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Bundesverwaltungsgericht Urteil B-4012/2013

Kopfdaten
Instanz:Bundesverwaltungsgericht
Abteilung:Abteilung II
Dossiernummer:B-4012/2013
Datum:30.10.2019
Leitsatz/Stichwort:Accords illicites
Schlagwörter : ’; L’a; Recourant; Recourante; Suisse; Marché; LCart; Consid; Entre; Accord; Concurrence; Livre; Distribution; ;art; Suisse; Diffuse; été; Parti; Diffuseur; Aient; Autorité; D’un; être; ;autorité; Inférieur; Inférieure; Elles; Exclu; Même; Groupe
Rechtsnorm: Art. 30 Or; Art. 49 KG ;
Referenz BGE:-
Kommentar zugewiesen:
Spühler, Basler Kommentar zur ZPO, Art. 321 ZPO ; Art. 311 ZPO, 2017
Weitere Kommentare:Marc Amstutz; Marc Amstutz; Marc Amstutz; Marc Amstutz; Felix Schraner; Robert Roth;
Entscheid

B u n d e s v e r w a l t u n g s g e r i c h t

T r i b u n a l a d m i n i s t r a t i f f é d é r a l

T r i b u n a l e a m m i n i s t r a t i v o f e d e r a l e T r i b u n a l a d m i n i s t r a t i v f e d e r a l

Décision attaquée devant le TF

Cour II

B-4012/2013

A r r ê t d u 3 0 o c t o b r e 2 0 1 9

Composition Pascal Richard (président du collège), Pietro Angeli-Busi, Maria Amgwerd,

Vera Marantelli, Daniel Willisegger, juges, Muriel Tissot, greffière.

Parties Interforum Suisse SA,

représentée par Maîtres Daniel Emch et Jean-Rodolphe Fiechter, avocats, recourante,

contre

Commission de la concurrence COMCO,

Hallwylstrasse 4, 3003 Berne, autorité inférieure.

Objet Cartels - sanction

Marché du livre écrit en français.

Faits :
    1. Interforum Suisse SA (ci-après : recourante) est une filiale détenue à [ ]% par Interforum France. Toutes deux appartiennent au groupe Editis, un groupe français d'édition. Interforum France est chargée de la diffusion et de la distribution dans le monde entier des livres édités majoritairement par les maisons d’édition du groupe Editis. En tant que filiale, la recourante est responsable de la diffusion des livres sur le marché suisse ; elle ne s'occupe d'aucune tâche logistique. Elle n'entre pas en contact avec les éditeurs, lesquels ont des contrats convenus avec la société-mère.

    2. La distribution du catalogue du groupe Editis en Suisse est assurée intégralement par OLF SA (ci-après : OLF). La relation commerciale entre la recourante et OLF a été régie pendant la période visée par l’enquête par deux contrats successifs, lesquels prévoyaient en particulier les dispositions suivantes :

Art. 1 du contrat du 3 septembre 2008

« INTERFORUM confie à OLF, qui accepte, la distribution en Suisse des ouvrages des Maisons d’Edition et/ou des Distributeurs qui ont eux-mêmes confié à INTERFORUM cette distribution sur le même territoire [ ] »

Art. 2

« Les produits concernés sont, pour ces fonds, tous les livres figurant dans les catalogues des Editeurs concernés et les nouveautés à paraître si toutefois l’Editeur a lui-même, dans les deux cas, la faculté de les diffuser/distribuer en Suisse et a confié cette fonction directement ou indirectement à INTERFORUM [ ] »

Art. 3

« INTERFORUM confie à OLF, dans le respect des lois en vigueur, la distribution des produits définis à l'article 2 auprès de l'intégralité des revendeurs de livres

INTERFORUM s'engage à faire ses meilleurs efforts pour que des importations directes ou indirectes de France (hors Interforum) via des grossistes ou assimilés, ne puissent être faites pour le marché suisse. »

La clause ci-dessus a remplacé la clause suivante :

Art. 3 du contrat du 27 février 1996

« Il est entendu que [Interforum], si toutefois les législations françaises, de l'Union Européenne et de la Suisse le permettent, fera ses meilleurs efforts, en intervenant auprès de sa Maison Mère et de "ses" Editeurs et/ou Distributeurs avec qui il a signé des contrats, pour que des importations directes ou indirectes de France (hors [Interforum]) - "sauvages et parallèles" - via des grossistes ou assimilés, ne puissent être faites pour le marché suisse. Il en va d'ailleurs de son propre intérêt de "protéger" ce dernier et [Interforum] et OLF conviennent de se signaler immédiatement tout "incident" sur ce plan et s'engagent à rechercher et à fournir le maximum de renseignements et de preuves pour que [Interforum] puisse faire les démarches nécessaires pour faire cesser de telles "pratiques" éventuellement constatées.

N.B.: OLF aura les mêmes "préoccupations" »

B.

    1. Du 12 juillet 2007 au 13 mars 2008, le Secrétariat de la Commission de la concurrence (ci-après : secrétariat) a mené une enquête préalable sur le marché du livre écrit en français. Les informations obtenues auprès des diffuseurs-distributeurs et des détaillants ont fait apparaître que les diffuseurs-distributeurs actifs en Suisse occupaient une position forte sur le marché en cause et que le niveau des prix était élevé en Suisse.

    2. D'entente avec le Président de la Commission de la concurrence (ci-après : Comco ou autorité inférieure), le secrétariat a ouvert, le 13 mars 2008, une enquête dans le but d'examiner l'existence éventuelle d'un abus de position dominante au sens de l'art. 7 al. 1 et 2 let. c de la loi sur les cartels. L'ouverture de l'enquête a été communiquée aux diffuseurs-distributeurs concernés - parmi lesquels figurait la recourante - par un courrier leur indiquant les principaux éléments susceptibles de constituer un abus de position dominante et a fait l'objet d'une publication dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC) et la Feuille fédérale du 29 avril 2008 (FF 2008 2582). L'enquête a été réalisée en collaboration avec la Surveillance des prix qui a participé à l'élaboration et à l'évaluation des questionnaires destinés aux diffuseursdistributeurs ainsi qu'aux détaillants.

    3. Le 2 mars 2011, le secrétariat a étendu l'enquête, en accord avec le Président de la Comco, à l'examen de l'existence d'un accord illicite affectant la concurrence au sens de l'art. 5 de la loi sur les cartels ; cette extension a également fait l'objet d'une communication aux parties concernées ainsi que d'une publication dans la FOSC et la Feuille fédérale du 22 mars 2011 (FF 2011 2391).

    4. Le 18 mars 2011, le Parlement a adopté la loi fédérale sur la réglementation du prix du livre, contre laquelle un référendum a été lancé. L'adoption de cette loi et la perspective d'une votation populaire ont amené le secrétariat, en application du principe de l'économie de la procédure, à suspendre l'enquête par décision incidente du 6 juin 2011. Le référendum ayant abouti, le peuple suisse s'est prononcé le 11 mars 2012 en rejetant la loi sur le prix du livre. L'enquête a ainsi été reprise le 22 mars 2012 et les diffuseurs-distributeurs ont été invités à indiquer leurs chiffres d'affaires pour les années 2009 à 2011 et à exposer leurs relations avec les fournisseurs.

    5. Le secrétariat a procédé, le 4 avril 2012, à l'audition de la société Payot SA, représentée par son directeur général K. , et, le 29 mai 2012, à celles de L. et M. , en leur qualité respective de Présidente et Secrétaire de l'association suisse des diffuseurs, éditeurs et libraires (ci-après : ASDEL).

C.

    1. Le 14 août 2012, le secrétariat a communiqué aux parties sa proposition de décision et la liste des pièces versées au dossier. Il a été retenu que la recourante avait participé à un accord horizontal de répartition géographique conclu au sein de l'ASDEL ainsi qu'à un accord vertical de fixation des prix de revente sur la base de ses tabelles ; de même, la recourante avait participé à un accord vertical attribuant des territoires dans la distribution. Il a considéré que l'ensemble de ces relations était illicite au sens de l'art. 5 de la loi sur les cartels et a ainsi proposé à la Comco d'interdire aux diffuseurs-distributeurs de fixer les prix de revente au moyen notamment de tabelles et de s'entendre avec les libraires sur un taux de remise fondé sur un prix public final pour la Suisse. De même, il a prescrit de défendre aux diffuseurs-distributeurs d'opérer une répartition géographique du marché concerné et de s'entendre sur une entrave aux importations parallèles ou encore d'empêcher celles-ci par des contrats de distribution. Finalement, il a proposé de sanctionner la recourante et de mettre à sa charge une part

      des frais de procédure. Il n'a, pour le reste, pas retenu l'existence d'un abus de position dominante.

    2. Le 19 octobre 2012, la recourante a transmis au secrétariat ses déterminations sur dite proposition de décision, en concluant, sous suite de frais et dépens, au classement de la procédure ouverte à son endroit et à ce qu'il soit constaté qu'elle n'a pas violé l'art. 5 de la loi sur les cartels ; subsidiairement, à ce qu'il soit renoncé à toute sanction à son encontre ; encore plus subsidiairement, à ce que la sanction soit réduite sensiblement pour les motifs invoqués. Réfutant avoir été partie à un accord horizontal de répartition géographique, de même qu'à un accord vertical de fixation des prix de revente, la recourante a fait valoir qu'elle n'avait pas davantage conclu d'entente verticale de cloisonnement du marché empêchant les ventes passives ou les importations parallèles en Suisse au sens de l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels. Ni elle ni Interforum France n'ont interdit les ventes passives à des clients suisses depuis des fournisseurs français ; elles n'ont pas non plus mis en place des dispositifs visant à empêcher les importations parallèles. Les libraires suisses étaient libres de se procurer les livres auprès des grossistes français, des éditeurs ou encore via Internet (p. ex. amazon.fr). La recourante a encore ajouté que le projet de décision méconnaissait le fait que Interforum France et elle appartenaient au même groupe - Editis - et que les accords entre sociétés d'un même groupe ne tombaient pas sous le coup de l'art. 5 en relation avec l'art. 4 al. 1 de la loi sur les cartels. Elle a également contesté la délimitation du marché de référence au niveau wholesale et retail. Enfin, elle a relevé que l'approvisionnement des librairies suisses par une structure de distribution en Suisse présentait des avantages en matière d'efficacité.

    3. L'autorité inférieure a procédé entre novembre et décembre 2012 à l'audition de la recourante, des autres diffuseurs ainsi que des détaillants.

    4. Le 4 avril 2013, la recourante a, sans y avoir été invitée, pris position sur les procès-verbaux desdites auditions transmis par l'autorité inférieure. Elle a ainsi relevé que l'approvisionnement à l'étranger, en France ou en Belgique, auprès de libraires, grossistes ou éditeurs était possible, l'avait toujours été et avait toujours eu lieu, que l’art. 3 du contrat passé avec OLF en 2008 était resté lettre morte et que les libraires étaient libres dans la fixation de leurs prix de revente et tiraient effectivement parti de leur marge de manœuvre.

    5. Par courriel du 22 mai 2013, la recourante a requis l'autorité inférieure de lui transmettre des pièces du dossier, dont certaines étaient classées confidentielles. Le 23 mai 2013, celle-ci lui a communiqué par voie électronique les pièces souhaitées, à l'exception de celles frappées du secret d'affaires, indiquant qu'il serait statué ultérieurement sur leur sort.

D.

    1. En date du 27 mai 2013, l’autorité inférieure a rendu une décision à l’encontre de la recourante et de neuf autres diffuseurs-distributeurs, dont le dispositif est le suivant :

      « 1. Condamne au paiement d’une sanction selon l’art. 49a al. 1 LCart fondée sur la participation à des accords illicites au sens de l’art. 5 al. 4 et 1 LCart :

        1. Albert le Grand S.A pour un montant de [ ] francs suisses ;

        2. Dargaud (Suisse) S.A. pour un montant de [ ] francs suisses ;

        3. Diffulivre S.A. pour un montant de [ ] francs suisses ;

        4. Diffusion Transat SA pour un montant de [ ] francs suisses ;

        5. Editions Glenat (Suisse) S.A. pour un montant de [ ] francs suisses ;

        6. Interforum Suisse SA pour un montant de [ ] francs suisses ;

        7. Les éditions des 5 frontières SA pour un montant de [ ] francs suisses ;

        8. Les Editions Flammarion S.A. pour un montant de [ ] francs suisses ;

        9. OLF SA pour un montant de [ ] francs suisses ;

        10. Servidis SA pour un montant de [ ] francs suisses.

      1. Interdit aux diffuseurs-distributeurs Albert le Grand S.A., Dargaud (Suisse) S.A., Diffulivre S.A., Diffusion Transat SA, Editions Glenat (Suisse) S.A., Interforum Suisse SA, Les éditions des 5 frontières SA, Les Editions Flammarion S.A., OLF SA et Servidis SA d’entraver par des contrats de distribution et/ou de diffusion concernant les livres écrits en français les importations parallèles par tout détaillant actif en Suisse ;

      2. Classe l’enquête à l’encontre des autres parties à la procédure ;

      3. Condamne les diffuseurs-distributeurs Albert le Grand S.A., Dargaud (Suisse) S.A., Diffulivre S.A., Diffusion Transat SA, Editions Glenat (Suisse) S.A., Interforum Suisse SA, Les éditions des 5 frontières SA, Les Editions Flammarion S.A., OLF SA et Servidis SA solidairement au paiement des frais de procédure s’élevant à un montant de 760'150 francs suisses, le reste des frais étant mis à la charge de la Confédération ;

      4. Notifie la présente décision à [ ] ».

      En substance, l’autorité inférieure a retenu que la recourante avait été partie, durant la période visée par l'enquête, à savoir de 2005 à 2011, à des systèmes de distribution qui avaient constitué une action collective, consciente et voulue, et qui avaient visé et eu pour effet de restreindre la concurrence efficace sur le marché de référence au sens de la loi sur les cartels. Elle a estimé que les conditions d'application de la présomption de l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels étaient réunies, dans la mesure où le système de distribution mis en place cloisonnait la distribution des livres écrits en français sur le territoire suisse. De plus, elle a considéré que la concurrence intermarques et intramarque n'était pas apte à renverser dite présomption. Toutefois, dans l'hypothèse d'un renversement, elle a relevé que le système de distribution avait notablement affecté la concurrence, tant d'un point de vue qualitatif que quantitatif, sans qu'un motif d'efficacité économique ne l’ait justifié.

    2. L'autorité inférieure a tout d'abord retenu que la loi sur les cartels s'appliquait en l'espèce. D'une part, la recourante avait été active dans le processus économique du livre écrit en français et son comportement avait restreint la concurrence en Suisse. D'autre part, la loi Lang, qui règlemente en France le prix du livre, ne devait pas être considérée comme une prescription réservée au sens de l’art. 3 al. 1 de la loi sur les cartels. Nonobstant le rejet, par le peuple, de la loi sur le prix du livre, l’autorité inférieure a précisé que celle-ci n’aurait pas été assimilée à une prescription réservée, dès lors qu’elle ne concernait pas les approvisionnements.

    3. Elle a rappelé que les activités de diffusion et de distribution devaient être distinguées dans la branche du livre écrit en français. Si les diffuseurs assurent les activités de commercialisation et de représentation des éditeurs, les distributeurs se chargent des tâches essentiellement logistiques, lesquelles couvriraient notamment la saisie des commandes

      des clients, le traitement des arrivages, le picking, l’emballage de la marchandise, la gestion des comptes débiteurs et les retours des clients.

    4. Elle a ensuite examiné le système de distribution de la recourante, plus particulièrement la relation contractuelle qu'elle entretenait avec OLF, afin de déterminer si celle-ci agissait sur le marché en tant que distributeur indépendant ou en qualité d'agent. Le droit et la pratique juridique suisses en matière de concurrence ne traitant pas du rapport d'agence, l'autorité inférieure a repris les notions développées par les autorités européennes de la concurrence. Elle a ainsi retenu que le facteur essentiel pour qualifier la relation contractuelle de rapport d'agence était la titularité du risque commercial ou financier, l'agent ne supportant pas les risques propres au contrat. En l'espèce, il est ressorti des clauses contractuelles liant la recourante à OLF que le risque de ducroire revenait entièrement à celle-ci. Ce risque étant spécifique au contrat en cause, l'autorité inférieure a donc exclu tout rapport d'agence entre OLF et la recourante, une éventuelle rémunération du risque de ducroire ne changeant rien à la répartition de celui-ci. Elle ajoute que OLF n’a pas non plus considéré qu’elle était dépendante tel que pourrait l’être un agent. Partant, l'autorité inférieure a admis que la recourante avait été partie à un système de distribution constituant une action collective, consciente et voulue, soumise à l'art. 4 al. 1 de la loi sur les cartels pour les relations qu'elle a entretenues pendant la période visée par l'enquête avec OLF et couvrant l'ensemble des éditeurs dont elle a assuré la diffusion.

      Cela étant, se fondant sur les expériences des diffuseurs et celles des détaillants, l'autorité inférieure a retenu que l'accord entre la recourante et OLF était un accord de distribution qui prévoyait une attribution de territoire au sens de l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels et que, partant, la suppression de la concurrence efficace était présumée. Pour ce faire, elle a considéré que le système de distribution exclusive mis en place avait permis une traçabilité des flux et empêché les ventes passives. De même, elle a estimé que le droit de retour - soit l'opportunité offerte aux détaillants de retourner les invendus - n'avait fonctionné en l'espèce qu'en raison d'un régime prohibant les ventes passives, dont il était le corollaire. Elle a encore relevé que le contenu du procès-verbal du 25 mai 2005 - qui relatait une discussion du 11 mai 2005 au sein de l'ASDEL portant, selon elle, sur les dangers des importations parallèles - démontrait la volonté commune des diffuseurs d'empêcher les ventes passives. Finalement, elle a considéré que les relations commerciales entre les éditeurs et leurs partenaires de distribution hors de Suisse

      n'avaient pas à être examinées plus avant - en particulier, si celles-ci contenaient une interdiction de livrer en Suisse -, les éléments au dossier étant suffisants pour constater que le système de distribution en cause empêchait les ventes passives.

    5. Examinant un éventuel renversement de la présomption, l'autorité inférieure a défini le niveau wholesale comme étant le marché de référence principal car il était directement visé par l’accord d'attribution de territoire. Elle a nié que le commerce électronique faisait partie du marché de référence au niveau wholesale et laissé indécise la question de savoir s’il apparaissait du côté de l'offre au niveau retail. Les importations parallèles ayant été extrêmement limitées, l'autorité inférieure a considéré qu'une concurrence sur le plan intramarque n'avait pas pu exister. Quant à la concurrence sur le plan intermarques, elle a souligné la forte différenciation du produit, la stabilité des parts de marché et les grandes difficultés d'entrée sur le marché en raison des droits d'édition et en a déduit qu’une telle concurrence était très limitée. Elle a par ailleurs encore relevé la très faible pression concurrentielle des éditeurs et l'absence de capacité disciplinante des détaillants. Elle a ainsi conclu au non-renversement de la présomption de l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels.

      Subsidiairement, l'autorité inférieure a indiqué que les accords en cause seraient illicites quand bien même la présomption devait être renversée. Elle a noté que le système de distribution exclusive mis en place par la recourante et les autres diffuseurs avait reposé sur des clauses prohibant les ventes passives de sorte qu'elles avaient, sur le plan qualitatif, notablement affecté la concurrence. Par ailleurs, 95% du marché suisse étant soumis à ce système de distribution, la concurrence était d'un point de vue quantitatif également affectée notablement. Finalement, elle a nié toute justification pour des motifs d'efficacité économique.

    6. Enfin, l'autorité inférieure a retenu que le comportement illicite décrit ci-dessus était imputable à la recourante et devait être sanctionné. La sanction a été arrêtée, sur la base des chiffres d'affaires réalisés durant les années 2009, 2010 et 2011 ainsi qu'à l'aune de la gravité et de la durée de l'infraction, à [ ] francs, à savoir 4% du chiffre d'affaires cumulé sur les trois derniers exercices, majoré de 50%.

E.

    1. Le 12 juillet 2013, la recourante a exercé un recours contre dite décision auprès du Tribunal administratif fédéral. Elle conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation des chiffres 1.6, 2 et 4 du dispositif dans la mesure où ils la concernent ; subsidiairement, à la réformation de ceux-ci, en ce sens qu'il est renoncé à la condamner au paiement d'une sanction et/ou de frais de procédure ; à titre très subsidiaire, à ce que la sanction prononcée à son égard et/ou les frais mis à sa charge soient réduits ; à titre encore plus subsidiaire, à ce que l’affaire soit renvoyée à l’autorité inférieure pour complément d’instruction et nouvelle décision.

    2. Invoquant en premier lieu une violation de son droit d'être entendue, la recourante fait valoir qu'elle n'a pas eu la possibilité de s'exprimer sur les nombreuses auditions conduites par l'autorité inférieure après l'envoi du projet de décision. De même, la motivation de l'acte attaqué se distancie de manière évidente de la proposition du secrétariat. Aussi, une nouvelle proposition aurait dû être remise aux parties pour déterminations.

    3. Niant avoir été partie à un accord vertical de protection territoriale absolue, la recourante fait valoir que les prémisses de la présomption prévue à l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels ne sont pas réunies en l'espèce.

      Se fondant sur un avis de droit du professeur Y. , joint à son écriture, elle relève tout d'abord qu'il n'y a pas d'accord en matière de concurrence au sens de l'art. 4 al. 1 de la loi sur les cartels, dès lors que seuls les accords conclus par des acteurs économiquement indépendants sont appréhendés par cette disposition. Or, l'autorité inférieure - qui lui reproche d'avoir conclu avec OLF un accord prévoyant qu'elle veille à ce qu'il n'y ait pas d'importations parallèles en Suisse et dont la preuve de cette entrave serait apportée par le fait que Interforum France n'aurait pas approvisionné directement des librairies suisses, renvoyant celles-ci à sa filiale en Suisse - a méconnu que Interforum France et elle-même appartenaient au même groupe - Editis -, si bien qu'un tel accord, relevant de la répartition interne des tâches, bénéficiait du privilège de groupe. De même, OLF n'est pas non plus un acheteur indépendant tombant sous le coup des art. 2 al. 1 et 4 al. 1 de la loi sur les cartels, attendu qu’elle est liée à celle-ci par un contrat d'agence. A cet égard, la recourante relève que, même si l'on devait retenir qu'un risque de ducroire existe pour OLF, celui-ci ne pourrait être qualifié de

      substantiel au sens de la jurisprudence européenne en tant qu'il s'agit avant tout de charger OLF de l'encaissement des créances ; il est au contraire négligeable dès lors que OLF perçoit à ce titre une rémunération adéquate.

      La recourante soutient ensuite que d'une part, il n'y a pas d'attribution de territoire et, d'autre part, la présomption de suppression de la concurrence efficace ne s'applique qu'aux interdictions de ventes passives imposées à des entreprises étrangères actives dans la distribution et non pas à celles à charge des producteurs. En outre, elle prétend qu'il n'existe aucune relation verticale entre OLF et elle, dès lors qu'elles ne sont pas actives sur différents échelons du marché, l'activité de distribution ne représentant pas un échelon du marché à part entière dans son système de distribution. Enfin, elle relève que la clause contractuelle litigieuse n'a jamais été mise en œuvre en pratique, celle-ci étant restée lettre morte. L'autorité inférieure n'a nullement apporté la preuve que des distributeurs agréés à l'étranger auraient refusé d'approvisionner des détaillants en Suisse. Quant au droit de retour, elle soutient que celui-ci peut aussi fonctionner si des livres sont importés parallèlement ; il ne requiert pas l'exclusivité. Elle indique enfin que la signification du procès-verbal de la séance de l'ASDEL est totalement obscure et rappelle que les diffuseurs suisses ne sont pas en mesure d'influencer le flux des marchandises en France.

    4. S'agissant du marché de référence, la recourante fait valoir qu'il a été défini de manière erronée au niveau wholesale. Outre les diffuseurs suisses et étrangers, les grossistes actifs en Suisse et à l'étranger, de même que les libraires étrangers et les sites Internet commerciaux, en particulier amazon.fr., doivent être pris en considération dans la délimitation du marché de référence wholesale. Il y a également lieu de tenir compte de l'importance croissante de la vente de livres électroniques.

    5. A supposer que les conditions d'application de l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels soient réunies, la recourante soutient que la présomption de suppression de la concurrence efficace serait renversée ; le prétendu accord n'affecterait pas davantage celle-ci de manière notable au sens de l'art. 5 al. 1 de la loi sur les cartels. Rappelant que la clause litigieuse des contrats de 1996 et 2008 n'a jamais été mise en œuvre en pratique, de sorte qu'elle ne peut avoir eu un effet sur la concurrence, elle soutient, s'agissant de la concurrence sur le plan intramarque, que les libraires suisses ont la possibilité de s'approvisionner en livres auprès de

      grossistes étrangers, d'autres libraires ou via Internet. De même, des commandes auprès de Interforum France ont été exécutées directement en Suisse, sans passer par elle, si bien que tout ceci aurait un effet disciplinant sur son propre comportement. Elle ajoute par ailleurs qu'on ne saurait imputer le faible niveau d'importations parallèles effectuées en pratique au prétendu accord passé avec OLF. Elle relève en effet que les possibilités d'arbitrage invoquées dans la décision attaquée ont été surestimées, l'offre des fournisseurs étrangers n'étant absolument pas concurrentielle avec celle des diffuseurs-distributeurs suisses, au vu de tous les paramètres à prendre en considération. Outre le prix, il y a en effet également lieu de tenir compte, en cas d'approvisionnement à l'étranger, des délais de livraison plus longs, de l'absence ou de la difficulté des retours, des coûts de transport plus élevés, ainsi que d'une charge administrative accrue. Quant à la concurrence sur le plan intermarques, la recourante avance que la pression provenant des nouveaux canaux de distribution, de même que celle exercée par les grandes chaînes de distribution au détail contraignent les diffuseurs à faire des concessions et, partant, intensifie la concurrence.

    6. En tout état de cause, la recourante fait valoir que la sanction prononcée à son encontre viole les principes de la légalité et de l'exigence de précision de la base légale, dès lors qu'eu égard à l'énoncé de fait de l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels, elle ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce que son comportement soit exposé à une sanction. Contestant les chiffres d'affaires retenus à la base de celleci, elle fait également valoir que son montant viole le principe de la proportionnalité, en tant qu'il la conduirait sans conteste à la faillite, étant précisé que sa maison-mère ne la sauverait pas de celle-là. Enfin, elle soutient que les frais de procédure, relatifs aux mesures d'enquête n'ayant pas abouti à une condamnation, ne doivent pas lui être imputés.

F.

Invitée à se prononcer sur le recours, l'autorité inférieure a conclu à son rejet dans ses observations responsives du 20 novembre 2013.

Contestant tout d'abord avoir violé le droit d'être entendue de la recourante, l'autorité inférieure relève que celle-ci a pu se prononcer de manière complète sur les faits et arguments juridiques à la base de la décision querellée, plus précisément sur la violation de l'art. 5 al. 1 et 4 de la loi sur les cartels qui lui est imputée. Le fait qu'elle se soit finalement écartée sur certains points de la motivation de la proposition de décision

n'est pas constitutif d'une violation du droit fédéral en tant qu'elle n'est pas tenue de la suivre.

L'autorité inférieure soutient ensuite qu'il n'y a pas d'accord intragroupe pertinent pour l'analyse du cas d'espèce, dès lors que l'activité d'importation et de distribution pour la Suisse a été externalisée, de manière exclusive, à OLF. Or, OLF et le groupe Editis sont des entreprises indépendantes au sens du droit de la concurrence, de sorte qu'il n'y a aucune place pour une quelconque application du concept du privilège de groupe. La seule répartition interne des tâches entre la recourante et Interforum France concerne l'activité de diffusion, laquelle ne fait pas l'objet de l'acte attaqué. Aussi, Interforum France a empêché les ventes passives en renvoyant les acheteurs suisses la sollicitant non pas vers sa filiale, comme l'indique la recourante, mais vers une entreprise de distribution tierce en Suisse. En outre, l'autorité inférieure indique qu'il n'y a nullement lieu de considérer que la relation de la recourante avec le distributeur OLF revêt la qualification d'une relation d'agence, attendu que le risque de ducroire n'est pas assumé par la recourante mais par OLF ; que celui-ci puisse être contrôlé et minimisé ou encore indemnisé n'y change rien. OLF est l'importateur et distributeur des livres pour la Suisse, indépendant de la recourante. L'exigence légale d'un accord passé entre des entreprises occupant des échelons différents du marché est ainsi également remplie.

Se fondant ensuite sur l'article premier du contrat passé en 2008 entre la recourante et OLF, l'autorité inférieure relève qu'il est manifeste que le système de distribution de la recourante a attribué le territoire suisse à OLF. De même, elle ajoute qu'il ne ressort pas d'une interprétation conforme au droit que l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels serait inapplicable à des systèmes de distribution sitôt que des entreprises assumeraient également une activité de production, la condition centrale de dite disposition étant l'exclusion des ventes passives. A cet égard, elle indique avoir acquis la conviction, sur la base des auditions de détaillants actifs en Suisse, que les ventes passives avaient été entravées durant la période considérée, ce que OLF aurait par ailleurs confirmé lors de l'enquête. S'agissant du droit de retour, elle rappelle que, durant ladite période, la recourante n'a mis en œuvre aucun mécanisme apte à gérer les retours, autre que la concession d'une exclusivité pour la Suisse à OLF.

Concernant la concurrence sur le plan intramarque sur le marché de référence - en relation avec lequel l'autorité inférieure soutient que les

livres électroniques ne jouent aucun rôle direct au niveau wholesale - celle-ci relève que, compte tenu du cloisonnement du marché suisse, une optimisation des frais de transport et des délais de livraison ne peut intervenir. Toutefois, l'importance de la différence de prix entre la Suisse et la France est plus que décisive pour admettre l'existence d'un potentiel d'arbitrage en l'espèce. Ainsi, ce n'est nullement le manque de compétitivité qui explique l'absence d'importations parallèles significatives mais bien le cloisonnement du marché opéré par le système de distribution de la recourante. Quant à la concurrence sur le plan intermarques, l'autorité inférieure indique que les marchés des services de diffusion et de distribution n'ont pas eu une influence disciplinante sur les marchés de la vente de livres car le groupe d'éditeurs-distributeurs, tel que le groupe Editis l'incarne, est en position de demandeur sur les marchés des services et non d'offreur comme sur le marché de la vente de livres.

S'agissant enfin de l'amende infligée, l'autorité inférieure rappelle que la recourante est une filiale du groupe Editis, lequel appartient à Grupo Planeta qui a réalisé en 2008 un chiffre d'affaires de [ ] euros et dont il y a lieu de tenir compte. Quant aux frais de procédure, elle indique que ceux-ci ont déjà été réduits, dès lors que l'abus de position dominante a été écarté. Pour le reste, les mesures d'investigation engagées visaient à déterminer s'il existait un accord d'attribution de territoire, sans distinction entre accord horizontal et vertical.

Elle renvoie pour le surplus aux développements contenus dans la décision contestée.

G.

Invitée à répliquer, la recourante a, après deux prolongations de délai, maintenu ses conclusions le 31 mars 2014.

Sous l'angle du droit d'être entendu, elle reproche à l'autorité inférieure de ne pas avoir tenu compte de sa prise de position, envoyée spontanément, à la suite des auditions menées après la notification du projet de décision. Elle invoque également une violation du droit de consulter les pièces.

Se fondant sur un second avis de droit établi par le professeur Y. à la suite de la réponse de l'autorité inférieure, la recourante expose qu'en tant que diffuseur, elle est seule responsable de l'importation et de la distribution des livres édités par le groupe Editis pour la Suisse. Dans

le cadre de cette tâche, elle sous-traite la logistique ainsi que la facturation - services typiques d'un "distributeur" - à une entreprise tierce, à savoir OLF. Elle reste propriétaire des livres jusqu'à ce que ceuxci soient vendus au détaillant ; chaque livre transite par elle. Par conséquent, OLF ne peut être considérée comme un échelon du marché indépendant dans la distribution des livres du groupe Editis en Suisse ou encore comme un importateur ou un partenaire de distribution exclusif au sens de l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels mais comme un simple prestataire de services logistiques et de facturation ou, à défaut, un agent commercial. La recourante relève à cet égard que l'attribution du territoire suisse à OLF porte uniquement sur les services de logistique et de facturation, ce qui n'est pas de nature à empêcher des ventes passives.

Elle rappelle également que le seul engagement consistant à faire ses meilleurs efforts pour empêcher les importations parallèles ne remplit pas les conditions de la présomption de suppression de la concurrence efficace. Le contrat conclu avec OLF doit donc tout au plus être considéré comme une simple déclaration d'intention - laquelle n'a jamais été mise en œuvre en pratique - de passer un accord au sens de l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels avec des partenaires aptes à cet effet, à savoir d'autres distributeurs. Elle précise en outre que l'art. 3 dudit contrat porte uniquement sur les livraisons "hors Interforum". Enfin, elle maintient que les importations parallèles ne sont pas intéressantes pour les librairies qui bénéficient en Suisse de meilleurs services et ceci, nonobstant l'existence d'un éventuel potentiel d'arbitrage par le prix. Elle relève en effet qu'il a été établi que les détaillants suisses n'avaient pas réellement essayé d'acheter des livres auprès de revendeurs à l'étranger durant la période visée par l'enquête. Aucun des détaillants auditionnés par l'autorité inférieure n'a par ailleurs déclaré que des grossistes étrangers auraient été empêchés d'approvisionner des librairies en Suisse ; OLF est pour sa part revenue sur la déclaration qu’elle avait faite lors de l’enquête s’agissant de son système de distribution.

S'agissant enfin du montant de base de la sanction, la recourante relève que seul un des trois accords décrits dans le projet de décision a été confirmé, si bien qu'il se justifiait de lui appliquer un taux inférieur à celui retenu. Il en va de même pour ce qui est du montant des frais de procédure.

La recourante reprend pour le reste les arguments déjà avancés dans son recours.

H.

L'autorité inférieure a transmis sa duplique le 19 mai 2014. Elle relève tout d'abord que l'acte contesté, de même que la réponse au recours, ont examiné, tant à charge qu'à décharge et de manière très précise, les déclarations contenues dans les procès-verbaux d'audition. Du reste, elle fait valoir qu'elle n'a pas à se prononcer sur chaque argument soulevé par une partie. Quant aux pièces dont la recourante se plaint de ne pas avoir eues accès, elle indique que celles-ci ne la concernaient nullement, si bien qu'elles n'ont pas été utilisées en sa défaveur.

Relevant que l'avis de droit du professeur Y. se fonde sur un état de fait sélectif, l'autorité inférieure soutient ensuite qu'il existe un contrat de distribution entre le groupe Editis et OLF, aux termes duquel les parties se sont entendues sur la distribution par la deuxième des ouvrages produits par le premier. Aucun livre n'a dès lors jamais transité par la recourante, la seule fonction de celle-ci étant la diffusion. En Suisse, c'est donc OLF qui assume la distribution exclusive et le groupe Editis s'engage à la protéger des importations indirectes (hors Interforum) et directes (par Interforum France). Elle précise à cet égard que le groupe Editis est un fournisseur au sens de l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels en tant qu'il intervient dans les fonctions économiques non seulement comme producteur mais également comme distributeur sur le territoire français.

Elle indique ensuite que les éléments de preuve de l'existence d'un accord au sens de l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels reposent en l'espèce non seulement sur des clauses contractuelles au contenu univoque mais, en plus, sur la constatation des effets concrets sur les victimes directes du cloisonnement du marché - à savoir les détaillants actifs en Suisse - de même que sur les constatations de OLF, les discussions protocolées au sein de l'ASDEL et, enfin, sur les expériences des détaillants. Il ne s'agit dès lors pas d'une simple déclaration d'intention. Celle-ci a été mise en œuvre pendant de nombreuses années et a concerné non seulement les acteurs externes au groupe mais également le groupe Editis lui-même.

L’autorité inférieure renvoie pour le surplus à la motivation de la décision querellée et de sa réponse au recours.

I.

Par ordonnance du 28 mai 2014, le tribunal a invité les parties à se prononcer sur une éventuelle suspension de la procédure jusqu'à droit

connu dans les causes Gaba International AG, respectivement Gebro Pharma GmbH, contre Comco (ci-après : Gaba/Gebro) pendantes devant le Tribunal fédéral.

J.

L'autorité inférieure a indiqué, par courrier du 25 juin 2014, que la suspension de la procédure ne se justifiait pas dans la mesure où la notabilité de l'affectation à la concurrence avait été établie tant d'un point de vue qualitatif que quantitatif dans la décision entreprise. Partant, le sort des procédures Gaba/Gebro devant le Tribunal fédéral n'aurait, selon elle, aucune influence sur la présente procédure de recours.

K.

Par écritures du 27 juin 2014, la recourante a indiqué qu'elle ne s'opposait pas à une suspension de la procédure, dès lors que le Tribunal fédéral se prononcerait, pour la première fois dans cette affaire, sur l'art. 5 al. 4 de la loi sur les cartels.

L.

La recourante a transmis, le 15 juillet 2014, après prolongation de délai, ses remarques sur la duplique de l'autorité inférieure. Reprochant à celleci de s'être fondée sur un état de fait erroné, elle expose que, devant son insistance à considérer que OLF était propriétaire et importateur des livres, elle s'est vue contrainte de joindre à son écriture une confirmation de celle-ci indiquant qu'elle n'était pas propriétaire de son stock, attendu que celui-ci lui était confié en dépôt. Elle constate ensuite que, même dans sa duplique, l'autorité inférieure ne cite aucun exemple où une librairie suisse aurait tenté sans succès de passer commande à l'étranger auprès d'un libraire ou d'un grossiste.

M.

Par ordonnance du 23 juillet 2014, le tribunal a informé les parties qu'il renonçait à suspendre la procédure de recours.

Les arguments avancés de part et d'autre au cours de la présente procédure seront repris plus loin dans la mesure où cela s'avère nécessaire.

Droit :
  1. Recevabilité

    1. Le Tribunal administratif fédéral est compétent pour statuer sur le présent recours (cf. art. 31, 32 et 33 let. f LTAF et 5 al. 1 let. a PA).

    2. La qualité pour recourir doit être reconnue à la recourante (cf. art. 48 al. 1 PA). Les dispositions relatives à la représentation, au délai de recours, à la forme et au contenu du mémoire de recours, ainsi qu'à l'avance de frais (cf. art. 11 al. 1, 50 al. 1, 52 al. 1 et 63 al. 4 PA) sont en outre respectées.

      Le recours est ainsi recevable.

  2. Base légale et objet du litige

    1. La loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les cartels et autres restrictions à la concurrence (Loi sur les cartels, LCart, RS 251) - partiellement modifiée en 2004 (cf. RO 2004 1385) - a pour but d’empêcher les conséquences nuisibles d’ordre économique ou social imputables aux cartels et aux autres restrictions à la concurrence et de promouvoir ainsi la concurrence dans l’intérêt d’une économie de marché fondée sur un régime libéral (art. 1 LCart).

    2. Les accords qui affectent de manière notable la concurrence sur le marché de certains biens ou services et qui ne sont pas justifiés par des motifs d’efficacité économique, ainsi que tous ceux qui conduisent à la suppression d’une concurrence efficace sont illicites (art. 5 al. 1 LCart). Par accords en matière de concurrence, on entend les conventions avec ou sans force obligatoire ainsi que les pratiques concertées d’entreprises occupant des échelons du marché identiques ou différents, dans la mesure où elles visent ou entraînent une restriction à la concurrence (art. 4 al. 1 LCart). Un accord est réputé justifié par des motifs d'efficacité économique lorsqu'il est nécessaire pour réduire les coûts de production ou de distribution, pour améliorer des produits ou des procédés de fabrication, pour promouvoir la recherche ou la diffusion de connaissances techniques ou professionnelles, ou pour exploiter plus rationnellement des ressources (art. 5 al. 2 let. a LCart) ; et lorsque cet accord ne permettra en aucune façon aux entreprises concernées de supprimer une concurrence efficace (art. 5 al. 2 let. b LCart). Sont présumés entraîner la suppression d’une concurrence efficace notamment les accords passés entre des entreprises occupant différents

      échelons du marché, qui imposent un prix de vente minimum ou un prix de vente fixe, ainsi que les contrats de distribution attribuant des territoires, lorsque les ventes par d’autres fournisseurs agréés sont exclues (art. 5 al. 4 LCart). L’entreprise qui participe notamment à un accord illicite aux termes de l’art. 5 al. 4 est tenue au paiement d’un montant pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires réalisé en Suisse au cours des trois derniers exercices. Le montant est calculé en fonction de la durée et de la gravité des pratiques illicites. Le profit présumé résultant des pratiques illicites de l’entreprise est dûment pris en compte pour le calcul de ce montant (cf. art. 49a al. 1 LCart).

    3. Le Conseil fédéral institue la Commission de la concurrence et nomme les membres de la présidence (art. 18 al. 1 LCart). Elle prend toutes les décisions qui ne sont pas expressément réservées à une autre autorité (art. 18 al. 3 1ère phrase LCart). Le secrétariat prépare les affaires de la commission, mène les enquêtes et prend, avec un membre de sa présidence, les décisions de procédure. Il fait des propositions à la commission et exécute ses décisions. Il traite directement avec les intéressés, les tiers et les autorités (art. 23 al. 1 LCart).

      S’il existe des indices d’une restriction illicite à la concurrence, le secrétariat ouvre une enquête, d’entente avec un membre de la présidence de la commission (art. 27 al. 1 1ère phrase LCart). Le secrétariat communique l’ouverture d’une enquête par publication officielle (art. 28 al. 1 LCart). Sur proposition du secrétariat, la commission prend sa décision sur les mesures à prendre ou sur l’approbation de l’accord amiable (art. 30 al. 1 LCart). Les participants à l’enquête peuvent communiquer leur avis par écrit sur la proposition du secrétariat. La commission peut procéder à des auditions et charger le secrétariat de prendre des mesures supplémentaires pour les besoins de l’enquête (art. 30 al. 2 LCart). Les autorités en matière de concurrence peuvent entendre des tiers comme témoins et contraindre les parties à l’enquête à faire des dépositions (art. 42 al. 1 1ère phrase LCart) ; elles peuvent ordonner des perquisitions et saisir des pièces à conviction (art. 42 al. 2 1ère phrase LCart).

    4. En application de l'art. 6 al. 1 1ère phrase LCart, selon lequel la Comco peut fixer par voie de communication les conditions auxquelles des accords en matière de concurrence sont en règle générale réputés justifiés par des motifs d'efficacité économique au sens de l'art. 5 al. 2 LCart, celle-ci a, par décision du 18 février 2002, édicté la première Communication concernant l'appréciation des accords verticaux. Dite

      communication fixe les critères selon lesquels l'autorité inférieure apprécie la notabilité des accords verticaux à la lumière de l'art. 5 al. 1 LCart. Elle a été abrogée par la communication du même nom, arrêtée le

      2 juillet 2007, elle-même abrogée par la Communication concernant l'appréciation des accords verticaux du 28 juin 2010 (ci-après : CommVert), entrée en vigueur le 1er août 2010 et révisée le 22 mai 2017. Elle a fait l’objet d’une note explicative, arrêtée le 12 juin 2017 et révisée le 9 avril 2018 (ci-après : note explicative). La communication et sa note explicative ont été publiées sur le site Internet de la Comco. Dites communications - lesquelles s'apparentent à des ordonnances administratives qui ne lient pas le Tribunal administratif fédéral - sont prises en considération dans la mesure où elles permettent une interprétation équitable et adaptée au cas particulier des dispositions légales applicables (cf. arrêts du TAF B-5685/2012 du 17 décembre 2015 Altimum consid. 2.4 et B-506/2010 du 19 décembre 2013 Gaba consid. 11.1.7 ; JEAN-MARC REYMOND, in : Commentaire romand, Droit de la concurrence, 2e éd. 2013 [CR-Concurrence], art. 6 LCart p. 598 ss no 40 ss, KLAUS NEFF ; in : Basler Kommentar, Kartellgesetz, 2010 [BSK-KG], art. 6 p. 458 no 24 ss).

    5. Dans sa décision du 27 mai 2013, l’autorité inférieure a condamné la recourante au paiement d’une amende de [ ] francs en application de l’art. 49a LCart pour avoir conclu avec OLF un accord attribuant des territoires alors que son système de distribution interdisait les ventes passives par d’autres distributeurs. En substance, elle a considéré que l’engagement pris par la recourante consistant à faire ses meilleurs efforts pour que des importations parallèles ne puissent être entreprises sur le marché suisse et le fait que les détaillants ne pouvaient s’approvisionner en France suffisaient à démontrer que le système de distribution de la recourante interdisait les ventes passives.

      La recourante conteste l’existence d’accords illicites au sens de l’art. 5 LCart. Sur ce point, elle s’en prend aux faits établis par l’autorité inférieure et considère que ceux-ci ont été constatés de manière inexacte et incomplète et que, ce faisant, l’autorité inférieure a violé le droit fédéral et l’art. 5 LCart en particulier, dès lors que son système de distribution n’interdirait pas les ventes passives.

      Dans le cadre de l’examen des griefs formulés par la recourante, il y a lieu de tenir compte de la CommVert qui s'applique à tous les accords verticaux en matière de concurrence, y compris ceux qui étaient en vigueur avant le 1er août 2010 (cf. ch. 19 CommVert) et ceux qui faisaient

      déjà l'objet d'une enquête préalable à cette date (cf. arrêt du TAF B-5685/2012 précité Altimum consid. 3.2 ; Secrétariat Comco, DPC 2011/3, p. 364, Festool, ch. 11 note de bas de page no 2 ; REYMOND, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 6 LCart p. 617 no 130).

  3. Champ d’application de la loi sur les cartels

    A titre liminaire, il convient de déterminer si la loi sur les cartels est applicable en l'espèce, à savoir si les conditions d'application personnelles, locales et matérielles de celle-ci sont réunies.

    1. Selon l'art. 2 al. 1 LCart, la présente loi s'applique aux entreprises de droit privé ou de droit public qui sont parties à des cartels ou à d'autres accords en matière de concurrence, qui sont puissantes sur le marché ou participent à des concentrations d'entreprises. Est soumise à la présente loi, toute entreprise engagée dans le processus économique qui offre ou acquiert des biens ou des services, indépendamment de son organisation ou de sa forme juridique, (art. 2 al. 1bis LCart) et jouissant par ailleurs d'une indépendance économique et organisationnelle (cf. arrêts du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL consid. 27 et B-2977/2007 du 27 avril 2010 Publigroupe consid. 4.1). La présente loi est applicable aux états de fait qui déploient leurs effets en Suisse, même s'ils se sont produits à l'étranger (art. 2 al. 2 LCart ; cf. Message du Conseil fédéral du 23 novembre 1994 concernant la loi fédérale sur les cartels et autres restrictions de la concurrence [FF 1995 I 472 ; ci-après : message LCart 1995] p. 535 ss ch. 222.2).

