstances qui constitue le cadre de l'adaptation de la vitesse. Il s'agit d'une notion concrète. Il faut tenir compte de l'ensemble des circonstances (idem).
La règle de la possibilité d'arrêt sur la distance de visibilité et en fonction des risques prévisibles est la règle fondamentale de l'adaptation de la vitesse (TF 6B_658/2022 précité consid. 2.2.2 ; Bussy/Rusconi/Jeanneret/Kuhn/ Mizel/Müller, op. cit., n. 1.16 ad art. 32 LCR). La règle de l'art. 4 al. 1 OCR est valable quel que soit le lieu où circule le véhicule, notamment dans une courbe ou un virage masqué (ATF 93 IV 59 consid. 2 ; Bussy/Rusconi/Jeanneret/Kuhn/Mizel/ Müller, op. cit., n. 1.17 s. ad art. 32 LCR). Un conducteur qui s'engage dans un tournant à visibilité retreinte, même sur une route de grand transit, doit compter avec la présence d'un obstacle sur la zone de la route qu'il n'aperçoit pas encore, par exemple un véhicule très lent, une voiture automobile arrêtée par une panne ou un accident et non signalée d'une manière conforme aux art. 4 al. 1 LCR et 23 al. 1 OCR (ATF 89 IV 23 consid. 2 ; TF 6B_658/2022 précité consid. 2.2.2 ; TF 6S.457/2004 du 21 mars 2005 consid. 2.4 ; Giger, SVG Kommentar, Strassenverkehrsgesetz mit weiteren Erlassen, 9e éd. 2022, n. 22 ad art 32 LCR ; Bussy/Rusconi/Jeanneret/Kuhn/Mizel/Müller, op. cit., n. 1.18 et 1.26 ad art. 32 LCR).
Cette règle de prudence procède du constat que, la nuit, le risque pour l'automobiliste de rencontrer sur son chemin un obstacle non éclairé n'est pas si minime qu'il puisse en faire abstraction (ATF 126 IV 91 consid. 4a/cc p. 92 ss et les références citées). On peut en déduire, dans une appréciation objective, que le non-respect de la règle de prudence précitée, qui tend précisément à prévenir les conséquences de telles situations, est propre à entraîner une collision, respectivement des lésions corporelles ou le décès d’un usager de la route qui n'a pu être vu à temps (TF 6B_ 291/2015 du 18 janvier 2016 consid. 2.1 ; TF 6B_873/2014 du 5 janvier 2015 consid. 2.1 ; TF 6B_1023/2010 du 3 mars 2011 consid. 2.1 ; TF 6B_439/2009 du 18 août 2009 consid. 1.5.3).
3.
3.1 En l’occurrence, il ressort du rapport de police du 22 juin 2022 (P. 31) que l’accident a eu lieu en hiver (le 22 décembre 2021), au crépuscule (à 17h15 env.), sur la route de Chevilly au territoire de la commune de Cuarnens, à l’intersection avec la route Gilbert-Strasse, que la route était étroite et ne présentait pas une largeur suffisante pour croiser (largeur comprise entre 3,3 et 3,4 m peu avant l’endroit du choc) au lieu de l’accident, peu avant une (légère, réd.) courbe à gauche (P 31, pp. 3 et 4). Le rapport de police précise que, dans ces circonstances, les usagers empruntant cette route doivent pouvoir s’immobiliser sur la moitié de la distance visible (P. 31, p. 4 ; cf. en outre le cahier photographique, sous P. 36).