      En l’occurrence, il ressort du dossier que la recourante appartient [ ] à Interforum France. Or, lorsque plusieurs filiales appartenant à un même groupe sont effectivement contrôlées par leur société-mère, il est admis par la jurisprudence et la doctrine - dès lors que les différentes entités du groupe ne peuvent se comporter de manière indépendante les unes par rapport aux autres - que celles-ci forment une seule et même entreprise au sens de la loi sur les cartels (cf. arrêts du TAF B-831/2011 du 18 décembre 2018 Six Group consid. 39 ss ; B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 29 et B-2977/2007 précité Publigroupe consid. 4.1 ; VINCENT MARTENET/PIERRE-ALAIN KILLIAS, in : CR-Concurrence, op. cit.,

      art. 2 LCart p. 153 ss n° 30-35 ; JENS LEHNE, in : BSK-KG, op. cit., art. 2

      p. 84 ss n° 27-29 ; RALF MICHAEL STRAUB, Der Konzern als Kartellrechtssubjekt, in : Festschrift für Anton K. Schnyder zum 65. Geburtstag, 2018, 1269-1303, spéc. p. 1278 ss). En droit européen, l’absence d’autonomie d’une filiale est présumée lorsque celle-ci est

      détenue à 100% par sa société-mère (cf. arrêt de la CJCE du 10 septembre 2009 C-97/08 Nobel contre Commission, Rec. I-8237 point 60 ; RICHARD WISH/DAVID BAILEY, Competition Law, 9e éd. 2018,

      p. 95 ss). Il s’ensuit que la recourante et Interforum France ne forment qu’une seule et même entité aux yeux de la loi sur les cartels.

      Ainsi, dès lors que l’autorité inférieure prétend que le groupe Editis - en tant qu’entité réunissant notamment Interforum France, Interforum Suisse et des éditeurs internes au groupe - aurait confié à OLF la distribution exclusive pour la Suisse des ouvrages de son catalogue notamment, il y a lieu d'admettre que ledit groupe constitue une entreprise au sens de la loi sur les cartels et que le prétendu accord de protection territoriale absolue a produit ses effets en Suisse. Les conditions d'application personnelles et locales de la loi sur les cartels sont ainsi réunies.

    2. S'agissant des conditions d'application matérielles, l’autorité inférieure prétend également que le groupe Editis se situerait en amont de la chaîne de distribution ; il entretiendrait ainsi une relation commerciale verticale avec OLF.

      Pour le reste, il convient de déterminer s'il existait entre le groupe Editis et OLF un accord en matière de concurrence pour la période - délimitée par l'autorité inférieure - s'étendant de l'année 2005 à l'année 2011. L'examen de cette question a une double pertinence, en ce sens que l'existence d'un accord en matière de concurrence constitue non seulement une condition à l'application de la loi sur les cartels mais également une prémisse à l'admission, en l'espèce, de l'existence d'une restriction illicite à la concurrence. La question sera examinée ci-après.

  4. Violation du droit d’être entendu

    La recourante invoque une violation de son droit d’être entendue au sens de l’art. 30 al. 2 LCart. Relevant d’une part, que des auditions ont été conduites par l’autorité inférieure après l’envoi de la proposition du secrétariat, sur lesquelles elle n’a pas pu prendre position et, d’autre part, que la motivation de la décision attaquée se distancie de manière évidente de celle du projet de décision, la recourante fait valoir qu’une nouvelle proposition aurait dû être soumise aux parties pour déterminations. Ceci d’autant plus que, la décision ayant été envoyée de telle sorte à ce que le délai de recours ne soit pas prolongé par les vacances judiciaires, un délai de 30 jours ne permettait pas d’examiner

    de manière approfondie les motifs de la décision. La recourante se plaint également d’une violation du droit de consulter les pièces.

    L'autorité inférieure rétorque en substance qu'elle n'était pas tenue de rédiger une nouvelle proposition de décision puisque la recourante s'était déjà prononcée de manière complète dans sa prise de position du 19 octobre 2012 sur les principes à la base de la décision attaquée, plus précisément sur la violation de l'art. 5 al. 1 et 4 LCart qui lui est reprochée.

    1. En tant que la recourante fait valoir la violation d'une garantie de nature formelle, laquelle entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès du recours sur le fond, ce moyen doit être examiné en premier lieu (cf. ATF 137 I 195 consid. 2.2).

    2. Le droit d'être entendu garanti à l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents du dossier, avant qu'une décision ne soit prise concernant sa situation juridique, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s'exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (cf. ATF 135 I 279 consid. 2.3, 135 II 286 consid. 5.1 et réf cit. ; arrêts du TAF B-506/2010 précité Gaba consid. 4 et B-2050/2007 du 24 février 2010 consid. 6.1 et réf. cit. ; cf. aussi ALFRED KÖLZ/ISABELLE HÄNER/MARTIN BERTSCHI, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, 3e éd. 2013, p. 173 ss).

      La procédure administrative fédérale exige de l'autorité qu'elle entende les parties avant de prendre une décision (cf. art. 30 al. 1 PA par renvoi de l’art. 39 LCart). Cette obligation implique qu'elle doit les informer du contenu présumé de la décision qu'elle est appelée à rendre ou, à tout le moins, des éléments essentiels de celle-ci afin de leur permettre de prendre position avant qu'elle ne se prononce (cf. ULRICH HÄFELIN/GEORG MÜLLER/FELIX UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7e éd. 2016, p. 221 ss n° 1010 ss).

      En droit des cartels suisse, le droit d'être entendu est élargi, en ce sens que les parties concernées par l'enquête peuvent communiquer leur avis par écrit sur la proposition du secrétariat (cf. art. 30 al. 2 1ère phrase LCart) avant que l'autorité inférieure ne rende sa décision (cf. arrêt du

      TF 2A.492/2002 du 17 juin 2003 Elektra Baselland consid. 3.4 et réf. cit.). Ce droit à une prise de position porte sur la totalité de la proposition du secrétariat, à savoir sur l'état de fait établi, les considérants juridiques et le dispositif proposé. Il va ainsi plus loin que ce que le droit d'être entendu, découlant des art. 29 al. 2 Cst. et 29 ss PA, prévoit (cf. ATF 129 II 497 consid. 2.2 ; PATRICK DUCREY/BENOÎT CARRON, in :

      CR-Concurrence, op. cit., art. 30 LCart p. 1240 no 13 ; BEAT

      ZIRLICK/CHRISTOPH TAGMANN, in : BSK-KG, op. cit., art. 30 p. 1362 no 18-

      19). S'agissant toutefois de la suite de la procédure, à savoir une fois le dossier en mains de l'autorité inférieure, seul s'applique - en vertu du renvoi de l'art. 39 LCart aux dispositions de la PA - le droit d'être entendu, tel que garanti par les art. 29 al. 2 Cst. et 29 ss PA, en particulier par l'art. 30 al. 1 PA. Or, le droit constitutionnel d'être entendu ne confère pas à la partie le droit de se déterminer sur chaque résultat possible auquel l'autorité peut envisager d'aboutir. En ce sens, l'autorité n'a pas à soumettre sa motivation aux parties préalablement pour prise de position (cf. ATF 132 II 257 consid. 4.2). L'exercice du droit d'être entendu se limite en général aux faits pertinents. Il ne donne en principe pas le droit de se prononcer sur l'appréciation juridique des faits ni, plus généralement, sur l'argumentation juridique que l'autorité envisage de retenir. Des exceptions sont toutefois réservées lorsque celle-ci entend se fonder sur des normes juridiques à l'application desquelles les parties intéressées ne peuvent s'attendre, lorsque la situation juridique a changé ou lorsque ladite autorité dispose d'une marge d'appréciation particulièrement grande (cf. ATF 132 II 257 consid. 4.2 ; arrêts du TF 2A.430/2006 du 6 février 2007 Sammelrevers consid. 7 et 2A.492/2002 précité Elektra Baselland consid. 3.2 ; arrêt du TAF B-807/2012 du 25 juin 2018 Strassenund Tiefbau im Kanton Aargau consid. 5.2.3). En d'autres termes, si l'autorité inférieure modifie la proposition du secrétariat, compte tenu notamment des déterminations des parties, ceci ne donne pas un nouveau droit à une prise de position au sens de l'art. 30 al. 2 LCart, seul applicable à la proposition du secrétariat ; une modification de l'argumentation juridique ne constitue en outre pas une violation du droit d'être entendu, dans les limites imposées par les art. 29 al. 2 Cst. et 29 ss PA (cf. ATF 132 II 257 consid. 4.2 ; arrêt du TF 2A.430/2006 précité Sammelrevers consid. 7 ; arrêts du TAF B-506/2010 précité Gaba consid. 4.1.3 et B-807/2012 précité Strassenund Tiefbau im Kanton Aargau consid. 5.2.3 ; DUCREY/CARRON, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 30 LCart p. 1241 no 14). De plus, si elle le juge utile, l'autorité inférieure peut encore ordonner des mesures d'instruction supplémentaires. Elle peut ainsi procéder à des auditions et charger le secrétariat de prendre des mesures supplémentaires pour les

      besoins de l'enquête (cf. art. 30 al. 2 i.f. LCart). Elle peut notamment renvoyer le dossier au secrétariat pour complément d'instruction, ordonner l'audition des participants ou de leurs avocats (cf. arrêt du TF 2C_732/2008 du 24 mars 2009 consid. 2.3.3 ; DUCREY/CARRON, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 30 LCart p. 1241 no 15 et 16 ; ZIRLICK/TAGMANN, in : BSK-KG, op. cit., ad art. 30 LCart p. 1369 ss n° 47 ss).

      4.3

          1. En l'occurrence, il convient tout d'abord de relever que la recourante s'est largement déterminée en date du 19 octobre 2012 sur le projet de décision du secrétariat dans une écriture de 178 pages, accompagnée de

            16 annexes. De même, elle a été entendue oralement par l'autorité inférieure en date du 3 décembre 2012. Elle s'est ainsi prononcée de manière complète sur l'état de fait, les dispositions légales applicables et les considérations juridiques. Elle s'est en particulier exprimée sur sa participation à un système de distribution cloisonnant la vente sur le territoire suisse et sur son impact sur la concurrence. Aussi, sur ce point, il ne saurait être reproché à l'autorité inférieure de ne pas avoir respecté le droit d'être entendu, tel que garanti par l'art. 30 al. 2 LCart.

          2. Reste à examiner si l'autorité inférieure était tenue, en application des art. 29 Cst. et 30 al. 1 PA, d’inviter la recourante à se déterminer préalablement sur le contenu de la décision attaquée.

            1. La recourante se plaint de ce que la motivation de la décision entreprise s’écarte sensiblement de celle de la proposition du secrétariat. Or, comme le relève l’autorité inférieure, la différence principale entre ces deux actes tient à l'abandon des accords horizontaux d’attribution de territoire et des accords verticaux sur les prix retenus dans le projet de décision. Cet abandon étant en définitive favorable à la recourante, il n'est pas nécessaire d'y revenir. Il en va de même s’agissant de la réduction de l’amende qui en découle. Quant au montant de base de la sanction - proposé par la recourante en tenant compte des trois types d’accords retenus dans le projet de décision - celle-ci n’indique pas qu’elle n’aurait pas pu se déterminer à l’égard des faits retenus dans la décision. Il en va de même lorsque la recourante se plaint de ce que le ch. 2 du dispositif de la décision querellée, à savoir l’interdiction d’entraver les importations parallèles par des contrats de distribution ou de diffusion, n’était pas encore prévu dans la proposition du secrétariat. La recourante s’est en effet prononcée préalablement sur sa participation

              à un système de distribution cloisonnant la vente sur le territoire suisse. Dans ces circonstances, force est en outre d’admettre que la recourante a disposé de suffisamment de temps pour examiner de manière approfondie les motifs de la décision contestée.

            2. La recourante fait également valoir que les parties n’ont pas eu la possibilité de se prononcer sur les nombreuses auditions conduites par l’autorité inférieure après l’envoi de la proposition du secrétariat. Or, comme le relève encore l’autorité inférieure, la recourante a spontanément pris position en date du 4 avril 2013 sur les procèsverbaux desdites auditions transmis par elle (cf. supra let. C.d), si bien qu’elle ne saurait se plaindre d’une violation de son droit d’être entendue. Néanmoins, la recourante ajoute que dite prise de position, portant sur des faits nouveaux, n’aurait manifestement pas été prise en considération par l’autorité inférieure dans sa décision. Comme l’indique l’autorité inférieure, la recourante y a relevé en substance - s’appuyant sur les déclarations des distributeurs/détaillants ressortant des différents procèsverbaux d’audition - qu’un approvisionnement à l’étranger était possible et que la clause litigieuse du contrat passé entre elle et OLF était restée lettre morte. Or, dites déclarations ont été examinées dans la décision déférée. En outre, il y a lieu de relever que, de manière générale, la décision dont est recours renvoie régulièrement à l'avis écrit de la recourante, au contenu de son audition ainsi qu'aux autres pièces du dossier dont elle a pu prendre connaissance. Enfin, l'autorité n'est pas tenue de discuter de manière détaillée tous les arguments soulevés par les parties ni de statuer séparément sur chacune des conclusions qui lui sont présentées. Elle peut se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige ; il suffit que le justiciable puisse apprécier correctement la portée de la décision et l'attaquer à bon escient (cf. notamment arrêt du TF 2C_622/2012 du 17 juin 2013 consid. 5.3 et réf. cit. ; ATF 133 III 439 consid. 3.3 et réf. cit.). Dans ces conditions, il n'incombe pas au tribunal - en présence de critiques purement appellatoires - d'examiner plus avant ce grief de nature formelle (cf. PATRICK L. KRAUSKOPF/KATRIN EMMENEGGER/FABIO BABEY, in :

              Praxiskommentar zum Bundesgesetz über das Verwaltungsverfahren, 2e éd. 2016, art. 12 PA p. 264 ss no 59).

            3. S'agissant ensuite de l'appréciation juridique, l'autorité inférieure ne s'est pas fondée sur des normes légales inattendues ; à l'instar de la proposition, elle n'a en effet pas retenu l'existence d'un abus de position dominante au sens de l'art. 7 al. 1 et 2 let. c LCart et n’a, pour le reste, retenu qu’un seul type d'accord illicite sur les trois proposés par le

      secrétariat. De même, pour ce qui est du grief relatif au procès-verbal de l’ASDEL, retenu dans le projet de décision en tant que moyen de preuve d’un accord horizontal et dans la décision entreprise comme un indice d’un accord vertical d’attribution de territoire, un tel reproche a trait à l’appréciation juridique d’un fait, sur laquelle la recourante ne dispose pas d’un droit à être entendue.

      4.4

          1. La recourante invoque enfin une violation du droit de consulter les pièces, en tant qu’elle a requis l’accès à des pièces classées confidentielles, pour lesquelles l’autorité inférieure lui a répondu qu’une décision sur une éventuelle divulgation des secrets d’affaires s’avérait nécessaire, sans toutefois n’avoir jamais statué sur cette question.

          2. La partie ou son mandataire a notamment le droit de consulter tous les actes servant de moyens de preuve (cf. art. 26 al. 1 let. b PA par renvoi de l’art. 39 LCart). L'autorité ne peut refuser la consultation de pièces que si des intérêts privés importants, en particulier ceux de parties adverses, exigent que le secret soit gardé ; un tel refus ne peut s'étendre qu'à celles qu'il y a lieu de garder secrètes (cf. art. 27 al. 1 let. b et al. 2 PA). Outre la pesée des intérêts que commande l'application de l'art. 27 al. 1 let. b PA, l'art. 28 PA permet de préserver le secret d'affaires d'une partie tout en respectant le droit des autres de consulter les pièces (cf. VINCENT MARTENET, in : CR-Concurrence, op. cit., ad art. 25 LCart

            p. 1207 n°49-50 et réf. cit., en particulier arrêt de la CoRe du 26 septembre 2002 consid. 3.1 et 3.2, in : DPC 2002/4 p. 709 ss, ainsi que les arrêts du TF 2A.586/2003 et 2A.610/2003 du 1er octobre 2004, consid. 6.5 et 6.6). Il prévoit en effet qu'une pièce dont la consultation a été refusée à la partie ne peut être utilisée à son désavantage que si l'autorité lui en a communiqué, oralement ou par écrit, le contenu essentiel se rapportant à l'affaire et lui a donné l'occasion de s'exprimer ainsi que de fournir des contre-preuves.

          3. En l’espèce, l’autorité inférieure a indiqué que les pièces litigieuses étaient toutes des courriels dont le contenu essentiel ne pouvait être résumé sans porter atteinte à leur caractère confidentiel. Elle a toutefois précisé que celles-ci ne concernaient dans tous les cas nullement la recourante et n’avaient donc pas été utilisées en sa défaveur. Ceci étant, on ne saurait reprocher à l’autorité inférieure d’avoir violé le droit d’être entendue de la recourante.

      Le moyen, invoqué par la recourante, fondé sur une violation du droit d'être entendu doit ainsi être rejeté.

  5. Notion d’accord en matière de concurrence (art. 4 al. 1 LCart)

    D’un point de vue matériel, la présente procédure de recours consiste à déterminer si c'est à juste titre que l'autorité inférieure a admis que la recourante, respectivement le groupe Editis, avait, entre les années 2005 et 2011, été partie avec OLF à un accord illicite au sens des art. 5 al. 4 LCart - en relation avec l'art. 5 al. 1 LCart - et 49a al. 1 LCart.

    La question litigieuse qu'il convient d'examiner préliminairement est dès lors celle de savoir si, pour la période en cause, la recourante, respectivement le groupe Editis, a été partie à un accord vertical en matière de concurrence au sens de l’art. 4 al. 1 LCart.

    1. Pour être en présence d’un accord en matière de concurrence, deux conditions doivent être réunies selon le texte de l’art. 4 al. 1 LCart : il faut d’une part un accord et, d’autres part, que celui-ci vise ou entraîne une restriction à la concurrence (cf. MARC AMSTUTZ/BLAISE CARRON/MANI REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 4 al. 1 LCart p. 220 no 1).

      Des accords au sens de l’art. 4 al. 1 LCart peuvent exister non seulement entre entreprises de même rang (accord horizontaux) mais aussi entre entreprises de différents échelons du marché (accords verticaux ; cf. ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 4). Plusieurs formes d’accords sont mentionnées à l’art. 4 al. 1 LCart, à savoir les conventions, avec ou sans force obligatoire, et les pratiques concertées. Il s’agit de formes alternatives. Partant, si l’on est en présence d’une convention obligatoire, cela suffit pour en conclure à l’existence d’un accord, sans qu’il soit pour le surplus nécessaire de se demander si cet accord remplit les conditions d’une pratique concertée (cf. ATF 144 II 246 Altimum consid. 6.4.1).

      L’existence d’un accord suppose une action collective, consciente et voulue, des entreprises participantes (cf. message LCart 1995, FF 1995 I 472, p. 544 ch. 224.1 ; ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 6.3 et 124 III 495 consid. 2a). Pour déterminer s’il y a accord, il convient d’appliquer les règles générales figurant aux art. 1 ss CO (cf. DIMITRI ANTIPAS, Les recommandations de prix en droit suisse et en droit européen de la concurrence, 2014, p. 140) et d’établir quelle était la volonté réciproque et concordante des parties, étant précisé que celle-ci peut être expresse ou tacite (art. 1 al. 2 CO ; cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CRConcurrence, op. cit., art. 4 al. 1 LCart p. 226 no 21 ; THOMAS NYDEGGER/WERNER NADIG, in : BSK-KG, op. cit., art. 4 al. 1 p. 166 no 83).

      Les déclarations et manifestations de volonté entre cocontractants doivent être interprétées conformément au principe de la confiance (art. 18 CO), sans s’arrêter aux termes retenus par les parties (cf. ATF 144 II 246 Altimum consid. 6.4.1).

      En outre, il résulte du concept même d’accord que deux entreprises participantes au moins sont nécessaires pour remplir les exigences de la définition contenue à l’art. 4 al. 1 LCart (cf. arrêt du TAF B-5685/2012 précité Altimum consid. 4.1) ; la conclusion d’un accord nécessite donc la participation d’au moins deux entreprises jouissant d’une indépendance économique et organisationnelle (cf. MARTENET/KILLIAS, in : CRConcurrence, op. cit., art. 2 LCart p. 153-155 no 30-35 ; LEHNE, in : BSKKG, op. cit., art. 2 p. 84 ss no 27-29).

    2. Pour retenir l’existence d’un accord au sens de l’art. 4 al. 1 LCart, il faut encore que celui-ci vise ou entraîne une restriction à la concurrence. On entend par là toute atteinte au libre jeu de l’offre et de la demande. Il faut donc qu’un accord affecte en plus un paramètre de concurrence, à savoir le prix, la quantité, la qualité, le design d’un produit ou d’un service, le service au client, les conditions commerciales appliquées ou encore les canaux d’écoulement ou d’approvisionnement (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 4 al. 1 LCart p. 244 ss no 72 ss; NYDEGGER/NADIG, in : BSK-KG, op. cit., art. 4 al. 1 p. 158 et 162 no 42 et 63).

      Un accord a pour objet une restriction à la concurrence lorsqu’il a pour but d’influencer un ou plusieurs paramètres concurrentiels, dont la gestion incombe en principe individuellement aux entreprises sur le marché. L’intention subjective des parties est sans pertinence, dans la mesure où, objectivement, selon le contenu de l’accord et le paramètre concurrentiel visé, l’accord est de nature à entraver ou supprimer l’exercice de la concurrence sur le paramètre en question (cf. arrêt du TAF B-5685/2012 précité Altimum consid. 4.1). Par conséquent, dans le cas d’une restriction par objet, il ne sera pas nécessaire d’examiner les effets de l’accord.

      En revanche, si l'on ne peut pas établir que l'accord vise une restriction à la concurrence, une analyse des effets de l'accord sur le marché sera nécessaire afin de déterminer s'il tombe ou non sous le coup de l'art. 4 al. 1 LCart. Il suffit d'établir un effet sur le marché ainsi que le rapport de

      causalité, naturelle et adéquate, entre cet effet et la coordination entre participants. Si la restriction à la concurrence est due à des facteurs exogènes, il n'y a pas d'accord en matière de concurrence. Les effets restrictifs à la concurrence peuvent être présents, futurs ou passés (cf. arrêt du TAF B-8399/2010 du 23 septembre 2014 Baubeschläge Siegenia consid. 5.3.2.5 ss et réf. cit. ; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 4 al. 1 LCart p. 247 ss no 83 ss et réf. cit. ; NYDEGGER/NADIG, in : BSK-KG, op. cit., art. 4 al. 1 p. 163 ss no 67 ss ; MARIEL HOCH CLASSEN, Vertikale Wettbewerbsabreden im Kartellrecht, 2003, p. 217 ; ANTIPAS, op. cit., p. 276).

    3. Afin d’éviter un isolement du marché suisse et garantir la sécurité du droit, la règlementation et la pratique suisses en matière de concurrence se veulent euro-compatibles (cf. Deiss BO 2003 E 328 ss) ; elles s’inspirent ainsi du droit et de la pratique européens, sans pour autant qu’il ne s’agisse là d’une reprise automatique dans l’ordre juridique suisse (cf. consid. VII CommVert ; ATF 144 II 246 Altimum consid. 13.4 ; arrêt du TAF B-5685/2012 précité Altimum consid. 4.2.1 in fine ; arrêt du TF 2C_180/2014 du 28 juin 2016, en partie publié in : ATF 143 II 297 et traduit partiellement au JdT 2018 I p. 3 Gaba consid. 6.2.3 ; cf. également sur la prise en compte du droit européen : arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 167 ss). L’art. 4 al. 1 LCart présente à cet égard des points de convergence et de divergence avec l’art. 101 par. 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées (TFUE, publié in : JO du 26 octobre 2012 C 326/49 ; ex-art. 81 par. 1 du Traité de Rome instituant la Communauté européenne, signé en 1957 [TCE]), lequel a la teneur suivante : « Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à : a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction, b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements, c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement, d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces

      contrats ». En relation avec la définition d’un accord en matière de concurrence, les divergences entre les deux ordres juridiques ne sont en grande partie qu’apparentes (sauf pour les décisions d’associations d’entreprises), le législateur suisse ayant, comme déjà dit, exprimé son intention d’adopter une réglementation euro-compatible (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 4 al. 1 LCart p. 222 n°7 et réf. cit). La Commission européenne a édicté des lignes directrices exposant les principes sur lesquels se fonde l'appréciation des accords verticaux au regard de l'art. 101 TFUE (cf. point 1 Lignes directrices de la Commission européenne sur les restrictions verticales, JO C 130/1 du 19 mai 2010 [ci-après : lignes directrices]).

  6. Relations avec les partenaires de distribution

    Ceci étant, il s’agit en premier lieu de déterminer si, durant la période sous investigation, la recourante a été partie à des accords, revêtant la forme de conventions ou de pratiques concertées, qui ont visé ou eu pour effet une restriction à la concurrence au sens de l'art. 4 al. 1 LCart.

    1. En l’espèce, l’autorité inférieure a retenu que les contrats passés entre le groupe Editis - par l’intermédiaire de la recourante - et OLF constituaient des accords en matière de concurrence au sens de l’art. 4 al. 1 LCart dès lors qu’ils avaient pour objet de restreindre la concurrence.

      Selon la recourante, l’existence d’un accord selon l’art. 4 al. 1 LCart doit être niée dès lors que OLF ne serait pas une entrepise au sens de l’art. 2 LCart jouissant d’une indépendance économique et organisationnelle, puisqu’elle agirait vis-à-vis d’elle en qualité d’agent.

    2. En droit des obligations, le contrat d’agence se définit comme le contrat par lequel un agent prend, à titre permanent, l’engagement de négocier la conclusion d’affaires pour un ou plusieurs mandants ou d’en conclure, en leur nom et pour leur compte, sans être lié envers eux par un contrat de travail (art. 418a al. 1 CO). L’agent agit à titre indépendant. Il n’est ainsi pas tenu par un rapport de subordination (cf. ATF 129 III 664 consid. 3.2 ; PIERRE TERCIER/LAURENT BIERI/BLAISE CARRON, Les contrats

      spéciaux, 5e éd. 2016, p. 738 ss no 5046 ; CHRISTOPH MÜLLER, Contrats

      de droit suisse, 2012, p. 439 no 2131). L’indépendance de l’agent doit être comprise dans un sens juridique et non économique, dès lors que le caractère durable du contrat d’agence a pour corollaire une dépendance

      économique accrue (cf. arrêt du TF 4C.270/2002 du 11 février 2003 consid. 2). Le contrat d’agent se distingue ainsi du contrat de distribution (exclusive ou non), dans lequel le distributeur agit en son propre nom et pour son propre compte. Ainsi, contrairement à l’agent, le distributeur assume les risques liés à son activité (cf. arrêt du TF 4C.130/2004 du 18 juin 2004 consid. 2.2 ; TERCIER/BIERI/CARRON, op. cit., p. 1074 no 7256 ; MÜLLER, op. cit., p. 441 ss no 2145).

      En droit des cartels, il y a lieu de rappeler que le concept d’accord nécessite une convention ou une pratique concertée entre au moins deux entreprises indépendantes l’une de l’autre (art. 2 LCart ; ch. 9 pt 2 de la note explicative ; cf. arrêt du TAF B-5685/2012 précité Altimum consid. 4.1), c’est-à-dire jouissant d’une indépendance économique et organisationnelle (cf. arrêts du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 27 ss et B-2977/2007 précité Publigroupe consid. 4.1 ; MARTENET/KILLIAS, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 2 LCart p. 153-155 no 30-35 ; LEHNE, op. cit., art. 2 p. 79 ss no 14 ss). Pour le surplus, le droit et la pratique suisses sont muets sur la question des relations d’agence au regard de la loi sur les cartels. Dans ce contexte, le droit de l’Union européenne peut fournir une piste d’interprétation utile, la mise en œuvre d’une politique analogue à celle de l’Union européenne dans le domaine des accords verticaux correspondant, comme dit ci-dessus, à la volonté du législateur (cf. supra consid. 5.3).

      En droit européen, lorsqu’un agent peut conclure ou négocier des contrats pour le compte d’un commettant dans le but notamment de vendre des biens ou des services fournis par celui-ci, la dépendance économique et organisationnelle de l’agent vis-à-vis du commettant peut faire obstacle à l’application des dispositions relatives aux accords verticaux en matière de concurrence (points 12 ss lignes directrices). Ces deux entités, bien que juridiquement distinctes, sont en effet considérées comme ne formant qu’une seule unité économique, les activités de l’agent n’ayant aucune influence sur le marché (cf. arrêt de la CJCE du 4 mai 2007 C-217/05 Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio contre Compañia de Petróleos, Rec. I-11997 point 39 ss ; arrêt du TPICE du 15 septembre 2005 T-325/01 Daimler-Chrysler contre Commission, Rec. 2005 II-3319 point 86 ss). L’indépendance de l’agent s’examine à l’aune des risques qu’il supporte (point 13 lignes directrices ; cf. arrêt Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio précité point 43). Sont pertinents pour la définition d’un contrat d’agence les risques propres à chaque contrat, les risques liés aux investissements propres au marché et les risques liés à d'autres

      activités menées sur le même marché de produits, dans la mesure où le commettant demande à l'agent de se charger de ces activités non pas pour son compte mais à ses propres risques (cf. point 14 lignes directrices).

      L'accord sera considéré comme un contrat d'agence si l'agent ne supporte aucun risque ou n'en supporte qu'une partie négligeable en rapport avec les contrats qu'il conclut et/ou négocie pour le compte du commettant, avec les investissements propres au marché pour ce domaine d'activité ou avec les autres activités que le commettant lui demande d'exercer sur le même marché de produits. Toutefois, les risques qui sont attachés aux prestations de services d'agence en général, comme le risque que les revenus de l'agent soient subordonnés à sa réussite en tant qu'agent ou les investissements généraux dans un local ou du personnel par exemple, ne sont pas pertinents pour cette appréciation (cf. point 15 lignes directrices).

      Selon le point 16 des lignes directrices, un accord sera généralement aussi considéré comme un contrat d'agence lorsque l'agent n'est pas investi de la propriété des biens contractuels achetés ou vendus ou lorsqu'il ne fournit pas lui-même les services contractuels. Tel n’est toutefois pas le cas notamment lorsque l’agent tient, à ses propres frais ou risques, un stock de biens contractuels et notamment lorsqu’il supporte le coût de financement des stocks ou le coût lié à la perte des stocks ou qu’il ne peut retourner au commettant, sans frais, les invendus (cf. point 16 let. b lignes directrices a contrario).

      Ainsi, lorsque l’agent n’assume aucun risque résultant des contrats négociés ou conclus pour le compte du commettant, il opère comme un auxiliaire intégré dans l’organisation économique de celui-là et les dispositions européennes relatives aux accords verticaux en matière de concurrence ne sont par conséquent pas applicables à leur relation contractuelle (cf. arrêt Daimler-Chrysler précité point 86 ; WHISH/BAILEY, op. cit., p. 97 ss). Enfin, les risques assumés par l’agent doivent être examinés in concreto (cf. arrêt Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio précité point 46). En effet, si ceux-ci s’avèrent négligeables, la relation d’agence ne peut pas être exclue (cf. arrêt Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio précité point 61).

    3. En l’espèce, l’autorité inférieure a retenu que, selon les art. 4 et 8 des contrats conclus entre la recourante et OLF, celle-ci supportait

      entièrement le risque de ducroire. Celui-ci étant spécifique aux contrats passés avec les libraires, la relation d’agence ne pouvait dès lors être admise. Elle a ajouté que les risques liés au stockage étaient également assumés par OLF, qui était tenue d’assurer les ouvrages et qui répondait d’une éventuelle différence de stock lors de l’inventaire. De même, cellelà aurait procédé à des investissements importants en lien avec la distribution des ouvrages. Enfin, elle relève que OLF importe et distribue - sur la base de contrats-types établis par elle - non seulement le catalogue du groupe Editis mais également celui des éditions des 5 frontières, des Editions Flammarion, de Editions Glénat et d’autres éditeurs pour lesquels elle assure également la diffusion. OLF n’est donc nullement un partenaire exclusif du groupe Editis et ne peut être considérée comme un « organe auxiliaire intégré » dans cette entreprise au sens de la jurisprudence européenne.

      Selon la recourante, OLF n’opère pas sur le marché en tant qu’acteur indépendant. A l’appui, elle se réfère tout d’abord à un rapport de l’autorité inférieure, dans lequel celle-ci avait notamment exposé, en lien avec le prix de vente des journaux dans les pays limitrophes, que la loi sur les cartels n’avait - eu égard à la structure du réseau de distribution des journaux étrangers - pas d’instruments pour agir car il s’agissait la plupart du temps d’accords internes à un groupe (cf. rapport annuel 2011 de la COCMO, publié in : DPC 2012/1, p. 21 ss, spéc. p. 34). Or, la recourante fait valoir que la structure de son réseau de distribution est identique à celle de la distribution des journaux, à savoir : pas de transfert de propriété de la marchandise, droit de retour, rémunération des prestations logistiques fournies, négociation des conditions de vente. Elle ajoute également qu’il ressort du contrat passé avec OLF en 2008 que le risque de ducroire peut être contrôlé et ainsi minimisé par un mécanisme de compensation de créances et un système de fermeture préventive de comptes de clients dont la solvabilité présente un risque. OLF perçoit en outre, à ce titre, une rémunération adéquate, ce qui tend à réduire, voire annihiler ce risque. Selon la recourante, en recourant au terme

      « ducroire », les parties entendaient avant tout imposer à OLF une obligation de recouvrement des créances sur les clients suisses. Dite obligation concerne un autre marché que celui faisant l'objet de la présente procédure : en offrant ses services d'encaissement de créances, OLF s'adresserait en fait aux commettants potentiels que sont les diffuseurs et non aux libraires. La recourante prétend encore que, même si l'on devait retenir qu'un risque de ducroire existe pour OLF, celui-ci ne pourrait être qualifié de « substantiel » ou de « sensible » comme l’exige la jurisprudence européenne pour qualifier un tel acteur d’opérateur

      indépendant. Enfin, la recourante relève que c’est elle qui négocie les contrats avec les acheteurs en Suisse, organise et finance l’importation des livres (logistique, dédouanement, TVA) et supporte le risque commercial lié à la vente (ou non) des livres. Elle rémunère OLF pour ses prestations logistiques [ ]. Elle reste propriétaire des livres ; OLF n’en devient jamais propriétaire et ne peut donc pas non plus les importer - ce que celle-ci aurait par ailleurs confirmé par écrit. Ceci étant, la recourante soutient qu’on ne peut déceler un quelconque risque économique que dans le risque de ducroire, supporté dans une moindre mesure.

    4. Partant, il sied d’examiner la nature des relations contractuelles entre la recourante et OLF et de déterminer si celles-ci relèvent d’un contrat d’agence ou non, c’est-à-dire examiner si OLF opère ou non comme un simple auxiliaire intégré dans l’organisation économique de la recourante en tenant compte des risques concrets supportés par OLF.

      En l’occurrence, aux termes du contrat daté du 3 septembre 2008 (acte 513 p. 6 du dossier de la Comco [ci-après : acte]), OLF s’est engagée à réceptionner et stocker les ouvrages de la recourante, recevoir et traiter les commandes qui lui sont transmises directement par les clients ou par la recourante, livrer les ouvrages correspondants dans toute la Suisse et les facturer selon les instructions données par la recourante (cf. art. 4 let. a-c). OLF gère également le retour des ouvrages ; elle applique pour ce faire la politique commerciale de la recourante et veille à ce que seuls les ouvrages en parfait état de vente et dans les délais de retour soient repris et crédités aux revendeurs (cf. art. 4 let. f). Plus particulièrement, l’art. 4 let. d prévoit que OLF assume le risque de ducroire vis-à-vis de la recourante ; la portée de cette obligation est précisée à l’art. 8 : « En vertu de l’article 4 point d), OLF assure l’entière responsabilité du recouvrement des créances sur les clients suisses. Il est toutefois prévu que les ouvertures de comptes, demandées par Interforum à OLF, seront acceptées par OLF sauf si celle-ci a prévenu à l’avance de l’insolvabilité du client ou de contentieux antérieurs. Les fermetures de comptes sont effectuées par OLF qui doit au préalable demander son accord à Interforum. Ce dernier pourra soit accepter, soit demander la fourniture sous sa propre responsabilité. De plus, les bénéfices et coûts des délais de paiement réduits ou prolongés par rapport au délai de paiement du client, accordé par Interforum ou OLF, seront, après accord préalable des deux parties, répercutés intégralement par OLF lors de son règlement mensuel à Interforum ». De même, OLF doit verser mensuellement à la recourante l’équivalent du prix net des produits facturés aux revendeurs quand bien même ceux-ci ne se seraient pas acquittés des montants

      éventuellement dus auprès de OLF (cf. art. 6). En outre, les risques inhérents au stockage des ouvrages sont à la charge de OLF qui assume les conséquences d’un éventuel sinistre ainsi que les différences de stock constatées lors de l’inventaire physique ; de même, OLF gère le suivi du stock dont elle doit limiter les ruptures (cf. art. 4 let. e, k et I). Il convient encore de relever que les parties sont convenues que la propriété des ouvrages ne passait pas à OLF (cf. art. 4 let. a en lien avec let. e), ce que celle-ci a par ailleurs confirmé, à la demande de la recourante, dans une lettre du 11 juillet 2014 (cf. supra let. L) ; la rémunération de OLF découle de [ ] (cf. art. 5). Enfin, OLF ne participe pas à la politique commerciale et à la promotion des ouvrages, [ ] (cf. art. 9 al. 1 et 2). Le contrat daté du 27 février 1996 contient des dispositions similaires (acte 516 p. 2 ss).

      Il ressort de ce qui précède que la recourante conserve la maîtrise de sa politique commerciale ; OLF, qui n’acquiert pas la propriété des livres, répond aux commandes des clients et ne peut refuser de les servir, sauf exceptions. La liberté commerciale de OLF est de ce point de vue quasi nulle. Néanmoins, le risque inhérent à la vente des ouvrages - à savoir le paiement du prix - est supporté par OLF dès lors qu’elle assume le potentiel défaut de paiement de la marchandise. La recourante est, quant à elle, totalement libérée de ce risque puisque OLF est tenue de lui verser les montants facturés indépendamment du règlement de ceux-ci par l’acheteur. Aussi, le risque résultant des contrats de vente échoit pleinement à OLF, qui assume la non-exécution du contrat par l’acheteur. De plus, celui-là ne saurait être qualifié de négligeable en tant qu’il est inhérent à chaque contrat passé avec les libraires ; peu importe à cet égard avec quelle occurrence il est susceptible de se réaliser. La rémunération de ce risque inclue, selon la recourante, dans la commission versée à OLF atteste d’ailleurs de son importance économique. Dite rémunération - de même que la compensation des créances - ne saurait davantage être un critère pertinent pour admettre que ce risque devrait être négligé, la survenance du risque de ducroire n'étant, comme le relève l’autorité inférieure, pas liée à l'indemnisation. De même, la fermeture de comptes de clients dont la solvabilité présente un risque ou la reprise de celui-ci par la recourante ne permet pas de minimiser davantage le risque encouru par OLF que celui supporté par n’importe quel opérateur indépendant. Enfin, OLF est tenue d’indemniser la recourante dans l’hypothèse d’un sinistre ou d’un vol affectant les ouvrages confiés. Aussi, une fois les ouvrages réceptionnés, OLF se retrouve vis-à-vis de la recourante dans la position d’un opérateur indépendant. Pour finir, comme le relève l’autorité inférieure, la structure du réseau de distribution des journaux n'est pas guidée par la même

      économie entre les différents acteurs concernés. A la différence des livres, les journaux sont « périmés » le lendemain même de leur parution, si bien que les revendeurs ne conservent pas un stock de journaux. Les kiosques ne fonctionnent pas non plus selon un système de commandes et de livraisons comme se doivent de l’assumer les revendeurs dans le marché du livre.

      Il suit de ce qui précède que OLF supporte des risques économiques similaires à ceux d’un opérateur indépendant, si bien qu’elle n’agit pas sur le marché comme un agent de la recourante au sens du droit suisse mais bien comme un distributeur économiquement indépendant. L’existence d’un rapport d’agence doit en l’espèce être exclue.

    5. Ainsi, il y a en l’occurrence lieu d’admettre que l’engagement litigieux pris par la recourante auprès de OLF, tendant à faire ses meilleurs efforts pour que des importations directes ou indirectes de France (hors Interforum) via des grossistes ou assimilés ne puissent être entreprises pour le marché suisse, affecte les canaux d’écoulement et d’approvisionnement sur le marché du livre écrit en français. Dit engagement était en outre contenu dans des conventions au sens de l’art. 1 ss CO (cf. supra let. A.b ; actes 513 et 516), passées en 1996 et en 2008, entre deux entreprises au sens de l’art. 2 al. 1bis LCart. Il suit de là que le groupe Editis a été partie, durant la période soumise à l’enquête, à des accords visant une restriction à la concurrence au sens de l’art. 4 al. 1 LCart pour l’ensemble des fonds diffusés par la recourante en Suisse. Un tel constat ne dit toutefois encore rien sur le caractère illicite ou non des accords, lequel devra être examiné sous l’angle de l’art. 5 LCart.

      Sur le vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que le groupe Editis a, durant la période de l’enquête, passé des accords en matière de concurrence au sens de l’art. 4 al. 1 LCart avec OLF.

  7. Présomption de suppression de la concurrence efficace (art. 5 al. 4 LCart)

    Les accords verticaux en matière de concurrence sont présumés entraîner la suppression d’une concurrence efficace au sens de l’art. 5 al. 4 LCart quand ils ont notamment pour objet l’attribution de territoires, lorsque les ventes par d’autres fournisseurs agréés sont exclues (accord d'attribution de territoires de distribution absolue [ATD] ou accord de protection territoriale absolue ; cf. ch. 10 par. 1 let. b CommVert).

    1. L'art. 5 al. 4 LCart, entré en vigueur le 1er avril 2004 (cf. RO 2004 1385, p. 1386), a été introduit au stade des débats parlementaires relatifs à la révision de la LCart de 2004. L'ajout de cette disposition est un reflet de la discussion publique relative à la lutte contre l'îlot de cherté suisse (Hochpreisinsel Schweiz ; cf. Message du Conseil fédéral du 7 novembre 2001 relatif à la révision de la loi sur les cartels [FF 2002 1911 ; ci-après : message LCart 2001] p. 1920 ss ; Schneider BO 2002 N 1435 ; Strahm BO 2002 N 1438 ; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence,

      op. cit., art. 5 LCart p. 553 no 527). L'art. 5 al. 4 LCart a ainsi introduit de

      nouveaux faits constitutifs d’une infraction, dans le but d’empêcher notamment le cloisonnement du marché suisse - en particulier, l’interdiction des ventes passives à des distributeurs ou à des clients finaux - ainsi que de favoriser la concurrence sur le plan intramarque (cf. consid. IV et ch. 10 par. 1 let. b CommVert). Cette disposition vise ainsi d’une part, à empêcher qu'un partenaire de distribution soit protégé de la concurrence provenant d'autres partenaires de distribution souhaitant vendre les produits contractuels sur le territoire qui lui a été alloué. D'autre part, elle tend à empêcher qu'un fournisseur puisse fixer librement des prix différents selon les territoires de distribution, dès lors qu'un tel procédé suppose un cloisonnement du marché (cf. ROGER ZÄCH, Die sanktionsbedrohten Verhaltensweisen nach Art. 49a Abs. 1 KG, insbesondere der neue Vermutungstatbestand für Vertikalabreden, in : Kartellgesetzrevision 2003, Neuerungen und Folgen, 2004, [Kartellgesetzrevision 2003] p. 41).

      Selon l'ancien Conseiller aux Etats Schiesser, rapporteur de la commission dont découle la proposition acceptée par la majorité, un contrat de distribution par lequel un producteur s'engage, auprès de ses distributeurs dans les territoires individuels attribués, à veiller à ce que ses distributeurs dans les autres territoires réservés ne procèdent à aucune vente dans le territoire attribué en question constitue, si tant est qu'il soit respecté, un système de protection territoriale infaillible, la concurrence sur le plan intramarque étant ainsi supprimée. Selon la jurisprudence européenne, une telle protection territoriale absolue n'existe pas si les ventes passives dans d'autres territoires attribués sont autorisées. Un producteur n'a dès lors pas le droit de faire figurer dans ses contrats de distribution un tel engagement. Si des clients d'autres territoires attribués prenaient contact avec un distributeur contractuellement lié, alors il doit être autorisé à celui-ci, de vendre et de livrer dans l'autre territoire attribué et il ne peut pas le lui être interdit par le producteur (cf. Schiesser, BO 2003 E 329).

      L'ancien Conseiller fédéral Deiss a également déclaré, au cours des débats relatifs à la modification de la loi sur les cartels, que les contrats de concession exclusive (Alleinvertriebsverträge) prévoyaient une certaine protection territoriale qui devait pouvoir rester licite aussi longtemps qu'elle n'avait pas un caractère absolu, c’est-à-dire tant que des ventes passives étaient possibles en dehors du territoire prévu par le contrat, soit tant que tout commerce parallèle n'était pas impossible (cf. Deiss BO 2003 E 331). En d'autres termes, une protection territoriale devient absolue - et, partant, tombe sous le coup de l'art. 5 al. 4 LCart - si un distributeur est empêché par le producteur de procéder à des ventes passives dans le territoire attribué à un autre distributeur (cf. Schiesser BO 2003 E 329 ; Büttiker BO 2003 E 330 ; ég. JULIA ANNE XOUDIS, Les accords de distribution au regard du droit de la concurrence : droit suisse et droit communautaire dans une perspective économique, 2002, p. 35 ; GION GIGER, "Jovani", Urteil des Handelsgerichts Zürich vom

      17. Mai 2010, Kartellrechtliche Zulässigkeit eines Verbots von Direktbelieferungen durch den Lieferanten, sic! 10/2011, p. 574 ss). Il s’ensuit qu’il est interdit au producteur de restreindre la concurrence sur le plan intramarque entre ses distributeurs en garantissant une protection territoriale absolue.

    2. L’art. 5 al. 4 LCart est inspiré du droit européen, plus précisément de l'art. 4/b 1er tiret du règlement (CE) no 2790/1999 de la commission du 22 décembre 1999 concernant l'application de l'art. 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, JO L 336/21 du 29.12.1999 - remplacé le 1er juin 2010 par le règlement (UE) no 330/2010 de la commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101 paragraphe 3 TFUE, JO L 102/1 du 23 avril 2010 (ciaprès : règlement d'exemption par catégorie ou REC) - dont la teneur est la suivante : « l'exemption prévue à l'article 2 ne s'applique pas aux accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d'autres facteurs sous le contrôle des parties, ont notamment pour objet : la restriction concernant le territoire dans lequel, ou la clientèle à laquelle, l'acheteur peut vendre les biens ou services contractuels, sauf notamment : la restriction des ventes actives vers un territoire exclusif ou à une clientèle exclusive réservés au fournisseur ou concédés par le fournisseur à un autre acheteur, lorsqu'une telle restriction ne limite pas les ventes de la part des clients de l'acheteur ». Les règlements d'exemption par catégorie constituent une particularité du droit européen de la concurrence. Ils énoncent - notamment pour les accords verticaux - les conditions auxquelles une exemption au sens de

      l'art. 101 par. 3 TFUE est accordée (cf. VINCENT MARTENET/ANDREAS HEINEMANN, Droit de la concurrence, 2012, p. 47 ss).

      En adoptant l’art. 5 al. 4 LCart, le législateur n'a pas souhaité introduire un régime plus sévère que celui aménagé par le droit communautaire (cf. Deiss BO 2003 E 322 ss). Il voulait en effet une réglementation matérielle identique entre le droit suisse et le droit européen de la concurrence en lien avec les accords verticaux. Dès lors, il convient d'interpréter cette nouvelle disposition à la lumière du REC et des lignes directrices en tenant compte des spécificités propres à l'art. 5 al. 4 LCart (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 6.2.3 ; ZÄCH, in: Kartellgesetzrevision 2003, op. cit., p 42 ; SILVIO VENTURI/CHRISTOPH VONLANTHEN, in : Les

      accords de distribution, 2005, p. 136 no 46). Il s’ensuit que les contrats de

      distribution licites au regard du droit européen des cartels doivent également être considérés comme licites en Suisse (cf. arrêt du TAF B-5685/2012 précité Altimum consid. 4.2.1).

    3. La mise en œuvre de la présomption de l'art. 5 al. 4 LCart implique la réalisation de trois prémisses.

      Premièrement, dite disposition exige l'existence d'un contrat de distribution (cf. ch. 6 de la note explicative ; ATF 143 II 2997 Gaba consid. 6.3.1 et 129 II 18 Sammelrevers consid. 4 ; Comco, DPC 2010

      p. 65, Gaba, ch. 87 ss ; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 526 et 564 ss no 379 et 586 ss ; MARC AMSTUTZ/MANI REINERT, Vertikale Preisund Gebietsabreden - eine kritische Analyse von Art. 5 Abs. 4 KG, Jusletter du 27 septembre 2004 [Vertikale Preisund Gebietsabreden], no 28 ss). Par contrat de distribution, il y a lieu d’entendre non seulement les contrats de distribution à proprement parler mais également les clauses individuelles contenues dans d’autres contrats, tels que des contrats de franchise ou de licence (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 6.3.1). Il n’est pas nécessaire que le contrat de distribution soit d’un certain type, tel qu’un contrat de distribution exclusive ou sélective (cf. ch. 4 CommVert ; ch. 6 de la note explicative ; ATF 143 II 297 Gaba consid. 6.3.1).

      Deuxièmement, une attribution - directe ou indirecte (cf. ch. 6 de la note explicative ; arrêt du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon consid. 7.3.2) - de territoires à un ou plusieurs distributeurs doit découler dudit contrat de distribution (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 6.3.2). La présomption s'applique expressément à la répartition des marchés sur la base de territoires uniquement et non sur la base de la clientèle

      (cf. Büttiker BO 2003 E 330 ; AMSTUTZ/REINERT, Vertikale Preisund Gebietsabreden, op. cit., no 70 ; ATF 143 II 297 Gaba consid. 6.3.2). Ceux-ci peuvent être locaux, régionaux, suprarégionaux ou encore nationaux (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 566 no 594). La loi n'exige par ailleurs pas l'attribution exclusive d'un territoire de vente à un seul distributeur (cf. arrêt du TAF B-581/2012 précité Nikon consid. 7.3.3).

      Troisièmement, l'accord doit entraîner une exclusion des ventes dans les territoires attribués (cf. ch. 10 par. 1 let. b CommVert et ch. 6 de la note explicative ; ATF 143 II 297 Gaba consid. 6.3.4 ss). L'art. 5 al. 4 LCart appréhende uniquement et spécifiquement l'exclusion des ventes passives et non tout accord quelconque de cloisonnement du marché (Marktabschottung ; cf. Couchepin BO 2002 N 1434 ss). L'interdiction des ventes actives ne tombe ainsi pas dans le champ d'application de la présomption (cf. ch. 10 par. 1 let. b CommVert a contrario ; Schiesser, BO 2003 E 329 ss ; ATF 143 II 297 Gaba consid. 6.3.4 ; arrêt du TAF B-581/2012 précité Nikon consid. 7.3.1 ; PATRICK L. KRAUSKOPF/OLIVIER SCHALLER, in : BSK-KG, op. cit., art. 5 p. 437 ss

      no 554 ss ; ROGER ZÄCH, Schweizerisches Kartellrecht, 2e éd. 2005,

      [Kartellrecht] p. 226 ss no 469 ss; AMSTUTZ/REINERT, Vertikale Preisund Gebietsabreden, op. cit., no 70). Par ventes passives, on entend notamment le fait de satisfaire des demandes non sollicitées, émanant de clients individuels (clients finaux ou distributeurs) établis sur le territoire alloué exclusivement par le fournisseur à un autre distributeur, y compris la livraison de biens ou la prestation de services demandés par ces clients (cf. point 51 lignes directrices ; ch. 3 CommVert ; ATF 143 II 297 Gaba consid. 6.3.5 ; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 568 no 607).

      L’art. 5 al. 4 LCart s'applique sans équivoque à l'exclusion directe des ventes passives, telle que l'obligation faite au distributeur de ne pas vendre à des clients situés sur certains territoires ou de transmettre à d'autres distributeurs les commandes provenant de clients situés sur un territoire qui ne lui a pas été attribué (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 569 no 612 ss ; ROLF H. WEBER/STEPHANIE VOLZ, Fachhandbuch Wettbewerbsrecht, 2013, p. 116 no 2.259 ; LUCAS DAVID/RETO JACOBS, Schweizerisches Wettbewerbsrecht, 5e éd., 2012, no 669 ; point 50 lignes directrices). L'art. 5 al. 4 LCart s'applique également à l'exclusion indirecte des ventes passives dans les territoires réservés (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 570 no 615 ; ZÄCH, Kartellrecht,

      op. cit., p. 226 no 469 ; KRAUSKOPF/SCHALLER, in : BSK-KG, op. cit., art. 5

      p. 437 no 554 ss; CHRISTIAN KAUFMANN, Wettbewerbsrechtliche Behandlung vertikaler Abreden, 2004, p. 142 ; cf. également ch. 10 par. 1 let. b et 10 par. 2 CommVert ; point 50 lignes directrices), laquelle peut être mise en œuvre par un refus ou une réduction de primes, de bonus ou de rabais, une réduction des quantités livrées, une limitation des livraisons à la demande ou un arrêt des livraisons ou encore une menace de résiliation du contrat en cas de ventes dans des territoires réservés à d'autres distributeurs, lorsque ces mesures entraînent un accord exprès ou tacite entre producteur et distributeur sur le fait que des ventes passives ne peuvent avoir lieu dans des territoires réservés. On peut encore citer une exigence de prix plus élevés pour les produits vendus sur les territoires réservés ainsi que la limitation de la part des produits, des obligations de restituer les gains et, plus généralement, des obligations de compensation, un refus d’accorder une garantie, une obligation d’obtenir une autorisation ou encore des formulations équivoques ou imprécises (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CRConcurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 570 ss no 616 ss ; KRAUSKOPF/SCHALLER, in : BSK-KG, op. cit., art. 5 p. 437 ss no 554 et 569 ss ; point 50 lignes directrices). De telles pratiques peuvent également être soutenues par des « mesures d’accompagnement », telles qu’un système de surveillance afin de vérifier le lieu de destination réel des marchandises livrées. A elles seules, celles-là ne permettent toutefois pas d’établir une exclusion des ventes dans les territoires attribués (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 572 ss no 624).

    4. Contestant la réalisation desdites conditions d’application de la présomption, la recourante fait tout d’abord valoir que OLF n’est pas un distributeur au sens de l’art. 5 al. 4 LCart. Elle prétend en effet que le contrat la liant à OLF n’est pas un contrat de distribution au sens ordinaire. Le terme de « distributeur » au sens du commerce de livres français se distinguerait de celui employé en droit des cartels, visant un partenaire de distribution exclusif. Selon la recourante, il n’existerait aucun rapport vertical entre elle, respectivement le groupe Editis, et OLF sur le marché de la diffusion-distribution des livres du groupe en Suisse. Se référant à la décision Lagardère rendue par la Commission européenne et à l’expertise Y. , elle soutient en effet que l’activité de distribution confiée à OLF ne représente pas un échelon de marché indépendant dans la chaîne de valeur de la distribution en Suisse des livres du groupe Editis. OLF est certes active sur un autre échelon de marché mais celui-ci concerne une chaîne de valeur différente, à savoir

      un marché de services. Dans ce sens, il n’existerait entre la recourante et OLF aucun accord vertical mais un accord congloméral : OLF fournit, en qualité de sous-traitant, des services de logistique et de facturation à la recourante. En tant que diffuseur, celle-ci est seule responsable de la distribution en Suisse des ouvrages édités par le groupe Editis.

      L’autorité inférieure rétorque que la qualité de producteur de l'un des partenaires à l'accord crée un rapport de verticalité. La recourante faisant partie d’un groupe d’entreprises non seulement actif dans la production mais également en charge de la distribution de plusieurs éditeurs externes au groupe, les principes de l’analyse sont, en l’espèce, indubitablement ceux d’une double distribution, laquelle s’examine à l’aune de l’art. 5 al. 4 LCart. Cette situation entraîne l'existence d'un accord entre des entreprises occupant différents échelons du marché. L'autorité inférieure soutient ainsi qu'il existe un contrat de distribution - intitulé par ailleurs comme tel - entre le groupe Editis et OLF, aux termes duquel les parties se sont entendues sur la distribution par la seconde des ouvrages produits par le premier. Pour le reste, elle relève qu’il y a naturellement un marché de services dans la branche du livre mais que, comme dans les autres secteurs, celui-là n’existe que par l’existence d’un marché de la vente entre différents échelons - wohlesale et retail. Quant à la décision Lagardère, elle indique que le recours à la notion de conglomérats s’inscrit exclusivement dans l’analyse des effets de la concentration d’entreprises projetée. Il n’y a aucun lien avec un quelconque type d’accords et encore moins avec la notion d’accord de distribution de l’art. 5 al. 4 LCart.

      1. Les contrats de distribution au sens de l’art. 5 al. 4 LCart n’englobent que les accords en matière de concurrence verticaux, à l’exclusion des accords congloméraux.

        Un accord est vertical lorsqu’il est passé entre des entreprises actives à différents échelons du marché, comme par exemple un producteur et un distributeur ou un grossiste. Les accords verticaux portent sur les conditions auxquelles les entreprises participantes peuvent acheter, vendre ou revendre certaines marchandises ou services ; ils concernent alors la relation fournisseur-client. Les accords verticaux se présentent pratiquement exclusivement sous la forme d’accords de distribution (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart

        p. 557 no 549 ss ; KRAUSKOPF/SCHALLER, in : BSK-KG, op. cit., art. 4 al. 1

        p. 177 ss no 139 et art. 5 p. 428 no 479 ss). Un accord en matière de concurrence est en revanche congloméral (ou diagonal) lorsqu’il est

        passé entre des entreprises qui n’entretiennent ni un rapport de concurrence ni un rapport de fournisseur-client au sens étroit mais qui sont actives sur des marchés différents. Ces relations sont similaires à celles qui sont à la base des concentrations conglomérales (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 4 al. 1 LCart p. 225 no 17 ; THOMAS ULRICH, Begründung oder Versträkung einer marktbeherrschenden Stellung in der schweizerischen Fusionskontrolle, in : SSHW - Schweizer Schriften zum Handels- und Wirtschaftsrecht vol. no 229, 2004, p. 36 ss, spéc. p. 40 ss ; ADRIEN ALBERINI, Le transfert de technologie en droit communautaire de la concurrence - Mise en perspective avec les règles applicables aux accords de recherche et développement, de production et de distribution, in : Collection genevoise, 2010, p. 130 ss, spéc. p.150 ; cf. également les Lignes directrices sur l'appréciation des concentrations non horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises [ConcNH], JO C 265 du 18 octobre 2008, ch. 91).

      2. Dans la décision Lagardère, citée par la recourante et portant sur une opération de concentration d’entreprises dans le secteur du livre, la Commission européenne a notamment retenu que, « à la différence de nombreux secteurs, la commercialisation des livres n'est pas toujours intégrée aux activités propres des éditeurs, mais est souvent sous-traitée à des diffuseurs et distributeurs, qui réalisent ces fonctions de commercialisation pour le compte de tiers. [ ] Les éditeurs [ ] [ayant] [ ] recours à un diffuseur et à un distributeur externes, [ ] concluent [ ] un contrat exclusif avec un seul prestataire qui assure lui-même la diffusion auprès de l'ensemble des revendeurs et l'intégralité de la distribution. A ce titre, la diffusion et la distribution sont des services offerts à des éditeurs. [ ] le diffuseur/distributeur est un prestataire de services pour l’éditeur [ ] » (cf. ch. 115, 117 et 121 Lagardère). La commission indique également que « l'enquête [ ] a montré que les grossistes sont actifs sur le marché de la vente de livres [ ] et ne [peuvent] donc pas être considérés comme des offreurs sur les marchés de la diffusion et de la distribution. En effet, par définition, un grossiste est censé acheter des livres à des éditeurs pour les revendre. A ce titre, il est client de l'éditeur et en principe complètement indépendant de celui-ci ; il supporte donc le risque commercial. Autrement dit, les grossistes [ ] ne sont pas des prestataires de services pour les éditeurs mais des clients de ceux-ci, qui opèrent sur le marché aval pour leur propre compte et à leur propre risque commercial, leur rémunération étant basée sur la différence entre la remise qu'ils perçoivent des éditeurs et celle qu'ils accordent aux clients [ ] » (cf. ch. 128 Lagardère). Ceci étant, la

        recourante en déduit qu’un prestataire de services n’opère ni sur un marché en amont ni sur un marché en aval d’une chaîne de valeur verticale. Il n’est, en tant que tel, pas un élément de cette chaîne, contrairement au grossiste. Un accord passé avec un tel prestataire de services serait dès lors un accord congloméral, celui-là n’étant pas considéré comme un client (Händler) au sens du droit européen des accords verticaux (cf. décision COMP/M.2978 de la Commission européenne du 7 janvier 2004, Lagardère/Natexis/VUP).

      3. Ainsi, il y a lieu de déterminer si OLF constitue un échelon indépendant dans la chaîne de distribution en Suisse des livres du groupe Editis et de ceux des éditeurs et/ou distributeurs indépendants dont la recourante a été chargée de la distribution sur ce territoire, ou si elle est active sur un marché congloméral.

        Les contrats en cause - qui, contrairement à ce que laisse entendre la recourante, sont régis par le droit suisse (cf. art. 13 ; actes 513 p. 10 et

        516 p. 13) - sont intitulés « contrats de distribution ». Ainsi, l’article premier desdits contrats prévoit que la recourante confie à OLF la distribution en Suisse des ouvrages contractuels (actes 513 p. 6 et 516

        p. 2). Il a été exposé plus haut que les détaillants ouvraient leur compte auprès de OLF et passaient directement commande auprès d’elle, laquelle gérait seule la vente effective des ouvrages, soit la livraison, la facturation et l’encaissement ; de même, OLF gérait le flux physique des ouvrages, les stocks et le réassort des produits (cf. supra consid. 6.5). Ce faisant, il n’est pas déterminant que la propriété des livres ne soit pas transférée mais bien que les tâches effectives de OLF sur le marché soient celles d’un distributeur (indépendant). Quant à la décision Lagardère à laquelle se réfère la recourante, outre le fait que celle-là ne concerne pas un distributeur au sens de l’art. 4/b 1er tiret REC 330/2010 mais une opération de concentration d’entreprises dans le secteur du livre, la constellation d’espèce est différente en ce sens qu’il n’y a pas de grossistes actifs dans la chaîne de distribution des livres du groupe Editis en Suisse et qu’il appartient dès lors à OLF d’assumer, outre les services typiques liés à l’activité de distribution dont se prévaut la recourante, les risques de stockage et ceux liés à la vente des livres. Il s’ensuit qu’il y a lieu de retenir que OLF représente un échelon indépendant dans la chaîne de distribution des livres du groupe Editis en Suisse.

      4. Ceci étant, il sied de préciser que l’art. 5 al. 4 LCart vise les accords passés entre des entreprises occupant différents échelons du marché. A l’inverse, l’art. 5 al. 3 LCart vise ceux passés entre des entreprises

        effectivement ou potentiellement en concurrence. Dans la configuration propre aux contrats de distribution en cause, l'éditeur fait office de

        « producteur » des livres écoulés par OLF. En cas de double distribution - lorsque, comme en l’espèce, le producteur (le groupe Editis) est également actif dans la distribution de ses produits sur d’autres territoires - l’accord possède à la fois une composante verticale et horizontale (cf. KRAUSKOPF/SCHALLER, in : BSK-KG, op. cit., art. 5 p. 435 no 541). Toutefois, seul l’art. 5 al. 4 LCart trouve application dans ce cas (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart

        p. 557 ss no 554 ; KRAUSKOPF/SCHALLER, in : BSK-KG, op. cit., art. 5

        p. 435 no 541), le producteur agissant en tant qu’entreprise située en amont du distributeur (cf. ég. en droit européen, art. 2 ch. 4 let. a et b du règlement d’exemption par catégorie).

      5. Partant, l’accord conclu entre le groupe Editis - producteur - et OLF - distributeur - doit être considéré comme un accord vertical en tant qu’il est passé entre des entreprises occupant différents échelons du marché. Dès lors que le groupe Editis a confié à OLF la distribution de son catalogue, l’accord en cause est un contrat de distribution, réalisant de ce fait la première prémisse à l’application de l’art. 5 al. 4 LCart. Il en va de même pour les ouvrages des éditeurs et/ou distributeurs tiers dont la recourante a été chargée de la diffusion-distribution pour la Suisse. La verticalité est en effet, dans ce cas, également donnée dès lors que le système de distribution de la recourante doit être considéré dans son ensemble.

          1. Persistant dans l’idée que OLF ne serait qu’un simple prestataire de services, la recourante soutient ensuite qu’il n’y a pas d’accord d’attribution de territoire au sens de l’art. 5 al. 4 LCart ni d’exclusivité. Elle relève en effet que, le contrat convenu avec OLF portant uniquement sur des services de logistique et de facturation, il n’est pas apte à attribuer des territoires en vue d’empêcher les ventes passives ; l’attribution du territoire peut seulement concerner les services en question. Se référant encore à l’arrêt Gaba du tribunal de céans (cf. arrêt du TAF B-506/2010 précité Gaba consid. 8.2.1) et à l’expertise Y. , la recourante relève que les conditions de l’art. 5 al. 4 LCart seraient uniquement réunies si un territoire était attribué, directement ou indirectement, à l’une des « parties à l’accord », à savoir les détaillants en Suisse ou les acheteurs indépendants à l’étranger. Or, en l’espèce, aucune obligation d’achat en Suisse n’a été imposée aux libraires suisses et il n’y a eu aucune attribution de territoire de vente aux grossistes ou revendeurs étrangers. Enfin, se fondant toujours sur l’expertise Y. , la

            recourante prétend que l’article premier des contrats passés avec OLF en 1996 et 2008 ne doit pas être qualifié d’accord d’attribution de territoire au sens de l’art. 5 al. 4 LCart mais de simple instruction tendant à ce que OLF couvre la totalité du territoire suisse avec ses prestations logistiques. Dite clause contractuelle ne viserait pas à influencer un comportement futur de OLF sur le marché en modifiant ses incitations, comme cela peut être le cas d’un accord au sens du droit des cartels. En effet, dès lors que OLF est rémunérée [ ].

            1. L’article premier des contrats passés avec OLF, datés respectivement de 1996 et 2008 (actes 513 p. 6 et 516 p. 2), prévoit que

              « INTERFORUM confie à OLF, qui accepte, la distribution en Suisse des ouvrages des Maisons d’Edition et/ou des Distributeurs qui ont euxmêmes confié à INTERFORUM cette distribution sur le même territoire [ ] » (cf. supra let. A.b). En l’occurrence, il a été établi ci-dessus que OLF revêtait la qualité de distributeur indépendant (cf. supra consid. 7.4.3) et que les clauses litigieuses, constitutives d’un accord vertical en matière de concurrence au sens de l’art. 4 al. 1 LCart, étaient convenues, sur le marché wholesale, avec le groupe Editis, en sa qualité de producteur ou de distributeur (cf. supra consid. 6.5 et 7.4.5). Il suit de là que le groupe Editis a attribué le territoire de distribution suisse à OLF et de manière exclusive ; le système suisse de diffusion-distribution de la production éditoriale francophone est, à l’instar du système français, fondé sur un régime d’exclusivité, comme cela ressort des déclarations des détaillants interrogés dans le cadre de l’enquête (cf. infra consid. 9.8.2, 13.2) ainsi que du procès-verbal d’audition de la recourante (acte 908). De même, il est dans l’intérêt de OLF de conclure un contrat d’exclusivité dès lors que sa rémunération découle de [ ] (cf. supra consid. 6.5).

            2. Il s’ensuit que le groupe Editis a confié à OLF la distribution exclusive de son catalogue et de ceux des éditeurs et/ou distributeurs tiers sur le territoire suisse, réalisant ainsi la deuxième condition mise à l’application de la présomption de suppression de la concurrence efficace.

        Ceci étant, il reste à examiner si le régime d’exclusivité conféré entraîne l’interdiction en Suisse des ventes passives des ouvrages du groupe Editis ainsi que de ceux des éditeurs et/ou distributeurs tiers dont la recourante a été chargée de la diffusion-distribution en Suisse. A cet égard, il y a lieu de préciser la notion d’« exclusion des ventes par d’autres fournisseurs agréés » contenue à l’art. 5 al. 4 LCart et de

        distinguer selon que l’exclusion des ventes est imposée aux éditeurs (cf. infra consid. 8) ou à des partenaires de distribution (cf. infra consid. 9).

  8. Exclusion des ventes par les éditeurs

    La recourante, se fondant sur l’expertise Y. , fait valoir que l’art. 5 al. 4 LCart ne s’applique qu’aux exclusions de ventes passives à la charge des distributeurs actifs hors du territoire réservé et non pas à celles imposées aux producteurs. Or, en l’espèce, à supposer - comme le prétend l’autorité inférieure mais ce qu’elle conteste fermement - que OLF soit considérée comme le distributeur exclusif des ouvrages du groupe Editis pour la Suisse, la recourante serait alors le producteur desdits ouvrages et ne serait donc pas tenue de livrer les détaillants suisses. Le fait que, de par son appartenance au groupe Editis, elle soit, comme relevé par l’autorité inférieure (cf. supra consid. 7.4), également active au niveau de la distribution à l’étranger ne permet pas d’en déduire que l’accord passé avec OLF réaliserait les conditions de l’art. 5 al. 4 LCart. Elle relève encore que l’autorité inférieure a outrepassé les pouvoirs que lui confère la loi en exigeant implicitement de Interforum France qu’elle approvisionne directement les libraires suisses. S’appuyant en effet sur les décisions rendues par l’autorité inférieure dans les affaires Gaba, BMW et Nikon, la recourante soutient que la société-mère, sise à l’étranger, ne peut pas être tenue de concurrencer sa filiale suisse. Le fait que Interforum France n’effectue pas ses livraisons directement aux détaillants en Suisse mais par l’intermédiaire de son diffuseur-distributeur suisse est une question relevant de l’organisation interne du groupe qui n’est pas saisie par l’art. 5 al. 4 LCart. En outre, le partenaire contractuel de OLF n’est pas Interforum France mais Interforum Suisse, si bien qu’il n’est pas possible que la sociétémère se soit obligée envers OLF à renoncer aux livraisons directes vers la Suisse. L’art. 3 des contrats litigieux n’interdit par ailleurs pas à Interforum France de livrer en Suisse, celui-ci visant uniquement les livraisons « hors Interforum », ce qui serait confirmé par l’art. 9 ch. 6 du contrat de 2008, lequel règle la compensation des retours de livres ayant été livrés directement par la société-mère en Suisse.

    Selon l'autorité inférieure, l’art. 5 al. 4 LCart trouve également application à des systèmes de distribution dans lesquels des entreprises sont aussi actives dans la production. Aussi, et contrairement à ce que soutient la recourante, l’autorité inférieure maintient que, dès lors que celle-là appartient à un groupe qui est actif tant dans la production que dans la

    distribution, elle ne peut être considérée comme une entreprise active uniquement au niveau de la production, de sorte qu’elle revêtirait la qualité de « autre fournisseur agréé » au sens de l’art. 5 al. 4 LCart. Ensuite, le fait pour Interforum France de disposer d’une filiale sur le territoire suisse en charge de la diffusion mais n’assumant aucune activité de distribution ne permet aucunement à la maison-mère de bénéficier d’un quelconque privilège de groupe et de la possibilité de ne pas entreprendre de ventes passives en Suisse. En effet, en renvoyant des acheteurs potentiels vers son distributeur exclusif pour la Suisse, Interforum France empêche les ventes passives en réorientant ceux-ci vers une entreprise tierce, OLF, et non vers la filiale suisse du groupe en charge de la distribution sur ce territoire, comme cela avait été le cas dans les affaires Gaba, BMW et Nikon citées par la recourante.

    1. Il convient donc dans un premier temps de déterminer si l’art. 5 al. 4 LCart ne vise que les restrictions imposées à un distributeur et non celles à la charge des éditeurs.

      1. Selon la jurisprudence, la loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d’autres dispositions légales et de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique ; cf. ATF 135 II 416 consid. 2.2 et 134 I 184 consid. 5.1). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme. Il ne s’écarte de la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (cf. ATF 143 II 202 consid. 8.5, 142 II 80 consid. 4.1, 140 II 289 consid. 3.2 et 139 II 49

        consid. 5.3.1).

      2. Ainsi, il ressort des versions allemande et italienne de l'art. 5 al. 4 LCart que, par « fournisseurs », il convient d'entendre « distributeurs » (Vertriebspartner, distributori). L'exclusion des ventes passives doit ainsi être imposée à d'« autres » distributeurs (gebietsfremde Vertriebspartner, distributori esterni), sous-entendu autres que le distributeur, partie au contrat de distribution en cause, s'étant vu allouer le territoire considéré. Une telle formulation suppose dès lors que celui qui se voit interdire de procéder à des ventes passives sur le territoire attribué est un partenaire

        de distribution actif sur un autre territoire (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 6.3.3). Une telle interprétation ressort également, a contrario, des travaux préparatoires : un producteur (Hersteller/Lieferant) a le droit de s’interdire, dans un contrat de distribution, de livrer directement les acheteurs finaux (Endabnehmer) ou d'autres distributeurs (Händler) dans le territoire alloué (cf. Schiesser BO 2003 E 329 ; voir également Büttiker BO 2003 E 330 ss). Elle découle également du ch. 9 point 1 de la note explicative, lequel précise que l’interdiction des ventes passives imposée au fournisseur n’est pas par elle-même couverte par la présomption de l’art. 5 al. 4 LCart. De même, selon la doctrine, les limitations de la liberté d’action du producteur ne sont pas concernées par l’art. 5 al. 4 LCart ; celui-ci vise uniquement les restrictions de la liberté d’action du distributeur (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 558, 559 et 577 no 557, 560 et 644 ; voir également AMSTUTZ/REINERT, Vertikale Preisund Gebietsabreden, op. cit., no 28 et 73 ; RETO JACOBS, Entwicklungen im Wettbewerbsund Kartellrecht, RSJ 107/2011 p. 210). Egalement, en droit européen, l’art. 4/b REC 330/2010 ne concerne que les restrictions appliquées aux ventes de l'acheteur ou de ses clients ; les restrictions appliquées aux ventes du fournisseur ne constituent pas des restrictions caractérisées (cf. point 50 lignes directrices).

      3. Sont ainsi considérés comme « autre fournisseur agréé » au sens de l’art. 5 al. 4 LCart, le distributeur - actif sur un territoire autre que le territoire réservé - et ses clients, à savoir grossistes, détaillants ou autres entités actives au niveau wholesale sur son territoire.

      4. En définitive, le contrat de distribution exclusive se caractérise par l'engagement du producteur, respectivement de l’entité concédant l’exclusivité, d'assurer au distributeur l'exclusivité des produits contractuels en vue de leur revente dans un territoire ou à une clientèle donnés et par l'engagement du distributeur de promouvoir lesdits produits (cf. XOUDIS, op. cit., p. 34). L'intensité de l'exclusivité promise peut varier. L'entité concédante peut ainsi se réserver le droit, dans le contrat de distribution exclusive, de vendre directement une partie de sa production aux clients finaux dans le territoire attribué, aux côtés du distributeur, tout en s'engageant à ne livrer aucun autre distributeur que le distributeur exclusif (cf. HOCH CLASSEN, op. cit., p. 21). L'exclusivité peut au contraire être définie rigoureusement et obliger le producteur à ne vendre qu'au concessionnaire dans le territoire concerné, ainsi que de s'abstenir de toute intervention directe dans la zone réservée à celui-là, y compris renoncer à opérer des ventes passives. Le producteur devra alors

        transférer au concessionnaire toute demande de clients se trouvant sur ce territoire (cf. CHRISTOPH MÜLLER, Les contrats de distribution / I.-II., in : Droits de la consommation et de la distribution: les nouveaux défis, Contrats, Sécurité des produits, Actions collectives, 2013, p. 77 ; URS EGLI, Die Bedeutung des Kartellrechts in der Vertragspraxis (1. Teil), in : recht 2014 p. 1 ss, spéc. p. 10 ; HOCH CLASSEN, op. cit., p. 21). La volonté de ne pas sanctionner l’entité concédante s'imposant le respect de l'exclusivité qu'elle accorde s'inscrit dans le contexte d'une clause d'exclusivité simple (cf. XOUDIS, op. cit., p. 35). Une telle restriction du producteur relève de la nature même du contrat de distribution exclusive (cf. arrêt du Tribunal de commerce du canton de Zurich du 17 mai 2010, reproduit in : DPC 2010/4, p. 793 ss, Jovani, consid. 3.3.3.2 ss ; GIGER, op. cit., p. 574). Du point de vue du droit de la concurrence, elle ne tombe pas sous le coup de l’art. 5 al. 4 LCart tant et aussi longtemps que l’acheteur est libre de s’approvisionner auprès du fournisseur de son choix.

      5. Le Tribunal de commerce du canton de Zurich a ainsi admis que l’engagement par lequel le producteur renonçait à opérer des ventes passives directement aux clients finaux dans le territoire attribué au distributeur exclusif n’était pas saisi par l’art. 5 al. 4 LCart (cf. arrêt du Tribunal de commerce du canton de Zurich précité Jovani consid. 3.3.3.2 ; cf. également ch. 9 de la note explicative). Le fait que le producteur soit, comme en l’espèce, également actif dans la distribution sur d’autres territoires est inopérant. Celui-ci peut en effet légitimement renoncer à toute vente directe sur le territoire réservé et ce, même s’il exerce une activité de distribution sur d’autres territoires (cf. arrêt du Tribunal de commerce du canton de Zurich précité Jovani consid. 3.3.3.2 ; GIGER, op. cit., p. 574 ; HOCH CLASSEN, op. cit., p. 21).

        Comme déjà dit, en cas de double distribution, seul l’art. 5 al. 4 LCart trouve application, en ce sens que c’est la place qu’occupe le producteur dans l’accord litigieux qui est déterminante (cf. supra consid. 7.4.4).

        Il y a encore lieu de préciser que le législateur a prévu d’autres outils visant à interdire le cloisonnement du marché suisse lorsque le producteur dispose d’une importante part de marché. Son comportement - quand bien même licite sous l’angle de l’art. 5 al. 4 LCart

        - peut être interdit par l’art. 7 LCart. Or, l’autorité inférieure a écarté cette éventualité en l’espèce lorsqu’elle a renoncé, dans sa décision, a formulé des griefs en application de dite disposition.

      6. Il suit de là que l’art. 5 al. 4 LCart ne vise que les restrictions à la charge du distributeur, celles s’imposant au producteur - soit l’entreprise située en amont - n’étant pas concernées par dite norme.

          1. Sur le marché du livre, le travail d’édition se concentre sur la production des livres ; les parties ne le contestent pas. A l’inverse, les activités de diffusion et de distribution se concentrent uniquement sur la commercialisation et la distribution des livres produits par les éditeurs.

            Il s’ensuit que seule l’entreprise qui édite l’ouvrage peut être considérée comme « producteur » au sens de l’art. 5 al. 4 LCart, indépendamment de savoir si elle se charge elle-même de la commercialisation et de la distribution de ses ouvrages. En revanche, l’entreprise qui n’assure que la commercialisation et la distribution d’ouvrages édités par des tiers n’intervient qu’en qualité de distributeur, à savoir de « fournisseur agréé » au sens de dite disposition.

          2. Lorsqu’elles sont passées entre deux sociétés appartenant au même groupe, les ententes verticales sur les prix et sur une protection territoriale absolue ne tombent pas dans le champ d’application de l’art. 5 al. 4 LCart, tant que ces ententes au sein d’un groupe ne prévoient pas pour les distributeurs en dehors du groupe des comportements verrouillant les marchés (cf. ch. 9 point 2 3e phrase de la note explicative). Est, par exemple, couvert par le privilège de groupe la redirection, par une société étrangère vers une société suisse appartenant au même groupe, des commandes non sollicitées provenant de distributeurs ou de clients finaux situés en Suisse (cf. ch. 9 point 2 4e phrase de la note explicative).

            Ainsi, les conventions passées entre des sociétés, appartenant au même groupe et sur lesquelles la mère exerce un contrôle effectif, ne sont pas soumises à la loi sur les cartels dès lors que dites entités, en l’absence d’indépendance, constituent avec leur mère une seule entreprise (cf. arrêt du TF 2C_484/2010 du 29 juin 2012 Publigroupe consid. 3.3 non publié dans l’ATF 139 I 72 ; arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 29 ; MARTENET/KILLIAS, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 2 LCart,

            p. 153-155 no 30-35 ; NYDEGGER/NADIG, in : BSK-KG, op. cit., art. 4 al. 1

            p. 175 ss no 132).

            Dans la décision 70/332/CEE de la Commission du 30 juin 1970 relative à la procédure d’application de l’article 85 du traité CEE, IV/24055, Kodak, (JOCE L-147/24 du 7 juillet 1970 ; ci-après : décision Kodak), la

            Commission européenne a constaté que, indépendamment de savoir si elles émanaient de la société-mère ou de ses filles, les conditions de vente du groupe Kodak interdisant les importations parallèles constituaient un accord au sens de l’art. 85 du traité CEE dès lors qu’elles s’appliquaient aux relations contractuelles entre les sociétés du groupe Kodak et leurs partenaires contractuels situés en aval. Il ressort de dite décision que l’utilisation de conditions de vente destinées à régler les relations commerciales avec des tiers et visant les ventes passives sont des accords bien que l’obligation de les inclure dans toutes les relations contractuelles découle d’un engagement interne au groupe. Le privilège de groupe n’immunise ainsi pas les accords en matière de concurrence liant une entité d’un groupe ou un tiers quand bien même l’illicéité du contrat est la conséquence du respect d’un engagement pris au sein du groupe. De même, dans l’arrêt de la CJCE du 24 octobre 1996 C-73/95 Viho contre Commission, Rec. 1996 I 5457, la Cour de Justice a considéré que la répartition de différents marchés nationaux entre les filiales d’un groupe n’était pas contraire à l’art. 85 CEE, bien qu’elle puisse produire des effets à l’extérieur du groupe (cf. arrêt C-73/95 précité Viho points 16 ss). Il résulte de ces décisions que le privilège de groupe s’étend à toutes les relations internes au groupe, indépendamment de leurs effets externes mais ne couvre pas les accords en matière de concurrence conclus, en vertu d’une obligation interne, entre un tiers et une entité du groupe (cf. arrêt C-73/95 précité Viho point 16 ss ; décision 70/332 CEE précitée Kodak ; WHISH/BAILEY, op. cit.,

            p. 97 ss). Il en va de même en droit suisse, dès lors que l’existence d’un accord au sens de l’art. 4 al. 1 LCart n’est possible qu’entre deux entités indépendantes (cf. MARTENET/KILLIAS, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 2 LCart p. 154 no 31 ; JÜRG BORER, Wettbewerbsrecht Kommentar, vol. I, 3e éd. 2011, art. 2 p. 35 no 11).

            Il s’ensuit que le comportement des différentes sociétés du groupe Editis et leur rôle dans le système de distribution du groupe peut être directement attribué à la recourante, celle-ci ne formant dans l’application de la loi sur les cartels qu’une seule et même entité avec lesdites sociétés.

          3. Les contrats de distribution passés en 1996 et 2008 avec OLF contiennent, à leur art. 3, l’obligation, à charge de la recourante, de faire ses meilleurs efforts, en intervenant auprès de sa maison-mère et de

            « ses » éditeurs et/ou distributeurs avec qui elle a signé des contrats, pour que des importations « directes ou indirectes de France (hors

            Interforum) via des grossistes ou assimilés » ne puissent être entreprises pour le marché suisse (cf. supra let. A.b ; actes 513 p. 6 et 516 p. 3).

            Selon la recourante, dite clause ne viserait pas les importations opérées auprès de Interforum France. A titre liminaire, il y a dès lors lieu de déterminer si l’art. 3 des contrats litigieux interdit à Interforum France de livrer en Suisse.

            1. Ce faisant, il convient, comme pour toute disposition contractuelle, de déterminer la volonté des parties. Le juge doit recourir en premier lieu à l'interprétation subjective, c'est-à-dire rechercher la réelle et commune intention des parties, le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la véritable nature de la convention (cf. art. 18 al. 1 CO ; ATF 133 III 675 consid. 3.3, 132 III 26 8

              consid. 2.3.2, 132 III 626 consid. 3.1, 131 III 606 consid. 4.1). Ce n'est que si le juge ne parvient pas à déterminer cette volonté réelle des parties - parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes - ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté exprimée par l'autre à l'époque de la conclusion du contrat (cf. ATF 131 III 28 0 consid. 3.1) - ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu'elle l'affirme en procédure mais doit résulter de l'administration des preuves (cf. arrêt du TF 5A_198/2008 du 26 septembre 2008 consid. 4.1) - qu'il doit recourir à l'interprétation objective, à savoir rechercher la volonté objective des parties, en déterminant le sens que chacune d'elles pouvait et devait, d'après les règles de la bonne foi, raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre (principe de la confiance ; cf. ATF 133 III 675 consid. 3.3, 132 III 268 consid. 2.3.2, 132 III 626 consid. 3.1). Ce principe permet d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime (cf. ATF 133 III 675 consid. 3.3, 130 III 417 consid. 3.2, 12 9

              III 118 consid. 2.5, 128 III 419 consid. 2.2).

              Ceci étant, il s’agirait à ce stade de rechercher en premier lieu ce que la recourante et OLF ont réellement voulu en stipulant que celle-là s’engageait à faire ses meilleurs efforts pour que des importations

              « directes ou indirectes de France (hors Interforum) via des grossistes ou assimilés » ne puissent être effectuées pour le marché suisse. Selon la recourante, dite clause ne viserait pas les importations opérées auprès de Interforum France, dès lors que celle-là précise justement qu’il s’agit des importations « hors Interforum ». Rien au dossier ne permet en revanche de savoir ce que OLF entendait par cette clause. Aussi, en tant

              que la réelle et commune intention des parties ne peut en l’espèce être retracée, il se justifie de procéder à une interprétation objective desdites clauses. Il s’agit ainsi de déterminer le sens que les parties pouvaient et devaient, raisonnablement et de bonne foi, attribuer à celles-là.

            2. A ce titre, il y a lieu de relever que la position de l’indication « hors Interforum » dans la phrase ne soutient pas l’interprétation de la recourante. Les ventes directes sont celles qui interviennent directement depuis l’entité concédant l’exclusivité (cf. supra consid. 8.1.4), à savoir, en l’espèce, le groupe Editis (cf. supra consid. 7.5.1) - auquel appartient le distributeur français Interforum France - ou les éditeurs/distributeurs externes ayant confié la distribution de leurs catalogues pour la Suisse à la recourante (cf. art. premier des contrats litigieux [actes 513 p. 6 et 516

        p. 2 ] ; supra let. A.b). Aussi, si les parties au contrat avaient voulu spécifier que seules les ventes directes effectuées par les éditeurs/distributeurs externes au groupe, à l’exclusion de celles émanant de Interforum France, devaient être entravées, comme le prétend la recourante, elles auraient inséré cette information à la suite de

        « importations directes ». En introduisant celle-là entre importations

        « indirectes » et « via des grossistes ou assimilés », les parties n’ont fait que rappeler - par l’utilisation de la parenthèse - que les ventes indirectes sont celles effectuées « hors Interforum », à savoir par l’intermédiaire de grossistes ou autres entités indépendantes actives au niveau wohlesale en France. Le fait que l’art. 9 ch. 6 du contrat de 2008 (acte 513 p. 9), dont se prévaut à ce titre la recourante, règle les modalités du retour des livres distribués en Suisse par la société-mère ne rend pas inopérante pour autant l’interdiction de procéder à des ventes directes prévue à l’art. 3 des contrats en cause (actes 513 p. 6 et 516 p. 4).

        Il s’ensuit que la clause litigieuse vise une interdiction (notamment) des ventes directes sur le territoire suisse non seulement par les éditeurs et/ou distributeurs externes au groupe mais également par Interforum France.

        Comme déjà dit (cf. supra consid. 3.1 et 8.3), la recourante et Interforum France ne forment, aux yeux de la loi sur les cartels, qu’une seule et même entité - le groupe Editis. Aussi, lorsque la recourante s’engage envers OLF à intervenir auprès de sa maison-mère pour que des importations directes ne puissent être opérées sur le territoire suisse, c’est le groupe Editis qui, en définitive, renonce à approvisionner des clients sur le territoire attribué à OLF. Ceci étant, il convient de déterminer

        si celui-là peut légitimement s’interdire de procéder à toute vente passive sur le territoire suisse ou s’il ne peut y renoncer, sous peine de tomber sous le coup de la présomption. En d’autres termes, il s’agit d’examiner si le groupe Editis répond à la définition de « autre fournisseur agréé » au sens de l’art. 5 al. 4 LCart.

          1. Pour ce faire, il y a lieu de déterminer au préalable le fonctionnement du système de distribution du groupe Editis. Il ressort en particulier des art. 1 et 2 du contrat du 3 septembre 2008 (acte 513 p. 6 ; cf. supra let. A.b) passé avec OLF que la recourante - et par extension le groupe Editis - ne se charge pas uniquement de la diffusion de ses propres ouvrages mais également de ceux d’éditeurs et/ou distributeurs tiers n’appartenant pas au groupe Editis. Ainsi, le groupe diffuse et distribue des ouvrages édités tant par des sociétés du groupe que par des éditeurs externes, de sorte qu’il y a lieu de distinguer selon que l’accord de distribution avec OLF porte sur les ouvrages édités par le groupe ou sur les ouvrages des éditeurs tiers.

            Si la recourante n’a pas produit les contrats liant le groupe Editis aux éditeurs tiers, il ressort néanmoins du questionnaire du 31 octobre 2008 (acte 74 p. 4) de l’autorité inférieure que le groupe Editis disposait de l’exclusivité de la diffusion et de la distribution en France des ouvrages édités par des sociétés externes au groupe : « les éditeurs du groupe Editis ou des éditeurs tiers ont confié l’exclusivité de leur diffusiondistribution à Interforum France pour la France et les pays francophones » (excepté la Suisse).

            En Suisse, en revanche, si le groupe se charge lui-même de la diffusion (par l’intermédiaire de la recourante), il confie les activités de distribution à OLF, ce que personne ne conteste.

            Ainsi, s’agissant des ouvrages édités par des sociétés du groupe, la recourante et le groupe Editis agissent en tant que « producteur » au sens de l’art. 5 al. 4 LCart des livres écoulés par le canal de distribution de OLF. S’agissant en revanche des ouvrages édités par des éditeurs externes, la recourante - respectivement le groupe Editis - n’agit pas en tant que « producteur » mais en tant que « fournisseur agréé » desdits ouvrages notamment sur le territoire français.

          2. Il suit de l’ensemble de ce qui précède que, en tenant compte du système de distribution du groupe Editis dans sa globalité, la recourante, s’agissant des ouvrages édités par le groupe, a, avant tout, renoncé, en

        octroyant à OLF l’exclusivité de la distribution sur le territoire suisse, à opérer des ventes directes - tant actives que passives - sur le territoire en question. Or, un tel engagement ne tombe pas sous le coup de l’art. 5 al. 4 LCart, dès lors que la recourante intervient en tant qu’éditeur - à savoir « producteur » - des ouvrages ainsi distribués (cf. supra consid. 8.1.6). Il ne crée dès lors pas de présomption de suppression de la concurrence efficace.

        En revanche, l’engagement pris par la recourante - en tant que partenaire de distribution des éditeurs externes au groupe - à l’égard de OLF est susceptible d’être saisi par l’art. 5 al. 4 LCart. Il convient dès lors d’examiner ci-après si la recourante, s’agissant des ouvrages édités par des tiers, a pris l’engagement de ne pas livrer des détaillants suisses (cf. infra consid. 9.2).

  9. Exclusion des ventes passives par les partenaires de distribution

    Une exclusion des ventes passives par les partenaires de distribution des éditeurs tiers - y compris le groupe Editis -, ainsi que par ceux du groupe Editis pourrait constituer une infraction à loi sur les cartels.

    Il ressort en effet du procès-verbal de l’audition de la recourante du 3 décembre 2012 devant l’autorité inférieure (acte 908) que le groupe Editis approvisionne notamment des grossistes actifs hors de Suisse : « les livres proposés par Interforum Suisse peuvent être achetés en coopération avec des libraires français, de la part de grossistes en France, Belgique, Luxembourg, ou aussi par Internet ». La recourante a encore relevé qu’il n’y avait aucun contrat avec aucun revendeur des livres du groupe Editis mais qu’il existait en revanche des conditions générales de vente.

    Il sied également de préciser qu’il n’y a pas lieu d’examiner d’éventuelles restrictions à la concurrence que les éditeurs et/ou distributeurs externes au groupe auraient imposées à leurs partenaires de distribution actifs en France - hors groupe Editis -, dès lors que, comme indiqué ci-dessus, ceux-là ont confié l’exclusivité de la diffusion-distribution de leurs ouvrages à Interforum France pour la France et les pays francophones (excepté la Suisse) (cf. supra consid. 8.5).

    Les distributeurs précités, externes au groupe, doivent quant à eux être assimilés à des grossistes actifs hors de Suisse.

    1. La recourante fait valoir que la limitation de la liberté d’action d’un distributeur étranger est nécessaire pour permettre l’application de l’art. 5 al. 4 LCart. Le seul engagement du producteur consistant à faire ses meilleurs efforts pour entraver les importations parallèles ne remplit pas les conditions d’application de la présomption. En effet, une simple déclaration d’intention de la recourante portant sur l’empêchement des importations par des grossistes ou assimilés n’a aucun effet sur la concurrence efficace tant et aussi longtemps qu’elle n’est pas mise en œuvre par des accords correspondants avec les fournisseurs agréés. Or, en l’espèce, dite clause contractuelle n’a jamais été exécutée. Le groupe Editis n’a imposé à aucun grossiste ou détaillant étranger une quelconque interdiction d’exporter les produits contractuels vers la Suisse. L’autorité inférieure n’a nullement apporté la preuve que des grossistes étrangers auraient rejeté des demandes d’approvisionnement émanant de libraires suisses. Il n’existe aucun élément concret dans le système de distribution de la recourante permettant de conclure à une quelconque restriction des ventes passives.