L’expertise technique confiée à DTC Dynamic Test Center AG (P. 21 et 41) a été établie sur la base de la configuration des lieux, des traces de freinage puis de passage de la voiture qui bordaient la route dans le champ, respectivement de la distance de projection du cycle, de la position finale du cycliste et de différents objets et, enfin, eu égard au fait que la vitesse de circulation du cycliste était établie par les données du GPS dont celui-ci était équipé. Selon l’expert, la vitesse de collision de la voiture était comprise entre 61 et 64 km/h et celle du cycle entre 23 et 24 km/h (dernière mesure GPS = 23,8 km/h) (P. 21, pp. 2, 15), alors que la vitesse initiale (avant collision) était comprise entre 63 et 67 km/h pour la voiture (P. 21, p. 15) et 29 et 30 km/h pour le cycle (P. 21, p. 16). L’expert est notamment parvenu à la conclusion qu’au vu de la configuration des lieux et en particulier de la largeur insuffisante pour croiser, l’automobiliste devait pouvoir s’arrêter, eu égard à la règle posée par l’art. 4 al. 1 OCR, sur la moitié de la distance d’éclairage de ses feux de croisement, dont la portée était de 50 m, soit sur 25 mètres. Or, pour pouvoir s’arrêter sur une distance de freinage de 25 m, il aurait dû circuler à une vitesse maximale de 46 km/h ; avec une vitesse initiale comprise entre 63 et 67 km/h, un évitement spatial aurait été quasiment impossible (sinon avec une réaction plus de 2 secondes avant la collision, ce que l’expert ne tient pas pour plausible ; cf. P. 21, p. 2 et 15), toute vitesse initiale supérieure à 63 km/h impliquant un risque de collision (cf. ég. P. 21, p. 16). L’expert a en outre relevé que les données fournies par le GPS du cycliste établissaient sa trajectoire peu avant la collision et documentaient le fait que, peu avant le choc, celui-ci avait fait un écart à droite, voire avait empiété sur la partie réservée au trafic inverse, à l’endroit où le bord droit de la chaussée avait été réparé et n’était donc plus uniforme, tandis que l’automobiliste se serait déplacé dans la direction opposée pour l’éviter, la collision se produisant au moment où le cycliste avait regagné sa position au bord de la chaussée. A cet endroit, l’espace (1,5 m) aurait été suffisant pour permettre à la voiture et au cycle de croiser, si la voiture ne s’était pas déportée sur la gauche en même temps. L’expert a précisé dans son rapport complémentaire du 20 juillet 2022 (P. 41) que, même si le feu de position avant droit de l’automobile était défectueux, cela n’avait joué aucun rôle dans l’accident, son flux lumineux étant largement couvert par celui des feux de croisement, qui étaient allumés à bon escient.
3.2 Il ressort des déclarations des personnes impliquées dans l’accident, notamment de celles de l’intimé, que la route, à cet endroit, ne permettait effectivement pas le croisement, à moins de rouler sur l’herbe, que la visibilité sur le chemin en direction de Cuarnens, qui emprunte une légère courbe à gauche, y est masquée par un talus à gauche de la route et qu’il faisait complètement nuit, vers 17 h 15 au crépuscule du jour le plus court de l’année. L’intimé a précisé qu’il avait perçu la présence d’une « ombre » devant lui, à une distance qu’il ne pouvait situer précisément ; il a mentionné une distance de 30 à 40 m, mais il a par ailleurs sous-estimé sa vitesse initiale, qu’il a indiquée comme comprise entre 50 et 60 km/h peu avant l’impact. Il a ajouté qu’il avait vu partir l’ « ombre » sur sa propre droite, avant de revenir dans sa position initiale. Au même moment, il avait donné un fort coup de volant afin de « monter sur le talus et d’éviter cette ombre ». C’est alors que la lumière de ses phares avait éclairé l’ « ombre » et qu’il avait vu qu’il s’agissait d’un cycliste. Le prévenu a enfin relevé qu’avant le choc, le cycliste oscillait de gauche à droite sur la route, de façon marquée (PV. aud. 1, pp. 2-3).