      1. L’autorité inférieure considère tout d’abord que les clauses litigieuses convenues entre la recourante et OLF, consistant à exclure les importations parallèles directes ou indirectes via des grossistes ou assimilés sur le territoire suisse, tendent à démontrer que le système de distribution de la recourante a reposé durant la période visée par l’enquête sur un régime d’exclusivité entravant les ventes passives, y compris les ventes cachées. Selon la recourante, la description desdites clauses faite par l’autorité inférieure est incomplète. Les deux contrats prévoient en effet que les importations parallèles ne peuvent être exclues que dans la mesure où les droits français, suisse et européen le permettent. Or, en tant que les droits européen et suisse de la concurrence considèrent comme illicite l’interdiction imposée aux clients de procéder à des importations parallèles en Suisse, il n’y a jamais eu d’obligation contractuelle à charge de la recourante d’empêcher celles-ci. Dites clauses peuvent tout au plus être considérées comme de simples déclarations d’intention n’ayant jamais été exécutées, les parties ne les ayant jamais considérées comme contraignantes.

      2. Comme exposé ci-dessus, il convient de déterminer la volonté des parties, soit en premier lieu par le biais de l’interprétation subjective et, à défaut, par celui de l’interprétation objective (cf. supra consid. 8.4.1).

        Ceci étant, il s’agirait à ce stade de rechercher en premier lieu ce que la recourante et OLF ont réellement voulu en stipulant que celle-là

        s’engageait à faire ses meilleurs efforts pour que des importations ne puissent être effectuées pour le marché suisse. La recourante a indiqué dans son recours que dites clauses devaient tout au plus être considérées comme des déclarations d’intention de passer un accord au sens de l'art. 5 al. 4 LCart avec des partenaires aptes à cet effet, à savoir d'autres distributeurs. La recourante a ici clairement exprimé sa volonté d’exclure les ventes passives sur le territoire suisse. Rien au dossier ne permet en revanche de connaître celle de OLF. Aussi, en tant que la réelle et commune intention des parties ne peut en l’espèce être retracée, il se justifie de procéder à une interprétation objective desdites clauses. Il s’agit ainsi de déterminer le sens que les parties pouvaient et devaient, raisonnablement et de bonne foi, attribuer à celles-là.

      3. Comme exposé plus haut, l’art. 3 du contrat passé avec OLF en 2008 prévoit que « INTERFORUM s'engage à faire ses meilleurs efforts pour que des importations directes ou indirectes de France (hors Interforum) via des grossistes ou assimilés, ne puissent être faites pour le marché suisse » (acte 513 p. 6). Dite clause a remplacé la précédante, datant de 1996, qui avait pour teneur : « Il est entendu que [Interforum], si toutefois les législations françaises, de l'Union Européenne et de la Suisse le permettent, fera ses meilleurs efforts, en intervenant auprès de sa Maison Mère et de "ses" Editeurs et/ou Distributeurs avec qui il a signé des contrats, pour que des importations directes ou indirectes de France (hors [Interforum]) - "sauvages et parallèles" - via des grossistes ou assimilés, ne puissent être faites pour le marché suisse. Il en va d'ailleurs de son propre intérêt de "protéger" ce dernier et [Interforum] et OLF conviennent de se signaler immédiatement tout "incident" sur ce plan et s'engagent à rechercher et à fournir le maximum de renseignements et de preuves pour que [Interforum] puisse faire les démarches nécessaires pour faire cesser de telles "pratiques" éventuellement constatées. N.B. : OLF aura les mêmes préoccupations » (cf. supra let. A.b ; acte 516 p. 4). La recourante a indiqué au cours de son audition devant l’autorité inférieure que dites clauses étaient

        « similaires » (acte 908 ligne 424).

      4. La teneur de ces clauses, explicitement exprimée, ne laisse place à aucun doute quant au sens à leur attribuer : celles-ci visent indéniablement le cloisonnement du territoire suisse, ce que les parties au contrat ne pouvaient et ne devaient, raisonnablement et de bonne foi, ignorer. Aussi, le fait d’avoir subordonné l’exécution d’une clause, manifestement illicite, à la condition que celle-ci ne viole pas les législations française, européenne et suisse est inopérant et, partant,

        inapte à empêcher un comportement contraire à la loi sur les cartels. Ainsi, de telles « déclarations d’intention » font naître une présomption de fait, selon laquelle, suivant le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, le groupe Editis a, en exécution de sa promesse d’exclure également les importations indirectes de France, passé des contrats ou pris des mesures afin d’empêcher les « grossises ou assimilés » actifs en France de livrer les produits contractuels en Suisse. Si elle facilite la preuve, dite présomption de fait n'a pas pour résultat d'en renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une forme de "preuve par indices". Elle peut être affaiblie par des éléments apportés par la partie recourante (cf. ATF 130 III 699 consid. 4.1 in fine et réf. cit. ; arrêts du TAF B-581/2012 précité Nikon consid. 7.2.2 et B-3618/2013 du 24 novembre 2016 Starticket consid. 333 ss), lesquels seront en l’espèce examinés ci-après (cf. infra consid. 9.9).

      5. Sur la base du contenu des contrats d’exclusivité passés avec OLF, il y a lieu d’admettre qu’il existe un indice selon lequel le groupe Editis a interdit les ventes passives par ses « grossistes ou assimilés » actifs en France durant la période de l’enquête.

          1. Reste à examiner si le groupe Editis - en tant que distributeur étranger des ouvrages d’éditeurs externes au groupe - a pris l’engagement de ne pas livrer les détaillants suisses.

            Pour ce faire, il convient en premier lieu de déterminer, comme ci-dessus, ce que le groupe Editis (ou la recourante) et les éditeurs externes au groupe ont réellement voulu en octroyant au groupe Editis (ou à la recourante) la diffusion-distribution exclusives de leurs ouvrages en France, respectivement en Suisse, puis, en second lieu, ce que la recourante et OLF ont réellement voulu en octroyant à celle-ci la distribution exclusive desdits ouvrages sur le territoire suisse et, en particulier, en stipulant que la recourante s’engageait à « faire ses meilleurs efforts pour que des importations directes ou indirectes de France (hors Interforum) via des grossistes ou assimilés, ne puissent être faites pour le marché suisse ».

            1. A titre liminaire, il sied de rappeler que les exclusivités conférées ne tombent pas sous le coup de l’art. 5 al. 4 LCart, pour autant qu’elles n’aient pas empêché les détaillants de s’approvisionner auprès du fournisseur de leur choix, le producteur - à savoir l’éditeur externe au groupe - demeurant libre de s’interdire de livrer lesdits détaillants.

              En l’occurrence, s’agissant des ouvrages des éditeurs n’appartenant pas au groupe Editis, si ceux-ci peuvent s’interdire de livrer les détaillants suisses, ils ne peuvent pas prendre des mesures auprès de leur distributeur exclusif - soit Interforum France ou la recourante - ayant pour objet ou pour effet d’empêcher les détaillants de s’approvisionner auprès du fournisseur de leur choix.

            2. S’agissant en particulier de l’engagement pris par la recourante consistant à faire ses meilleurs efforts pour que des importations directes notamment ne puissent être entreprises pour le marché suisse, il repose uniquement sur un rapport bilatéral passé avec OLF, si bien qu’il ne permet pas à lui seul de prouver l’existence de mesures prises par les éditeurs externes auprès de leurs distributeurs exclusifs actifs en France (distribution par le groupe Editis) et en Suisse (distribution par OLF).

              Dit engagement fait toutefois naître, en tout état de cause, une présomption de fait que le groupe Editis, chargé de la distribution exclusive en France, n’a effectivement pas livré des détaillants situés en Suisse, dans le but de respecter l’exclusivité de la distribution octroyée à OLF sur ce territoire. Elle constitue en définitive une forme de « preuve par indices » que le système de distribution du groupe Editis a conduit à ce qu’un distributeur indépendant des éditeurs - à savoir la recourante - s’interdise d’approvisionner des détaillants situés en Suisse.

          2. En résumé, sur la base des clauses contenues dans les contrats conclus entre la recourante et OLF, il existe une présomption de fait que l’exclusivité concédée et l’engagement pris par la recourante de s’efforcer que des importations directes ou indirectes de France ne puissent être entreprises pour le marché suisse, visent à empêcher les ventes passives - des ouvrages édités tant par le groupe Editis que par des éditeurs tiers - sur le territoire résevé à OLF, par d’autres distributeurs actifs sur d’autres territoires - et, en particulier, par des grossistes français ou par le groupe Editis. En effet, un tel système de distribution revient à octroyer une exclusivité pour la France (et d’autres pays francophones) et une autre pour la Suisse, ainsi qu’à cloisonner le marché suisse en excluant les ventes passives depuis la France, à savoir précisément ce que vise à interdire l’art. 5 al. 4 LCart.

          3. Aussi, il s’agit d’examiner si d’autres éléments permettent d’affirmer ou, à l’inverse, d’infirmer que les éditeurs tiers et le groupe Editis ont, durant la période considérée, exclu - de manière directe ou indirecte

            (cf. supra consid. 7.3) - les ventes passives sur le territoire suisse par leurs partenaires de distribution actifs à l’étranger.

            1. A titre préalable, il y a lieu de rappeler quelques principes procéduraux.

              La procédure administrative fédérale est essentiellement régie par la maxime inquisitoire (ou inquisitoriale), ce qui signifie que l'autorité administrative constate les faits d'office et procède, s'il y a lieu, à l'administration de preuves par les moyens idoines (cf. art. 12 PA, applicable par renvoi de l'art. 39 LCart). La maxime inquisitoire doit cependant être relativisée par son corollaire : le devoir de collaborer des parties (cf. art. 13 PA ; ATAF 2014/2 consid. 5.5.2.1 ; arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 186 et réf. cit. ; CLÉMENCE GRISEL, L'obligation de collaborer des parties en procédure administrative, thèse Fribourg 2008, p. 49 ss n° 142). Selon l'art. 13 al. 1 PA, les parties sont notamment tenues de collaborer à la constatation des faits dans une procédure où elles prennent des conclusions indépendantes (let. b) ou si une autre loi fédérale leur impose une obligation plus étendue de renseigner ou de révéler (let. c). A cet égard, l'art. 40 LCart fonde une obligation de renseigner étendue des parties et des tiers concernés.

              La procédure de recours devant le Tribunal administratif fédéral est également régie par la maxime inquisitoire en vertu du renvoi de l'art. 37 LTAF. Celle-ci est cependant quelque peu tempérée, notamment en raison du fait qu'il ne s'agit dans ce cas pas d'un établissement des faits ab ovo. Il convient de tenir compte de l'état de fait déjà établi par l'autorité inférieure. Dans ce sens, le principe inquisitoire est une obligation de vérifier d'office les faits constatés par l'autorité inférieure plus que de les établir (cf. arrêts du TAF A-5584/2008 du 11 juin 2010 consid. 1.2.1 et A-6120/2008 du 18 mai 2010 consid. 1.3.2).

              La procédure administrative fédérale est en outre régie par le principe de la libre appréciation des preuves (cf. art. 40 PCF, applicable par analogie par renvoi de l'art. 19 PA). L'appréciation des preuves est libre, en ce sens qu'elle n'obéit pas à des règles de preuve légales, prescrivant à quelles conditions le juge devrait admettre que la preuve a abouti et quelle valeur probante il devrait reconnaître aux différents moyens de preuve les uns par rapport aux autres (cf. arrêt du TF 5A.12/2006 du 23 août 2006 consid. 2.3).

              La procédure pouvant conduire à une sanction selon l’art. 49a al. 1 LCart est une procédure administrative (cf. ATF 142 II 268 Nikon consid. 4.2.5.2 et 139 I 72 Publigroupe consid. 4.4) avec un caractère quasi-pénal (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.1 et 139 I 71 Publigroupe consid. 2 ; arrêt du TF 2C_1017/2014 du 9 octobre 2017 Koch Group consid. 2.2). Les garanties correspondantes des art. 6 et 7 CEDH et 30 ou 32 Cst., notamment la présomption d’innocence et son corollaire le principe in dubio pro reo, ancrés aux art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH (cf. ATF 127 I 38 consid. 2a), sont par conséquent applicables en principe (cf. ATF 139 I 72 Publigroupe consid. 2.2.2). En tant que règle présidant à l’appréciation des preuves, la présomption d’innocence est violée si le juge du fond se déclare convaincu de faits défavorables à l’accusé sur lesquels, compte tenu des éléments de preuve qui lui sont soumis, il aurait au contraire dû, objectivement, éprouver des doutes (cf. arrêt du TF 2C_1022/2011 du 22 juin 2012 consid. 6.1, non publié dans l’ATF 138 I 367). Le juge peut fonder sa conviction quant aux faits sur la base d’un ensemble d’éléments ou d’indices convergents (cf. ATF 144 II 246 Altimum consid. 6.4.3 ; arrêts du TF 6B_298/2015 du 17 mars 2016 consid. 1.1, 6B_118/2009 et 6B_12/2011 [causes jointes] du 20 décembre 2011 consid. 7.2.2 non publié dans l’ATF 138 I 97 ; MICHAEL TSCHUDIN, Glauben, Wissen, Zweifeln - über das Beweismass im Kartellrecht, PJA 2014 p. 1337).

              En procédure administrative, un fait est en principe tenu pour établi lorsque le juge a pu se convaincre de la véracité d'une allégation (certitude ; volle Überzeugung). Toutefois, il suffit parfois, selon la loi ou la jurisprudence, que le fait en question soit rendu vraisemblable, le degré de la preuve exigé étant celui de la vraisemblance prépondérante (überwiegende Wahrscheinlichkeit). Le juge retiendra alors, parmi plusieurs présentations des faits, celle qui lui apparaît comme la plus vraisemblable. Cet allégement du degré de la preuve est justifié par la difficulté d'accéder aux moyens de preuve, de sorte que l'on se trouve à cet égard pour ainsi dire en état de nécessité (Beweisnotstand ; cf. arrêts du TAF B-8399/2010 précité Baubeschläge Siegenia consid. 4.3.4 et réf. cit. et B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 156 ss et réf. cit. ; KRAUSKOPF/EMMENEGGER/BABEY, op. cit., art. 12 p. 290 ss no 217 ;

              TSCHUDIN, op. cit., p. 1333 ss, spéc. p. 1345 ss). Le Tribunal fédéral a ainsi admis que, pour établir l'existence d'un lien de causalité (naturelle, adéquate ou naturelle hypothétique), le juge était en droit de forger sa conviction sur la vraisemblance prépondérante du processus causal (voire sur la simple vraisemblance s'agissant de la causalité adéquate), dès lors que, par la nature des choses, une preuve directe ne pouvait être

              apportée (cf. ATF 133 III 153 consid. 3.3, 133 III 81 consid. 4.2.2 et réf. cit. ; arrêt du TF 5P.166/2002 du 27 mai 2002 consid. 2 et réf. cit. ; arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 159 et réf. cit. ; FABIENNE HOHL, Procédure civile, tome I, 2e éd. 2016, p. 315 ss no 1905 ss). La Haute Cour a également admis une preuve facilitée lorsque les conditions de la règle légale constituent des faits négatifs (déterminés ou indéterminés) (cf. ATF 139 II 451 consid. 2.4 ; arrêt du TF 2C_511/2013 du 27 août 2013 consid. 2.4 ; HOHL, op. cit., p. 327 ss no 1971 ss).

              En l'occurrence, à l'instar de la procédure administrative ordinaire, la certitude est en principe également requise en droit des cartels suisse (cf. arrêts du TAF B-8399/2010 précité Baubeschläge Siegenia consid. 4.3.2 et B-581/2012 précité Nikon consid. 5.5.2 et réf. cit.). Les autorités de la concurrence doivent ainsi être convaincues de l'existence des éléments constitutifs de la définition de l'accord en matière de concurrence au sens de l'art. 4 al. 1 LCart. Les exigences liées à la preuve ne doivent toutefois pas être exagérées lorsque, comme en l’espèce, les faits, par leur nature, sont difficilement démontrables (cf. ATF 139 I 72 Publigroupe consid. 8.3.2). En effet, les preuves directes de l’existence d’un accord en matière de concurrence sont en pratique très rares (cf. PHILIPP ESTERMANN, Die unverbindliche Preiseempfehlung, 2016, p. 216). L’appréciation doit donc se faire sur la base d’indices dans de tels cas (cf. ATF 144 II 246 Altimum consid. 6.4.4).

              Enfin, il convient de rappeler que la maxime inquisitoire n’a aucune influence sur la répartition du fardeau de la preuve. Ainsi, si la conviction du tribunal n’est pas acquise sur la base des preuves à disposition, la partie à qui incombe le fardeau de la preuve supporte les conséquences d’un échec de la preuve (cf. arrêts du TAF A-1604/2006 du 4 mars 2010 consid. 3.5, A-1557/2006 du 3 décembre 2009 consid. 1.6 et A-680/2007 du 8 juin 2009 consid. 5). Dans le cas d’espèce, la charge et le fardeau de la preuve de l’existence d’un accord au sens de l’art. 4 LCart incombent aux autorités de la concurrence (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 4 al. 1 LCart p. 232 ss no 36).

              Il s’ensuit que l’existence d’une exclusion des ventes passives sur le territoire suisse imposée, durant la période de référence, par le groupe Editis et les éditeurs tiers à leurs partenaires de distribution actifs à l’étranger doit être établie avec certitude, l’appréciation pouvant toutefois se faire sur la base d’indices.

            2. Ainsi, l’autorité inférieure a relevé que le système de distribution de la recourante prévoit la recherche et l’échange de renseignements sur les importations parallèles. Un tel mécanisme présupposerait dès lors que les parties au contrat partent de l’idée que des importations parallèles pourraient être entreprises de manière cachée, ce qui nécessiterait de rechercher d’abord les entités concernées avant de mettre en œuvre les démarches nécessaires. En tant qu’elle permet de surveiller la distribution des entités actives au niveau wholesale à l’étranger - à savoir les grossistes mais aussi les libraires souhaitant fonctionner comme grossistes par rapport à la Suisse - la recherche d’informations suffirait ainsi à elle seule pour permettre au partenaire en amont du distributeur en Suisse de prendre les mesures nécessaires pour mettre en échec les ventes passives. Selon la recourante, OLF ne lui aurait jamais fourni d’informations relatives à d’éventuelles importations parallèles.

              L’art. 3 précité, contenu dans le contrat passé avec OLF en 1996, prévoit, comme dit ci-dessus, que « [Interforum] et OLF conviennent de se signaler immédiatement tout "incident" sur ce plan et s'engagent à rechercher et à fournir le maximum de renseignements et de preuves pour que [Interforum] puisse faire les démarches nécessaires pour faire cesser de telles "pratiques" éventuellement constatées. N.B. : OLF aura les mêmes "préoccupations" » (cf. supra let. A.b ; acte 516 p. 4). Comme exposé plus haut, la recherche d’informations ne figure pas au nombre des mesures aptes à exclure, de manière indirecte, les ventes passives (cf. supra consid. 7.3). Les devoirs d’information, à charge des partenaires de distribution, ne peuvent en effet constituer à eux seuls un accord au sens de l’art. 5 al. 4 LCart ; d’autres indices, tendant à démontrer que ceux-là ont effectivement conduit à une exclusion des ventes passives, sont nécessaires (cf. Comco, DPC 2010/1, p. 65 Gaba, ch. 130 ss). En effet, même si le contrat avec OLF donne à lui seul les moyens au groupe Editis de déterminer si ses partenaires commerciaux en France distribuent les ouvrages contractuels sur le territoire exclusif, encore faut-il que celui-là ait pris des mesures visant à exclure les ventes passives en Suisse. Il n’en reste toutefois pas moins que la recherche d’informations constitue en l’espèce un indice en faveur de l’existence d’un régime d’exclusivité absolue.

            3. L’autorité inférieure relève également que de nombreux diffuseurs, dont la recourante, ont indiqué au cours de l’enquête que le régime d’exclusivité était indispensable pour garantir la faculté accordée aux détaillants suisses de retourner leurs invendus (droit de retour). L’autorité inférieure y voit une contradiction avec l'affirmation des diffuseurs, selon

              laquelle les détaillants suisses ont toujours été en mesure de s'approvisionner où bon leur semblait. En effet, soit le régime d’exclusivité n’exclut pas les ventes passives et le droit de retour doit être agencé en conséquence pour éviter des comportements opportunistes, soit il exclut les ventes passives et l’acceptation des retours peut être pratiquée sans risque de tels comportements, puisque le diffuseur peut partir de la certitude que les livres qui lui parviennent en retour ont d’abord été livrés par ses propres soins. S’agissant du groupe Editis en particulier, l’autorité inférieure indique que, durant la période visée par l’enquête, celui-ci n’a mis en œuvre aucun mécanisme apte à gérer les retours, autre que la concession d’une exclusivité pour la Suisse à OLF.

              Contestant avoir déclaré que les ventes passives devaient être empêchées en raison du droit de retour, la recourante relève que celui-ci peut également fonctionner si des livres sont importés parallèlement. La recourante, respectivement OLF, n’examine pas si les livres retournés ont bel et bien été achetés en Suisse ; dès lors que OLF est rémunérée pour cette prestation, elle accepte les retours. Seul le cas de la Fnac suisse nécessite des mesures spéciales, attendu que la grande partie des livres que ce libraire revend en Suisse a été acquise en France ; celui-ci n’est alors autorisé à retourner au maximum que le nombre de livres commandés auprès de la recourante. Celle-ci précise pour le reste que la plupart des revendeurs ont commandé leurs livres, au cours de la période visée par l’enquête, via le réseau de distribution officiel en Suisse.

              Il ressort du dossier que la Fnac suisse s’approvisionne depuis 2012 également en France (cf. infra consid. 9.8.4). Or, la recourante ne prétend pas que des « mesures spéciales » auraient été mises en place afin d’exercer un contrôle des retours par rapport aux flux « aller » durant la période de référence, à savoir entre 2005 et 2011. Le silence de la recourante sur la gestion des retours par OLF avant 2012, respectivement la mise en exergue des mesures spéciales appliquées à la Fnac suisse et l’affirmation selon laquelle la plupart des détaillants suisses passaient par OLF, laissent à penser que le droit de retourner les invendus était, durant la période considérée, garanti par le régime d’exclusivité convenu pour « le réseau de distribution officiel en Suisse ». Aussi, pour garantir l’exclusivité de la distribution des ouvrages contractuels sur le territoire suisse à OLF et, partant, protéger celle-ci de comportements opportunistes en relation avec les invendus, des dispositions visant à cloisonner le marché suisse doivent, selon toute vraisemblance, avoir été mises en œuvre. Il existe donc un indice selon

              lequel le groupe Editis aurait exclu les ventes passives en Suisse par ses partenaires de distribution en France durant la période considérée.

            4. L'autorité inférieure fournit encore un autre élément quant à la portée du régime d'exclusivité de la recourante, à savoir un passage d’un procès-verbal daté du 25 mai 2005 d’une réunion de l’assemblée professionnelle du domaine diffuseurs au sein de l’ASDEL du 11 mai 2005, à laquelle a assisté notamment la recourante. Sa teneur est la suivante (acte 547f p. 4) :

              "M. P._

              [Servidis] a récemment rencontré M. K.

              [Payot]. Ce

              dernier souhaite obtenir l'autorisation du distributeur concerné d'aller s'approvisionner en France lorsqu'une commande ne peut pas être honorée dans un certain délai.

              À la faveur d'un tour de table, personne n'est d'accord de signer un tel document."

              Se fondant sur les auditions menées auprès des diffuseurs et de Payot à la fin de l’année 2012, l’autorité inférieure soutient qu'il ne fait aucun doute que l’objet de la discussion était en relation directe avec la possibilité d’effectuer des importations parallèles de manière généralisée. L’autorité inférieure considère en effet que, même si l’objet de la

              demande de K.

              à P.

              ne vise que les situations de

              rupture de stock, les diffuseurs perçoivent une telle démarche comme un danger pour leur système de distribution respectif, raison pour laquelle dite demande, adressée bilatéralement à P. , a été abordée au cours de l’assemblée des diffuseurs et a donné lieu à un tour de table. En d’autres termes, pour les diffuseurs-distributeurs, ouvrir la distribution en cas de rupture de stock revient à tolérer une exception qui pourrait avoir des conséquences non limitées à ces situations ; c’est dans ce sens que "personne n’est d’accord". Selon l’autorité inférieure, les diffuseurs se sont dès lors entretenus sur le danger des importations parallèles pour leur survie, ce qui a renforcé la capacité des systèmes de distribution respectifs à exclure toute vente passive. Elle relève encore que ceux-là ont communiqué mutuellement, à diverses reprises, sur les dangers de voir certains détaillants, en particulier les détaillants les plus importants, augmenter la pression sur les régimes d’exclusivité. Elle se réfère à cet égard à un autre procès-verbal d’une réunion de l’ASDEL du 12 mars 2007.

              1. La recourante rétorque que, dans la proposition du secrétariat, dit procès-verbal tendait à prouver l’existence d’un accord horizontal au sens de l’art. 5 al. 3 LCart. Cependant, compte tenu des doutes entourant le

                déroulement exact des faits rapportés dans ce document, l’autorité inférieure a abandonné dite charge. Néanmoins, celle-là semble désormais considérer ce procès-verbal comme un indice de l’existence d’un accord vertical attribuant des territoires au sens de l’art. 5 al. 4 LCart. Selon la recourante, la signification de ce document est totalement obscure et la conclusion que l’autorité inférieure en tire est erronée à double titre. Premièrement, si les faits relatifs à la réunion du 11 mai 2005 ne peuvent être établis à suffisance de droit, aucune conclusion ne peut en être tirée au détriment de la recourante ; c’est à l’autorité inférieure d’assumer les conséquences de l’absence de preuves. Secondement, celle-là met tous les systèmes de distribution examinés au pilori. Le fait que la recourante n’ait joué aucun rôle actif lors de cette réunion de l’ASDEL demeure ignoré.

              2. La teneur du passage en cause est pour le moins équivoque. Entendus à ce sujet par l’autorité inférieure à la fin de l’année 2012, les diffuseurs présents lors de ladite assemblée ont pour la plupart indiqué (s’agissant de la recourante, cf. acte 908 lignes 220 ss), tout comme K. (acte 913 ligne 142), que le « document » auquel il est fait référence dans le procès-verbal n’a jamais existé, ce qui permet d’emblée de douter de la précision avec laquelle les propos tenus y ont été retranscrits et, partant, affaiblit la valeur probante de dite pièce. Ceux-là ont en outre tous déclaré avoir peu de souvenirs de ce point précis du procès-verbal (s’agissant de la recourante, cf. acte 908 lignes 220 ss).

                Néanmoins, Q.

                (Diffulivre), qui n’a pas assisté à ladite

                assemblée, a déclaré avoir pris contact avec R. , (Diffulivre) présent lors de celle-ci, afin d’obtenir des éclaircissements sur la teneur

                du passage litigieux du procès-verbal. Q.

                a ainsi indiqué que

                « cela était relativement flou dans sa tête ». « Il ne se souvenait pas exactement de ce qu’il s’était passé [ ]. Il m’a dit : oui effectivement nous avons eu un tour de table sur les importations parallèles mais nous ne sommes pas tombés d’accord » (acte 902 lignes 362 ss). Q. a relevé à cet égard que « il n’y avait pas à tomber d'accord parce qu'ils ne pouvaient pas prendre la décision sur, autoriser ou refuser, les importations parallèles » (acte 902 lignes 366-367).

                Entendu par l’autorité inférieure le 26 novembre 2012 (acte 914), P. a admis qu’à la lecture de la proposition du secrétariat, il ne se souvenait plus du tout de cette affaire ; il a toutefois supposé que, si on le citait, c’est qu’il devait avoir tenu ces propos (lignes 435 ss). Ce nonobstant, il a indiqué avoir déclaré lors de dite assemblée que

                K. souhaitait pouvoir se servir en France pour les ouvrages en rupture de stock. Or, il considère que si K. se servait en France pour une partie de la production, il pouvait très bien se servir en France pour l’intégralité de la production (lignes 451 ss), si bien que, dans ce cas, sa société n’existerait plus (lignes 454 ss). Il a ajouté que les diffuseurs n’avaient pas le pouvoir d’empêcher les « gens » de se servir en France (lignes 414 ss).

                Interrogé le même jour sur ce point par l’autorité inférieure, K. (acte 913) a exposé que dite requête - également adressée à Diffulivre, Gallimard et Interforum - consistait à trouver avec les diffuseurs un « système parallèle » pour les titres en rupture de stock, « de manière à ramener le délai à quelque chose d'acceptable et raisonnable » (lignes 148 ss). Le délai de livraison, en général supérieur à deux semaines, était lié aux ruptures de charge entre le moment où le libraire commandait le livre et le moment où il le recevait. Les ruptures de charge étaient dues au fait qu’en général, le diffuseur suisse ne passait pas tous les jours une commande chez le distributeur français et qu’il n’allait pas non plus relever la marchandise tous les jours chez celui-ci (lignes 166 ss). La

                demande de K.

                tendait ainsi à obtenir un accord de principe

                quant à la mise en place d’un circuit visant à éviter ces ruptures de charge. Il déplore qu’aucun diffuseur n’ait pris en compte ses besoins (ligne 152).

              3. Il y a tout d’abord lieu de relever que la valeur probante des déclarations reportées ci-dessus doit être relativisée en raison des sept années écoulées depuis les faits, les diffuseurs ayant eux-mêmes indiqué avoir de vagues souvenirs de cette affaire. Par ailleurs, l’on peine à voir comment un approvisionnement par la France pourrait représenter une solution alternative lorsqu’une commande en Suisse « ne peut pas être honorée dans un certain délai ». A cet égard, P. a indiqué lors de son audition qu’en cas de rupture de stock sur les titres importants, les ouvrages sont déjà commandés, si bien que le délai de livraison oscille entre un et trois jours. Pour les autres titres, le délai peut s’étendre de 10 à 15 jours (acte 914 lignes 446 ss).

        De plus, il y a lieu de noter qu’au cours de son audition, P. a fait part de son inquiétude face à une ouverture de la distribution pour les titres en rupture de stock, craignant ainsi une généralisation de l’approvisionnement de Payot en France et a ajouté ne pas pouvoir l’empêcher de se servir en France (acte 914 ligne 451 ss). De même, Q. a rapporté que le tour de table avait porté sur les importations

        parallèles (acte 902 lignes 362 ss). Or, attendu que la tenue de tels propos ne sert les intérêts ni de Servidis ni de Diffulivre dans la procédure, il convient de reconnaître une certaine force probante à ces déclarations. En outre, comme l’a relevé l’autorité inférieure, un passage du procès-verbal de la réunion l’ASDEL du 12 mars 2007 indique que les diffuseurs ont abordé la question des importations parallèles : « Les diffuseurs ont appris que la Fnac Suisse avait entrepris des démarches auprès de certains diffuseurs français afin de pouvoir s'approvisionner directement à partir de la France. La plupart lui ont signifié qu'ils n'entraient pas en matière puisqu'ils avaient un diffuseur exclusif pour la Suisse. D'autres pensent en revanche qu'il ne faut pas couper les ponts et négocier avec cette chaîne, dans la mesure où la Fnac a toujours la possibilité de passer par la plate-forme française du groupe. Les diffuseurs suivent de près ces démarches et prendront au besoin des dispositions appropriées » (acte 547f p. 12). En définitive, il y a lieu d’admettre que la problématique des importations parallèles a, d’une manière ou d’une autre, été évoquée entre les diffuseurs lors de l’assemblée du 25 mai 2005, ce qui constitue également un indice en faveur de l’existence d’une exclusion des ventes passives imposée par le groupe Editis.

        9.4.5 Il ressort de ce qui précède que l’échange d’informations, l’exercice du droit de retour ainsi que les discussions intervenues en 2005, auxquelles a assisté la recourante, entre les diffuseurs-distributeurs au sein de l’ASDEL constituent des indices supplémentaires en faveur de l’existence d’une interdiction des ventes passives.

        Toutefois, afin d’emporter la conviction du tribunal, il y a lieu de poursuivre l’analyse et de déterminer si les accords en cause ont, dans les faits, conduit à l’interdiction des ventes passives des ouvrages diffusés par la recourante en Suisse.

          1. Prise en compte des effets des accords

            1. L'autorité inférieure soutient que les systèmes de distribution, fondés sur des régimes d’exclusivité, des diffuseurs suisses ont dans les faits incontestablement visé les ventes passives. Elle indique en effet que, malgré la volonté d’opérer des importations parallèles, aucun détaillant situé sur le territoire suisse n'a été en mesure d’y procéder dans un volume conséquent durant la période sous investigation. Pour plusieurs d’entre eux, dont la Fnac suisse et Payot, ce sont les systèmes de distribution reposant sur un régime d’exclusivité qui sont la cause de

              leur échec à importer parallèlement des livres de l’ensemble des diffuseurs durant la période visée par l’enquête. Seul le détaillant B.A. est parvenu à procéder à des importations parallèles par la mise en place du système "B.B " reposant sur des partenariats - secrets pour les diffuseurs en France comme en Suisse - avec des détaillants en France. Pour B.A. , la mise en place d’un tel procédé a également été commandée par les systèmes de distribution reposant sur un régime d’exclusivité. Selon l’autorité inférieure, l’exemple

              de B.A.

              serait la preuve par les faits que durant la période

              concernée un différentiel de prix important a existé. En outre, les tabelles de conversion de tous les diffuseurs, si elles ne sont pas équivalentes, contiendraient, dans tous les cas, toutes une majoration par rapport au taux de change. Aussi, l’autorité inférieure considère que des possibilités d’arbitrage significatives ont existé durant toute la période de l’enquête, tant au niveau du paramètre prix que d’autres paramètres, tels que le service et la qualité.

            2. La recourante fait valoir qu’on ne saurait déduire du faible niveau d’importations parallèles opérées durant la période sous investigation l’existence d’un accord au sens de l’art. 5 al. 4 LCart entre elle et OLF. Selon elle, les importations parallèles ne sont pas intéressantes en tant que le commerce du livre en Suisse romande repose sur un système de retours et de fournitures rapide. Bien que l’approvisionnement depuis l’étranger soit possible, il ne présente dès lors pas d’avantages pour les libraires. Les détaillants suisses n’ont de ce fait pas réellement essayé d’acheter des livres à l’étranger, en particulier pas auprès de grossistes étrangers. La recourante rappelle par ailleurs qu’aucun libraire n’a cité ne serait-ce qu’un seul cas d’approvisionnement auprès d’un grossiste situé à l’étranger qui aurait échoué en raison d’une quelconque interdiction de vendre en Suisse. Les livres proposés par Interforum Suisse peuvent être achetés en coopération avec des libraires français ou des grossistes en France, en Belgique ou au Luxembourg ou encore via Internet. Enfin, la recourante rappelle que, même si la Fnac suisse, Payot ou B.A. avaient entrepris des efforts pour obtenir des livres depuis l’étranger, leurs demandes auraient été directement adressées à la maison-mère. Or, un éventuel refus de la part de celle-ci d’approvisionner les libraires suisses ne signifie pas que la recourante aurait cloisonné le marché

              suisse. D.AO.

              a au demeurant été livrée directement par

              Interforum France, ce qui prouve pour le surplus que la recourante ne se sentait pas liée par la clause contractuelle convenue avec OLF.

            3. L'art. 5 al. 4 LCart crée une présomption de suppression de la concurrence efficace. S'agissant des contrats de distribution attribuant des territoires, la concurrence efficace est présumée supprimée lorsque les ventes par d'autres fournisseurs agréés sont exclues. Il ressort du texte même de l’art. 5 al. 4 LCart que la réalisation de la présomption suppose l'existence d'un accord qui interdise les ventes passives (cf. arrêt du TAF B-506/2010 précité Gaba consid. 8.1.2 ; PETER REINERT, in : Stämplis Handkommentar, Kartellgesetz, 2007, art. 5 p. 70 no 33 ; KRAUSKOPF/SCHALLER, in : BSK-KG, op. cit., art. 5 p. 437 no 557). Seul le contenu de l'accord en question est déterminant ; la preuve des effets concrets de l'entente sur la concurrence n'est pas nécessaire à l'application de la présomption (cf. ATF 144 II 194 BMW consid. 4.3.2 et 143 II 297 Gaba consid. 5.4.2 ; arrêt du TAF B-420/2008 du 1er juin 2010 Implenia consid. 7). Les effets de l’accord, respectivement l’existence d’une éventuelle concurrence résiduelle, ne sont en effet pas déjà à examiner au stade de l’application de l’art. 5 al. 4 LCart mais seulement dans le cadre du renversement de la présomption (cf. arrêt du TAF B-506/2010 précité Gaba consid. 3.3.14.2 et 8.1.2). Aussi, le seul fait que l’accord n’empêche pas les ventes passives suffit pour que la présomption de l'art. 5 al. 4 LCart ne s'applique pas à celui-ci. Cette règle correspond à la réglementation européenne (cf. art. 4/b 1er tiret du règlement d’exemption par catégorie). Les entreprises participantes n'ont dès lors pas à établir que des importations parallèles ont effectivement eu lieu car ce point n'est pas pertinent. Un autre choix serait inacceptable du point de vue systématique car il ferait dépendre l'application de l'art. 5 al. 4 LCart d'un comportement étranger à celui des entreprises participantes (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 568 no 609 et réf. cit. ; AMSTUTZ/REINERT, Vertikale Preisund Gebietsabreden, op. cit., no 71 ; cf. également Deiss BO 2003 E 331 et Schiesser BO 2003 E 329 ss).

        Comme exposé plus haut, la procédure administrative fédérale est régie par le principe de la libre appréciation des preuves (cf. supra consid. 9.4.1). Partant, les effets constatés durant la période sous investigation sur le marché pertinent, en particulier le défaut d’importations parallèles significatives des ouvrages du groupe Editis, peuvent néanmoins constituer un indice en faveur d’une exclusion des ventes passives et, à ce titre, être pris en considération déjà au stade de l’établissement de la présomption. Ceux-là ne suffisent toutefois pas à eux seuls à entraîner l’application de l’art. 5 al. 4 LCart. En effet, un accord, qui aurait pour effet d’entraîner une suppression de la concurrence efficace mais qui ne réaliserait pas les conditions

        d’application de l’art. 5 al. 4 LCart, serait saisi par l’art. 5 al. 1 LCart (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 488 ss no 223).

        De plus, il y a lieu de relever que le Tribunal fédéral, dans son arrêt Sammelrevers, a, dans le cadre de l’examen des conditions d’application de la présomption, non seulement discuté de l’accord en question mais également de la mise en œuvre et de la portée de celui-ci au regard du droit de la concurrence (cf. ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 6.5,

        6.5.2 ss, 7 ss). Le Tribunal administratif fédéral, dans son arrêt Implenia, a de même ajouté que des éléments de fait, se rapportant aux effets de l’entente, pourraient aussi être pertinents en cas de doute quant à l’existence d’un accord en matière de concurrence (cf. arrêt du TAF B-420/2008 précité Implenia consid. 7).

        Enfin, l’art. 4/b 1er tiret REC 2790/1999, dont est inspiré l’art. 5 al. 4 LCart

        - raison pour laquelle il est en l’espèce admis de se référer au droit européen (cf. supra consid. 7.2) -, prévoit que, ne sont pas exemptés, les accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d'autres facteurs sous le contrôle des parties, ont notamment pour objet la restriction concernant le territoire dans lequel l'acheteur peut vendre les biens ou services contractuels. Lorsqu'une telle restriction caractérisée est incluse dans un accord, il est présumé que cet accord relève de l'art. 101 par. 1 TFUE, lequel prévoit que les ententes ayant pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché commun sont interdites. Il est également présumé qu'il est peu probable que cet accord remplisse les conditions énoncées à l'art. 101 par. 3 TFUE, raison pour laquelle l'exemption par catégorie ne s'applique pas. Toutefois, les entreprises ont la possibilité de démontrer l'existence d'effets favorables à la concurrence en vertu de l'art. 101 par. 3 TFUE dans un cas donné (cf. point 47 lignes directrices).

        Qualifier un accord ou une pratique de restrictif à la concurrence par son objet équivaut en effet à une sorte de présomption, puisque, si cette nature restrictive est établie, il ne sera pas nécessaire de rechercher quels sont les effets de l’accord ou de la pratique en question sur la concurrence (cf. arrêt de la CJUE du 14 mars 2013 C-32/11 Allianz Hungária Biztosító contre Gazdasági Versenyhivatal, point 43). Un tel accord est présumé susceptible d’avoir des effets négatifs sur le marché et constitue per se une infraction à l’art. 101 al. 1 TFUE (cf. ANTIPAS, op. cit., p. 88). Certains auteurs estiment toutefois que, même dans le

        cadre de restrictions à la concurrence par objet, une certaine forme d’analyse des effets de l’entente s’impose. Le caractère sensible de la restriction implique de définir le marché pertinent et, dès lors, une certaine forme d’analyse des effets économiques proet anticoncurrentiels de l’entente sur ledit marché (cf. ANTIPAS, op. cit.,

        p. 275 et réf. cit.). De même, un accord échappe à la prohibition de l’art. 101 par. 1 TFUE lorsqu’il n’affecte le marché que d’une manière insignifiante (cf. arrêts de la CJCE du 28 avril 1998 C-306/96 Javico contre Yves Saint Laurent Parfums, Rec. 1998 I-1983 point 17, du 25 novembre 1971 C-22/71 Béguelin Import contre G.L. Import Export, Rec. 1971 949 point 16 et du 9 juillet 1969 C-5/69 Voelk contre Vervaecke,

        Rec. 1969 295 point 7).

        Dès lors que le droit européen - qui, contrairement au droit suisse, ne cherche pas à interdire les conséquences nuisibles d’ordre économique ou social des accords (principe de l’abus) mais des accords en soi (principe de l’interdiction) (cf. arrêts du TAF B-8399/2010 précité Baubeschläge Siegenia consid. 6.1.3 et B-8430/2010 du 23 septembre 2014 Baubeschläge Koch consid. 7.1.3) - n’exclut pas de prendre en compte les effets sur la concurrence pour déterminer si un accord a pour objet de restreindre celle-ci, le recours aux effets constatés sur le marché est a fortiori admis au stade de l’établissement des prémisses à la base de l’art. 5 al. 4 LCart. La prise en considération des effets de l’accord au stade de l’application de l’art. 5 al. 4 LCart ne dispense pas, le cas échéant, l’autorité d’examiner ultérieurement si la présomption est ou non renversée, en particulier au regard de la concurrence sur le plan intermarques.

        Il convient dès lors d’examiner plus avant ces effets.

        9.6 Possibilités d’arbitrage

        La première étape de l’analyse des effets des accords consiste à déterminer si des possibilités d’arbitrage ont existé durant la période considérée. Dans un deuxième temps, il s’agira d’établir si des importations parallèles ont été entreprises ou, à défaut, si elles auraient pu l’être. Ce n’est que dans un dernier temps - s’il est avéré que des importations parallèles n’étaient pas possibles - qu’il s’agira d’examiner la raison pour laquelle celles-ci ne pouvaient être opérées.

        Dans le cadre de l’enquête, le secrétariat a en particulier envoyé deux questionnaires à des libraires actifs en Suisse romande, le premier le 9

        décembre 2008 (actes 88 ss) et le second le 2 mars 2011 (acte 343), portant notamment sur les canaux d’approvisionnement parallèles des livres écrits en français. Il a également adressé un questionnaire, en date du 31 octobre 2008 (acte 63), aux 13 diffuseurs suisses, portant également sur les possibilités d’approvisionnement dont disposaient les libraires suisses durant la période de référence. La plupart d’entre eux ont prétendu que B.A. en particulier, ainsi que A. , la Fnac suisse et Payot avaient été en mesure d’opérer des importations parallèles depuis la France durant dite période. L’autorité inférieure a procédé à l’audition de ces quatre détaillants à la fin 2012.

        Il convient en premier lieu de préciser que les importations de titres non diffusés-distribués en Suisse ne sont pas à considérer comme des importations « parallèles », puisque ces livres ne connaissent justement pas de diffusion-distribution « officielle » ; dites importations ne concernent pas des titres distribués selon un système de distribution reposant sur un régime d’exclusivité pour la Suisse.

        Les réponses aux questionnaires ne sont examinées que dans la mesure où elles contiennent des indications concrètes sur le comportement déterminé et revêtent une valeur probante (cf. arrêts du TAF B-8399/2010 précité Baubeschläge Siegenia consid. 6.3.19 et B-5685/2012 précité Altimum consid. 4.8.4). S’agissant en particulier du questionnaire du 2 mars 2011, le secrétariat a demandé aux revendeurs, sous forme de questions à choix multiples, s’ils avaient « déjà essayé d'obtenir un livre appartenant au catalogue de l'un des diffuseurs-distributeurs établis en Suisse sans passer par le distributeur-diffuseur disposant du titre dans son catalogue ? », le cas échéant, à combien de reprises et s’ils y étaient parvenus. Parmi les libraires qui ont répondu à ces questions, seuls ceux ayant déclaré (dans le cadre du questionnaire du 9 décembre 2008) s’approvisionner en livres francophones en particulier auprès de OLF - laquelle distribue en Suisse les ouvrages diffusés par la recourante notamment - sont pris en compte dans l’examen ci-après. Ainsi, sur les

        56 libraires considérés, 35 ont répondu : « Non, jamais ». 63% des revendeurs visés n’ont ainsi pas tenté d’importations parallèles durant la période soumise à l’enquête, que ce soit auprès d’un éditeur, d’un diffuseur-distributeur ou d’un autre partenaire commercial.

        Il y a lieu de relever qu’à la question - contenue dans le questionnaire de décembre 2008 - de savoir s’il existait d’autres solutions d’approvisionnement en livres écrits en français, sans passer par l’intermédiaire des diffuseurs-distributeurs et, le cas échéant, de détailler

        les avantages et inconvénients de ces solutions alternatives, ainsi que leurs coûts, parmi les 77 détaillants ayant répondu à cette question et se fournissant en livres francophones en particulier auprès de OLF, 16 ont répondu notamment qu’il n’était pas possible de se fournir à l’étranger en raison des inconvénients que représente un tel approvisionnement et 53 ont indiqué qu’il existait d’autres sources d’approvisionnement à l’étranger, tout en exposant les inconvénients de se fournir hors de Suisse. Il ressort de ces réponses que dits inconvénients se font particulièrement sentir chez les libraires indépendants. Aussi, il y a lieu de distinguer, lors de l’examen des possibilités d’arbitrage, les détaillants les plus importants en Suisse - à savoir Payot et la Fnac suisse - des petits et moyens détaillants.

            1. Tout d’abord, il y a lieu de reconnaître que, durant la période visée, les prix pratiqués sur le marché wholesale français étaient inférieurs à ceux appliqués par les diffuseurs suisses. Comme l’a exposé l’autorité inférieure dans la décision attaquée (ch. 571), de même que Payot lors de son audition du 26 novembre 2012 (acte 913 lignes 662-672), la détermination des prix au niveau wholesale dans la branche du livre repose sur un système de tabelles de conversion établies, par chaque diffuseur suisse, à partir du prix d’origine en euros. Si elles ne sont pas identiques, ces tabelles contiennent toutes une majoration par rapport au taux de change. Celle-ci a pour corollaire une remise négociée par chaque détaillant avec chaque diffuseur, laquelle est plus élevée en Suisse qu’en France - chaque diffuseur agit sur ce plan d’une manière totalement indépendante ; il n'y a pas de lien entre les uns et les autres sur la fixation de leurs prix (ch. 571 décision attaquée). Malgré les remises, les prix de référence suisses restent néanmoins supérieurs aux prix d’achat français, ce qu’a également relevé Payot au cours de son audition (cf. infra consid. 9.7.2). Le libraire a en effet notamment déclaré avoir craint [ ] lorsque la Fnac est arrivée sur le marché suisse si celle-ci utilisait son circuit logistique français pour approvisionner en livres ses quantités suisses. Ce différentiel de prix au niveau wholesale entre la Suisse et la France est également établi par les tentatives d’importations

              parallèles opérées par B.A.

              durant la période visée (cf. infra

              consid. 9.7.3). Ces tentatives d’importations parallèles démontrent par la même occasion que, durant la période de l’enquête, le potentiel d’arbitrage au niveau du prix l’a emporté sur celui des services.

              Ensuite, on peut raisonnablement partir de l’idée que les volumes d’achats que Payot et la Fnac suisse auraient hypothétiquement pu générer en recourant aux importations parallèles (volume d’importation

              hypothétique) auraient été équivalents aux volumes des ventes réalisées par ces deux librairies en Suisse. Ainsi, Payot, qui détient [ ]% des parts du marché retail suisse du livre écrit en français (acte 913 ligne 95), aurait pu réaliser environ [ ] des importations de livres francophones en provenance de France. Avec ses [ ]% de parts de marché (acte 906 lignes 15-22), la Fnac suisse aurait pu réaliser [ ] desdites importations parallèles.

              L’importation de marchandises se caractérise en particulier par des économies d’échelle en relation avec le transport et le dédouanement ; une augmentation du volume d’importation entraîne ainsi une réduction des coûts moyens y relatifs. Le volume d’importation hypothétique de Payot excédant même le volume d’importation du plus grand diffuseur de livres écrits en français actif en Suisse ([ ]% de parts de marché pour Diffulivre entre 2009 et 2011 ; ch. 606 décision attaquée), celle-ci aurait pu comparativement, en cas d’importations parallèles, profiter d’économies d’échelle. Toutefois, dans le cadre de son audition, Payot a estimé les coûts des importations parallèles à 10% du prix de l’ouvrage concerné (acte 913 ligne 923).

              Quant à la Fnac suisse, avec un volume d’importation hypothétique d’environ [ ]%, le numéro 2 de la branche aurait bénéficié d’économies d’échelle un peu moins fortes que celles auxquelles Payot aurait pu prétendre. A titre comparatif, le volume d’importation hypothétique de la Fnac suisse correspond environ au volume d’importation de Servidis ([ ]% de parts de marché entre 2009 et 2011 ; ch. 606 décision attaquée) - troisième plus gros importateur de la branche actif en Suisse après Interforum ([ ]% de parts de marché entre 2009 et 2011 ; ch. 606 décision attaquée). En tant que la Fnac suisse est une filiale d’un groupe français, l’exploitation d’un centre de distribution en France aurait vraisemblablement été plus simple pour elle que pour Payot. Aussi, on ne saurait en conclure qu’un approvisionnement en France aurait occasionné pour la Fnac suisse des coûts d’importation supérieurs à ceux avancés par Payot.

              Il s’ensuit que, en dessous d’un différentiel de prix au niveau wholesale entre la Suisse et la France de l’ordre de 10%, il n’est pas possible d’établir avec certitude que les frais d’importation n’auraient pas excédé ledit différentiel de prix.

            2. En prenant l’exemple de Payot, il peut être relevé que celle-ci a indiqué en substance, dans sa réponse à la demande d’informations dans

              le cadre de l’ouverture de l’enquête préalable en 2007, que, conformément à la moyenne des tabelles constatée en Suisse romande, le prix public suisse était d’environ 30% plus élevé que le prix régulé en France (acte 22 p. 5).

              Il sied en l’espèce de déterminer au plus près le niveau des prix wholesale français et suisses sur le catalogue diffusé en Suisse par la recourante en vue d’établir d’abord si Payot et la Fnac suisse auraient eu concrètement un intérêt à procéder à des importations parallèles.

              S’agissant de la recourante, elle a produit - en annexe à sa réponse au questionnaire de l’autorité inférieure du 12 juillet 2007 (acte 27) - les tabelles qu’elle a appliquées durant la (seule) année 2007. Compte tenu de celles-ci et du cours du taux de change entre l’euro et le franc suisse en 2007 (cf. statistiques du cours des devises de la Banque Nationale Suisse [ci-après : BNS], https://data.snb.ch/fr/topics/ziredev#!/cube/ devkua, consulté le 30 octobre 2019), il peut être retenu que la recourante a appliqué en 2007 un prix public en Suisse de [ ]% (TTC) en moyenne plus cher qu’en France s’agissant des livres dont la fourchette du prix public français monte jusqu’à 40 euros, soit en ce qui concerne la catégorie de livres la plus représentative en matière de vente sur le marché français. Cette augmentation moyenne des prix en Suisse par rapport à la France en 2007 se détermine de la manière suivante. Il y a d’abord lieu d’établir un facteur de conversion moyen des tabelles 2007 pour la catégorie de livres précitée : [ ]. Ensuite, il est tenu compte des taux de change mensuels moyens entre l’euro et le franc suisse pour la période correspondante, conformément aux statistiques du cours des devises de la BNS. Les différences entre le facteur de conversion moyen et les divers taux de change entre l’euro et le franc suisse, divisées par lesdits taux mensuels, représentent les augmentations mensuelles moyennes des prix en Suisse par rapport à la France pour les livres jusqu’à 40 euros. De l’ensemble de ces augmentations mensuelles ainsi déterminées résulte une augmentation moyenne de [ ]% (TTC) pour l’année 2007.

              Aussi, le niveau des prix sur le marché wholesale français aurait été, en moyenne sur l’année 2007, [plus de 10]% inférieur à celui pratiqué en Suisse par la recourante, compte tenu :

              • d’un taux de remise accordé à un libraire français du niveau de Payot sur le prix de vente en France de 40% - selon les indications de

                Payot, dans le cadre de la demande d’informations du 12 juillet 2007 (acte 21 p. 6) ;

              • d’un taux de remise de base accordé au libraire suisse Payot sur le prix de vente tabellisé en Suisse de maximum [ ]% - selon les chiffres communiqués par Payot, dans le cadre de la demande d’informations précitée (acte 21 p. 6) ;

              • ainsi que du retrait de la TVA française à 5.5% du prix payé après déduction de la remise accordée en France et de l’ajout de la TVA suisse à 2.5% (à savoir le taux déterminant de TVA le plus élevé durant la période de référence, celui-ci étant passé de 2.4% jusqu’à fin 2010 à 2.5% dès début 2011) sur le prix d’achat français hors TVA.

              Ce montant se calcule comme suit : après déduction de la remise de 40% et de la TVA française ainsi que de l’ajout de la TVA suisse, Payot aurait payé, au regard du marché wholesale français, 58.3% du prix public français ([100% - 40%] / 1.055 x 1.025). Sur le marché wholesale suisse, ladite librairie n’a certes payé que [ ]% du prix public recommandé en Suisse par la recourante, après déduction de la remise (plus élevée) de [ ]% (100% - [ ]%). Cela dit, le prix public suisse étant en moyenne [ ]% (TTC) plus élevé que celui en France pour la fourchette considérée, le prix wholesale à acquitter par les détaillants suisses à la recourante totalise néanmoins [ ]% - soit [ ]% de [ ]% - du prix public français. Dans l’ensemble, le prix requis par la recourante au niveau wholesale est [plus de 10]% supérieur à celui que Payot aurait payé au niveau du marché wholesale en France ([{ } - 58.3%] / 58.3%).

              Quant au reste de la période de l’enquête, la recourante n’a pas produit de tabelles ou d’exemples chiffrés. Dès lors que les éléments de preuve à même de démontrer que la recourante aurait appliqué un facteur de conversion moyen autre que [ ] ne se trouvent que dans sa sphère d’influence, il lui appartenait de les produire, conformément à son obligation de collaborer (cf. supra consid. 9.4.1). Dès lors, il y a lieu de retenir que la recourante a appliqué un facteur de conversion de [ ] pour l’entier de la période de l’enquête. Au surplus, il y a encore lieu de relever qu’entre 2005 et 2011, c’est en 2007 que le cours du taux de change entre l’euro et le franc suisse a été le plus élevé. Compte tenu d’un facteur de conversion de [ ] applicable durant l’entier de la période de l’enquête, le différentiel de prix moyen de [plus de10]% retenu en 2007 entre les marchés wholesale suisse et français est le plus bas de la période visée.

              A noter qu’il est tenu compte du taux de TVA suisse le plus élevé pour l’entier de la période de l’enquête, dès lors qu’en tenant compte de celuici, l’on parvient à un différentiel de prix entre la Suisse et la France au niveau wholesale inférieur à celui obtenu en prenant les taux moins élevés, ce qui est au bénéfice de la recourante. De même, les différents chiffres ayant été arrondis lors des différentes étapes du calcul, il peut subsister une différence de l’ordre de 0.1% dans le résultat final. Dite différence n’a toutefois pas d’influence sur les conséquences juridiques qu’il y a lieu de tirer de l’existence d’un différentiel de prix de [plus de 10]% entre les prix wholesale suisse et français.

              Le différentiel de prix de [plus de 10]% ayant existé entre les marchés wholesale français et suisse durant la période de l’enquête confirme ainsi que des possibilités d’arbitrage suffisantes ont existé pour Payot et la Fnac suisse durant cette période pour les ouvrages diffusés par la recourante en Suisse.

            3. Reste à examiner ce qu’il en était durant dite période pour les petits et moyens détaillants.

              Il ressort des réponses données au questionnaire de décembre 2008 par les détaillants s’étant fournis notamment auprès de la recourante qu’un approvisionnement à l’étranger présentait des inconvénients, tels que : délais de livraison plus longs, frais de port élevés, frais de douane, tarif administratif pour le traitement de la TVA, frais bancaires, factures pro forma, formalités administratives compliquées, remises accordées plus basses, livres abîmés durant le transport, problèmes douaniers occasionnels, absence de droit de retour ou à des conditions moins avantageuses, difficultés à trouver et à communiquer avec les éditeurs, davantage de travail dû à la collaboration avec chaque entité individuelle plutôt qu’avec un seul partenaire.

              Quant aux avantages à se fournir à l’étranger, ces mêmes détaillants ont indiqué qu’ils bénéficieraient d’un taux de conversion euro/franc suisse semblable au taux de change. Certains ont toutefois ajouté que, compte tenu des frais supplémentaires occasionnés par une commande à l’étranger, cela reviendrait au final au même, au niveau du prix, qu’en passant par un diffuseur-distributeur en Suisse. Quelques libraires ont également reconnu que l’approvisionnement à l’étranger permettait, le cas échéant, d’obtenir un livre qui n’était plus en stock en Suisse.

              Enfin, plusieurs revendeurs ont souligné l’importance et la qualité du service du réseau de diffusion-distribution suisse, en particulier, pour les libraires indépendants, la rapidité des livraisons. La librairie A. a indiqué que, même si certains diffuseurs avaient des tabelles trop élevées, ceux-ci rendaient aux libraires un service inestimable, leur permettant ainsi d’être performants.

              Entendue par l’autorité inférieure le 26 novembre 2012 (acte 909), S. , en sa qualité de Présidente des libraires indépendants au sein de l’ASDEL et gérante de la librairie A. , a expliqué que

              A.

              s’approvisionnait exclusivement en Suisse ceci, pour des

              raisons à la fois de commodité et économiques : « [ ] Si on le fait pas [ouvrir des comptes en France], c'est parce que pour nous, libraires indépendants, ça coûterait plus cher [ ] » (lignes 122-123). « [ ] si j'ouvrais des comptes en France, [ ] mon chiffre d'affaires serait absolument nul, je n'aurais certainement pas la remise que j'ai maintenant en Suisse romande ». Le délai de livraison serait en outre plus long, si bien que la librairie serait moins « performante ». « [ ] Mais justement, peut-être que si nous, nous n'avons pas été plus loin dans la démarche, c'est parce que nous trouvons que pour nous, nous aimerions mieux rester dans un système qui marche très, très bien, qui fait ses preuves et qui pour nous est une aide à être performant » (lignes 347350). Quant à savoir si elle prévoyait de s’approvisionner à l’étranger en cas de détérioration des conditions proposées en Suisse, S. répond ne pas y être fermée, insistant sur le fait que ce n’est pas qu’elle ne veut pas se servir en France mais qu’actuellement, ce serait pour les libraires indépendants plus cher et plus long. Or, leur concurrence est fondée sur le service à la clientèle, lequel leur est garanti par les diffuseurs-distributeurs suisses.

              Il résulte de ce qui précède que, durant la période sous investigation et contrairement à ce que prétend l’autorité inférieure, les possibilités d’arbitrage ont été faibles pour les petites librairies. Il ressort en effet des réponses au questionnaire de 2008 que, lorsqu’un livre est disponible en Suisse, celles-ci préfèrent passer commande auprès des diffuseursdistributeurs suisses. En cas d’approvisionnement à l’étranger, les petites librairies doivent en particulier, ceci en raison de leur (faible) volume d’achat, faire face à des coûts fixes unitaires importants (frais de transport, frais de dédouanement, coûts d’exploitation d’un centre de distribution). Partant, il y a lieu d’admettre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, que la raison pour laquelle la majorité des détaillants indépendants considérés n’ont pas tenté

              d’importations parallèles durant la période de référence réside très vraisemblablement dans les inconvénients que représente un tel approvisionnement, ainsi que dans la qualité du service qu’ils reconnaissent au réseau de diffusion-distribution suisse.

              A noter toutefois que, même pour un volume d’affaires relativement faible par rapport au marché retail en Suisse, l’exemple du libraire suisse B.A. - lequel a, par l’intermédiaire de différentes structures sises en France, poursuivi une stratégie visant à contourner les systèmes de distribution prévus pour la Suisse (cf. infra consid. 9.7.3) - souligne l’existence de possibilités d’arbitrage par le prix lorsque le différentiel entre le taux de change effectif et les taux de conversion des tabelles était important. En effet, entendu par l’autorité inférieure en date du 26 novembre 2012 (acte 911), le responsable de l’enseigne B.A. a notamment déclaré que « à l’époque, l’euro valait à peu près 1.65/1.66, des diffuseurs qui exagèrent un petit peu étaient autour de 2.20/2.25 [ ] » et indiqué s’approvisionner comme il le faisait dès lors que « c’était le seul moyen d’arriver à avoir la marchandise dans des conditions [ ] normales ».

              Enfin, il convient encore de relever que les librairies de taille moyenne peuvent également bénéficier d’un potentiel d’arbitrage par le prix si elles coordonnent leurs importations - dans les limites de la loi - auprès de l’un des trois plus grands diffuseurs suisses, à savoir Diffulivre, Interforum ou Servidis. Ensemble, elles peuvent en effet atteindre un volume d’achat leur permettant de réaliser des économies d’échelle élevées et d’assumer les coûts d’exploitation d’un centre de distribution en France.

            4. Il suit de ce qui précède que des possibilités d’arbitrage par le prix ont existé durant la période de référence pour les librairies Payot et la Fnac suisse, de même que pour les revendeurs de taille moyenne à condition que ceux-ci coordonnent leurs achats dans les limites de la loi. Il appert ainsi que l’autorité inférieure n’a pas constaté les faits pertinents de manière inexacte ou incomplète en retenant, dans la décision attaquée, que des possibilités d’arbitrage avaient existé durant la période visée par l’enquête s’agissant des ouvrages diffusés par la recourante en Suisse.

          1. Existence d’importations parallèles

            Cela étant, il convient d’examiner si des importations parallèles ont été entreprises durant la période considérée (cf. infra consid. 9.7.1-9.7.5), respectivement si elles auraient pu l’être (cf. infra consid. 9.8).

            A cet égard, il y a lieu de tenir compte des réponses aux questionnaires précités - de même que celles contenues dans les procès-verbaux d’audition - de l’ensemble des libraires ayant indiqué s’approvisionner auprès de OLF. En effet, les informations fournies par les détaillants, même s’ils n’ont individuellement pas bénéficié d’un potentiel d’arbitrage durant la période visée, constituent néanmoins des indices quant à savoir si les importations parallèles étaient ou non possibles à cette époque. De même, il y a lieu de tenir compte de l’ensemble des expériences des détaillants s’agissant d’importations de livres du catalogue de la recourante distribués en Suisse par OLF. Peu importe que les détaillants se soient approvisionnés ou aient tenté de le faire auprès d’un éditeur (importations directes), d’un diffuseur-distributeur étranger ou d’un autre partenaire commercial ; l’ensemble de ces expériences peuvent en effet constituer un indice selon lequel le système de distribution de la recourante a interdit les ventes passives.

            1. Parmi les détaillants ayant indiqué, dans le questionnaire du 2 mars 2011 (acte 343), avoir tenté de se fournir à l’étranger, trois ont répondu avoir essayé, une seule ou plusieurs fois, de s’approvisionner auprès d'un

              « distributeur-diffuseur étranger » et n’avoir rencontré aucune difficulté à obtenir le livre. Il s’agit des librairies D.A. (une seule fois ; acte 353), D.B. (plusieurs fois ; acte 349) et la Fnac suisse (une seule fois ; acte 411). A cet égard, il convient de relever que, dans le précédant questionnaire du 9 décembre 2008, la librairie D.A. avait indiqué qu’il n’existait pas d’autres solutions pour s’approvisionner en livres francophones que de passer par les distributeurs-diffuseurs suisses (acte 99). Il convient encore de préciser qu’en réponse à un questionnaire du 10 décembre 2007 envoyé à quelques détaillants, la Fnac suisse avait expliqué qu’un approvisionnement en France pouvait intervenir de manière très ponctuelle, notamment lorsque certaines références étaient en rupture prolongée chez les diffuseurs suisses et qu'il y avait une forte demande sur ces références (acte 53). Trois librairies, ayant tenté de se fournir à l’étranger auprès d’un diffuseur-distributeur, ont en revanche renoncé à obtenir le livre au vu des difficultés s’étant présentées à elles. Il s’agit de la librairie D.C. , laquelle a expliqué que « en tant que libraires suisses, nous sommes à chaque fois sommés de passer

              commande auprès du fournisseur suisse avec lequel l’éditeur concerné a un contrat » (acte 473) ; de la librairie D.D. , qui a relevé que

              « les diffuseurs français répondent ne pas servir la Suisse » (acte 433) et la librairie D.E. (acte 421).

              Payot a répondu s’approvisionner auprès d'un « autre partenaire commercial », à savoir les librairies C. (cf. infra consid. 9.7.2), à titre exceptionnel, pour pallier des ruptures de stock en Suisse sur une meilleure vente du moment, tout en précisant qu’elle n’avait pas grand intérêt à le faire à grande échelle car si elle réduisait ses achats chez le diffuseur local, ses conditions commerciales, liées à ses achats annuels, seraient revues à la baisse un jour ou l’autre (acte 397). Il en va de même de la librairie D.G. qui a indiqué avoir souvent acheté via le site Internet amazon.fr (acte 406). A noter que celle-ci a toutefois mentionné, en réponse au questionnaire de 2008, avoir l’obligation de passer par les diffuseurs-distributeurs suisses lorsque l’ouvrage est diffusé et distribué en Suisse (acte 136). La librairie D.F. a également indiqué avoir tenté de s’approvisionner auprès d’une « librairie collègue » mais avoir essuyé plusieurs refus (acte 461).

              S’agissant des détaillants ayant répondu avoir pris contact avec un

              « éditeur », deux d’entre eux ont indiqué avoir tenté de s’approvisionner directement auprès des éditeurs à l’étranger et n’avoir rencontré aucune difficulté - sans toutefois exposer les circonstances liées à ces approvisionnements. Il s’agit de la librairie D.H. (une seule fois ;

              acte 427) et de la librairie D.I.

              (régulièrement ; acte 410). La

              librairie D.J. a indiqué que s’approvisionner auprès des éditeurs était « tellement plus compliqué » et que « chaque livre est un cas » (acte 418). Une autre librairie, D.E. , a indiqué avoir rencontré des difficultés à s’approvisionner auprès de l’éditeur et avoir essuyé plusieurs refus. Elle met en cause les contrats d’exclusivité, lesquels « vérouille[nt] toute possibilité d’obtenir le livre en direct » (acte 421). Elle indique toutefois, dans le questionnaire de 2008, être en mesure d’obtenir le livre lorsque celui-ci n’est pas diffusé-distribué en Suisse (acte 149). La

              librairie D.K.

              a également indiqué avoir essuyé un refus,

              expliquant que « l’éditeur nous a indiqué quel était son distributeur en Suisse et nous avons ensuite passé notre commande chez ce distributeur » (acte 383). Plusieurs librairies ont fait état de difficultés ou de refus, les ayant parfois contraintes à renoncer à un approvisionnement direct auprès des éditeurs. Il s’agit notamment de la librairie D.M.

              (cf. actes 130 et 358), la librairie D.C.

              (acte 473), la librairie

              D.Z. (acte 371), la librairie D.N. (acte 455) et la librairie

              D.L.

              (acte 412). Les raisons avancées par les détaillants sont

              principalement le régime d’exclusivité octroyé par les éditeurs aux diffuseurs-distributeurs suisses, les frais de port élevés ou les délais de livraison qui ne seraient pas tenus.

              Les expériences détaillées ci-dessus font état de quelques approvisionnements. Ils ne sont toutefois pas assimilables à des

              importations réussies. En effet, hormis la librairie D.B.

              et la

              librairie D.I. , qui ont annoncé avoir régulièrement acquis avec succès des ouvrages à l’étranger - sans toutefois en détailler les circonstances -, les détaillants font face à des difficultés ou des refus lorsque l’ouvrage en question est diffusé-distribué en Suisse. Partant, à l’instar de ce que relèvent Payot et la Fnac suisse notamment, ce n’est que lorsque l’ouvrage n’est plus disponible auprès des diffuseursdistributeurs suisses - par exemple en cas de rupture de stock - qu’un approvisionnement en France est exceptionnellement possible.

            2. Citée par plusieurs diffuseurs comme un exemple d’importations

              parallèles réussies, Payot - représentée par K.

              et T.

              (président de Payot) - a été entendue le 26 novembre 2012 par l’autorité inférieure (acte 913).

              Ceux-ci ont indiqué que, sur toute la période visée par l’enquête, Payot n’avait, sous quelques réserves, procédé à aucune importation parallèle - ouverte ou cachée, par l’intermédiaire d’un « faux-nez » - et n’aurait pas été en mesure de le faire et ce, malgré son poids. Seuls les titres n’étant ni diffusés ni distribués en Suisse, ainsi que les livres proposés par sa franchise [ ] pouvaient être obtenus en dehors du circuit traditionnel de la distribution en Suisse (lignes 400-409). A noter que ces dernières importations ne concernent toutefois pas le système de distribution de la recourante dès lors que les ouvrages composant dite franchise sont diffusés-distribués en Suisse par la société Servidis. Quant aux importations de titres d’éditeurs français non diffusés-distribués en

              Suisse, K.

              a indiqué que Payot avait passé en 2005 un

              partenariat avec les librairies C. à Lyon, ce qui représentait une alternative moins coûteuse qu’un achat direct (lignes 347-351). Interrogée ensuite sur la pratique du « faux-nez », Payot a relevé que, compte tenu de sa taille, elle ne pourrait mettre en place une telle pratique. En cas de tentative, aucun compte ne lui serait ouvert en France pour son volume et elle devrait compter avec un certain nombre de réactions, c’est-à-dire des mesures de rétorsion au niveau des conditions commerciales (lignes 812830). En outre, Payot souhaite travailler en concertation avec ses

              fournisseurs et de manière transparente (lignes 805-807). De même, K. a précisé que leurs « achats en France ne pourraient se faire qu'auprès des maisons-mères et certainement pas auprès de grossistes quels qu'ils soient, qui sont inadaptés aussi bien en termes de conditions commerciales puisque c’est un intermédiaire de plus, ça ne réglerait pas [leur] problème de prix d’achat ( ) » (lignes 422-425).

              K. a indiqué avoir eu, à la suite de l’appréciation du franc suisse, dans un premier temps, des discussions avec Interforum France en septembre 2011 s’agissant d’un approvisionnement direct à l’étranger, qui se sont conclues par une fin de non-recevoir puis, dans un second temps, une amélioration de leurs conditions commerciales et une demande officielle, en septembre 2012, d’ouverture de négociations qui a abouti par un « nous y réfléchissons », sans qu’aucune date ne soit fixée (acte 913 lignes 268-279). Hormis le compte ouvert auprès de Hachette Livre en France en 2000 ([ ]), et qui n’a jamais été utilisé, Payot n’a pas de compte ouvert auprès d'un diffuseur ou directement auprès d'un éditeur à l'étranger (acte 913 lignes 364-383 et 390-394). Celle-ci a indiqué [ ]. Elle peut se satisfaire d'un approvisionnement local, dès lors que les prix d'achat sont raisonnables, ce qui est le cas aujourd’hui s’agissant de Dargaud et de Servidis (acte 913 lignes 943-947).

              La recourante a relevé que Payot n’avait pas effectué de demandes d’approvisionnements directs durant la période de l’enquête, celle-ci n’ayant entamé les démarches officielles auprès de Interforum France qu’en septembre 2012. Par ailleurs, Payot ne souhaiterait apparemment pas se fournir directement auprès de Interforum France mais semblerait au contraire considérer la procédure engagée devant l’autorité inférieure comme un moyen de pression supplémentaire lui permettant de négocier de meilleures conditions en Suisse, comme cela ressort d’un courrier du libraire daté du 19 juin 2013 à l’adresse de la maison-mère. Enfin, elle fait valoir que, dès lors que des importations étaient entreprises par l’intermédiaire de librairies françaises pour les petits et moyens détaillants, le territoire suisse n’était pas cloisonné.

              Il ressort du dossier que les importations par l’intermédiaire d’un « fauxnez », c’est-à-dire sur le « marché gris », consiste à contourner la diffusion-distribution en Suisse par des achats via des détaillants situés en France sans que ceux-ci ne révèlent le nom de celui qui leur demande d’effectuer de tels achats. Un revendeur suisse trouve ainsi un accord avec un libraire français ou se crée une boîte postale en France afin de s’approvisionner à des conditions françaises. Ces pratiques, qui restent

              marginales, se font à l’insu des fournisseurs, qu’ils soient diffuseursdistributeurs ou éditeurs. Selon Payot, cela ne peut fonctionner que pour des libraires de taille modeste. Dès que le volume est important, la démarche est beaucoup trop visible, remarquée trop rapidement et mise en échec (acte 913 lignes 809 ss).

              En réponse à la question, contenue dans le questionnaire du 9 décembre 2008, de savoir s’il existait d’autres solutions pour s’approvisionner en livres francophones que de passer par l'intermédiaire des diffuseurs, Payot avait déclaré, entre autres raisons, ne pas vouloir s’approvisionner à l’étranger pour des motifs écologiques et éthiques. Celle-ci a en effet indiqué qu’elle finançait, avec la Fnac suisse ([ ]% de parts de marché à elles deux), l'équilibre économique de la distribution locale - dont bénéficient tous les petits et moyens libraires indépendants - en confiant aux diffuseurs-distributeurs suisses l'ensemble de ses approvisionnements. Aussi, elle considère que sa position de leader ([ ]% de parts de marché) lui impose de ne pas mettre en péril, pour son seul profit, le système actuel (acte 129).

              Il ressort de ce qui précède que, bien que disposant d’un potentiel d’arbitrage par le prix (cf. supra consid. 9.6.1), Payot n’a, sauf rares exceptions en cas de ruptures de stock (cf. supra consid. 9.7.1), pas tenté de s’approvisionner à l’étranger durant la période de l’enquête pour des motifs éthiques et également en raison du fait que les prix d’achat suisses étaient à cette époque « raisonnables ». Payot avait ainsi déclaré dans ses questionnaires des 7 août 2007 (acte 21) et 9 décembre 2008 (acte 129) : « Nous nous approvisionnons exclusivement auprès des diffuseurs exclusifs présents en Suisse pour l’ensemble de la production francophone diffusée et distribuée sur le territoire ». Néanmoins, il ressort de ces mêmes questionnaires ainsi que des procès-verbaux d’audition du libraire qu’un approvisionnement à l’étranger, durant la période considérée, n’était pas possible lorsque l’éditeur était distribué en Suisse. Auditionnée une première fois par l’autorité inférieure le 4 avril 2012 dans le cadre de l’enquête, Payot avait en effet indiqué : « Jusqu'à maintenant, un libraire suisse ne peut pas commander directement aux diffuseurs français. Un diffuseur français a en général un contrat d'exclusivité avec un diffuseur suisse ou le diffuseur suisse est une filiale du diffuseur français. Les diffuseurs français ne livrent pas les Iibraires suisses » (acte 510).

              Aussi, il y a lieu d’admettre que Payot n’a pas tenté d’importations parallèles durant la période de l’enquête pour le motif qu’il n’était pas

              possible d’y procéder et n’a pas jugé nécessaire de déployer d’importants efforts pour se servir à un meilleur prix en France, en particulier tant que ses conditions commerciales étaient acceptables. Enfin, le fait que des importations parallèles aient été entreprises via les librairies C. , c’est-à-dire sur le « marché gris », ne permet nullement de démontrer, contrairement à ce que semble penser la recourante, que le territoire suisse n’était pas cloisonné.

            3. L’autorité inférieure a également entendu U.

              le 26

              novembre 2012 en qualité de témoin (acte 886 ou 911). Celui-ci est actif en tant que détaillant en Suisse sous l’enseigne B.A. , laquelle comprend un point de vente à [ ] et [ ] à [ ] (lignes 70-73). Par l’intermédiaire de différentes structures, il a poursuivi, en tant que détaillant suisse, une stratégie visant à contourner les systèmes de distribution respectifs prévus pour la Suisse.

              Dans une première phase, U.

              a mis en place un système

              prévoyant une entité librairie en France (B.B. ), à proximité de la frontière suisse, laquelle approvisionnait deux entités librairies en Suisse

              (B.C.

              et B.A. ) (lignes 86-91). Dès 1988, l’entité

              B.B. n’a plus disposé de remises conformes à la réglementation française. Selon U. , la raison expliquant cette « discrimination » repose uniquement sur le fait que les diffuseurs partaient de l’idée, correcte au demeurant, que B.B. fournissait des points de vente en Suisse. Dès 1994, des problèmes plus importants ont surgi (lignes 8891). Les diffuseurs suisses auraient demandé à leurs pendants en France de faire pression sur la société B.B. . Concrètement, baisses unilatérales des remises, retards dans le traitement des commandes et refus de certains retours ont été imposés à B.B. , si bien que

              U.

              a dû déposer le bilan (lignes 113-117). Un redressement

              judiciaire, accompagné d’un plan de continuation d’une durée de dix ans ont été établis et respectés. Durant la période du plan de continuation, U. a adapté sa structure : « Eh ben, j'ai compris ce qu'il fallait faire, c'est-à-dire qu'il fallait que B.B. n'achète plus rien chez les éditeurs mais n'ait plus qu'une société qui s'approvisionne chez des tiers et qui fait les exportations vers la Suisse » (lignes 168-170). Il a ainsi fait l’acquisition partielle ou totale de plusieurs librairies en France, transformant celles-ci, parallèlement à leur activité de librairie, en fournisseurs de l’activité de revente développée en Suisse. Ce sont à ce jour [ ] librairies en France (plus [ ] grossistes en appui) auprès desquelles, par l’intermédiaire des services de sa société B.B. ,

              B.A.

              organise ses livraisons vers la Suisse (lignes 177-186).

              Concrètement, ce sont ces librairies qui entretiennent des relations avec la distribution en place en France. U. tient à garder l’identité de ses librairies secrète pour se protéger dit-il des rétorsions de prix dont B.B. aurait été victime lorsqu’il était en relation directe avec la

              distribution en France (lignes 251-253). « B.A.

              s'approvisionne

              comme ça parce que, on l'a vu, c'était le seul moyen d'arriver à avoir la marchandise dans des conditions je dirais normales » (ligne 186).

              « Parce que si on en est arrivés là, à devoir avoir [ ] librairies qui sont là pour nous assurer notre approvisionnement, c'est tout simplement... on a été dans l'obligation de le faire » (lignes 608-610).

              A la suite de son audition, U. a transmis à l’autorité inférieure une note complémentaire, datée du 17 janvier 2013 (acte 838), dans le but de « mieux préciser [ses] propos », retranscrits dans le procès-verbal. Il a ainsi indiqué qu’en vue de dite séance, il avait envoyé des courriers à chaque distributeur français, dont Interforum France le 20 novembre 2012, afin de demander l’ouverture d’un compte pour être « servi en direct » (p. 14). Il a joint à sa note la réponse de Interforum France du 14 décembre 2012, formulée comme suit : « ( ) Nous examinons actuellement la faisabilité d’un approvisionnement direct depuis la France. En parallèle, une enquête est pendante devant la Comco. Nous vous recontacterons dès que nous aurons procédé aux clarifications nécessaires en relation avec votre demande ( ) » (p. 15).

              Selon l’autorité inférieure, l’expérience de B.A. , pourtant expressément citée par plusieurs diffuseurs comme l’exemple-type prouvant que des importations parallèles avaient eu lieu durant la période visée par l’enquête, est révélatrice. Le seul moyen à disposition d’un détaillant de taille moyenne pour profiter d’un approvisionnement alternatif a été de fonctionner grâce à des approvisionnements par l’intermédiaire de plusieurs librairies écran liées secrètement à une société d’importation (B.B. ; cf. ch. 251 décision attaquée).

              La recourante fait valoir que ce qui précède ne prouve aucun comportement illicite de sa part. En tant qu’entrepreneur, il arrivait fréquemment à U. de ne pas honorer ses factures, c’est la raison pour laquelle ses fournisseurs cessaient de l’approvisionner. Ni elle ni sa maison-mère n’ont jamais pris de mesures de rétorsion à l’encontre de celui-ci, respectivement de ses sociétés, pour le motif qu’il aurait procédé à des importations parallèles. Le système de distribution de U. n’est au demeurant nullement secret ; la voie par laquelle les livres sont importés en Suisse est notoire au sein de la branche. Ses sociétés

              continuent néanmoins d’être approvisionnées sans discrimination par

              Interforum France. La manière dont U.

              se fournit en livres ne

              permet pas de tirer quelque conclusion que ce soit sur les possibilités

              d’approvisionnement auprès des grossistes étrangers. U.

              est

              une « personnalité extravagante » ; ses déclarations sont à apprécier avec beaucoup de prudence. Enfin, le refus opposé par Interforum France d’approvisionner B.A. ne constitue pas une entrave aux importations parallèles au sens de l’art. 5 al. 4 LCart.

              Selon U. , B.B.

              se serait à l’époque vu imposer des

              baisses unilatérales de remises, des retards dans le traitement des commandes ainsi que des refus sur certains retours pour le motif qu’elle approvisionnait des librairies suisses. Les mesures de rétorsion ainsi décrites par U. rejoignent les propos tenus par Payot s’agissant de la pratique du « faux-nez » (cf. supra consid. 9.7.2). L’allégation de la recourante, selon laquelle les diffuseurs français auraient cessé

              d’approvisionner B.B.

              en raison de factures impayées, n’est

              quant à elle appuyée par aucun élément de preuve.

            4. Il s’ensuit que les quelques importations parallèles opérées durant la période de référence sont trop peu nombreuses pour en conclure que celles-ci auraient été possibles, ce d’autant plus que, pour B.A. , elles l’ont été grâce à un système de librairies écran.

        Il appert ainsi que l’autorité inférieure n’a pas constaté les faits pertinents de manière inexacte ou incomplète en retenant que des importations parallèles n’avaient pas eu lieu durant la période de l’enquête pour les ouvrages diffusés par la recourante en Suisse.

          1. Possibilités d’importations parallèles

            1. Reste à examiner si, à défaut d’avoir été entreprises, des importations parallèles auraient néanmoins pu être opérées durant la période visée par l’enquête.

              1. Plusieurs revendeurs, ayant répondu, au questionnaire du 2 mars 2011, n’avoir jamais essayé de s’approvisionner à l’étranger, ont néanmoins prétendu que des importations parallèles étaient possibles durant la période visée par l’enquête. A titre d’exemple, A. a ainsi indiqué : « Une librairie indépendante peut très bien commander ses livres directement en France, personne ne peut l'en empêcher » (acte 257).

                Dès lors que ces détaillants n’ont pas tenté de se servir parallèlement auprès de partenaires de distribution à l’étranger, leurs réponses ne sont pas aptes à démontrer que des importations parallèles étaient effectivement possibles à l’époque, singulièrement pour les ouvrages formant le catalogue de la recourante en Suisse.

                A.

                a en outre indiqué lors de son audition devant l’autorité

                inférieure (acte 909) : « On nous a suggéré d'ouvrir des comptes en France, on pourrait le faire tout à fait. Tout le monde...enfin...c'est peutêtre un petit peu compliqué mais on pourrait le faire [ ] ». Amenée à préciser les raisons pour lesquelles, selon elle, elle ne rencontrerait pas

                de difficultés à ouvrir des comptes en France, A.

                a répondu :

                « Donc déjà, cette pratique [l’exclusivité] se pratique en France. Il y a des gens, je sais qu'il y a des gens de Suisse qui ont été voir les éditeurs français pour essayer de faire changer les choses mais ils sont revenus bredouilles parce qu'effectivement c'est une pratique française et je vois mal...nous, on est un petit marché quand même pour la France, il faudrait qu'on ait vraiment beaucoup d'influence pour arriver à changer cette pratique. Mais maintenant les gens, à cause de votre enquête, à cause de discussions qu'on a eues, à cause de prix qui étaient...enfin ça a beaucoup évolué quand même, la discussion. On a vu M. K. , il essaye d'aller ouvrir des comptes, c'est difficile, mais enfin, on sent qu'il y a une discussion possible et j'ai vu justement en parlant avec

                M. V. [Gallimard] et avec d'autres que s'ils ouvrent les comptes, on pourrait le faire aussi » (lignes 120-122 et 338-347).

                Il s’ensuit que, contrairement à ce que A.

                a affirmé dans son

                questionnaire, l’on ne saurait retenir, sur le vu de ce témoignage, que des importations parallèles étaient effectivement possibles.

              2. Il convient encore de rappeler que les librairies D.C. ,

        D.D.

        et D.E.

        ont tenté en vain d’obtenir des livres

        auprès d’un diffuseur-distributeur étranger (cf. supra consid. 9.7.1).

        9.8.2 Bien que très peu de détaillants aient tenté de s’approvisionner durant la période considérée auprès d’un diffuseur-distributeur, grossiste ou détaillant à l’étranger et ne peuvent dès lors rapporter leurs expériences à ce sujet, les réponses données au questionnaire du 9 décembre 2008 permettent néanmoins, et contrairement à ce que considère la recourante, de mettre en évidence des indices concordants.

        Ainsi, à la question de savoir s’il existait des solutions alternatives d’approvisionnement en livres écrits en français que de passer par l’intermédiaire des diffuseurs, plusieurs détaillants ont répondu que les principaux éditeurs français avaient passé des contrats d’exclusivité avec les diffuseurs-distributeurs suisses, ce qui interdisait à ceux-là ainsi qu’aux distributeurs français de fournir les revendeurs suisses. En cas de demande directe auprès de l’éditeur français ou auprès de ses organes de distribution, les détaillants suisses étaient ainsi renvoyés à passer commande auprès du diffuseur-distributeur de l’éditeur français en Suisse.

        Pour citer quelques exemples, la librairie D.L. a ainsi indiqué que

        « il n'y a pas d'alternative, les distributeurs ayant l'exclusivité de leur représentation et nous sommes liés par un contrat ; toute tentative de doubler la distribution est vouée à l'échec et nous sommes renvoyés au représentant local » (acte 212). La librairie D.O. a répondu que

        « en principe non, car un éditeur français, qui a son diffuseur en Suisse, nous renvoie à lui en cas de demande directe » (acte 180). La librairie D.G. a pour sa part relevé que « normalement si les éditeurs ont un diffuseur en Suisse, ils nous renvoient à ce dernier quand nous les contactons directement. Ainsi, pour les grands éditeurs français (Gallimard Seuil, Hachette, etc.), nous sommes obligés de passer par leur diffuseur en Suisse » (acte 136). Relevant que le système suisse était celui de la diffusion-distribution exclusives, Payot a, quant à elle, indiqué que les principaux diffuseurs présents en Suisse, dont Interforum, étaient des filiales des groupes français et qu’ils cherchaient dès lors « à contenir le marché suisse dans ses limites géographiques, en faisant opposition à toute velléité d'ouvrir des comptes en français afin d'approvisionner [leurs] librairies en direct. Si certains revendeurs suisses [ ] s'approvisionnent pour tout ou partie directement en France, c'est généralement avec un « faux-nez » [ ] mais cela reste, à notre connaissance, marginal » (acte 129). La librairie D.D. a pour sa part soutenu que « il n'existe pas une autre solution pour s'approvisionner en livres directement chez les grands éditeurs français. Ceux-ci travaillent avec leurs maisons de diffusion et détiennent des parts chez les diffuseurs suisses. Ils nous imposent de passer par la Suisse et refusent de nous ouvrir des comptes en France » (acte 143). La librairie

        D.P.

        a répondu ce qui suit : « Aucune solution autre que de

        travailler avec les diffuseurs suisses : exclusivité + commander à l’étranger est presque impossible et non rentable. M’approvisionner ailleurs que chez les diffuseurs qui ont le monopole de la distribution est quasi impossible, très, très difficile et de toute façon encore bien plus cher

        que le prix des tabelles. Une anecdote : mécontents des prix et services d’un diffuseur, j’ai tenté une fois une grosse commande directement en France, pour essayer. On m’a indiqué que ce n’était tout simplement pas possible : je DEVAIS commander ces livres chez le diffuseur suisse. Une autre anecdote : j’ai essayé une autre fois une commande en France : on m’a dit que si j’essayais de contourner le diffuseur suisse, celui-ci ne me livrerait ensuite plus aucun livre, plus aucune commande et fermerait mon compte ! Chose que je ne peux me permettre : j’ai donc annulé cet essai » (acte 140). La libraire la Fnac suisse a également indiqué : « Il ne nous est contractuellement pas possible d'acheter directement nos livres en France. En effet, la plupart des diffuseurs ont des accords avec leur maison-mère et ont pris le soin de verrouiller ce point dans nos accords commerciaux annuels » (acte 254). La D.Q. a de même relevé :

        « Aujourd'hui, étant donné le contexte (représentation en Suisse par le biais de leur filiale des principaux éditeurs français et des contrats d'exclusivité), il apparaît irréaliste de pouvoir commander directement en France auprès de leurs organes de distribution » (acte 155). La librairie

        D.R.

        a encore ajouté : « Pour une très grande partie des

        éditeurs, les contrats de diffusion-distribution sont exclusifs, ce qui interdit aux diffuseurs français de fournir ces éditeurs à un libraire suisse » (acte 264). La librairie D.S. a pour sa part indiqué : « Non, car je suis tenu d'acheter les livres français, belges ou québécois auprès des

        diffuseurs suisses » (acte 132). La librairie D.T.

        a encore

        indiqué : « D'une part, les diffuseurs détiennent l'exclusivité pour le marché suisse de leurs éditeurs. Cela exclut par conséquent la possibilité

        de s'approvisionner autrement » (acte 258). La librairie D.U. a

        prétendu que : « la seule véritable alternative [serait] de passer un accord avec un grossiste, lui-même libraire en France » (acte 146). Dans le même sens, on retiendra aussi les déclarations de la librairie

        D.B.

        (acte 108), de la librairie D.V.

        (acte 123), de la

        librairie D.W. (acte 131) et de la librairie D.J. (acte 144).

        Les réponses des détaillants reproduites ci-dessus constituent un indice que des importations parallèles n’étaient pas possibles et ce, en raison des systèmes de distribution exclusive des diffuseurs-distributeurs suisses.

        19 revendeurs ont quant à eux répondu qu’il n’était possible de s’approvisionner en livres francophones directement auprès de l’éditeur étranger, ou de son distributeur local, que lorsque celui-là n’était pas diffusé en Suisse. L’autorité inférieure en a dès lors déduit que les

        importations de livres diffusés-distribués en Suisse n’étaient pas possibles.

        Même si l’on ne peut exclure que certains revendeurs aient voulu relever par là qu’ils préféraient s’approvisionner en Suisse lorsque cela était possible, les réponses formulées par la majeure partie de ceux-ci ne laissent place à aucun doute quant à l’interprétation qu’il y a lieu de leur donner. Il ressort en effet des questionnaires que, lorsqu’un titre est diffusé-distribué en Suisse, les détaillants n’ont pas la possibilité ou le choix de se le procurer à l’étranger. Il ne s’agit pas d’une impossibilité financière, technique ou commerciale que rencontrerait un revendeur de se fournir à l’étranger ou encore d’une question de commodité. A titre d’exemples, la librairie D.E. a indiqué : « Nous pouvons obtenir des livres directement auprès de l'éditeur français dans la seule situation où cet éditeur n'est pas distribué en Suisse. En général, si nous commandons un ouvrage directement auprès d'un éditeur distribué, celuici refuse de nous fournir et nous renvoie à son dépositaire helvétique »

        (acte 149) ; le revendeur D.X.

        a pour sa part relevé : « Les

        éditeurs français représentés en Suisse sont en exclusivité. Seuls les éditeurs non représentés peuvent faire l'objet d'une commande directe » (acte 139) ; de même, la librairie D.Y. a répondu : « si l’éditeur a un contrat avec un distributeur suisse, il n’a, théoriquement, pas le droit de nous servir » (acte 193).

        A noter encore que, dans un questionnaire du 7 août 2007, Payot a affirmé que : « La grande majorité des revendeurs - quasiment tous - se servent exclusivement en Suisse pour tous les fonds qui y sont diffusés et distribués. Lorsqu’ils achètent en direct, c’est avec un « faux-nez » de façon à ce que le diffuseur ignore ces pratiques autant que faire se peut » (acte 21).

            1. De même, dans le cadre du questionnaire du 31 octobre 2008 envoyé aux 13 diffuseurs suisses, W. , administrateur de OLF - dont plus de [ ]% des flux physiques transitent par son infrastructure - a répondu, à la question de savoir si les libraires disposaient d’autres solutions pour s’approvisionner en livres francophones que de passer par l’intermédiaire des diffuseurs, : « Il n’est pas possible de s’approvisionner auprès des éditeurs français qui ont une antenne commerciale en Suisse sauf par le marché gris. C’est possible par contre auprès des éditeurs qui ne sont pas diffusés en Suisse, ce marché est confidentiel » (acte 76).

              Entendu par l’autorité inférieure le 10 décembre 2012 (acte 912), W. , assisté de son avocat, a contesté avoir déclaré que des approvisionnements directs depuis la France étaient impossibles. Interpellé sur une possible contradiction avec les propos tenus en 2008, il est revenu sur ceux-ci en affirmant que c’était « faux », qu’il avait « peutêtre répondu trop vite », de manière « irréfléchie ». En effet, s’agissant du

              « plus gros de nos clients, donc Interforum, j'ai toujours vu et su qu'une partie conséquente des marchandises Interforum ne passait pas par l'OLF en tout cas pas dans son cheminement éditeur-point de vente. J'imagine que les raisons de cette situation sont dues au fait que le client et l'éditeur considéraient la chose comme, j'en sais rien, plus pratique, plus économique, plus intéressante pour eux. Si je dis ça c’est que, si je le sais en plus c’est parce que ( ) si par hasard des marchandises ne devaient plus retourner sur France et bien elles revenaient dans les stocks de l’OLF et là on faisait l’acceptation du retour et on était payés pour ces retours ». « ( ) je suis convaincu que nous avons des demandes d'Interforum nous demandant de créditer des bouquins venant de D.AO. mais n'ayant pas été livrés par OLF à D.AO. . Puisque mon métier étant de trouver des solutions, je dois pouvoir trouver les documents qui disent, je peux pas vous prouver qu'ils sont partis de France à D.AO. ». « ( ) Par contre, je peux vous prouver que ( ) nous ne les avons pas vendus mais que nous les avons crédités. Donc si on ne les a pas vendus, c'est qu'ils sont passés par ailleurs et s'ils sont passés par ailleurs c'est pas par nous en tout cas et c'est direct. Si vous les voulez je vous trouve les preuves, en tout cas les démonstrations... les preuves... ce n'est pas une preuve. Je peux vous faire la démonstration de ce que j'ai prétendu » à propos de

              D.AO.