3.3 Il ressort clairement de l’instruction que la configuration des lieux, en particulier l’impossibilité de croiser et la visibilité réduite, outre l’absence complète de luminosité, imposaient à l’automobiliste intimé empruntant ce trajet de ralentir et d’adapter sa vitesse en conséquence. Le considérant de l’ordonnance attaquée selon lequel l’intimé roulait à une vitesse inférieure à celle autorisée n’est donc pas pertinent dans le cas d’espèce, ou à tout le moins le raisonnement est-il incomplet. Eu égard à la réglementation applicable, en particulier les art. 32 al. 1 LCR et 4 al. 1 OCR, cette vitesse devait en effet être réduite de façon conséquente, de façon à permettre l’arrêt sur une distance équivalant à la moitié de la distance éclairée par les feux de croisement, soit 25 mètres. Or l’expertise ne permet pas de mettre l’automobiliste intimé hors de cause sous cet angle, puisqu’elle retient une vitesse de collision comprise entre 61 et 64 km et une vitesse initiale comprise entre 63 et 67 km/heure. Il faut aussi prendre en compte les déclarations de l’intimé, qui a vu l’ « ombre » du cycliste avant la collision, mais n’a pas été en mesure de faire face au danger en s’arrêtant à temps et est monté sur un talus pour tenter d’éviter le cycliste. En circulant dans les conditions décrites ci-avant à une vitesse comprise entre 63 et 67 km/h, il apparaît que l’automobiliste intimé a créé un risque, soit celui de ne pas pouvoir s’arrêter à temps devant un obstacle surgissant sur sa trajectoire et que ce risque s’est concrétisé. A ce stade de l’instruction, il se justifie dès lors de retenir, en application du principe « in dubio pro duriore », une violation du devoir de prudence à la charge de l’intimé.
Il ressort par ailleurs de la jurisprudence fédérale citée plus haut (consid. 2.3.2) que le fait de rouler à une vitesse ne permettant pas l’arrêt sur la moitié de la distance éclairée par les phares, en de telles circonstances, est propre à créer un risque de ne pouvoir éviter une collision et causer des lésions corporelles ou le décès d’un piéton, appréciation qui vaut manifestement pour les autres usagers de la route et donc aussi pour un cycliste. Il est, à ce stade de la procédure, vraisemblable que le comportement de l’intimé était propre à causer les lésions corporelles subies par le plaignant et que le lien de causalité (tant naturelle qu’adéquate) est a priori donné.
La décision attaquée impute en réalité la responsabilité de la collision au seul comportement routier du cycliste, qui aurait dévié de sa trajectoire en se déportant sur la gauche peu avant la collision. Or, quand bien même le comportement du cycliste victime de l’accident aurait ainsi contribué au déroulement des événements, il n’est pas possible de retenir, à ce stade de la procédure, qu’un tel comportement aurait suffi à reléguer à l’arrière-plan la responsabilité éventuelle de l’intimé. En effet, retenir le contraire reviendrait à imputer au cycliste la responsabilité de freiner et s’arrêter à temps, mais non à l’automobiliste, ce qui contreviendrait aux règles exposées plus haut, sous l’angle du risque inhérent à l’usage d’un véhicule automobile.
3.4 Au vu de ce qui précède, les conditions d’un classement au sens de l’art. 319 al. 1 let. a et b CPP ne sont pas réunies.
A ce stade de l’instruction, il s’imposait ainsi de renvoyer le prévenu et intimé en jugement pour lésions corporelles graves par négligence et non de prononcer le classement de la procédure.
Cette ordonnance contient un classement implicite en ce sens qu’elle dit, dans sa motivation, qu’il sera renoncé à poursuivre le recourant en application des art. 8 CPP et 54 CP. Dans la mesure où l’intimé n’a pas recouru contre ce classement implicite, il sera précisé que l’ordonnance de classement attaquée sera annulée en tant qu’elle prononce le classement de la procédure dirigée contre I.____.
4. Il s’ensuit que le recours doit être admis et l'ordonnance attaquée annulée. Le dossier de la cause sera renvoyé au Ministère public pour qu’il procède dans le sens des considérants.
Vu l’admission du recours, les frais de la procédure, constitués en l’espèce de l’émolument d'arrêt, par 1’430 fr. (art. 20 al. 1 TFIP [Tarif des frais de procédure et indemnités en matière pénale du 28 septembre 2010 ; BLV 312.03.1]) et de l’indemnité due au défenseur d'office de l’intimé (art. 422 al. 1 et 2 let. a CPP), seront laissés à la charge de l’Etat (art. 428 al. 4 CPP). L’indemnité due à l’avocat d’office sera fixée à 540 fr. sur la base d’une durée d’activité nécessaire d’avocat de trois heures, au tarif horaire de 180 francs. A ces honoraires il convient d’ajouter des débours forfaitaires à concurrence de 2 % (art. 3bis al. 1 RAJ [règlement sur l’assistance judiciaire en matière civile du 7 décembre 2010 ; BLV 211.02.3], applicable par renvoi de l’art. 26b TFIP), par 10 fr. 80, et la TVA, par 42 fr. 40, à hauteur de 594 fr. au total, en chiffres arrondis.