              « et des économats cantonaux et peut-être d'autres

              clients que je n'ai pas en tête parce que ça c'est les plus gros. Mais je peux vous faire cette démonstration ». « Donc le mot impossible est certainement trop fort mais c'est peut-être compliqué qu'on aurait dû écrire ». Il a souligné qu’il ne s’agissait pas d’un changement de position mais d’une correction : « [ ] je peux vous prouver par a + b que ces marchandises sont jamais passées par les canaux de OLF et je peux vous prouver aussi que certaines de ces marchandises sont revenues sans avoir été expédiées par OLF. Donc entre la réponse dans le texte et la pratique... il y a pas mal d'imprécisions dans nos réponses dans votre document, vous savez, je n'ai pas pour volonté de critiquer votre dossier mais il y avait de l'imprécision dans les questions et puis il y a de l'imprécision dans les réponses. C'est comme ça qu'il faut le voir. On l'a peut-être fait un peu à la va-vite, ça je m'en excuse mais je peux démontrer le contraire de ce que j'ai dit, ça c'est vrai » (lignes 258-266).

              Invité par son avocat à préciser ce qu’il entendait par « livraison directe », W. a indiqué : « Un libraire peut s'approvisionner [en direct en France chez un éditeur], on l'a tous constaté mais simplement on sait très bien que les conditions qu'il va trouver le ramènent à pas le faire » (lignes 443-445).

              Se fondant sur la déclaration de W.

              contenue dans le

              questionnaire de 2008, l’autorité inférieure considère que les notions de

              « marché gris » et de « confidentialité » indiquent qu’un détaillant suisse n’avait pas d’autre choix que de s’adresser à OLF pour obtenir les livres du catalogue du groupe Editis. L’affirmation générale du directeur de OLF jouirait en outre d’une force probante d’autant plus forte s’agissant de la recourante dès lors que OLF est précisément le partenaire de distribution de la recourante en Suisse. Celle-ci rétorque que dite déclaration est inexacte en ce qui la concerne, comme cela ressort clairement des

              propos tenus par W.

              lors de son audition devant l’autorité

              inférieure : D.AO.

              s’est fait approvisionner directement par

              Interforum France durant la période concernée.

              Même si OLF est revenue, lors de son audition, sur la réponse donnée au questionnaire de 2008, il y a lieu de constater que celle-ci, au surplus formulée par écrit et au bénéfice d’un délai, rejoint les expériences et déclarations de plusieurs revendeurs rapportées ci-dessus quant aux livres pouvant et ne pouvant être importés. Elle revêt en outre une certaine force probante dès lors qu’elle ne sert nullement les intérêts de OLF, diffuseur-distributeur suisse de livres écrits en français, également condamnée à l’issue de la décision déférée. Par ailleurs, il y a lieu de relever que, si seul un approvisionnement sur le « marché gris » est possible, toute autre alternative d’approvisionnement sur le marché français - telle que celui auprès des diffuseurs-distributeurs, grossistes ou coursiers actifs en France ou encore auprès des entreprises françaises présentes sur Internet - est exclue et pas uniquement celui auprès de l’éditeur.

              S’agissant en particulier des approvisionnements directs qu’aurait entrepris D.AO. auprès de Interforum France, il y a tout d’abord lieu de relever que W. a déclaré au cours de son audition ne pas pouvoir prouver que des ouvrages du catalogue du groupe Editis avaient été livrés depuis la France à D.AO. . Il pouvait en revanche

              « faire la démonstration » qu’il avait crédité certains de ces ouvrages, invendus, alors qu’il ne les avait pas expédiés. Le dossier ne contient cependant aucune facture établissant ses dires. Les pièces produites à

              l’appui (quittances de commandes) par la recourante ne mentionnent nullement le nom de D.AO. ; elles établissent en revanche que des ventes ont été entreprises directement depuis Interforum France à des détaillants en Suisse, sans qu’on ne connaisse toutefois les circonstances de ces livraisons. En outre, dans un questionnaire du secrétariat du 10 décembre 2007 (acte 52), le détaillant D.AO. a indiqué s’approvisionner en livres francophones auprès des éditeurs ou diffuseurs en France « marginalement, notamment pour des ouvrages non distribués en Suisse ». A la question de savoir pourquoi elle préférait s’approvisionner directement en France, elle a répondu : « Non disponibilité en Suisse ». Enfin, sur le point de savoir auprès de quels éditeurs/diffuseurs elle s’approvisionnait en France, elle a inscrit : « Petits éditeurs et soldeurs ». Dite réponse rejoint dès lors les propos tenus par

              1. dans son questionnaire de 2008. Dans tous les cas, il ne

                s’agit pas d’importations parallèles et ne sont donc pas prises en compte dans l’analyse des effets constatés sur le marché. Les prétendues livraisons directes aux économats cantonaux ne sont pas davantages considérées en l’espèce dès lors qu’elles ne s’adressent pas à des détaillants. En tout état de cause, il a été admis que, dans certaines circonstances exceptionnelles, des importations parallèles avaient été possibles (cf. supra consid. 9.7.1).

            2. Enfin, la Fnac suisse, représentée par X.

              (directeur des

              opérations de la Fnac suisse), a, lors de son audition devant l’autorité inférieure le 26 novembre 2012 (acte 906), déclaré en substance qu’à son arrivée sur le marché suisse au début des années 2000, elle avait fait le choix délibéré de s’approvisionner en Suisse et ceci, pour deux raisons essentielles : « dans tous les pays où on est présents, on a toujours travaillé avec les distributeurs locaux, ça a toujours été une marque de fabrique de la Fnac. Et aussi à l'époque, il y avait un taux de change qui était acceptable pour le prix du livre et aussi accepté par le consommateur. Le prix était légèrement supérieur mais ça correspondait globalement au coût de traitement du livre puisque l'essentiel arrive de France, c'est-à-dire logistique, droits de dédouanement, étiquetage, mise en rayons » (lignes 59-66).

              A la question de savoir si la Fnac suisse aurait pu s’approvisionner à

              l’étranger durant la période considérée, X.

              répond par la

              négative, exposant qu'il était quasiment impossible pour un détaillant de s'approvisionner en France, dès lors que les libraires, les diffuseurs ou encore les éditeurs français refusaient de lui ouvrir un compte, le

              renvoyant vers les diffuseurs suisses. X.

              a ainsi précisé que

              « [ ] si vous êtes libraire en Suisse et que vous allez en France pour une ouverture de compte, si vous êtes reçu, vous avez de la chance » (lignes 330-332). Cette réalité concernait tous les détaillants suisses. Si des comptes étaient ouverts, « il fallait négocier les conditions, s'occuper de la partie approvisionnement, de la partie étiquetage. Pas beaucoup de libraires ont des structures pour étiqueter le livre. Et puis vous perdez après les notions de commandes clients, les retours, l'information, tout ce qui aujourd'hui en fait partie. Donc de toute façon, pour une petite structure c'était impossible, pour une grosse, c'était quand même - C’était refusé ? - Très difficile, oui » (lignes 96-103). En revanche,

              a indiqué qu’il n’y avait aucun problème pour importer des

              livres écrits en français de France en Italie ou en Belgique par exemple (lignes 343-346).

              Celui-ci a ensuite exposé que la Fnac suisse avait changé son mode d’approvisionnement en livres, sur décision de son président début 2012, au regard des difficultés du marché du livre. En effet, l’évolution du cours de change entre le franc suisse et l’euro, en particulier le pic de la parité du mois d’août 2011, a mené les clients à considérer la Fnac suisse comme responsable de la différence importante entre le prix en euro imprimé sur le livre et le prix en franc suisse. Aussi, vu son poids en France, la Fnac suisse a décidé d’entamer des démarches pour un approvisionnement « au forcing », nouvelle qui n’a pas été accueillie très favorablement ni en Suisse ni en France. X. a indiqué : « Donc c'était avant la conclusion de votre rapport et je pense que votre rapport a également aidé pour discuter du côté français. Et on a obtenu des ouvertures de comptes de quasi la totalité des acteurs français, sauf un » (lignes 152-154). Le basculement en 2012 vers un approvisionnement en France ne fonctionne pas sans problème selon la Fnac suisse. Elle constate ainsi des problèmes avec les retours en Suisse ; ceux-ci sont refusés alors que la marchandise a été achetée en Suisse. Elle ne peut plus compter sur une information des nouveautés pour permettre d’estimer la demande plus précisément. De fortes baisses de la remise ont été décidées de manière unilatérale par les diffuseurs suisses en cours d’année. Enfin, certains délais ne sont pas respectés (lignes 164206).

              Pour la recourante, l’on ne peut déduire de ce qui précède que la Fnac suisse a effectivement passé des commandes à l’étranger durant la période considérée et que celles-ci lui ont été refusées. A cela s’ajoute que X. ne travaille pour la Fnac suisse que depuis mai 2009 et que ses déclarations, se rapportant à une période antérieure, ne reposent

              que sur des ouï-dires, à défaut d’expériences personnelles. Aussi, il y a lieu de partir du principe, comme la Fnac suisse l’a d’ailleurs admis lors de son audition, qu’elle n’a changé sa stratégie d’approvisionnement qu’en 2012, lorsque les effets du franc fort se sont fait ressentir - donc en dehors de la période de l’enquête - et qu’elle n’a pas cherché à s’approvisionner à l’étranger auparavant. Une fois qu’elle eût, dès l’été 2012, essayé de se fournir en France, l’approvisionnement fonctionna sans problème, la baisse des remises accordées par les diffuseurs suisses étant consécutive à la diminution du volume acheté en Suisse ; il ne s’agit en aucun cas d’une mesure de rétorsion. La cause du faible niveau d’importations parallèles opérées durant la période de référence est dès lors à chercher du côté de la force du franc suisse et non de prétendus accords en matière de concurrence. Enfin, le fait que la Fnac suisse n’ait apparemment pas eu de difficultés à se procurer des livres en Italie démontre que Interforum (et les autres diffuseurs) n’interdit pas à ses clients d’effectuer des ventes passives en Suisse.

              Il ressort de ce qui précède que la Fnac suisse, à l’instar de Payot, n’a, bien que disposant d’un potentiel d’arbitrage par le prix (cf. supra consid. 9.6.1), pas tenté de se servir en France durant la période considérée - hormis une fois avec succès (cf. supra consid. 9.7.1) - ceci, principalement en raison du rapport « acceptable » prix d’achat/taux de change. Néanmoins, il ressort clairement du procès-verbal d’audition de la Fnac suisse ainsi que de ses réponses au questionnaire du 9 décembre 2008 (cf. supra consid. 9.8.2) qu’il n’était pas possible de s’approvisionner en France durant la période visée. Ceci est également confirmé par un courrier du 24 août 2007 (acte 27 p. 1) à l’adresse de l’autorité inférieure dans lequel la recourante a indiqué : « Pour info, la Fnac nous a menacé[s] d’acheter en France. Nous avons le choix de ne pas céder ». Aussi, ce n’est qu’à l’été 2012, après avoir entrepris des démarches pour un approvisionnement « au forcing » et après la communication de la proposition de décision du secrétariat - dans laquelle celui-ci a notamment retenu que les diffuseurs suisses avaient participé à un accord vertical illicite attribuant des territoires dans la distribution - que la Fnac suisse a pu procéder à des importations parallèles depuis la France. En outre, le fait qu’elle connaisse, depuis cette date, des problèmes avec le retour de sa marchandise en Suisse plaide également en faveur d’un cloisonnement du territoire suisse durant la période visée (cf. également sur ce point supra consid. 9.4.3). Enfin, l’on ne voit pas en quoi des importations de livres écrits en français sur le territoire italien prouveraient que le territoire suisse n’était pas cloisonné, au contraire.

              Ceci étant, il y a lieu d’admettre que la Fnac suisse, à l’instar de Payot, n’a pas tenté d’importations parallèles durant la période de l’enquête pour le motif qu’il n’était pas possible d’y procéder et n’a pas jugé nécessaire d’entreprendre des démarches pour un approvisionnement à meilleur prix

              « au forcing » en France tant et aussi longtemps que le niveau de prix pratiqués en Suisse était toléré par le consommateur final.

              Il s’ensuit que, même si la plupart des détaillants interrogés n’ont pas tenté de s’approvisionner hors de Suisse - et ne se sont dès lors pas heurtés à un refus - les réponses, concordantes, données au questionnaire du 9 décembre 2008 quant aux possibilités d’approvisionnement parallèle à l’étranger, de même que les déclarations écrites et/ou orales faites devant l’autorité inférieure par A. , Payot, B.A. et la Fnac suisse sont aptes à démontrer que des importations de livres écrits en français diffusés-distribués en Suisse n’étaient pas possibles durant la période visée par l’enquête, hormis celles opérées via le site Internet amazon.fr et les librairies C. à Lyon pour Payot. Or, comme il le sera démontré ci-après, les entreprises actives sur Internet, de même que les librairies françaises, ne sont pas considérées comme des partenaires potentiels de l’échange du côté de l’offre sur le marché de référence (cf. infra consid. 11.3.1.1, 11.3.1.2). De même, le fait que la Fnac suisse ait, après la période de l’enquête, entrepris des démarches pour un approvisionnement « au forcing » et connaisse, depuis lors, des problèmes avec le retour de marchandises achetées en Suisse et qu’enfin, Payot ait déclaré que les quelques revendeurs suisses se fournissant à l’étranger ont recours à un « fauxnez » laisse également à penser que les importations parallèles n’étaient pas possibles à l’époque. Une telle conclusion est enfin appuyée par la réponse donnée par OLF au questionnaire du 31 octobre 2008 (cf. supra consid. 9.8.3) et rejoint également les expériences vécues par les trois revendeurs ayant tenté en vain d’opérer des importations parallèles (cf. supra consid. 9.7.1).

            3. Les effets que la possibilité d’entreprendre des importations parallèles aurait eus sur les prix wholesale suisses constituent également un indice s’agissant de savoir si celles-ci étaient ou non possibles durant la période soumise à l’enquête.

              En l’espèce, il a été retenu que Payot et la Fnac suisse disposaient, durant la période visée, de possibilités d’arbitrage suffisantes au niveau du prix en raison d’un différentiel de prix minimum de [plus de 10]% au niveau wholesale entre la Suisse et la France sur le catalogue diffusé en

              Suisse par la recourante (cf. supra consid. 9.6.2). Or, un tel écart de prix laisse fortement à penser qu’au regard de leur potentiel d’arbitrage, Payot et la Fnac suisse - qui bénéficiaient de remises similaires - auraient, dans leur intérêt, entrepris des importations depuis la France si elles avaient été en mesure d’y procéder. Le fait qu’elles aient renoncé à s’approvisionner à l’étranger, en acceptant les conditions offertes par la recourante - tant que cela était viable pour leur activité - (cf. supra consid. 9.7.2, 9.8.4), n’indique pas encore que les importations parallèles étaient pour autant possibles durant la période de l’enquête. Au contraire, il ressort des déclarations de Payot et de la Fnac Suisse qu’un approvisionnement en France n’était pas possible. Les conditions plus avantageuses octroyées à celles-ci relèvent plutôt de la volonté de la recourante de les dissuader d’aller s’approvisionner « au forcing » à l’étranger, en favorisant leur marge par rapport au niveau de ses tabelles. Ce faisant, la concurrence entre Payot, la Fnac suisse et les autres détaillants ne disposant pas nécessairement du même potentiel d’arbitrage par le prix a été affectée.

              Dans l’ensemble, il n’est guère possible de reconnaître les détaillants pour lesquels un approvisionnement en France n’aurait pas été économiquement plus avantageux. Si la Fnac suisse et Payot avaient usé de leur potentiel d’arbitrage et s’étaient approvisionnées sur le marché français, il est vraisemblable qu’elles auraient ouvert une brèche dans le système de distribution mis en place et rendu, à terme, l’approvisionnement à l’étranger possible pour tous les détaillants

              suisses. Comme l’illustre l’exemple de B.A.

              (cf. supra

              consid. 9.7.3), l’existence de possibilités d’arbitrage par le prix d’une librairie ne dépend pas exclusivement de sa taille. A cela s’ajoute le risque que le détaillant qui bénéficie d’une réduction de prix revende ses livres aux autres libraires, ce qui mettrait la structure des prix des diffuseurs-distributeurs suisses manifestement sous pression et sans que ceux-ci ne puissent les en empêcher. Il s’ensuit que, si Payot et la Fnac suisse avaient eu la possibilité, durant la période visée par l’enquête, d’entreprendre des importations parallèles, le risque de sortie du canal de distribution suisse de ces deux revendeurs aurait eu un effet disciplinant sur le niveau général des prix sur le marché wholesale suisse du livre écrit en français, profitant indistinctement à l’ensemble des détaillants suisses. En effet, dès lors que la recourante n’aurait pas été en mesure de reconnaître les détaillants susceptibles de s’approvisionner en France, elle n’aurait plus pu intervenir de manière ciblée envers chacun d’entre eux mais aurait été amenée à devoir accorder des remises plus

              importantes et égales à l’ensemble de ceux-ci ou baisser le prix de ses tabelles.

              Sur le vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que le différentiel de prix entre les marchés wholesale suisse et français du catalogue diffusé en Suisse par la recourante aurait, selon toute vraisemblance, été réduit si Payot et la Fnac suisse avaient pu s’approvisionner en France. Des remises plus importantes et égales pour l’ensemble des détaillants ou une baisse de ses tabelles auraient été entreprises par la recourante dans le but de réduire au maximum leurs possibilités d’arbitrage par le prix. L’écart de prix constaté, même s’il peut être justifié par des économies d’échelle moins fortes en Suisse qu’en France, représente un potentiel d’arbitrage suffisant pour Payot et la Fnac suisse que la recourante aurait pu et dû fortement réduire pour retenir celles-ci dans le canal de distribution suisse si des importations parallèles avaient été rendues possibles.

              Le différentiel de prix ayant existé entre les marchés wholesale suisse et français durant la période de l’enquête vient ainsi conforter l’hypothèse que les importations de livres francophones diffusés en Suisse par la recourante n’étaient pas possibles entre les années 2005 et 2011.

            4. Reste à déterminer la cause de cette impossibilité, pour les détaillants suisses, de s’approvisionner à l’étranger durant la période considérée.

        Il résulte des réponses aux questionnaires de 2007, 2008 et 2011 ainsi que des procès-verbaux d’audition de A. , Payot, B.A. et la Fnac suisse que ce sont les systèmes de distribution reposant sur un régime d’exclusivité qui auraient entravé les importations parallèles durant la période visée. Dès lors que de telles déclarations ne servent pas les intérêts des revendeurs suisses, puisqu’elles sont susceptibles de compromettre leurs partenaires contractuels en amont, il y a lieu de leur reconnaître une certaine force probante. En outre, le fait que des importations parallèles aient été entreprises via un système de librairies écran à l’identité voulue secrète ou par l’intermédiaire d’un « faux-nez » laisse fortement à penser que les importations parallèles étaient interdites durant la période de l’enquête.

        Même si le dossier ne contient en l’occurrence aucun exemple concret dans lequel Payot ou la Fnac suisse en particulier se serait vu imposer un refus d’exporter de la part d’un grossiste français approvisionné par

        Interforum France, il y a toutefois lieu de relever - dès lors que le tribunal retient, sur la base des déclarations faites par des détaillants se fournissant tous auprès de OLF, que des importations parallèles n’étaient pas possibles durant la période de référence - que les ventes par les grossistes français partenaires du groupe Editis étaient, partant, également refusées.

        Il s’ensuit que, durant la période visée par l’enquête, les importations parallèles de livres écrits en français diffusés par la recourante en Suisse n’ont pas été possibles et ce, selon toute vraisemblance, en raison des systèmes de distribution reposant sur un régime d’exclusivité, tel que celui de la recourante. Ainsi, il n’appert pas que l’autorité inférieure ait constaté les faits pertinents de manière inexacte ou incomplète sur ce point.

          1. Comme exposé plus haut, la réalisation de la prémisse tendant à l’exclusion des ventes passives par d’autres fournisseurs agréés suppose l’existence d’une interdiction fondée sur un contrat passé entre les entités concédantes et leurs partenaires de distribution en aval actifs hors de Suisse ou d’une mesure prise par celles-ci ayant entraîné l’exclusion des ventes passives sur le territoire suisse (cf. supra consid. 7.3).

            En l’occurrence, l’autorité inférieure n’a pas produit de document établissant que le groupe Editis, respectivement Interforum France, aurait interdit les ventes passives sur le territoire suisse par ses grossistes actifs en France. Elle n’a pas davantage fourni la preuve de l’existence d’une mesure ayant conduit à un accord exprès ou tacite entre lesdits protagonistes sur le fait que des ventes passives ne devaient pas avoir lieu sur le territoire suisse.

            Ainsi, relevant que le dossier de l’autorité inférieure ne contenait aucune information sur d’éventuels cas de refus de livraison en Suisse par un grossiste ou un libraire étranger et, partant, reprochant à celle-là et à son secrétariat de ne pas avoir entendu les grossistes actifs à l’étranger, établissant ainsi les faits de manière inexacte et incomplète, la recourante a produit les « conditions générales de ventes 2012 » de Interforum France applicables aux grossistes étrangers, aussi bien en France qu’en Belgique. Elle y a relevé que celles-ci ne prévoyaient nullement de restrictions des ventes passives ou actives à des clients sis en Suisse ; il n’est pas davantage fait interdiction aux libraires français de livrer en Suisse.

            Comme déjà exposé, l’engagement pris par la recourante auprès de OLF de faire ses meilleurs efforts pour que des importations parallèles ne puissent être effectuées sur le marché suisse, est présumé avoir été mis en œuvre en pratique par la conclusion de contrats excluant les ventes passives sur le territoire suisse ou par la mise en œuvre par l’entité concédante de mesures en ce sens (cf. supra consid. 9.1.5.). Les conditions générales de vente produites par la recourante n’affaiblissent en l’occurrence pas dite présomption. En effet, elles ne démontrent pas que les ventes passives par les partenaires de distribution externes du groupe Editis, respectivement de Interforum France, n’étaient pas interdites en Suisse durant la période sous investigation dès lors que, datées du 1er avril 2012, elles sont postérieures à la période visée. En outre, elles ne régissent pas les exportations en tant qu’elles précisent en préambule : « Pour les clients export, se référer aux conditions spécifiques Export [ ] ». Il ressort des réponses apportées aux questionnaires de 2007, 2008 et 2011 par des détaillants se fournissant en Suisse tous auprès de OLF et des déclarations faites par A. , B.A. , Payot et la Fnac suisse que les importations parallèles, singulièrement d’ouvrages formant le catalogue diffusé en Suisse par la recourante, n’avaient, durant la période considérée, pas été possibles, et selon toute vraisemblance, en raison des systèmes de distribution reposant sur un régime d’exclusivité, tel que celui de la recourante, si bien qu’il y a lieu de reconnaître qu’il existe de forts indices en faveur d’une exclusion des ventes passives. Même si, comme l’a relevé la recourante, les effets, constatés de manière générale, sur le marché de référence durant la période concernée ne peuvent être imputés individuellement à l’un ou à l’autre des diffuseurs suisses sanctionnés par l’autorité inférieure, ils démontrent toutefois que le territoire national a été cloisonné par l’ensemble de ceux-ci.

            En outre, la gestion des retours, pratiquée par OLF depuis 2012, pour les ouvrages invendus par la Fnac suisse plaide également en faveur de l’existence d’une exclusion des ventes passives durant la période de référence (cf. supra consid. 9.4.3), de même que la recherche d’informations prévue dans le contrat passé avec OLF et visant à déceler d’éventuelles importations parallèles. En effet, même si celle-là ne constitue pas une mesure susceptible d’entraîner une exclusion des ventes passives, elle la soutient néanmoins, ce qui parle encore en faveur de l’existence d’une interdiction des ventes passives (cf. supra consid. 7.3). Celle-ci est enfin appuyée par le fait que les diffuseurs suisses ont abordé la problématique des importations parallèles au cours

            de la réunion du 25 mai 2005 de l’ASDEL, à laquelle a assisté la recourante (cf. supra consid. 9.4.4).

            Il suit de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la recourante, les faits n’ont pas été constatés de manière inexacte ou incomplète par l’autorité inférieure, les éléments au dossier étant suffisants pour trancher la question litigieuse.

            En définitive, sur la base des pièces versées à la cause, le tribunal retient, eu égard à sa liberté en matière d’appréciation des preuves (cf. supra consid. 9.4.1), que le système de distribution de la recourante fondé sur un régime d’exclusivité a indéniablement eu pour objet d’exclure les ventes passives par d’autres fournisseurs agréés sur le territoire suisse durant la période de référence.

            La troisième prémisse à la base de la présomption est ainsi réalisée, si bien qu’il y a lieu de retenir que le groupe Editis a été partie à des accords verticaux en matière de concurrence au sens des art. 4 al. 1 et 5 al. 4 LCart cloisonnant, sur le territoire suisse entre les années 2005 et 2011, la distribution des ouvrages du groupe et de ceux des éditeurs et/ou distributeurs tiers dont la recourante a été chargée de cette tâche sur le territoire suisse

          2. Sur le vu de tout ce qui précède - à savoir l’engagement pris par la recourante de faire ses meilleurs efforts pour que des importations directes et parallèles ne puissent être effectuées sur le marché suisse, la recherche et l’échange de renseignements sur les importations parallèles prévus par le système de distribution de la recourante, l’exercice du droit de retour par la recourante, les propos tenus lors de réunions de l’ASDEL ainsi que les effets constatés sur le marché durant la période concernée par l’enquête - il y a lieu d’admettre que les accords au sens de l’art. 4 al. 1 LCart passés entre la recourante, respectivement le groupe Editis, et OLF et les grossistes français ont exclu les ventes passives en Suisse par d’autres fournisseurs agréés au sens de l’art. 5 al. 4 LCart.

  10. Renversement de la présomption

    1. L’art. 5 al. 4 LCart crée une présomption de suppression de la concurrence efficace pour des accords - qualifiés de « durs » - passés entre des entreprises occupant différents échelons du marché qui sont, de l’avis du législateur, parmi les plus dommageables pour la concurrence (cf. arrêt du TAF B-420/2008 précité Implenia consid. 8 en

      relation avec l'art. 5 al. 3 LCart ; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 4 al. 1 LCart p. 254 ss no 110).

      En l’espèce, il y a lieu d’admettre que les accords verticaux, par lesquels la recourante, respectivement le groupe Editis, a confié à OLF la distribution exclusive sur le territoire suisse du catalogue du groupe ainsi que de ceux des éditeurs et/ou distributeurs tiers dont la recourante a été chargée de la diffusion-distribution pour la Suisse, et exclu par là même les ventes passives sur ce même territoire par ses autres fournisseurs agréés, sont présumés entraîner la suppression de la concurrence efficace au sens de l’art. 5 al. 4 LCart.

    2. La présomption contenue à l'art. 5 al. 4 LCart est réfragable. La loi sur les cartels ne précise cependant pas à quelles conditions celle-là peut être renversée. Selon la jurisprudence, le renversement de la présomption exige la preuve qu'une concurrence subsiste sur le marché de référence nonobstant l'accord en matière de concurrence (cf. message LCart 1995, FF 1995 I 472, p. 561 ; ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 8.3.2 ; arrêt du TAF B-420/2008 précité Implenia consid. 7 et 9 ; Comco, DPC 2009/2 143, Sécateurs et cisailles, ch. 39 ; BORER, op. cit., art. 5 p. 80 no 31 ; KRAUSKOPF/SCHALLER, in : BSK-KG, op. cit., art. 5

      p. 439 no 574). Dite présomption est réputée levée en tous les cas

      lorsqu'il est établi qu'une concurrence subsiste sur le plan intramarque (cf. ATF 144 II 246 Altimum consid. 7.2 et 143 II 297 Gaba consid. 4.2).

      En l’absence de concurrence effective, il y a encore lieu de tenir compte de la pression disciplinante exercée par les partenaires potentiels de l’échange au niveau de la demande (cf. arrêt du TAF B-420/2008 précité Implenia consid. 9.2.4 ; KRAUSKOPF/SCHALLER, in : BSK-KG, op. cit., art. 5 p. 394 et 424 no 241 et 455 ; ZÄCH, Kartellrecht, op. cit., p. 211 no 434 in fine).

    3. L'art. 5 al. 4 LCart règle le fardeau de la preuve, c'est-à-dire les conséquences d'une absence de preuves : s'il ne peut être prouvé qu'une concurrence subsiste malgré la restriction, la présomption l'emporte ; la suppression de la concurrence efficace est admise sans autre démonstration (cf. ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 7.1 et réf. cit). En procédure administrative, le recours à la présomption ne signifie toutefois pas que la charge de la preuve appartient aux seules parties à l'accord incriminé. Celles-ci ont certes le plus grand intérêt à ce que la présomption soit renversée ; cependant, pour être convaincante, la démonstration doit parfois s'appuyer sur des données, qui leur

      échappent, relatives aux conditions objectives du marché. Le cas échéant, les autorités de la concurrence devront, en application de la maxime inquisitoire et en collaboration avec les entreprises concernées (cf. supra consid. 9.4.1), examiner si, malgré l'accord, une concurrence subsiste. Ainsi, les autorités de la concurrence ne doivent pas confirmer la présomption ancrée à l'art. 5 al. 4 (al. 3) LCart ; elles peuvent toutefois la renverser (cf. message LCart 1995, FF 1995 I 472, p. 560 ss ch. 231.4 ; arrêt du TAF B-420/2008 précité Implenia consid. 7 et 9 et réf. cit. ; ANDREA CHRISTINE DOSS, Vertikalabreden und deren direkte Sanktionierung nach dem schweizerischen Kartellgesetz, 2009, p. 46 no 75).

      Ceci étant, il convient d'examiner si la présomption légale de suppression de la concurrence efficace peut en l'espèce être renversée.

  11. Délimitation du marché de référence

    1. Afin de déterminer l'intensité de la concurrence, il est avant tout nécessaire de délimiter le marché de référence du point de vue matériel, géographique et temporel (cf. ATF 139 I 72 Publigroupe consid. 9.1 ; Comco, DPC 2014/4 670, Preispolitik und andere Verhaltensweisen der SDA, ch. 59 ; LUCA STÄUBLE/FELIX SCHRANER, in : DIKE Kommentar zum

      Bundesgesetz über Kartelle und andere Wettbewerbsbeschränkungen, Zurich 2018 [DIKE Kommentar], art. 4 al. 2 p. 257 ss no 88). A titre liminaire, il convient de rappeler que la délimitation du marché pertinent requiert une analyse économique dont l’exactitude doit paraître vraisemblable et qui doit, dans sa logique, être intelligible ainsi que convaincante ; la certitude n’est pas exigée, le degré de preuve requis étant alors celui de la vraisemblance prépondérante (cf. supra consid. 9.4.1, voir également ATF 139 I 72 Publigroupe consid. 9.2.3.4).

    2. La délimitation du marché pertinent - laquelle relève de l'appréciation des faits - permet de constater si, et dans quelle mesure, la concurrence efficace est effectivement supprimée par un accord en matière de concurrence (cf. arrêt du TAF B-8399/2010 précité Baubeschläge Siegenia consid. 6.1.2). La notion de marché de référence n'est pas définie dans la loi. L'art. 11 al. 3 let. a et b de l'ordonnance du 17 juin 1996 sur le contrôle des concentrations d'entreprises (OCCE, RS 251.4) peut toutefois, dans le cadre de l'appréciation des accords en matière de concurrence, être appliqué par analogie à la délimitation matérielle, géographique et temporelle du marché de référence (cf. ATF 139 I 72 Publigroupe consid. 9.1 ; arrêts du TAF B-831/2011

      précité Six Group consid. 230, B-506/2010 précité Gaba consid. 9 et B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 257). Ainsi, outre le marché de produits, qui comprend tous les produits ou services que les partenaires potentiels de l'échange considèrent comme substituables en raison de leurs caractéristiques et de l'usage auquel ils sont destinés (cf. art. 11 al. 3 let. a OCCE), il convient également de circonscrire le marché géographique dans lequel l’accord a produit ses effets (cf. arrêt du TAF B-5685/2012 précité Altimum consid. 5.3). Le marché de référence comprend le territoire sur lequel les partenaires potentiels de l'échange sont engagés du côté de l'offre ou de la demande pour les produits ou services qui composent le marché de produits (cf. art. 11 al. 3 let. b OCCE). La clarification de la dimension temporelle du marché n’est pas toujours nécessaire, le marché temporel n’étant pris en compte que de manière exceptionnelle (cf. arrêt du TAF B-2977/2007 précité Publigroupe consid. 5.3 ; STÄUBLE/SCHRANER, op. cit., art. 4 al. 2 p. 270 no 115 ; BEAT ZIRLICK/SIMON BANGERTER, in : DIKE Kommentar, op. cit., art. 5 p. 447 no 71 ; EVELYNE CLERC/PRANVERA KËLLEZI, in : CR-

      Concurrence, op. cit., ad art. 4 al. 2 LCart p. 305 no 107).

      De même, la considération de développements subséquents à la période de l’enquête n’est possible que de manière limitée lorsqu’ils permettent de tirer des conclusions convaincantes sur la situation antérieure (cf. ATF 139 I 72 Publigroupe consid. 9.2.2).

    3. L’autorité inférieure a délimité le produit au livre écrit, c’est-à-dire rédigé ou traduit, en français (ch. 556 décision attaquée). Elle a exclu, pour la période de l’enquête, le livre numérique du marché pertinent, notamment en raison de la faible consommation en Suisse de ce support de lecture et de ses spécificités techniques (ch. 472 ss décision attaquée). Elle a également renoncé à distinguer entre les catégories de livres dès lors qu’un libraire est tenu d’offrir toutes les « marques » à ses clients (ch. 484 ss décision attaquée). Après avoir examiné les autres marchés liés à la branche du livre, en particulier les marchés de services de diffusion et de distribution (ch. 551 ss décision attaquée), l’autorité inférieure a toutefois considéré que seul le marché de la vente était affecté par les accords. La définition des niveaux retail et wholesale n’étant pas contestée par la recourante, l’autorité inférieure a ainsi retenu que le marché de référence était celui de la vente de livres au niveau wholesale (ch. 491 décision attaquée). Sur le plan wholesale, les partenaires potentiels de l’échange sont ainsi, selon l’autorité inférieure, du côté de l’offre, les diffuseurs-distributeurs en Suisse et en France, les grossistes et les libraires français, et, du côté de la demande, les

      revendeurs de livres (ch. 556 décision attaquée). En tant que les accords litigieux concernent indépendamment des détaillants généraux que des détaillants spécialisés dans un domaine particulier, l’autorité inférieure estime qu’il n’est pas nécessaire de diviser les détaillants en catégories (ch. 484 ss décision attaquée). Enfin, elle relève que les détaillants forment l’offre retail (ch. 514 ss décision attaquée) - laissant ouverte la question de savoir si les sociétés actives sur Internet de même que les libraires français font partie de celle-là (ch. 511 et 536 décision attaquée) - et les consommateurs finaux, la demande retail (ch. 501 décision attaquée).

      La recourante se plaint tout d’abord de ce que l’autorité inférieure, qui lui reproche d’avoir conclu un accord vertical avec OLF, n’a pas démontré qu’elles étaient actives sur différents échelons du marché, respectivement n’a pas distingué entre les marchés de la diffusion et de la distribution. La recourante soutient ensuite que les livres numériques doivent être englobés dans le marché de référence. Elle met en doute que seuls 0,2% des français, tels que retenus par l’autorité inférieure, disposeraient d’un appareil permettant leur lecture dès lors que, depuis plusieurs années déjà, il est possible d’installer, sur tout smartphone et tablette électronique, l’application de lecture Kindle proposée par Amazon, laquelle n’a au demeurant pas été questionnée. Enfin, elle soutient que l’offre au niveau wholesale ne se limite pas aux diffuseurs suisses et français mais s’étend également aux grossistes et libraires situés en Belgique, au Luxembourg, au Canada, etc., de même qu’aux entreprises présentes sur Internet. Cette dernière offre permettrait en effet aux détaillants suisses de commander certains livres à des prix relativement faibles et à très brève échéance. L’autorité inférieure n’a toutefois pas considéré les activités déployées par ces acteurs du marché en Suisse ; la question de savoir s’ils étaient disposés à livrer, sur demande, les libraires suisses n’a pas été clarifiée, si bien que les faits pertinents ont été constatés de manière incomplète et inexacte. La recourante s’est encore déterminée sur l’étendue du marché retail.

      1. Dans un premier temps, il y a lieu de déterminer le cercle des partenaires potentiels de l’échange. L’autorité inférieure a retenu que ceux-ci étaient, du côté de la demande, les détaillants, incluant tant les librairies traditionnelles que les autres revendeurs de livres comme la Migros, la Coop et Manor et, du côté de l’offre, les diffuseurs-distributeurs en Suisse et en France, ainsi que les grossistes et libraires français. Elle précise avoir exclu de l’offre wholesale les entreprises actives sur Internet. Elle considère en effet que celles-ci ne représentent pas une

        alternative d’approvisionnement pour les détaillants, lesquels perçoivent ces entreprises comme des concurrents (ch. 537 ss décision attaquée).

        Compte tenu des spécificités de la branche du livre, les partenaires potentiels de l'échange sont - du côté de la demande - principalement les librairies et les autres détaillants - dont l’activité principale ne constitue pas la revente de livres mais plus globalement le commerce de détail - actifs également dans la vente de livres aux consommateurs (ch. 497 ss décision attaquée) ; la recourante ne le conteste pas. Pour le surplus, il n’y a pas lieu de tenir compte des différentes catégories de détaillants, en tant qu’il ne ressort pas du dossier qu’une différence de traitement soit opérée par les diffuseurs-distributeurs. Au contraire, les accords examinés par l’autorité inférieure sont indépendants du type de détaillants (ch. 500 décision attaquée). Du côté de l’offre, les diffuseursdistributeurs ainsi que les grossistes font indéniablement partie de celle-ci.

        Reste dès lors à examiner si les entreprises actives sur Internet et les libraires français sont également des partenaires potentiels de l’échange ; il convient d’en faire de même avec les consommateurs.

        1. L’examen des questionnaires envoyés aux détaillants (actes 88 ss) indique que la plupart d’entre eux ont considéré que les entreprises actives sur Internet étaient des concurrents réels (ch. 520 décision attaquée). Un tel constat est confirmé par les déclarations de OLF dans son questionnaire : « le canal Internet est aujourd’hui destiné au consommateur final » (acte 76 p. 3). De même, Payot a relevé, dans son questionnaire du 9 décembre 2008, que « L’Internet ne [pouvait] être une solution, dans la mesure où les achats ne pourraient se faire que sur des sites de vente aux particuliers, donc sur la base du prix de vente, sans remise pour les librairies » (acte 129 p. 4). Lors de son audition du 26 novembre 2012 devant l’autorité inférieure, Payot a précisé : « [o]n ne voit pas Amazon devenir un fournisseur qui nous accorderait un prix d’achat de revendeur [ ] ça peut être une solution ponctuelle » (acte 913 lignes 431-439). Il y a ainsi lieu de relativiser les propos de certaines librairies et en particulier ceux de la librairie D.G. , laquelle précise acheter souvent sur Internet : « Les livres [y] sont vendus au change réel, hors TVA française [ ]. Ils sont donc entre 20 et 30% moins chers que sur le marché suisse. Cela signifie que n’importe qui peut acheter sur [Internet] des livres au prix où les librairies les achètent aux diffuseurs » (acte 406 p. 6). Dite déclaration doit être mise en relation avec les déclarations de la même librairie en 2008 : « Quand un diffuseur

          suisse peine trop pour obtenir un livre, nous pouvons être amenés à les commander auprès des marchands sur Internet mais cela signifie que nous vendons le livre quasiment à prix coûtant » (acte 136 p. 5).

          Il s’ensuit qu’un approvisionnement par le biais des entreprises présentes sur Internet ne permet pas aux détaillants de retirer une marge suffisante pour leur activité, les prix pratiqués aux détaillants par dites entreprises étant les mêmes que ceux pratiqués aux consommateurs. Ainsi, les quelques démarches d’approvisionnement par Internet effectuées par certains détaillants l’ont été dans des circonstances particulières et de manière ponctuelle. La recourante ne saurait dès lors en conclure que les entreprises actives sur Internet constitueraient une alternative d’approvisionnement valable. Partant, les entreprises actives sur Internet ne sont pas des partenaires potentiels de l’échange substituables au niveau de l’offre wholesale. L’éventuelle concurrence au niveau retail occasionnée par le commerce électronique du livre imprimé et ses conséquences sur le marché wholesale seront néanmoins analysées plus avant (cf. infra consid. 14.4).

        2. Quant aux librairies françaises, il ressort de l’examen des questionnaires adressés aux détaillants que ceux-ci ne voient pas les librairies françaises comme une alternative crédible d’approvisionnement. Elles ne peuvent en réalité que constituer un « marché gris » au niveau de l’offre wholesale, dès lors qu’elles représentent des intermédiaires supplémentaires dans le réseau de distribution et sont, à ce titre, ellesmêmes tributaires des diffuseurs-distributeurs exclusifs français. Dans ces conditions, elles ne sauraient constituer des partenaires potentiels de l’échange à part entière. Au surplus, les importations par l’intermédiaire d’un « faux-nez », c’est-à-dire sur le « marché gris », sont marginales et se font à l’insu des éditeurs et des diffuseurs-distributeurs.

          Il s’ensuit qu’un approvisionnement par le biais des libraires français ne permet pas aux détaillants d’obtenir les mêmes conditions et services offerts par les diffuseurs-distributeurs suisses, en particulier s’agissant des remises et du droit de retour. Ainsi, les quelques démarches d’approvisionnement auprès des librairies en France effectuées par certains détaillants l’ont été dans des circonstances spécifiques, en particulier pour les ouvrages non diffusés et non distribués en Suisse. Elles ne permettent pas de conclure que les librairies françaises sont des partenaires potentiels de l’échange substituables au niveau de l’offre wholesale, ce que confirme, du reste, l’expérience de Payot (cf. supra consid. 9.7.2). L’éventuelle concurrence générée, sur le marché retail, par

          les librairies installées à la frontière suisse sera néanmoins examinée plus avant (cf. infra consid. 14.4).

          A noter que le système singulier mis en place par B.A. ne saurait être assimilé à un approvisionnement auprès de librairies françaises, dès lors que celui-là a fait l’acquisition de telles structures, les transformant, parallèlement à leur activité de librairies, en fournisseurs de l’activité de revente développée en Suisse (cf. supra consid. 9.7.3).

        3. Il ressort enfin du dossier que les comportements d’achat des détaillants et des consommateurs ne sont pas non plus comparables. Les détaillants interviennent dans l’échange vis-à-vis des diffuseursdistributeurs dans le but de vendre les livres aux consommateurs finaux. Ainsi, ils doivent composer leur offre en tenant notamment compte du comportement d’achat des consommateurs finaux. De même, il apparaît que les consommateurs et les détaillants ne sont pas prêts à payer le même montant pour un titre donné. Les détaillants visent avant tout la revente des ouvrages acquis auprès des diffuseurs-distributeurs et des grossistes afin de dégager un revenu de cette activité. Ils acquièrent dans ce but plusieurs exemplaires d’un même titre afin d’être en mesure de revendre celui-ci à plusieurs consommateurs distincts. De leur côté, les consommateurs n’acquièrent généralement qu’un seul exemplaire de chaque titre. De même, les détaillants supportent les coûts de transport en cas d’exercice du droit de retour, les consommateurs n’ont pas à se préoccuper de ces questions ou, à tout le moins, pas selon les mêmes contraintes. Enfin, les détaillants sont directement affectés par les clauses d’exclusivité existant dans les contrats situés en amont et il ne ressort pas du dossier que les consommateurs puissent s’approvisionner directement auprès des diffuseurs-distributeurs ou des grossistes. Il y a donc lieu de distinguer les niveaux de marché wholesale et retail ; la recourante n’a d’ailleurs pas remis en cause sur le fond cette distinction.

          Il s’ensuit que les consommateurs ne peuvent être considérés comme des partenaires potentiels de l’échange. Les pressions concurrentielles éventuellement générées par le marché retail et la demande des consommateurs finaux seront toutefois considérées à un stade ultérieur de l’analyse (cf. infra consid. 14.3).

        4. Sur le vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que les partenaires potentiels de l’échange se situent uniquement sur le marché de la vente de livres au niveau wholesale, c’est-à-dire entre les

          diffuseurs-distributeurs et les grossistes d’un côté et les détaillants de l’autre, en tant qu’il s’agit du marché directement affecté par les accords.

              1. Il y a maintenant lieu de délimiter les produits ou services substituables entre les différents partenaires potentiels de l’échange, en tenant compte d’abord de la substituabilité du point de vue de la demande. A cet égard, il s’agit de prendre en compte les produits ou services alternatifs existants (cf. CLERC/KËLLEZI, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 4 al. 2 LCart p. 290 no 68), le degré de substituabilité s’appréciant en fonction de caractéristiques objectives et des préférences subjectives (cf. ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 7.3 ; arrêt du TAF B-2977/2007 précité Publigroupe consid. 5.1.1). La substituabilité du côté de l’offre doit en principe également être prise en compte dans la délimitation du marché de produits (cf. arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 272). Ainsi, les produits qui ne sont pas substituables du côté de la demande doivent être néanmoins inclus dans le marché de produits s’il existe un degré élevé de substituabilité au niveau de l’offre (cf. arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 272 ; BORER, op. cit., art. 5 p. 70 no 12). Il y a substituabilité au niveau de l’offre lorsque les producteurs peuvent réorienter leur production à court terme, sans encourir de coûts ou de risques supplémentaires substantiels, et fabriquer ainsi des produits qui sont fonctionnellement interchangeables du point de vue de la demande avec les autres produits sur le marché (cf. arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 272 ; BORER, op. cit., art. 5 p. 70 no 12 ; MANI REINERT/BENJAMIN BLOCH, in : BSK-KG, op. cit., art. 4 al. 2 p. 207 no 150 ; STÄUBLE/SCHRANER, op. cit., art. 4 al. 2 p. 249 no 65 ; CLERC/KËLLEZI, in

                CR-Concurrence, op. cit., art. 4 al. 2 LCart p. 295 no 85). Seuls les

                concurrents susceptibles d’entrer sur le marché à bref délai sont pris en compte dans le cadre de la détermination de la substituabilité du côté de l’offre. En revanche, il n’y a pas lieu de tenir compte de concurrents potentiels susceptibles d’entrer sur le marché dans un délai prévisible mais non bref. La concurrence potentielle sera toutefois prise en compte dans le cadre de l’analyse de la concurrence sur le marché de référence (cf. infra consid. 13.4 ; CLERC/KËLLEZI, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 4 al. 2 LCart p. 290 no 67; ZÄCH, Kartellgesetzrevision 2003, op. cit., p. 163) (cf. infra consid. 13.4).

                1. La notion de livre écrit en français représente le point de départ de l’enquête ayant conduit à la décision entreprise. Il s’agit tout d’abord des livres écrits, c’est-à-dire rédigés ou traduits, en français ; la recourante ne le conteste pas. Reste à examiner si, comme le prétendent

                  certains diffuseurs-distributeurs, il y a lieu de considérer les livres numériques comme faisant partie des produits substituables au niveau de la demande et de l’offre et s’il y a lieu d’opérer une distinction selon les différentes catégories de livres.

                  S’agissant des livres numériques, il y a lieu de distinguer selon que ceux-ci sont substituables aux livres écrits au niveau wholesale, c’est-à- dire du point de vue des détaillants, et au niveau retail, c’est-à-dire du point de vue des consommateurs. L’expertise Gugler, sur laquelle se fondent certains diffuseurs-distributeurs, n’a pas distingué leurs arguments selon les niveaux wholesale et retail (acte 698). L’utilisation du livre numérique nécessite l’emploi d’une liseuse ou d’un autre dispositif électronique, tel un smartphone ou une tablette, ce qui constitue en soi un produit spécifique. De plus, le contenu du livre s’acquiert essentiellement en ligne, sans point de vente physique et sans intermédiaire. La structure du marché est donc sensiblement différente du modèle économique existant pour les livres imprimés et n’est pas directement touchée par les accords existant entre les diffuseursdistributeurs et les détaillants. Ainsi, du point de vue des détaillants, le livre numérique n’est pas vu comme substituable au livre imprimé. De même, il n’apparaît pas que les diffuseurs-distributeurs aient été en mesure, durant la période de l’enquête, de fournir des livres numériques aux détaillants dans un laps de temps bref et sans investissements conséquents ; la recourante ne développe d’ailleurs aucun argument spécifique sur ce point. Ainsi, il y a lieu de constater que le livre numérique n’a joué aucun rôle sur le marché wholesale durant la période de l’enquête. Quant à l’influence des livres numériques sur le marché retail, l’autorité inférieure se fonde sur plusieurs études, notamment sur l’expertise Gugler. Selon une étude du cabinet Kearney, datant de 2012, les ventes de livres numériques ne représenteraient que 0.5% des ventes totales de livres en France - seuls 0.2% des français étant équipés en matériel pour lire des livres numériques - pour un catalogue de 60'000 titres (ch. 473 décision attaquée). Les doutes exprimés par la recourante sur ce dernier pourcentage ne sont nullement étayés par quelque élément de preuve, si bien qu’ils ne sauraient affaiblir dite expertise. En outre, selon une étude Ipsos/Livres Hebdo, réalisée début 2011, les français estiment, à hauteur de 65%, que le livre imprimé restera toujours le principal support, l’étude précisant que le niveau d’intérêt pour les livres numériques n’a pratiquement pas bougé entre 2009 et 2011 (ch. 474 décision attaquée). Quant à l’expertise Gugler, elle se fonde sur une étude produite en 2010 par PricewaterhouseCoopers, laquelle prédit une forte croissance à l’avenir des livres numériques (ch. 475 décision

                  attaquée). Il s’ensuit que la faible consommation de livres numériques durant la période de l’enquête ne permet pas de constater que ceux-ci soient substituables aux livres imprimés aux yeux du consommateur final. Force est dès lors de constater, à l’instar de l’autorité inférieure, que les livres numériques n’ont pas non plus fait partie du marché relevant au niveau retail.

                2. Certains diffuseurs-distributeurs ont affirmé qu’il est nécessaire de distinguer des sous-marchés correspondant aux principales catégories de livres, chaque catégorie de livres répondant à un besoin spécifique des consommateurs. Cette catégorisation serait également importante pour déterminer les possibilités de substitution des ouvrages.

                  Il y a lieu de rappeler que les accords visés par l’enquête portent sur l’ensemble du catalogue de la recourante, sans opérer de distinction entre les différentes catégories de livres. Ainsi, du côté de la demande, les détaillants doivent concevoir une offre variée et être en mesure de proposer un assortiment de livres aussi complet que possible dans tous les domaines, que ce soit directement dans leurs rayons ou sur commande. Partant, les détaillants sont tenus d’entretenir des relations commerciales avec les principaux - si ce n’est tous - les diffuseursdistributeurs actifs en Suisse. De même, ceux-ci doivent proposer aux détaillants - en raison des différents régimes d’exclusivité octroyés - l’ensemble de leur catalogue et n’opèrent pas de distinction en fonction des catégories d’ouvrages ; la recourante ne le prétend d’ailleurs pas. Ainsi, il appert qu’il n’est pas nécessaire - au stade de la définition du marché de référence - d’opérer une distinction entre les différentes catégories de livres proposées par la recourante puisque le livre écrit constitue, en tant que tel, le produit qu'ils vendent. En revanche, l’influence des différentes catégories de livres sur le comportement des consommateurs devra être examinée ultérieurement au stade de l’analyse de la concurrence (cf. infra consid. 13 ss).

              2. Sur le vu de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de retenir que le marché de produits est celui de la vente de livres neufs écrits, c’est-à- dire rédigés ou traduits, en français au niveau wholesale - soit le marché de la distribution - en tant qu’il s’agit du marché affecté par les accords. Les autres marchés du livre, en particulier les marchés des services de diffusion, ne font pas partie du marché de produits. L’éventuelle pression concurrentielle sur la vente desdits livres au niveau wholesale, en particulier celle exercée par le marché retail, sera néanmoins examinée

          au stade de l’analyse de la concurrence dont la délimitation du marché n’est que la prémisse (cf. infra consid. 14.2, 14.3).

            1. Le marché géographique comprend le territoire dans lequel les partenaires potentiels de l’échange sont engagés du côté de l’offre ou de la demande pour les produits ou les services qui composent le marché de produits (cf. ATF 139 I 72 Publigroupe consid. 9.2.1 ; ATAF 2011/32 Swisscom Terminierung consid. 9.6.1 ; arrêts du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 302 et B-506/2010 précité Gaba consid. 9.2 ; Comco, DPC 2007/2 190, Publigroupe, ch. 121 ; CLERC/KËLLEZI, in : CRConcurrence, op. cit., art. 4 al. 2 LCart p. 301 no 98 ; DAVID/JACOBS, op. cit., p. 237 no 693 ; REINERT/BLOCH, in : BSK-KG, op. cit., art. 4 al. 2

              p. 218 no 218 ss). Il s’agit de déterminer s’il existe, dans une zone

              géographique donnée, des conditions de concurrence sensiblement différentes de celles des zones voisines. Le marché géographique peut donc être défini dans certains cas comme local, régional, national, supranational ou mondial (cf. arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 303 ; BORER, op. cit., art. 5 p. 71 no 15).

              L’autorité inférieure a délimité le marché géographique au niveau wholesale à la région francophone supranationale, incluant en particulier la France, et le marché géographique au niveau retail à la région francophone nationale, l’influence du commerce électronique et du commerce stationnaire transfrontalier devant toutefois être considérée dans l’analyse de la concurrence subséquente (cf. infra consid. 14.4). La recourante, quant à elle, ne formule aucun grief sur la délimitation du marché géographique entreprise par l’autorité inférieure.

              Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de s’éloigner de la délimitation du marché géographique retenue dans la décision attaquée.

            2. Le marché temporel comprend la période au cours de laquelle les partenaires potentiels de l’échange sont engagés du côté de l’offre ou de la demande pour les produits ou services qui composent le marché de produits et dans la zone géographique qui englobe le marché géographique (cf. arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 307 ; BORER, op. cit., art. 5 p. 71 no 16 ; CLERC/KËLLEZI, in : CRConcurrence, op. cit., art. 4 al. 2 LCart p. 305 ss no 107 ss). La dimension temporelle du marché de référence n’est prise en compte que de manière exceptionnelle lorsque les produits ou services qui composent le marché de produits ne sont disponibles que durant certaines périodes (cf. arrêts du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 307 et B-2977/2007

              précité Publigroupe consid. 5.3). Le caractère substituable de deux produits présuppose dès lors que ceux-ci soient disponibles sur le marché en même temps (cf. CLERC/KËLLEZI, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 4 al. 2 LCart p. 305 no 108).

              En l’espèce, il n’est pas contesté que les diffuseurs-distributeurs et les détaillants ont respectivement offert et acquis des livres écrits en français, sans interruption, durant la période de l’enquête. Il s’ensuit que la délimitation du marché temporel n’est pas pertinente, l’offre et la demande ayant été continues tant sur le marché wholesale que sur le marché retail durant la période de l’enquête.

            3. Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que la décision attaquée expose de manière circonstanciée le fonctionnement du marché du livre, en particulier sa dimension matérielle. L’autorité inférieure, se fondant sur des études, a motivé avec soin les raisons justifiant d’exclure du marché de référence notamment les livres numériques et le commerce électronique de livres imprimés. De même, elle a examiné le fonctionnement des marchés wholesale et retail. La recourante ne remet pour le reste en question ni la dimension géographique retenue par l’autorité inférieure ni l’absence de pertinence de la dimension temporelle.

          Toutefois, il y a lieu d’exclure les librairies françaises des partenaires potentiels de l’échange, celles-ci ne constituant pas une alternative d’approvisionnement crédible. Pour le surplus, rien ne s’oppose à la délimitation du marché de référence opérée par l’autorité inférieure, laquelle a défini le marché comme étant celui de la vente wholesale de livres neufs, imprimés et écrits en français dans la zone supranationale francophone, à l’exclusion du commerce électronique de livres imprimés.

          Il s’ensuit que les griefs formulés par la recourante sur ce point doivent être rejetés.

  12. Concurrence sur le plan intramarque

    Ceci étant, il convient d'examiner si, nonobstant le système de distribution mis en place, il subsistait, durant la période considérée, une concurrence sur le plan intramarque sur le marché de référence.

    1. L’autorité inférieure a relevé que la forte différenciation des titres édités rendait non pertinente la notion traditionnelle de marque. L’acheteur, au niveau wholesale ou retail, ne choisit pas un livre en

      fonction d’une marque correspondant au nom de l’éditeur ; il acquiert un titre déterminé. Que la notion de marque se rapporte à la production éditoriale, au catalogue du diffuseur ou au livre, les conclusions de l’analyse demeurent en l’espèce identiques.

      La recourante fait valoir qu’il subsistait une concurrence sur le plan intramarque dès lors que des commandes ont été passées directement auprès des éditeurs. Par ailleurs, [ ], comme D.AO. , ainsi que des économats cantonaux se sont fait approvisionner directement par Interforum France. De telles livraisons ont eu lieu durant toute la période visée par l’enquête. D’autres libraires ont également déclaré qu’ils se fournissaient directement auprès des diffuseurs français.

    2. Il subsiste une concurrence sur le plan intramarque lorsque les partenaires potentiels de l’échange offrant des produits ou des services de la même marque continuent à se concurrencer malgré l’existence de l’accord (cf. ATF 144 II 246 Altimum consid. 7.2 ; arrêt du TAF B-5685/2012 précité Altimum consid. 5.4 ; Comco, DPC 2014/1 184, Kosmetikprodukte, ch. 176 ss et DPC 2010/1 65, Gaba, no 207 ss ; ZIRLICK/BANGERTER, in : DIKE Kommentar, op. cit., art. 5 p. 459 no 114 ; KRAUSKOPF/SCHALLER, in : BSK-KG, op. cit., art. 5 p. 442 no 594 ss). Tel est le cas lorsqu’il existe des possibilités d’arbitrage suffisantes, lesquelles peuvent consister en un différentiel de prix ou des différences concernant d’autres paramètres, comme les services, et - dans le cadre d’accords d’attribution de territoires - si suffisamment d’importations parallèles ont effectivement eu lieu pour discipliner le marché (cf. arrêt du TAF B-506/2010 précité Gaba consid. 8.1.2 ; Comco, DPC 2012/3 540, BMW, ch. 215 ss et DPC 2010/1 65, Gaba, ch. 207 ss ; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart

      p. 581 ss no 660 ss). Une concurrence sur le plan intramarque intensive

      peut néanmoins exister sur le marché suisse, indépendamment d’éventuelles importations parallèles (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 581 ss no 660 ss ; décisions de la Comco, DPC 2010/1 p. 65, Gaba, ch. 207 ss et DPC 2012/3, p. 540, BMW, ch. 215 ss ; arrêt du TAF 506/2010 précité Gaba consid. 8.1.2). En effet, même en cas de cloisonnement du marché suisse vis-à-vis de la France, une concurrence peut néanmoins subsister en Suisse (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart

      p. 585 no 676). En droit européen, un accord de distribution exclusif -

      n’interdisant pas les ventes passives - peut malgré tout affaiblir la concurrence. La position détenue par le producteur sur le marché est particulièrement importante ; plus la position du producteur est forte, plus

      l’affaiblissement de la concurrence sur le plan intramarque est grave (cf. point 153 lignes directrices). De même, l’affaiblissement de la concurrence sur le plan intramarque peut constituer un problème grave sur un marché mûr mais être plus anodin sur un marché où la demande croît, les technologies évoluent et les positions fluctuent (cf. point 158 lignes directrices). La concurrence sur le plan intramarque risque de s’affaiblir lorsque la distribution exclusive est pratiquée sur des territoires étendus - comme par exemple un Etat -, dans la mesure où les partenaires potentiels de l’échange du côté de la demande pourraient, pour une marque importante, n’avoir plus qu’un choix limité d’approvisionnement (cf. point 159 lignes directrices).

    3. Le point de départ de l’analyse de la concurrence sur le plan intramarque consiste en la définition de la marque. Il ressort de la décision attaquée que l’ensemble des accords analysés reposent sur un régime d’exclusivité (ch. 422 décision attaquée). En raison des spécificités du marché du livre, il appert que - sur un territoire donné - chaque titre est, en principe, produit par un seul éditeur, lequel confie respectivement la diffusion et la distribution de son fonds à un diffuseurdistributeur exclusif. Celui-ci est généralement le seul à diffuser et distribuer son catalogue aux détaillants dans le territoire qui lui est attribué (ch. 5 ss, not. 9 décision attaquée). Ce faisant, chaque titre fait partie d’un seul fonds d’éditeur, lequel fait partie d’un seul catalogue de diffuseur-distributeur. Dans une telle configuration, il importe peu - au stade de l’analyse de la concurrence sur le plan intramarque - d’opérer une distinction au niveau de la marque entre les titres, les fonds édités ou les catalogues diffusés et distribués sur un territoire donné.

    4. Il a été admis ci-dessus que les librairies Payot, la Fnac suisse et B.A. avaient disposé de possibilités d’arbitrage par le prix durant la période de référence, de même que les librairies de taille moyenne si tant est qu’elles coordonnaient leurs importations (cf. supra consid. 9.6.1, 9.6.3). Ce nonobstant, aucune importation parallèle n’a été entreprise auprès d’un grossiste français de Interforum France entre 2005 et 2011

      sur le marché pertinent, hormis celles opérées par B.A.

      (par

      l’entremise de sociétés écran) (cf. supra consid. 9.7.3). L’on ne saurait dès lors admettre que des importations parallèles auraient exercé une pression disciplinante sur les prix pratiqués en Suisse des ouvrages diffusés par la recourante, comme le démontre en particulier le différentiel de prix ayant existé, durant la période de l’enquête, entre les marchés wholesale suisse et français pour lesdits ouvrages (cf. supra consid. 9.6.2). En outre, OLF étant le distributeur exclusif sur le territoire

      suisse du catalogue du groupe Editis ainsi que de ceux des éditeurs et/ou distributeurs tiers dont la recourante a été chargée de la diffusiondistribution pour la Suisse, aucune concurrence sur le plan intramarque, par le prix ou les services, n’a existé sur le marché de la distribution suisse durant la période visée par l’enquête. Il s’ensuit que les accords au sens de l’art. 5 al. 4 LCart auxquels la recourante, respectivement le groupe Editis, a été partie n’ont pas permis que, sur le marché pertinent et durant la période visée, subsiste une concurrence sur le plan intramarque.

  13. Concurrence sur le plan intermarques

    Il convient encore d'analyser la concurrence sur le plan intermarques. Ainsi, il s’agit d’abord d’examiner la concurrence actuelle, c'est-à-dire s'il existe une concurrence avec des substituts provenant d'autres producteurs (cf. ch. 11 CommVert ; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CRConcurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 483 no 203). A cet égard, il y a lieu de déterminer si les parts de marché détenues par les concurrents offrant d'autres marques sont suffisantes pour qu’il subsiste une concurrence sur le plan intermarques sur le marché de référence. A défaut, il s’agira d’examiner la concurrence potentielle (cf. ANTIPAS, op. cit., p. 356).

    1. L’autorité inférieure a relevé, dans sa décision, que les livres étaient des produits dont la palette de différenciation était considérable ; aucun titre ne peut être véritablement identique (ch. 592 décision attaquée). Si elle ne constitue en l’espèce pas un indice de concurrence, en tant que tel, la forte différenciation des produits influence cependant directement les choix des consommateurs finaux et des libraires, dès lors que la substituabilité de certains produits est limitée. Les libraires doivent en effet être en mesure de commander n’importe quel élément de la production éditoriale. Aussi, l’autorité inférieure a retenu qu’il résultait de la forte différenciation des produits dans le secteur du livre qu’aucun détaillant ne pouvait se permettre de ne pas travailler, directement ou indirectement, en cas de rackjobbing par exemple, avec l’ensemble des diffuseurs-distributeurs, ce qui réduisait partiellement la pression disciplinante qui pourrait être issue de la concurrence sur le plan intermarques ab ovo (ch. 602 décision attaquée). En clair, même si un diffuseur-distributeur se distingue par d’excellents services par rapport à ses concurrents, le libraire se doit de travailler avec l’ensemble des diffuseurs-distributeurs. Toutefois, le secteur du livre se caractérisant par un nombre très élevé de références distinctes, tous les détaillants sont confrontés à une contrainte spatiale pour la présentation des produits,

      laquelle crée une concurrence entre les diffuseurs, non seulement au niveau des prestations financières mais aussi au niveau des services, pour disposer du plus grand rayonnage de titres de leur catalogue auprès de chaque détaillant (ch. 601 décision attaquée).

      De l’avis de la recourante, la concurrence entre les offres des différents diffuseurs a été sous-estimée. En effet, pour les livres, tels que les dictionnaires, guides de voyage, ainsi que tous les livres ayant un caractère pratique (jardinage, cuisine, etc.), chaque diffuseur est contraint de réduire drastiquement ses marges pour faire face à la concurrence des autres diffuseurs.

    2. La concurrence sur le plan intermarques se joue avant tout sur l’échelon retail. Du point de vue du client final, c’est-à-dire le lecteur, les titres d’un genre déterminé (par ex. les livres de cuisine ou les guides de voyage) peuvent, jusqu’à un certain point, être substituables. Cette substituabilité ne se transpose toutefois pas au niveau wholesale. Un libraire ne peut en effet pas choisir d’offrir à ses clients un guide de voyage, à l’exclusion d’un autre par exemple. Il ne peut pas non plus faire le choix d’intégrer dans son offre uniquement les titres les plus répandus. Pour pouvoir satisfaire à la demande de leurs clients, les libraires doivent être en mesure d’offrir à ceux-ci un large assortiment de références, le cas échéant, sur commande. A cet égard, Payot a indiqué, dans le questionnaire du secrétariat daté du 9 décembre 2008 (acte 129), ce qui suit : « si nous ne pouvons fournir un livre à notre clientèle, soit dans l’assortiment, soit par le biais de commandes clients spécifiques, nous ne sommes pas en mesure de remplir notre mission qui est justement de pouvoir proposer à notre clientèle l’ensemble des titres réputés disponibles, quel que soit le mode de diffusion-distribution choisi par l’éditeur » (p. 6 ss). C’est la raison pour laquelle, sur le marché wholesale, les détaillants ne commandent pas des titres individuels mais un assortiment de titres (par ex. un assortiment de livres policiers). Aussi, pour pouvoir offrir à leurs clients un choix satisfaisant de références, les détaillants sont tenus d’avoir un compte ouvert auprès des principaux diffuseurs (exclusifs) suisses, dès lors qu’aucun de ceux-ci ne peut être substitué à un autre comme canal d’approvisionnement. Cet état de fait réduit considérablement le pouvoir de négociation des libraires sur l’échelon wholesale. Un détaillant ne peut en effet pas menacer un diffuseur d’aller acheter ses livres auprès d’un autre diffuseur suisse si, par exemple, celui-là ne lui fait pas un meilleur prix sur les titres de son catalogue. De même, il ne peut pas exclure de son réseau d’approvisionnement un diffuseur pour le motif qu’il ne serait pas

      concurrentiel. Payot a, à ce titre, relevé, dans le questionnaire précité, que « cette concurrence [entre les diffuseurs suisses] n'existe pas, dans la mesure où chacun diffuse une production qui lui est propre [ ] quel que soit son poids de parts de marché, y compris s’il est très faible, un diffuseur dispose des mêmes conditions d’exclusivité de diffusion qu’un gros diffuseur pour les catalogues qui lui sont propres » (acte 129 p. 3).

      « Chaque diffuseur [a] le monopole absolu pour les catalogues dont il a la responsabilité. [ ] le modèle appliqué en Suisse est copié du modèle français : il est basé sur la diffusion et la distribution exclusives de la production d’un éditeur par un fournisseur donné ». « Un libraire ne peut acheter un livre d’un éditeur donné que chez un et un seul fournisseur, peu importe [sa] taille : quelles que soient les parts de marché de chacun, il est en situation de maîtrise complète et totale dans la commercialisation des produits dont il a l’exclusivité ; il n’existe de fait aucune concurrence entre les fournisseurs » (acte 129 p. 9). Ce nonobstant, il n’est toutefois pas contesté que les libraires doivent faire face à une contrainte spatiale, en ce sens qu’ils ne peuvent pas exposer dans leur librairie tous les livres de tous les diffuseurs auprès desquels ils disposent d’un compte (ch. 601 décision attaquée). Ils doivent donc faire un choix parmi les titres de leur catalogue, étant entendu que les livres qui, pour le client final, représentent des produits substituables ont davantage de possibilités d’être vendus s’ils sont exposés dans la librairie. C’est la raison pour laquelle les diffuseurs vont se livrer une concurrence afin de faire figurer en rayons le plus grand nombre de références. Partant, il y a lieu de déterminer s’il subsiste une concurrence sur le plan intermarques non seulement au niveau des prix mais également au niveau du rayonnage. Pour ce faire, il est préalablement nécessaire d’établir les parts de marché de la recourante et de ses concurrents pour la période de l’enquête.

    3. L’analyse de la concurrence sur le plan intermarques actuelle débute par celle des parts de marché détenues par le fournisseur et ses concurrents (cf. Comco, DPC 2012/3 540, BMW, ch. 249 ss et DPC 2010/1 65, Gaba, ch. 257 ss). Selon un principe économique, les accords verticaux (de prix minimaux ou de protection territoriale) ne produiraient des effets anticoncurrentiels qu’en présence d’un pouvoir de marché important des entreprises participantes, soit supérieur à 30% (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart

      p. 556 no 542 et p. 584 no 670 ; points 153 et 154 lignes directrices). Par

      ailleurs, l’évolution des parts de marché permet, en principe, d’admettre plus facilement l’existence d’une concurrence sur le plan intermarques que si les parts de marché demeurent identiques pendant des années

      (cf. ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 9.5.5). La présence d’une concurrence par le prix parle également souvent en faveur de l’existence d’une concurrence sur le plan intermarques (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart

      p. 584 ss no 671 ss). De même, la différenciation des produits constitue

      également un indice qu’une concurrence subsiste (cf. Comco, DPC 2010/1 65, Gaba, ch. 284 ss ; ZIRLICK/BANGERTER, in : DIKE Kommentar, op. cit., art. 5 p. 460 ss no 120). A ce défaut, il s’agira d’examiner si le producteur et ses concurrents font face à une concurrence potentielle les forçant à adopter un comportement efficace malgré l’absence de concurrence actuelle (cf. Comco, DPC 2014/1 184, Kosmetikprodukte, ch. 212 ss, DPC 2012/3 540, BMW, ch. 269 ss et DPC 2010/1 65, Gaba,

      ch. 296 ss ; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 548 no 508 ; ZIRLICK/BANGERTER, in : DIKE Kommentar, op. cit., art. 5 p. 460 ss no 120). A cet effet, l’existence de faibles barrières à l’entrée sur le marché constitue un indice de l’existence d’une concurrence efficace (cf. AMSTUTZ/CARRON/ REINERT, in : CRConcurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 548 no 508). Inversement, la présence de barrières légales à l’entrée sur le marché, l’existence de coûts irrécupérables élevés, les difficultés linguistiques, les coûts de transport élevés et les surcapacités sont des indices qu’une concurrence sur le plan intermarques potentielle efficace n’existe pas. La concurrence potentielle fait défaut si l’on ne peut pas envisager des entrées sur le marché dans un délai de deux à trois ans (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 548 no 509).

      En droit européen, un accord de distribution peut affaiblir la concurrence sur le plan intermarques lorsque la plupart ou la totalité des producteurs pratiquent la distribution exclusive (point 151 lignes directrices). Lorsque les concurrents sont forts, l’affaiblissement de la concurrence sur le plan intramarque sera généralement compensé par une concurrence sur le plan intermarques. En revanche, lorsque le nombre de concurrents est faible, que leur part de marché, leur capacité et leur réseau de distribution sont plus ou moins similaires, il existe un risque d’atténuation de la concurrence sur le plan intermarques. La diminution de la concurrence sur le plan intramarque peut augmenter ce risque, en particulier lorsque plusieurs producteurs exploitent des systèmes de distribution similaires. De plus, la distribution exclusive multiple - à savoir le fait pour différents producteurs de désigner le même distributeur exclusif sur un territoire donné - peut encore accroître le risque d’atténuation de la concurrence. En effet, lorsqu’un distributeur se voit accorder le droit exclusif de distribuer deux produits concurrents ou plus sur le même territoire, la

      concurrence sur le plan intermarques peut se trouver sensiblement restreinte pour ces marques. Plus la part de marché cumulée des marques distribuées par les distributeurs exclusifs multiples est élevée, plus le risque d’atténuation de la concurrence est grand et plus la concurrence sur le plan intermarques sera réduite (cf. point 154 lignes directrices). Les risques éventuels que fait peser sur la concurrence sur le plan intermarques la distribution exclusive multiple est plus importante au niveau wholesale qu’au niveau retail. Ainsi, lorsqu’une entreprise devient distributeur exclusif pour un nombre important de producteurs, non seulement la concurrence entre leurs marques risque de s’en trouver réduite mais cela peut aussi conduire à la fermeture du marché au niveau wholesale (cf. point 160 lignes directrices).

          1. S’agissant tout d’abord de la part de marché de la recourante, il ressort du dossier que celle-là s’élevait à [ ]% en 2009, à [ ]% en 2010 et à [ ]% en 2011, si bien qu’elle n’a quasiment pas varié en trois ans, ce qui ne plaide pas en faveur de l’existence d’une concurrence vive entre les diffuseurs suisses durant cette période. Au surplus, l’autorité inférieure a produit, dans la décision attaquée, un tableau des chiffres d’affaires des différents diffuseurs-distributeurs. Il en ressort que les systèmes de distribution des diffuseurs-distributeurs sanctionnés ont couvert plus de 95% du marché durant la période visée par l’enquête (ch. 606 décision attaquée). Ceux-ci bénéficiant tous - sous une forme ou sous une autre - d’une exclusivité pour la diffusion et/ou la distribution sur le territoire suisse, il s’ensuit que la quasi-totalité du marché au niveau wholesale a été, en Suisse, soumis à des systèmes de distribution exclusive multiples similaires, ce qui ne plaide pas non plus en faveur de l’existence d’une concurrence sur le plan intermarques sur le marché de référence durant la période de l’enquête.

          2. Quant à la concurrence sur les prix au niveau intermarques, il sied de relever que, sur le marché wholesale, le prix est déterminé par la déduction de la remise sur le prix de référence indiqué par la tabelle pour chaque titre. Ainsi, il a été constaté durant la période de l’enquête que les taux de remise moyens consentis par les diffuseurs avaient été relativement proches les uns des autres. Payot a, à cet égard, indiqué, en réponse à un questionnaire du secrétariat daté du 12 juillet 2007 (acte 21), bénéficier de remises de base chez Diffulivre, Servidis, Interforum, E5F, OLF et Dargaud oscillant entre [ ]-[ ]%, et [ ]% chez Flammarion. Ces taux de remise sont de même, selon l’autorité inférieure, restés relativement stables pour tous les détaillants sur l’ensemble de la période visée par l’enquête (ch. 614 décision attaquée).

            Enfin, il ne ressort pas du dossier, et la recourante ne l’allègue pas non plus, que les détaillants auraient bénéficié d’une remise supplémentaire ou d’autres avantages pour faire figurer un large choix de titres d’un diffuseur dans leur librairie ou pour mettre en évidence ceux-ci au niveau du rayonnage. Au contraire, Payot a fait savoir, dans le questionnaire du secrétariat du 9 décembre 2008, que ses conditions pour un éditeur étaient en général les mêmes, quel que soient le type de livres (fonds ou nouveautés) et la quantité achetée pour un même titre (à l’unité ou pour plusieurs centaines d’exemplaires ; acte 129). De même, les tabelles de prix ont connu des baisses à partir de 2009-2010 pour tenir compte de l’appréciation du franc suisse ; les diffuseurs-distributeurs n’ont cependant pas réagi à la même vitesse au phénomène monétaire, tel qu’en atteste le courrier adressé par les représentants des librairies au sein de l’ASDEL en février 2011 à certains diffuseurs-distributeurs (acte 693c annexe 56) : « Vous êtes resté sourd à notre message. Les ‘‘promotions’’ que vous proposez ne remplacent en aucun cas une politique à long terme d’ajustement des tabelles à la baisse considérable de l’euro depuis plus d’un an » ; « De toute évidence, votre stratégie financière et commerciale, sous couvert ‘‘d’appliquer des conditions commerciales concurrentielles sur le marché suisse’’, ne tient aucun compte des appels répétés de vos principaux clients [ ]. Nous vous répétons ici que seule une baisse progressive et générale de vos tabelles répondrait à nos préoccupations les plus urgentes ».

            Dans ces conditions, il y a lieu de relever que la sensibilité aux variations de prix est faible au niveau wholesale, les différences de prix n’influençant pas la nécessité des détaillants de travailler avec l’ensemble des diffuseurs-distributeurs.

            Il s’ensuit qu’il n’a subsisté aucune concurrence sur le prix au niveau intermarques sur le marché de référence durant l’ensemble de la période de l’enquête.

          3. Reste à déterminer si, nonobstant la forte différenciation des produits, il subsiste une concurrence sur le plan intermarques au niveau du rayonnage.

            Payot a indiqué, en réponse à la question de savoir selon quels critères elle choisissait les livres qu’elle proposait à sa clientèle (acte 129), que

            « il n’est pas dans les us et coutumes de la librairie de privilégier un fournisseur en fonction des conditions qu’il nous octroie. Seul l’intérêt commercial présumé d’un livre et la nécessité de proposer une offre

            riche, variée et cohérente sont les facteurs déterminant l’achat. » [ ]

            « Ce sont les libraires, dans chacune des succursales, qui déterminent et créent leur assortiment, aussi bien pour les nouveautés que pour le fonds, en fonction de leur connaissance de leur clientèle, de la taille de la librairie, etc. » (p. 6). La Fnac suisse a, dans ce même questionnaire (acte 254), encore ajouté faire ses choix en fonction de la concurrence immédiate. La Fnac suisse et Payot ont toutes deux indiqué que, pour choisir les nouveautés qu’elles proposent à leurs clients, elles reçoivent la visite de représentants qui leur présentent les programmes des nouveautés à paraître. Ceux-ci disposent d’informations qui aident le libraire à se déterminer sur la nécessité de commander un titre ou pas et sur le nombre d’exemplaires à commander. Pour le réassort des articles du fonds, elles ont précisé veiller à garantir un assortiment de qualité, alliant présence des nouveautés, largeur et profondeur de l'offre pour satisfaire un maximum de clients. Payot a par ailleurs relevé qu’il ressortait d’un sondage réalisé auprès de sa clientèle en mai 2008 que, pour les 55% des clients interrogés, le choix/l’offre était le principal critère de qualité d’une librairie. Selon la Fnac suisse, ce critère est capital en tant qu’il détermine la réputation d’une librairie. En outre, à la question de savoir - dans l’hypothèse où un livre déterminé n’était pas disponible dans leur librairie - quel pourcentage de clients quitterait la librairie sans le commander, Payot l’a estimé entre 5 et 20%, la Fnac suisse à environ 50%. Ne pas disposer d’une référence en rayons peut dès lors représenter une perte financière importante pour une librairie. La Fnac suisse a encore relevé que les diffuseurs proposaient très régulièrement des opérations commerciales, c’est-à-dire remettre en avant des titres de leur catalogue en fonction de l'actualité, de la saisonnalité ou de la parution d'une nouveauté importante. Elle a indiqué être totalement libre d'accepter ou de refuser ces opérations commerciales. Sur ce même point, Payot a fait savoir que, chez de nombreux fournisseurs, un système de « grille d’office » est appliqué pour les nouveautés, c’est-à- dire que, pour tout nouveau titre d’une collection ou d’un genre donné, un exemplaire au moins, parfois davantage, est envoyé (et facturé) d’office.

            Il résulte de ce qui précède que ce sont les détaillants qui choisissent, compte tenu de leurs contraintes spatiales, les livres qu’ils proposent dans leur librairie, selon leurs propres critères. Ils ne font à cet égard pas jouer la concurrence entre les diffuseurs pour déterminer leur offre. Au même titre qu’il doit avoir un compte ouvert auprès des principaux diffuseurs, un détaillant doit proposer dans sa librairie l’offre la plus large et la plus diversifiée possible. L’intérêt commercial du libraire est prépondérant dans le choix des titres.

          4. Il ressort de tout ce qui précède que la forte différenciation des livres limite les possibilités de substitution à tous les niveaux. L’ensemble des systèmes de distribution des diffuseurs-distributeurs fondés sur un régime d’exclusivité - indépendamment de la forme de celle-ci - a couvert plus de 95% du marché sur la période visée par l’enquête. Ainsi, compte tenu de la nécessité pour les détaillants d’être en relation avec l’ensemble des diffuseurs-distributeurs, la concurrence actuelle sur le plan intermarques entre ceux-ci a été très largement insuffisante pour qu’il subsiste une concurrence sur le marché de référence.

        1. Il convient dès lors d’examiner si, durant la période concernée, il subsistait une concurrence sur le plan intermarques potentielle apte à renverser la présomption légale. Tel est le cas lorsque les entreprises parties à l’accord craignent de nouvelles entrées sur le marché (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 LCart

          p. 548 no 508). Ainsi, les conditions d’accès et de sortie du marché sont

          un critère central dans l’appréciation de la concurrence sur le plan intermarques potentielle (cf. message LCart 1995, FF 1995 I 472, p. 515). La présence de faibles barrières à l’entrée sur le marché, que ce soit pour des offreurs domestiques ou étrangers, constitue un indice de l’existence d’une concurrence efficace (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CRConcurrence, op. cit., art. 5 LCart p. 548 no 508).

          Selon l’autorité inférieure, deux éléments auraient limité les possibilités d’entrée sur le marché. Premièrement, celle-ci dépendrait des droits d’édition. Deuxièmement, les diffuseurs-distributeurs principaux ont des rapports très étroits avec la distribution en France. En effet, les principaux éditeurs seraient concentrés dans des groupes ayant une activité propre de diffusion en Suisse, ce qui reviendrait à admettre que la plupart des acteurs de l’édition sont déjà entrés sur le marché. Dans ce sens, l’entrée sur le marché ne serait réellement envisageable que pour des éditeurs éventuellement non encore diffusés-distribués en Suisse, ce qui représenterait une part marginale du marché (ch. 624 ss décision attaquée).

          La recourante a fait valoir que de nouveaux acteurs étaient arrivés sur le marché et qu’en particulier, des grossistes étrangers pourraient faire leur entrée sur celui-ci. Dès lors qu’un nouvel acteur conclut un contrat avec un ou plusieurs éditeurs, il peut entrer sur le marché sans problème et conclure un contrat avec OLF et lui confier la logistique. Elle relève encore que les éditeurs français n’hésitent pas à « passer à l’acte » lorsqu’il s’agit de changer de diffuseur et que les diffuseurs étrangers, de

          même que les diffuseurs situés en France qui n’ont pas encore de filiale en Suisse, sont également des concurrents potentiels.

          En l’espèce, il est indifférent que des entreprises aient pu potentiellement entrer sur le marché pertinent du côté de l’offre durant la période de l’enquête. En effet, compte tenu de la forte différenciation du produit du livre, l’entrée d’un nouvel acteur sur le marché de référence n’aurait dans tous les cas pas été apte à exercer une pression concurrentielle sur les diffuseurs suisses (cf. supra consid. 13.2). Quant au rayonnage, s’il existe certes une concurrence au niveau des éditeurs, lesquels doivent déterminer par quel diffuseur-distributeur ils passent, celle-ci ne se reflète pas au niveau des détaillants, lesquels doivent, à tout le moins, être en mesure de commander n’importe quel ouvrage.

          Il s’ensuit que la probabilité que de nouvelles entreprises du côté de l’offre génèrent une pression disciplinante suffisante a été faible, voire nulle, durant la période visée par l’enquête.

        2. Il résulte de ce qui précède qu’en raison de la forte différenciation du produit du livre et de la nécessité pour les détaillants de devoir s’approvisionner auprès de l’ensemble des principaux diffuseursdistributeurs exclusifs, il n’a subsisté, durant la période de l’enquête, aucune concurrence, actuelle ou potentielle, au niveau intermarques sur le marché de référence.

  14. Pression disciplinante des partenaires potentiels de l’échange

    Dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, il ne subsisterait aucune concurrence, tant sur le plan intramarque qu’intermarques, il y a lieu d’examiner si la position des partenaires potentiels de l’échange a exercé une pression disciplinante sur les parties à l’accord (cf. arrêt du TAF B-420/2008 précité Implenia consid. 9.2.4 ; KRAUSKOPF/SCHALLER, in : BSK-KG, op. cit., art. 5 p. 394 et 424 no 241 et 455 ; ZÄCH, Kartellrecht, op. cit., p. 211 no 434 in fine).

    Dans sa décision, l’autorité inférieure a ainsi examiné la pression concurrentielle exercée par les acteurs en amont - les éditeurs - ainsi que celle émanant du côté de la demande, d’abord au niveau wholesale, puis au niveau retail.

    1. Selon la recourante, une concurrence entre les diffuseurs existe dès lors qu’à l’expiration de leurs contrats, les éditeurs examinent le

      renouvellement de ceux-là ou le changement vers un autre diffuseur, ce que les éditeurs français n’hésiteraient pas à faire.

      L’autorité inférieure rétorque que, au sens du droit de la concurrence, les marchés des services de diffusion et de distribution sont distincts de ceux de la vente - et revente - de livres. La décision dont est recours ayant pour objet la vente de livres, seule est déterminante la question de savoir si ces marchés (de services) connexes ont eu une influcence disciplinante sur les marchés de la vente. Or, une telle pression n’existe pas dans les faits car le groupe d’éditeurs-distributeurs, tel que le groupe Editis l’incarne, est en position de demandeur sur les marchés des services et non d’offreur comme sur le marché de la vente de livres.

      S’il n’est pas contesté que plusieurs (petits) éditeurs ont effectivement changé de diffuseur-distributeur durant la période de l’enquête, il y a lieu de rappeler que les principaux éditeurs français sont concentrés dans des groupes ayant une activité propre de diffusion et/ou distribution en Suisse et seraient - par conséquent - déjà entrés sur le marché. S’agissant donc des principaux éditeurs, une éventuelle pression disciplinante est dans tous les cas fortement limitée.

      Au surplus, il y a lieu de relever que la recourante n’a fourni aucune indication propre à définir dans quelle mesure cette concurrence dans l’obtention des contrats de diffusion-distribution au niveau suisse aurait pu se répercuter sur la concurrence entre diffuseurs-distributeurs sur le marché wholesale de la vente des livres. On peine à saisir en quoi cela pourrait d’ailleurs être le cas. Aussi, l’appréciation de l’autorité inférieure, selon laquelle les éditeurs sont à considérer comme des demandeurs - leur intérêt étant d’obtenir une diffusion ou une distribution qui leur convient - et n’ont dès lors pas pu discipliner les acteurs en aval, doit être confirmée.

    2. Selon la recourante, la pression exercée par les grandes chaînes de distribution au détail, telles que Payot et la Fnac suisse, forcerait les diffuseurs à faire des concessions et intensifierait la concurrence.

      1. L’autorité inférieure a retenu, pour l’essentiel, que les détaillants n’avaient pas été en mesure durant la période visée par l’enquête de mettre en concurrence les diffuseurs suisses avec d’autres fournisseurs en raison du cloisonnement du territoire. Elle rappelle en outre les discussions intervenues entre les diffuseurs lors de l’assemblée de mai 2005 au sein de l’ASDEL ; celles-ci auraient permis à chaque diffuseur de

        connaître la stratégie de ses concurrents, ce qui aurait réduit les possibilités de négociations des détaillants. Par ailleurs, elle retient que les temps de réaction distincts des diffuseurs dans l’adaptation de leurs tabelles par rapport à l’appréciation du franc suisse est un indice que la pression exercée par les détaillants a été insuffisante, voire inexistante. Enfin, elle souligne que les détaillants ne peuvent pas se permettre de ne pas travailler avec l’ensemble de l’offre éditoriale, de sorte que les diffuseurs disposent de la possibilité d’imposer leurs conditions.

      2. En l’occurrence, Interforum - qui représentait à elle seule [ ] à [ ]% de l’offre wholesale entre 2009 et 2011 - a déclaré, en réponse au questionnaire envoyé en 2007, s’agissant de la Fnac suisse - laquelle couvrait [ ]% de la demande wholesale (acte 906 lignes 15-22) - comme déjà dit (cf. supra consid. 9.8.4) : « Pour info, la Fnac nous a menacés d’acheter en France. Nous avons le choix de ne pas céder. Dans ce cas la perte du [chiffre d’affaires] remettrait en cause non pas la commercialisation du livre mais la présence du stock et la distribution en Suisse. Nous avons choisi d’accepter une perte de l’ordre de plus de [{ } francs] de résultat afin de pouvoir continuer à assurer la distribution avec un stock sur place. Nous préservons ainsi le volume au détriment de la rentabilité, jusqu’à quand ? » (acte 27 p. 1). Payot - qui représentait [ ]% de la demande wholesale - s’est également déclarée surprise que les diffuseurs aient parlé entre eux de sa demande d’approvisionnement direct en France, le fait que ce type d’informations ait circulé ayant réduit d’autant ses possibilités de négociations (acte 913 ligne 153). Diffulivre - qui représentait [ ] à [ ]% de l’offre wholesale entre 2009 et 2011 (ch. 606 décision attaquée) - a indiqué que plusieurs librairies indépendantes - ayant couvert environ 30% de la demande wholesale - avaient fait pression sur elle, ce qui l’a amenée, dès le 21 mars 2011, à amorcer une baisse générale et continue de ses tabelles (cf. acte 693a, ch. 347 ss et acte 693c, annexe 56). Enfin, Servidis et Transat - qui représentaient à elles deux [ ] à [ ]% de l’offre wholesale - ont indiqué avoir fixé leurs prix en dessous du niveau des prix proposés par Amazon pour les consommateurs finaux (acte 672 p. 46).

        Sur le vu de ce qui précède, il appert que, nonobstant les importantes parts de marché de certains détaillants, ni la Fnac suisse ni Payot n’ont réussi à exercer une pression disciplinante suffisante sur les diffuseurs durant la période sous enquête. En effet, les détaillants, même de grande taille, n’ont pas pu menacer le système de distribution des diffuseurs. Ainsi, les propos de Diffulivre, Servidis et Transat doivent être relativisés. En effet, il ressort que la diminution par la première du niveau de ses

        tabelles le 21 mars 2011 intervient dans un contexte particulier, dès lors que celle-ci faisait l’objet d’une enquête que le secrétariat venait d’étendre à des infractions relevant de l’art. 5 LCart (acte 344). Partant, il appert que, bien que temporellement aussi liées à la requête des librairies réunies au sein de l’ASDEL, l’extension de l’enquête du secrétariat et la perspective d’une sanction ne sont pas étrangères à la baisse générale des tabelles des diffuseurs constatée en 2011. Quant à Servidis et Transat, elles admettent fixer leurs prix en dessous de ceux pratiqués par Amazon. Or, il sied de relever qu’alors que Amazon s’adresse principalement aux consommateurs, lesquels commandent directement auprès d’elle les ouvrages, celles-ci ne sont en lien qu’avec des détaillants, lesquels doivent ainsi réduire leur marge commerciale pour rester à un niveau de prix acceptable pour le consommateur.

        Partant, il demeure que les remises accordées et la baisse générale des tabelles amorcée par les diffuseurs dès 2011 n’ont pas pour autant supprimé la nécessité pour les détaillants d’avoir un compte ouvert auprès des principaux diffuseurs actifs sur le territoire suisse et ce, quelles que soient les conditions offertes par ceux-ci, tant au niveau des prix que des services. Un détaillant, quel que soit son poids, n’est donc pas en mesure de faire jouer la concurrence entre les diffuseurs suisses. Il ne peut en effet pas menacer ceux-ci d’aller s’approvisionner ailleurs s’ils ne lui font pas une plus grosse remise, ne baissent pas leurs tabelles ou ne lui offrent pas de meilleures prestations de services. Pour ces motifs, il y a lieu de retenir que les détaillants n’ont pas disposé d’une capacité disciplinante suffisante sur les prix wholesale suisses du catalogue du groupe Editis durant la période concernée.

    3. Il s’agit encore d’examiner si, durant la période de l’enquête, la concurrence entre les détaillants suisses et, de manière plus générale, la concurrence sur le marché retail de la vente de livres, situé en aval du marché pertinent, a - par réflexion - exercé une pression disciplinante sur le comportement de la recourante.