Le recourant, qui a procédé avec l’assistance d’un conseil de choix et qui a obtenu gain de cause, a droit, à la charge de l’Etat, à une indemnité réduite pour ses dépenses obligatoires occasionnées par la procédure de recours (art. 436 al. 3 CPP, par analogie). Le tarif horaire sera fixé à 300 fr. (art. 26a al. 4 TFIP). Au vu du mémoire de recours, les honoraires doivent être fixés à 1'500 fr., correspondant à cinq heures d’activité nécessaire d’avocat (cf. art. 26a al. 3 TFIP), auxquels s’ajoutent les débours forfaitaires de 2 %, par 30 fr. (cf. art. 26a TFIP qui renvoie à l'art. 19 al. 2 TDC [tarif des dépens en matière civile du 23 novembre 2010 ; BLV 270.11.6]), ainsi qu’un montant correspondant à la TVA, par 117 fr. 80. L’indemnité s’élève donc à 1'648 fr. en chiffres arrondis.
Par ces motifs,
la Chambre des recours pénale
prononce :
I. Le recours est admis.
II. L’ordonnance du 16 mars 2023 est annulée en tant qu’elle prononce le classement de la procédure dirigée contre I.____.
III. Le dossier de la cause est renvoyé au Ministère public de l’arrondissement de La Côte pour qu’il procède dans le sens des considérants.
IV. L’indemnité allouée à Me Xavier de Haller, défenseur d’office de I.____, est fixée à 594 fr. (cinq cent nonante-quatre francs).
V. Les frais d’arrêt, par 1’430 fr. (mille quatre cent trente francs), ainsi que l’indemnité due au défenseur d’office de I.____, par 594 fr. (cinq cent nonante-quatre francs), sont laissés à la charge de l’Etat.
VI. Une indemnité de 1'648 fr. (mille six cent quarante-huit francs) est allouée à S.____ pour la procédure de recours, à la charge de l’Etat.
VII. L’arrêt est exécutoire.
La présidente : Le greffier :
Du
Le présent arrêt, dont la rédaction a été approuvée à huis clos, est notifié, par l'envoi d'une copie complète, à :
- Me Charles Guerry, avocat (pour S.____),
- Me Xavier de Haller, avocat (pour I.____),
- M inistère public central,
et communiqué à :
- Mme la Procureure du Ministère public de l’arrondissement de La Côte,
- SUVA, Division juridique, Fluhmattstrasse 1, Case postale, 6002 Lucerne (N° de sinistre 23.11047.22.4),
par l’envoi de photocopies.
Le présent arrêt peut faire l'objet d'un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral au sens des art. 78 ss LTF (loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral ; RS 173.110). Ce recours doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète (art. 100 al. 1 LTF).
En vertu de l’art. 135 al. 3 let. b CPP, le présent arrêt peut, en tant qu'il concerne l’indemnité d’office, faire l’objet d’un recours au sens des art. 393 ss CPP devant le Tribunal pénal fédéral (art. 37 al. 1 et 39 al. 1 LOAP [loi fédérale du 19 mars 2010 sur l’organisation des autorités pénales ; RS 173.71]). Ce recours doit être déposé devant le Tribunal pénal fédéral dans un délai de dix jours dès la notification de l’arrêt attaqué (art. 396 al. 1 CPP).
Le greffier :
Bitte beachten Sie, dass keinen Anspruch auf Aktualität/Richtigkeit/Formatierung und/oder Vollständigkeit besteht und somit jegliche Gewährleistung entfällt. Die Original-Entscheide können Sie unter dem jeweiligen Gericht bestellen oder entnehmen.
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