      1. Selon l’autorité inférieure, la concurrence résiduelle sur le marché retail n’a pas pu être un facteur disciplinant de l’offre sur le marché wholesale. En particulier, de nombreux paramètres économiques (tabelles, étiquetage, taux de suivi, etc.) auraient eu un effet limitatif sur la concurrence au niveau retail. En effet, indiquant que les détaillants peuvent demander que les livres leur soient remis avec une étiquette mentionnant le prix de vente final, l’autorité inférieure relève que, selon les indications des diffuseurs en audition, il s’agirait généralement du prix

        tabellisé si le détaillant ne donne pas de précision sur les prix. En pratique, ce système, fortement incitatif, se serait traduit par un taux de suivi élevé des prix tabellisés sur le marché retail de la part des détaillants. L’étiquetage et le respect des prix tabellisés auraient ainsi facilité une coordination des prix par les acteurs économiques, laquelle aurait réduit la concurrence. Ainsi, une éventuelle pression disciplinante de la part des détaillants aurait été d’autant moindre que ceux-ci auraient été en mesure de transférer sur les consommateurs finaux le niveau des prix jugé optimal par les diffuseurs-distributeurs, représenté par le prix tabellisé

      2. Il ressort du dossier que chaque diffuseur suisse dispose, sur tous les titres importés de France, de ses propres tabelles de conversion du prix du livre de l’euro vers le franc suisse. Le prix tabellisé correspond au prix public conseillé en Suisse (ou prix de référence), sur lequel les détaillants peuvent accorder des rabais à leurs clients. Le prix d’achat du livre par les détaillants correspond au prix tabellisé, déduction faite d’une remise négociée par chaque détaillant auprès de chaque diffuseur. Si le détaillant bénéficie d’une forte part de marché, il disposera envers le diffuseur d’un pouvoir de négociation plus important pour obtenir une plus grosse remise sur le prix de référence, supérieure à celles de ses concurrents auprès de ce même diffuseur. C’est en cela que la concurrence sur le marché retail peut se répercuter sur les prix wholesale pratiqués par les diffuseurs suisses. En revanche, comme dit ci-dessus, un détaillant, quel que soit son poids sur le marché retail, n’est pas en mesure de faire jouer la concurrence entre les diffuseurs suisses (cf. supra consid. 14.2.2). Compte tenu de la forte différenciation du produit sur le marché du livre, les détaillants doivent en effet travailler avec les principaux diffuseurs quelles que soient les conditions offertes par ceux-ci, lesquels détiennent l’exclusivité de la diffusion et/ou de la distribution de leur catalogue sur le territoire suisse, cloisonné par leur système de distribution (cf. supra consid. 9.9). Aussi, peu importe que la concurrence soit vive ou non sur le marché retail du livre écrit en français, elle ne se répercute pas sur la concurrence du côté de l’offre sur le marché pertinent.

          1. Enfin, il y a lieu d’examiner si la concurrence sur le marché retail émanant des acteurs du commerce électronique du livre imprimé en français, ainsi que des librairies françaises limitrophes - lesquels ne constituent pas des partenaires potentiels de l’échange du côté de l’offre sur le marché de référence (cf. supra consid. 11.3.1.1, 11.3.1.2) - aurait,

            par réflexion, eu un effet disciplinant sur le comportement de la recourante.

            En effet, selon l’autorité inférieure, le recours au commerce électronique représentait vers la fin de la période de l’enquête environ 10% de la vente de livres aux clients suisses. De même, il ressort du dossier que les détaillants considèrent les entreprises actives sur Internet comme des concurrents (cf. supra consid. 11.3.1.1). Il n’est pas non plus contesté que, sur le marché retail du livre écrit en français, les détaillants suisses ont, durant la période visée, également subi la concurrence des librairies de France voisine au niveau du prix de référence. Lors de son audition devant l’autorité inférieure, Payot a en effet déclaré que dites librairies étaient généralement bien plus prospères que celles du reste du territoire français dès lors qu’elles profitaient des achats transfrontaliers (acte 913 lignes 936-938). Aussi, pour être concurrentiels et ainsi retenir les consommateurs s’étant, en particulier à la suite de l’appréciation du franc suisse, dirigés vers ces sources d’approvisionnement alternatives, les détaillants suisses auraient dû baisser le prix de vente final de leurs ouvrages. Compte tenu du cloisonnement du territoire national, le seul moyen pour eux d’accorder des rabais sur leurs titres, tout en maintenant des marges leur permettant d’assumer leurs charges, aurait été de négocier auprès des diffuseurs une remise supérieure afin d’obtenir un prix d’achat qui soit raisonnable et concurrentiel par rapport au prix d’achat en euro. Si la remise octroyée sur le prix de référence est trop faible, la politique de prix des détaillants ne peut en effet guère s’écarter de celui-ci. Payot a, à cet égard, déclaré dans son questionnaire du 7 août 2007 (acte 21) : « nous pratiquons une politique de rabais pour le public avec deux niveaux : [ ]. Nous prenons sur nos marges pour pratiquer ces rabais et ne pouvons donc baisser les prix autant que nous le souhaiterions sans risquer de mettre notre entreprise en péril économique ». Or, comme établi ci-dessus, la pression concurrentielle émanant du marché retail ne se répercute pas sur le marché wholesale (cf. supra consid. 14.3). Comme l’a déclaré Payot dans son questionnaire du 9 décembre 2008 (acte 129), les détaillants ne disposent d’aucun moyen pour faire jouer la concurrence entre les diffuseurs et ainsi faire baisser le prix de vente final des ouvrages de ceux-ci. Les libraires sont « enfermés dans un système qui ne [les] autorise pas à faire jouer la concurrence entre fournisseurs ni à [s’]approvisionner en France en direct

            ». La pression susceptible d’être exercée par les détaillants auprès de chaque diffuseur individuellement pour obtenir un prix d’achat inférieur est indépendante des conditions de concurrence prévalant sur le marché wholesale.

            Il s’ensuit que la pression concurrentielle des consommateurs n’a pas suffi à discipliner le marché wholesale.

          2. Sur le vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que la pression concurrentielle exercée par les partenaires potentiels de l’échange en amont et en aval a été largement insuffisante pour discipliner le comportement de la recourante sur le marché wholesale.

  15. Pas de renversement de la présomption de suppression de la concurrence efficace

    Sur le vu de l’ensemble de ce qui précède, il n’a subsisté aucune concurrence au niveau intramarque sur le marché pertinent durant toute la période de l’enquête. Les éléments constatés ne suffisent en effet pas à renverser la présomption de suppression de la concurrence efficace. De même, il n’a pas subsisté de concurrence sur le plan intermarques en raison des spécificités du marché du livre. Quant à la pression disciplinante des partenaires potentiels de l’échange, elle est quasiment inexistante.

    Partant, il y a lieu de confirmer l’analyse de la concurrence effectuée par l’autorité inférieure dans la décision attaquée et de conclure que la présomption de suppression de la concurrence efficace ne peut être renversée.

    Il s’ensuit que le système de distribution de la recourante octroyant à OLF l’exclusivité de la distribution sur le territoire suisse des ouvrages du groupe Editis et des éditeurs et/ou distributeurs tiers dont elle a été chargée de cette tâche pour la Suisse, et ayant impliqué l’interdiction des ventes passives par d’autres fournisseurs agréés, est illicite au sens de l’art. 5 al. 4 LCart.

    Le recours doit donc être rejeté sur ce point.

  16. Restriction notable à la concurrence (art. 5 al. 1 LCart)

    A supposer néanmoins que la présomption légale eût été renversée, les accords litigieux auraient nécessairement été saisis par l’art. 5 al. 1 LCart.

    1. En effet, dans son arrêt Gaba (ATF 143 II 297), le Tribunal fédéral a relevé qu’il ressortait en particulier d’une interprétation historique de l’art. 5 al. 1 LCart que le critère de la notabilité était une clause bagatelle ; il doit permettre d’alléger le travail des autorités de la concurrence, en ce

      sens que les atteintes légères à la concurrence ne tombent pas dans le champ d’application de la loi (cf. consid. 5.1.2). Or, un examen quantitatif de la notabilité, fondé sur une analyse économique des parts de marché ou des chiffres d’affaires, n’est pas apte à atteindre ce but, si bien qu’il est préférable, lorsque cela est possible, de se fonder sur des critères qualitatifs, découlant du texte de la loi (cf. consid. 5.2.1 et 5.2.2 ; ég. ATF 144 II 246 Altimum consid. 10.1). A cet égard, les débats parlementaires relatifs à la révision de la LCart de 2002 ont mis en évidence que certains accords, tels que les accords de protection territoriale absolue, constituent en principe déjà, en raison de leur objet, des restrictions notables à la concurrence au sens de l’art. 5 al. 1 LCart. Dans son projet de loi de 1995, le Conseil fédéral avait par ailleurs déjà laissé entendre qu’en cas de renversement de la présomption de suppression de la concurrence efficace, l’accord affectait en principe la concurrence de manière notable (cf. consid. 5.2.3). De même, il ressortait des interprétations systématique et téléologique que les accords, présumés supprimer la concurrence efficace, contenus aux art. 5 al. 3 et al. 4 LCart ne perdaient pas leur caractère nuisible en cas de renversement de la présomption légale ; le renversement de la présomption ne se référait en effet pas à l’accord en tant que tel mais uniquement au point de savoir s’il subsistait une concurrence sur le marché de référence malgré l’accord. Aussi, les accords, particulièrement dommageables, pouvant conduire à une suppression de la concurrence efficace au sens de l’art. 5 al. 3 ou al. 4 LCart étaient nécessairement aussi ceux pouvant mener à une restriction notable à la concurrence selon l’art. 5 al. 1 LCart (cf. consid. 5.2.4 ; ATF 144 II 246 Altimum

      consid. 10.1).

      Il s’ensuit qu’une restriction notable à la concurrence existe, en principe, lorsque la présomption de suppression de la concurrence efficace est renversée, des critères quantitatifs n’étant en principe plus nécessaires pour déterminer si les accords au sens de l’art. 5 al. 3 ou al. 4 LCart affectent notablement la concurrence, renforçant, par là même, la sécurité juridique (cf. consid. 5.2.2 ; ATF 144 II 194 BMW consid. 4.3.1 ; ch. 12 par. 1 let. a CommVert ; ch. 10 de la note explicative).

    2. Partant, il y a lieu de retenir que, même à supposer que la présomption de suppression de la concurrence efficace eût été renversée, les accords tombant dans le champ d’application de l’art. 5 al. 4 LCart auraient néanmoins affecté notablement la concurrence au sens de l’art. 5 al. 1 LCart.

  17. Existence de motifs justificatifs (art. 5 al. 2 LCart)

    Les accords affectant notablement la concurrence au sens de l’art. 5 al. 1 LCart sont illicites, sous réserve d’une justification pour des motifs d’efficacité économique, tels que décrits à l’art. 5 al. 2 LCart (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 5.3.1 et 144 II 194 BMW consid. 4.4.1 et 4.5).

    1. En vertu de l’art. 5 LCart, les accords qui affectent de manière notable la concurrence sur le marché de certains biens ou services et qui ne sont pas justifiés par des motifs d’efficacité économique, ainsi que tous ceux qui conduisent à la suppression d’une concurrence efficace, son illicites (al. 1). Un accord est réputé justifié par des motifs d’efficacité économique lorsqu’il est nécessaire pour réduire les coûts de production ou de distribution, pour améliorer des produits ou des procédés de fabrication, pour promouvoir la recherche ou la diffusion de connaissances techniques ou professionnelles, ou pour exploiter plus rationnellement des ressources (al. 2 let. a) ; et lorsque cet accord ne permettra en aucune façon aux entreprises concernées de supprimer une concurrence efficace (al. 2 let. b).

      Trois conditions sont ainsi nécessaires selon cette disposition pour admettre l’existence d’un motif d’efficacité économique propre à justifier un accord : l’existence d’au moins un motif d’efficacité économique, la nécessité de l’accord pour atteindre le motif d’efficacité visé et l’impossibilité de supprimer une concurrence efficace pour les entreprises concernées. Ces trois conditions sont cumulatives (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 7.1 et 144 II 246 Altimum consid. 13).

      La liste des motifs justificatifs figurant à l’art. 5 al. 2 let. a LCart est exhaustive ; il est cependant suffisant que l’un des motifs soit réalisé pour que l’on puisse admettre une justification sous l’angle de l’efficacité économique (cf. ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 10.3 ; arrêt du TF 2A.430/2006 précité Sammelrevers consid. 13.2). La loi formule ouvertement les motifs d’efficacité économique, ce qui permet en principe aux autorités de tenir compte de tous les gains d’efficacité objectifs, étant précisé que, conformément à la notion d’efficacité économique, seuls les avantages objectifs doivent être pris en compte (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 495 et 499 no 256 et 272 ss). Le champ d’application et la notion des motifs d’efficacité économique doivent être appréciés dans une perspective large et nonrestrictive (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 499 no 272). Néanmoins, seuls des motifs économiques peuvent entrer en

      ligne de compte à l’exclusion de justifications non-économiques, notamment culturelles ou politiques (cf. ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 10.1 ; BORER, op. cit., art. 5 p. 87 no 45) ou même fondées sur un intérêt public (cf. AMSTUTZ/CARRON/REINERT, op. cit., art. 5 LCart p. 498 no 270). Par ailleurs, les parties à l’accord doivent, conformément au principe de la proportionnalité, choisir la mesure la moins incisive ; celleci doit de plus être apte à réaliser un motif d’efficacité économique et être nécessaire à la réalisation de celui-ci (cf. ATF 129 II 18 consid. 10.4 ; AMSTUTZ/CARRON/REINERT, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 5 p. 513 n°322 ss ; KRAUSKOPF/SCHALLER, in : BSK-KG, op. cit., art. 5 p. 409 n° 355).

      Les conditions auxquelles des accords en matière de concurrence sont, en règle générale, légitimés par des motifs d’efficacité économique peuvent être fixées par voie d’ordonnances ou de communications (art. 6 al. 1 LCart). Le but de cette disposition est de confier au Conseil fédéral et à la Comco la faculté de préciser l’interprétation qu’ils entendent donner au critère d’efficacité économique prévu par l’art. 5 al. 2 LCart (cf. ATF 144 II 246 Altimum consid. 13.3 ; XOUDIS, op. cit., p. 331 ss). Sont réputés justifiés par des motifs économiques, les accords en vue de l’octroi d’une exclusivité sur l’acquisition ou la vente de certains biens ou services (art. 6 al. 1 let. c LCart). Selon le ch. 16 par. 4 CommVert, les entreprises peuvent notamment faire valoir, au titre des motifs d’efficacité économique, la protection limitée d’investissements nécessaires à la pénétration d’un nouveau marché géographique ou l’introduction d’un nouveau produit sur le marché (let. a), la nécessité d’assurer l’uniformité et la qualité des produits contractuels (let. b), la protection d’investissements propres à une relation contractuelle qui ne peuvent pas être utilisés hors de celle-ci ou seulement moyennant une perte considérable (problème du hold-up) (let. c) et le fait d’éviter un niveau sous-optimal de mesures de promotion des ventes (par ex. conseils à la clientèle) qui peut survenir lorsqu’un producteur ou distributeur peut détourner à son profit les efforts promotionnels d’un autre producteur ou distributeur (problème de parasitisme) (let. d). Il est en outre généralement admis que certains accords attribuant une exclusivité puissent avoir des effets positifs sur la concurrence, notamment lorsqu’ils favorisent une diminution des coûts de distribution, la promotion de la vente, le service à la clientèle et le stockage des biens ou s’ils améliorent l’approvisionnement des consommateurs (cf. ATF 129 II 18 Sammelrevers consid. 10.3 ; REYMOND, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 6 p. 616 n°122). Enfin, il ne revient pas au tribunal ou aux autorités de la concurrence de prouver l’inexistence de motifs justificatifs. Aussi, si

      ceux-ci n’ont pas pu être établis par les autorités ou les parties, une restriction à la concurrence demeure illicite (cf. arrêt du TF 2A.430/2006 précité Sammelrevers consid. 10.3).

    2. Ceci étant, il convient d’examiner si les accords de protection territoriale absolue passés entre la recourante, respectivement le groupe Editis, et ses partenaires de distribution sont justifiés par un motif d’efficacité économique.

      Les accords litigieux visent d’une part, à octroyer la distribution exclusive sur le territoire suisse à OLF des ouvrages contractuels et, d’autre part, à exclure les ventes passives sur le territoire attribué. La recourante ne fait valoir aucun motif d’efficacité économique qui justifierait la mise en place d’un système de distribution exclusive prohibant les ventes passives. De même, le tribunal ne voit pas quel motif économique nécessiterait en l’espèce d’exclure les importations parallèles depuis la France.

      En effet, le risque de « parasitisme » au sens de l’art. 5 al. 2 let. d LCart n’est en l’occurrence pas pertinent dès lors qu’en raison de la forte différenciation du produit sur le marché du livre, les efforts promotionnels engagés par la recourante pour les ouvrages du catalogue du groupe Editis ne peuvent bénéficier qu’à la vente de ceux-ci, à l’exclusion de tout autre. De même, en tant que la recourante et son distributeur sont actifs sur le marché suisse depuis de nombreuses années et que celui-ci collabore avec d’autres éditeurs, la protection d’investissements nécessaires à la pénétration d’un nouveau marché géographique ou propres aux relations contractuelles ne saurait justifier les accords litigieux. En outre, le lancement de nouveaux livres, lesquels sont destinés à l’ensemble du marché francophone, ne requiert en aucun cas un cloisonnement spécifique du marché suisse. Il n’est pas non plus nécessaire, pour réduire les coûts de distribution de OLF, d’interdire les ventes passives sur le territoire suisse.

    3. Sur le vu de ce qui précède, il y a lieu d’admettre que l’activité économique déployée par la recourante en Suisse n’exige pas un système de distribution exclusive prohibant les ventes passives. Partant, le système de distribution mis en place par celle-ci n’est pas justifié par un motif d’efficacité économique au sens de l’art. 5 al. 2 LCart.

      Il s’ensuit qu’en cas de renversement de la présomption de suppression de la concurrence efficace, le système de distribution de la recourante ne

      serait pas justifié par des motifs d’efficacité économique au sens de l’art. 5 al. 2 LCart.

  18. Sanction (art. 49a al. 1 LCart)

    Il y a enfin lieu d’examiner si le comportement de la recourante entraîne le prononcé d’une sanction.

    1. Toujours dans l’hypothèse d’un renversement de la présomption légale, il y a lieu de retenir que les accords de protection territoriale absolue passés entre le groupe Editis et OLF auraient été sanctionnés au sens de l’art. 49a LCart.

      L’art. 49a LCart, libellé « sanction en cas de restrictions illicites à la concurrence », prévoit à son al. 1, 1ère phrase que : « L'entreprise qui participe à un accord illicite aux termes de l'art. 5, al. 3 et 4, ou qui se livre à des pratiques illicites aux termes de l'art. 7, est tenue au paiement d'un montant pouvant aller jusqu'à 10% du chiffre d'affaires réalisé en Suisse au cours des trois derniers exercices ».

      1. Les sanctions directes prévues par l’art. 49a al. 1 LCart revêtant un caractère pénal (cf. ATF 139 I 72 Publigroupe consid. 2.2.2), les art. 1er CP et 7 par. 1 CEDH - consacrant le principe de la légalité des délits et des peines (nulla poena sine lege) - trouvent application en l’espèce.

        Dans son arrêt Gaba, prononcé le 28 juin 2016, le Tribunal fédéral a en particulier tranché la question de savoir si l’art. 49a al. 1 LCart trouvait application lorsque les présomptions prévues par les art. 5 al. 3 et 4 LCart étaient renversées et que les accords considérés s’analysaient comme une restriction notable à la concurrence selon l’art. 5 al. 1 LCart, non justifiée par des motifs d’efficacité économique au sens de l’art. 5 al. 2 LCart.

        Se fondant sur les méthodes d’interprétation littérale, systématique, téléologique et historique, le Tribunal fédéral a retenu que, par « accord illicite aux termes de l'art. 5, al. 3 et 4 » LCart, il y avait lieu d’entendre les accords énumérés dans les deux alinéas. L’art. 49a al. 1 LCart se réfère ainsi selon la Haute Cour aux types d’accords prévus par les al. 3 et 4 de l’art. 5 LCart, lesquels doivent être sanctionnés en tant qu’ils représentent des restrictions à la liberté d’action sur le marché, considérées comme particulièrement problématiques du point de vue de la loi. Elle a relevé

        qu’une sanction directe ne peut toutefois être prononcée que si ceux-ci sont illicites au sens de l’art. 5 al. 1 LCart, c’est-à-dire s’ils suppriment la concurrence ou s’ils l’affectent de manière notable sans motif justificatif. En d’autres termes, sont exclus du champ d’application des sanctions directes, les comportements illicites qui n’ont pas pour objet des accords portant sur les prix, les quantités ou la répartition des territoires ; il en va de même des accords portant sur les prix, les quantités ou la répartition des marchés n’affectant pas notablement la concurrence efficace ou qui, sans supprimer celle-ci, sont justifiés par des motifs d’efficacité économique (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9).

        Au regard de l’interprétation de l’art. 5 al. 4 LCart opérée, le Tribunal fédéral a admis que dite disposition était suffisamment précise pour définir le comportement indésirable. Partant, il a reconnu que l’art. 49a al. 1 LCart, en lien avec l’art. 5 al. 1 LCart, lui-même en lien avec l’art. 5 al. 4 LCart, était suffisamment précis pour infliger une sanction directe en cas de renversement de la présomption de suppression de la concurrence efficace (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.5).

      2. En l’occurrence, il ressort de ce qui précède que le système de distribution de la recourante octroyant à OLF l’exclusivité de la distribution sur le territoire suisse des ouvrages du groupe Editis et des éditeurs et/ou distributeurs tiers dont elle a été chargée de cette tâche pour la Suisse et ayant impliqué l’interdiction des ventes passives par d’autres fournisseurs agréés, est visé par un état de fait couvert par l’art. 5 al. 4 LCart. Par conséquent, il pourrait être sanctionné, quand bien même la présomption de suppression de la concurrence était renversée (cf. supra consid. 16).

          1. Imputabilité de la sanction

            Il ressort des considérants précédents que la recourante est une entreprise au sens de l’art. 49a al. 1 en relation avec l’art. 2 al. 1bis LCart, qu’elle a participé à des accords illicites au sens de l’art. 5 al. 4 LCart et que l’art. 49a al. 1 LCart, en relation avec l’art. 5 al. 1 et 4 LCart, est suffisamment précis pour fonder une sanction. Les éléments objectifs de l’infraction sont de ce fait réalisés. Reste à examiner la faute (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.6.1 ; arrêt du TF 2C_484/2010 précité Publigroupe consid. 12.2.1 non publié dans l’ATF 139 I 72).

            1. Aux termes de sa décision (ch. 707 ss), l’autorité inférieure a relevé que tous les systèmes de distribution considérés comme illicites, dans lesquels ont été impliqués les diffuseurs durant la période visée par

              l’enquête, avaient expressément contenu des clauses contractuelles établissant un régime d’exclusivité entravant les ventes passives. Tous les diffuseurs avaient en outre mis consciemment en œuvre les systèmes de distribution en s’opposant aux tentatives d’importations parallèles. De même, les discussions au sein de l’ASDEL avaient permis d’aboutir à la conclusion que le cloisonnement du territoire suisse était une politique assumée, citant à cet égard un passage du procès-verbal d’une réunion de l’ASDEL faisant état de la volonté de la Fnac suisse de basculer ses approvisionnements en direct. Or, au regard des tentatives de modification des approvisionnements de la Fnac suisse, dit cloisonnement pouvait être imputé à l’ensemble des diffuseurs. Ensuite, les développements législatifs parallèles à la procédure n’altéraient nullement la considération de l’imputabilité pour les charges finalement retenues, la loi sur le prix du livre ne contenant aucun volet concernant la réglementation des approvisionnements. Les diffuseurs n’avaient en effet pu se représenter que leur système de distribution fondé sur un régime d’exclusivité pourrait être d’une quelconque manière « légitimé » par un texte de régulation spécifique. Enfin, nonobstant la proposition du secrétariat, intervenue en août 2012, les diffuseurs n’avaient, à quelques exceptions près, toujours pas ouvert la voie à des importations parallèles.

            2. Selon la recourante, les sanctions prononcées à son encontre violent les principes de la légalité et de l’exigence de précision de la base légale au sens des art. 5 al. 1 Cst. et 7 CEDH, dès lors que l’énoncé de fait de l’art. 5 al. 4 LCart ne lui permettait pas de prévoir les sanctions qu’elle encourait. Aussi, la recourante conteste que l’on puisse lui imputer les comportements illicites (prétendument) constatés.

              Rappelant que l’autorité inférieure a suspendu l’enquête au moment où le Parlement suisse s’apprêtait à approuver la loi sur le prix du livre, la recourante fait valoir que, si le référendum n’avait pas été lancé contre cette loi et si le peuple ne l’avait pas rejetée lors de la votation du 11 mars 2012, l’enquête aurait été classée. L’autorité inférieure a ainsi fait dépendre sa sanction d’une décision populaire, laquelle n’était pas prévisible et sortait du champ d’influence des entreprises concernées ; l’imputabilité n’est de ce fait pas donnée. Elle rappelle également que son système de distribution est semblable à celui des journaux, dans lequel les kiosques ont été considérés par l’autorité inférieure comme des agents des éditeurs de journaux étrangers. Aussi, le fait que la relation contractuelle entre la recourante et OLF - laquelle remplit des fonctions similaires à celles d’un kiosque - ait été taxée d’accord au sens de l’art. 4 al. 1 LCart est pour le moins suprenant. Ensuite, les diffuseurs suisses

              n’ont pas entravé les importations parallèles. Les fournisseurs situés à l’étranger étaient libres d’approvisionner en livres les librairies suisses. Ni la recourante ni sa société-mère n’ont conclu de contrats avec des grossistes étangers portant interdiction de livrer en Suisse. De même, les approvisionnements directs des détaillants suisses via la société-mère, tels qu’attendus par l’autorité inférieure, ne constituent nullement des importations parallèles au sens de l’art. 5 al. 4 LCart. La violation de dite disposition n’était dès lors pas prévisible. Enfin, le passage du procèsverbal de la réunion de l’ASDEL, qui établit simplement que le cas de la Fnac suisse fait l’objet de discussions au sein de la branche, ne démontre en aucun cas l’imputabilité de la recourante. Il s’ensuit que celle-ci ne pouvait et ne devait s’attendre à ce qu’une clause purement conventionnelle entre elle et OLF, demeurée totalement lettre morte, soit qualifiée d’accord au sens de l’art. 5 al. 4 LCart et que d’éventuels refus de livrer émanant de sa société-mère soient retenus comme preuve que la clause avait bel et bien été exécutée. Si l’on se réfère aux principes développés dans le cas du marché des journaux étrangers, ainsi qu’à la pratique de l’autorité inférieure - en particulier à l’affaire Gaba où la question de savoir si les filiales étrangères livreraient Denner n’a nullement été examinée -, celle-là a procédé à un véritable revirement de jurisprudence, auquel la recourante ne pouvait en aucun cas s’attendre. Il s’ensuit que, si la violation de l’art. 5 al. 4 LCart devait être confirmée, il devrait être renoncé à une sanction en raison de l’imprévisibilité.

            3. L’imputation suppose l’imputabilité (cf. arrêt du TAF B-2977/2007 précité Publigroupe consid. 8.2.2), à savoir la violation objective d’un devoir de diligence, laquelle peut découler des circonstances ou d’un défaut d’organisation (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.6.2). En droit des cartels, le devoir de diligence des entreprises résulte au premier chef des règles de la loi sur les cartels. Celles-là doivent notamment s’abstenir de tout comportement illicite au sens de l’art. 5 LCart et, en particulier, ne pas conclure l’un des accords en matière de concurrence énumérés à l’art. 5 al. 3 et 4 LCart (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.6.2 ; arrêt du TAF B-807/2012 précité Strassenund Tiefbau im Kanton Aargau consid. 11.2.4). En règle générale, lorsque l’existence d’un tel accord peut être démontrée, la violation objective d’un devoir de diligence est donnée (cf. PETER REINERT, Die Sanktionsregelung gemäss revidierem Kartellgesetz, in : Das revidierte Kartellgesetz in der Praxis, 2006,

              p. 151), dans la mesure où il appartient aux entreprises de s’informer sur les règles de la loi sur les cartels, de la jurisprudence et des communications qui s’y rapportent (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.6.2). En cas de doute, il est également possible de s’informer

              de la situation actuelle auprès de la Commission de la concurrence (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.6.2 et réf. cit.). En outre, la jurisprudence et la doctrine sont d'avis qu'un transfert de responsabilités est admissible entre une société-mère et une filiale, dès lors que celles-ci forment un groupe et constituent partant une seule et même entreprise au sens de l’art. 2 LCart. Aussi, il est possible de sanctionner la filiale pour des accords conclus entre des sociétés du groupe et des tiers (cf. arrêts du TAF B-807/2012 précité Strassen- und Tiefbau im Kanton Aargau consid. 11.4 et B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 74 et 579 ss ; ROBERT ROTH, in : CR-Concurrence, rem. art. 49a-53 p. 1496 ss no 34 ss).

            4. La révision de l’art. 5 LCart, de même que l’art. 49a LCart sont entrés en vigueur le 1er avril 2004. Pendant les années 2002 et 2003, les modifications de la loi sur les cartels ont été abondamment discutées au Parlement. De plus, les commissions de l’économie et des redevances du Conseil des Etats et du Conseil national ont diffusé plusieurs communiqués de presse s’agissant des marchés cloisonnés et de la protection territoriale absolue (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.6.2). Au regard des termes explicites contenus à l’art. 3 du contrat passé entre la recourante et OLF le 27 février 1996 (cf. supra consid. 9.1.5), celle-là devait être consciente de ce que son comportement était problématique. Or, elle n’a aucunement amendé son contrat. Bien au contraire, elle a adopté un nouveau contrat le 3 septembre 2008 - soit quatre ans après l’entrée en vigueur de l’art. 5 al. 4 LCart et la publication notamment des CommVert de 2002 et de 2007 - dont l’art. 3 a, selon ses propres termes, un contenu similaire à celui du contrat de 1996 (cf. supra consid. 9.1.4). En outre, dite clause a été exécutée dès lors qu’il a été démontré que les importations parallèles sur le marché suisse par les fournisseurs agréés du groupe Editis, respectivement de Interforum France, n’avaient pas été possibles durant la période considérée (cf. supra consid. 9.8.6). La recourante ne peut ainsi raisonnablement soutenir qu’elle ne pouvait et ne devait s’attendre à ce que dite clause soit qualifiée d’accord au sens de l’art. 5 al. 4 LCart. La question de l’adoption ou non en 2011 de la loi sur le prix du livre est en l’espèce irrelevante dès lors que celle-ci ne réglait aucunement l’exclusion des ventes passives prévue par l’art. 5 al. 4 LCart. Il en va de même du procès-verbal de la réunion de l’ASDEL, à laquelle a assisté la recourante et au cours de laquelle les diffuseurs suisses ont abordé la problématique des importations parallèles. De la même manière, la recourante s’appuie sur un rapport de l’autorité inférieure pour soutenir que son système de distribution est similaire à celui des journaux, lequel échappe au droit de la concurrence. Or, il a été

              établi ci-dessus que le système de distribution de la recourante n’était nullement comparable à celui des journaux (cf. supra consid. 6.5) ; la recourante a manqué à son devoir de diligence en ne s’assurant pas auprès de l’autorité inférieure du point de savoir si son système de distribution était, à l’instar de celui des journaux, soustrait aux règles du droit de la concurrence. En outre, en tant que le rapport en cause a été publié en 2011, soit bien après la rédaction de la clause litigieuse, la recourante ne saurait se prévaloir de celui-ci pour affirmer qu’elle ne pouvait dès lors s’attendre à ce que son système de distribution tombait sous le coup de la loi sur les cartels. Enfin, l’autorité inférieure n’a pas opéré un revirement de jurisprudence au regard de l’affaire Gaba, en tant qu’en l’espèce, les interdictions imposées par le groupe Editis à ses fournisseurs agréés actifs en France ne sont pas couvertes par le privilège de groupe.

            5. Il s’ensuit que, contrairement à ce que prétend la recourante, celleci devait être consciente que les accords auxquels elle était partie durant la période de l’enquête visaient et entraînaient une exclusion des ventes tant actives que passives et, partant, tombaient ou, à tout le moins, étaient susceptibles de tomber sous le coup des art. 5 al. 4 et 49a LCart. En ayant maintenu une telle interdiction non seulement après l’adoption de l’art. 5 al. 4 LCart mais également après l’ouverture de l’enquête par le secrétariat en mars 2011, la recourante ne peut valablement soutenir avoir agi de manière diligente. Partant, la violation de la loi sur les cartels, confirmée à l’issue de la présente procédure, lui est imputable.

          1. Montant de la sanction

            La recourante fait encore valoir plusieurs griefs en lien avec le montant de la sanction prononcée à son encontre.

            1. Elle reproche à la sanction infligée par l’autorité inférieure de violer le principe de la proportionnalité dès lors qu’elle conduirait, sans conteste, immédiatement à sa faillite, comme le démontre son bilan intermédiaire au 30 août 2012 joint au recours. Contrairement à ce qu’a retenu l’autorité inférieure, il n’appartiendrait pas à sa société-mère, respectivement au groupe Editis, de la sauver d’une faillite. De même, le chiffre d’affaires réalisé par Grupo Planeta, soit en dehors du marché suisse, n’est pas déterminant pour le calcul du montant maximal de la sanction. La recourante fait ensuite valoir que les chiffres d’affaires à la base du calcul de la sanction litigieuse sont trop élevés : elle n’a pas ellemême distribué les livres en Suisse ; OLF en a été chargée, de sorte que

              la marge de celle-ci réduit directement son chiffre d’affaires. Les rabais supplémentaires accordés à des librairies entreprenant des actions spécifiques, telles que des promotions en faveur d’un certain livre, doivent également être déduits du chiffre d’affaires lors du calcul de la sanction maximale. De même, le montant de base déterminant ne peut se composer que du chiffre d’affaires réalisé au moyen des prétendus accords illicites et non de celui également obtenu à la suite de ventes étrangères à ceux-ci comme retenu à tort par l’autorité inférieure. Celle-ci n’a pas traité dans la décision attaquée ces arguments, déjà exposés par la recourante dans sa détermination sur la proposition du secrétariat, violant de ce fait son obligation de motivation. Enfin, dès lors que, sur les trois accords retenus dans le projet de décision, seul l’accord d’attribution de territoires au sens de l’art. 5 al. 4 LCart a finalement été confirmé par l’autorité inférieure, le montant de base devait, à tout le moins, être réduit de 4% à 2% au maximum. Ceci vaut d’autant plus en considérant que, durant la période de l’enquête, « aucune commande n’a été passée auprès de Interforum France » et que les commandes auprès des grossistes étrangers étaient en tout temps possibles. En outre, seules Payot et la Fnac suisse ont montré un intérêt à s’approvisionner directement depuis la France et ce, en 2012, soit en dehors de la période de l’enquête. Aucun dommage n’a donc été causé durant la période visée, ce qui doit également être pris en compte dans la fixation du montant de base. Finalement, si les motifs déjà invoqués pour réduire le pourcentage appliqué au calcul du montant de base, de même que ceux tendant à la libération de toute sanction ainsi qu’à l’imputabilité restreinte n’ont pas été pris en compte à ce titre, ils devront alors, à tout le moins, être retenus en tant que circonstances atténuantes.

            2. L’autorité inférieure rétorque que la recourante est une filiale du groupe Editis, lequel appartient à Grupo Planeta qui a lui-même réalisé en 2008 un chiffre d’affaires de [ ] euros. Elle rappelle ensuite que ce n’est que lors de la détermination du montant de base qu’il s’agit de tenir compte du chiffre d’affaires des trois derniers exercices réalisé sur les marchés pertinents. Le chiffre d’affaires d’une entreprise est en revanche considéré de manière globale lorsqu’il s’agit de calculer le montant maximal de la sanction. Contrairement à ce que prétend la recourante, elle a examiné ses arguments dans la décision contestée et a déjà déduit les revenus n’ayant pas été réalisés au moyen des accords illicites. Quant aux frais de distribution et remises spéciales aux libraires, elle indique que ces postes ne sont pas pertinents pour le calcul du montant de base. L’autorité inférieure rappelle ensuite retenir généralement un pourcentage se situant au milieu de l’échelle prévue par les dispositions

              applicables, soit 4% à 6% pour ce type de violations de la loi sur les cartels. Enfin, il a été établi que la recourante avait adopté un comportement ayant visé et eu pour effet d’interdire les ventes passives pendant toute la période considérée par l’enquête. Pour finir, la décision déférée a démontré que les comportements illicites en question étaient imputables à la recourante ; aucune circonstance atténuante ne doit être retenue en ce sens.

            3. Le montant de la sanction est fixé en application des art. 49a LCart et 2 à 7 de l'ordonnance du 12 mars 2004 sur les sanctions en cas de restrictions illicites à la concurrence (OS LCart, RS 251.5).

              Si les conditions de l’art. 49a al. 1 LCart sont remplies, l’entreprise peut être pénalisée d’un montant susceptible d’atteindre 10% de son chiffre d’affaires réalisé en Suisse au cours des trois derniers exercices (art. 7 OS LCart ; cf. ATF 137 II 199 Swisscom Terminierung consid. 6.2). Le montant est calculé en fonction de la durée et de la gravité du comportement illicite. Le profit présumé résultant des pratiques illicites de l’entreprise est dûment pris en compte pour le calcul de cette sanction (art. 2 al. 1 OS LCart). Conformément au principe de la proportionnalité consacré par l’art. 5 al. 2 Cst., il y a lieu de tenir compte de ce que l’accord a supprimé la concurrence efficace ou l’a seulement notablement affectée (art. 2 al. 2 OS LCart ; cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.7.1). Ainsi, le montant concret de la sanction est fixé d’après les critères des art. 2 ss OS LCart, dans le cadre de la sanction maximale prévue abstraitement par l’art. 49a al. 1 LCart et l’art. 7 OS LCart (cf. arrêt du TF 2C_484/2010 précité Publigroupe consid. 12.3.1 s. non publié dans l’ATF 139 I 72). Le calcul du montant de la sanction comporte dès lors trois étapes principales, à savoir la détermination du montant de base (art. 3 OS LCart), son éventuelle majoration selon la durée de la pratique illicite (art. 4 OS LCart), puis la prise en compte des circonstances aggravantes (art. 5 OS LCart) ou atténuantes (art. 6 OS LCart ; cf. notes explicatives relatives à l’ordonnance sur les sanctions LCart [ci-après : notes explicatives OS LCart], publiées sur le site Internet de la Comco ; ATF 144 II 194 BMW consid. 6.2).

              Ainsi, en vertu de l'art. 3 OS LCart, le montant de base pour le calcul dépend du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise contrevenante sur les marchés pertinents en Suisse au cours des trois derniers exercices - puisqu'il peut représenter jusqu'à 10% de celui-ci - ainsi que de la gravité et du type d'infraction réalisée ; la sanction se rattache par là même exclusivement à la pratique anticoncurrentielle concernée (cf. ATF 143 II

              297 Gaba consid. 9.7.2 ; arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ASDL consid. 622). S'agissant de la détermination du chiffre d'affaires, les art. 9 al. 3 LCart ainsi que 4 et 5 OCCE sont applicables par analogie (cf. arrêt du TF 2C_484/2010 précité Publigroupe consid. 12.3.2, non publié dans l’ATF 139 I 72 ; DPC 2007/2 p. 235 ch. 321 et p. 299 ch. 402). Le chiffre d'affaires réalisé sur le marché concerné par la restriction à la concurrence - et déterminant pour le calcul de la sanction concrète - est généralement inférieur au chiffre d'affaires global de l'entreprise, décisif pour la sanction maximale de l'art. 49a al. 1 LCart, dès lors qu'il n'en représente en principe qu'une fraction (cf. notes explicatives OS LCart). En outre, compte tenu de sa formulation, l'art. 3 OS LCart ne prévoit aucune différenciation en ce qui concerne le chiffre d'affaires obtenu sur le marché pertinent, de sorte qu'il n'y a pas lieu de distinguer quelle part de ce chiffre a été réalisée par le biais du comportement anticoncurrentiel et, partant, si ledit chiffre serait éventuellement étranger à celui-ci (cf. arrêts du TAF B-831/2011 précité Six Group consid. 1576 et B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 722). Une telle différenciation ne se justifie pas non plus au regard du sens et du but de cette disposition (cf. arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 722). Indépendamment du fait que la sanction prononcée en vertu de l’art. 49a LCart doit appréhender un comportement anticoncurrentiel, le chiffre d’affaires d’une entreprise peut être pris en considération comme base de mesure, alors même qu’il ne se rapporte pas exclusivement audit comportement (cf. arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 722). De façon similaire, il est également tenu compte, lors de la fixation de la peine pécuniaire au sens de l’art. 34 CP, de l’ensemble du revenu et de la fortune de l’auteur et, par conséquent, pas uniquement de l’avantage tiré de la réalisation de l’infraction. Une prise en compte globale n’aboutit ainsi pas à un résultat inadmissible en droit des cartels (cf. arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 722). De même, une interprétation systématique ou historique de l’art. 3 OS LCart n’offre aucune indication qu’une telle différenciation doit être opérée (cf. arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 722). Enfin, cette approche correspond à la pratique de l’Union européenne sur cette question (cf. arrêt de la CJUE du 7 septembre 2016 C-101/15 P Pilkington Group et al. contre Commission, point 19).

              Par ailleurs, l'art. 49a LCart ne prévoit pas non plus de règle particulière pour la détermination du marché pertinent en vue de la fixation de la sanction. Pour ce faire, sont plutôt décisifs les marchés sur lesquels l'entreprise a agi par son comportement anticoncurrentiel. En principe, le marché pertinent pour la sanction est le marché de référence décisif sur

              le plan matériel et géographique (cf. supra consid. 11.3.3, 11.4). Ainsi, il n'y a généralement pas lieu d'opérer de nouvelle délimitation du marché pour la détermination de la sanction (cf. arrêt du TAF B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 723).

              S'agissant du moment déterminant pour arrêter les trois derniers exercices au cours desquels le chiffre d'affaires a été réalisé en Suisse au sens des art. 49a LCart et 3 OS LCart, une partie de la doctrine estime qu'il s'agit de la date de la décision de l’autorité inférieure prévoyant la sanction, lesdits exercices étant ceux qui la précèdent immédiatement (cf. not. REINERT, in : Stämpflis Handkommentar, op. cit., art. 49a p. 359 no 10 ; BEAT ZIRLICK/CHRISTOPH TAGMANN, in : BSK-KG, op. cit., art. 49a

              p. 1771 no 48). Cela étant, dans sa jurisprudence récente, le Tribunal

              administratif fédéral a jugé qu'une telle approche s'accordait difficilement avec le sens et le but de la loi sur les cartels (cf. arrêts du TAF B-581/2012 précité Nikon consid. 9.2.3 et B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 726 ss). Rappelant que le choix légal d'adopter le chiffre d'affaires comme valeur de référence visait notamment à éliminer tout rendement tiré de pratiques anticoncurrentielles, il a précisé - au regard du message LCart 2001 (cf. FF 2002 1911, p. 1925 ss ch. 2.1.4) - qu'en vue de définir ledit chiffre, il convenait de retenir la période se rapprochant le plus possible de celle du comportement incriminé, ce qui permettait par là même d'écarter la possibilité d'influencer l'ampleur de la sanction en minimisant le chiffre d'affaires ultérieur. A ce propos, il a retenu que, sous réserve d'une dérogation pour justes motifs, la cessation du comportement à sanctionner constituait le moment décisif pour la détermination du chiffre d'affaires. Il a souligné que ce moment correspondait à celui retenu dans la pratique de la Commission européenne en la matière (cf. arrêts du TAF B-581/2012 précité Nikon consid. 9.2.3 et B-7633/2009 précité Swisscom ADSL consid. 726 ss).

              Conformément à l'art. 4 OS LCart, le montant de base est ensuite éventuellement majoré selon la durée de la pratique illicite, soit dans une proportion pouvant atteindre 50% si celle-là a duré de un à cinq ans, puis 10% par année supplémentaire au-delà des cinq ans (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.7.2).

              Enfin, les art. 5 et 6 OS LCart prévoient respectivement la majoration du montant de base en présence de circonstances aggravantes et une réduction de celui-ci en présence de circonstances atténuantes. Ces dispositions contiennent, à leur premier alinéa, une liste non exhaustive

              de circonstances générales (cf. notes explicatives OS LCart). L'art. 6 al. 1 OS LCart conçoit ainsi notamment, à ce titre, le fait que l'entreprise cesse le comportement illicite après la première intervention du secrétariat mais, au plus tard, avant l'ouverture d'une procédure au sens des art. 26 à 30 LCart. L'art. 6 al. 2 OS LCart règle, pour sa part, les deux circonstances atténuantes spécifiques aux infractions à l'art. 5 al. 3 et 4 LCart que sont le rôle exclusivement passif de l'entreprise à sanctionner et l'inexécution des mesures de rétorsion décidées pour imposer l'accord illicite.

              Le prononcé de la sanction doit respecter le principe de la proportionnalité. En ce sens, celle-ci est acceptable lorsqu’elle préserve la compétitivité des entreprises dès lors que leur existence en dépend. L’aspect punitif de la sanction ne saurait par conséquent conduire à la faillite de l’entreprise, ce qui ne servirait en définitive pas la concurrence. Aussi, la sanction doit rester dans un rapport acceptable avec le rendement de l’entreprise. Néanmoins, le désavantage financier qu’elle occasionne doit être suffisant afin que la commission de l’infraction n’en vaille pas la peine (cf. ATF 143 II 297 Gaba consid. 9.7.2 et réf. cit.).

            4. L’autorité inférieure a condamné la recourante au paiement d’une sanction de [ ] francs.

              1. Elle a dans un premier temps établi, en application de l’art. 49a al. 1 LCart, le montant maximal de la sanction à [ ] francs, ce qui correspond aux 10% de la somme des chiffres d’affaires - à savoir [ ] francs - réalisés par la recourante en Suisse en 2009, 2010 et 2011, soit au cours des trois derniers exercices disponibles au moment du prononcé de sa décision.

                La recourante considère qu’il y a lieu de retrancher de cette somme la marge réalisée par OLF sur la vente des ouvrages ainsi que les remises spéciales accordées à certaines librairies.

                Comme le relève à raison l’autorité inférieure, il n’y a pas lieu de déduire du chiffre d’affaires déterminant les frais de distribution de OLF de même que les remises spéciales accordées aux libraires. Le chiffre d’affaires est déterminé par le produit de la vente des ouvrages aux détaillants suisses. Les « frais » invoqués par la recourante sont à prendre en compte dans la détermination du bénéfice et non du chiffre d’affaires.

                Il s’agit ainsi de confirmer le chiffre d’affaires global réalisé en Suisse par la recourante au terme des exercices 2009, 2010 et 2011, tel que retenu par l’autorité inférieure, à savoir [ ] francs.

              2. Dans un deuxième temps, celle-ci a examiné la mesure concrète de la sanction et retranché du chiffre d’affaires global précité les positions n’ayant pas été gagnées sur le marché de référence. Elle a ainsi retenu que le chiffre d’affaires réalisé sur le marché pertinent lors des trois derniers exercices se montait à [ ] francs.

                La détermination du montant de base de la sanction implique de déduire du chiffre d’affaires global les revenus générés sur les marchés non touchés par l’accord d’attribution de territoire en cause. En d’autres termes, il s’agit de prendre en considération les chiffres d’affaires réalisés sur le seul marché wholesale national francophone de la vente de livres écrits en français. Doivent ainsi être retranchés en l’espèce - comme l’indique la recourante et comme y a procédé l’autorité inférieure - les gains engrangés par la vente d’ouvrages destinés aux écoles et autres institutions de formation suisses ainsi que les revenus des livres vendus directement par la recourante au Salon du livre.

                C’est en revanche à tort que l’autorité inférieure a défalqué du chiffre d’affaires global les revenus réalisés par la vente de livres d’éditeurs suisses, ces éditeurs faisant en effet également partie du marché de référence déterminant sur le plan matériel et géographique. Le tribunal renonce toutefois à une réformation de la décision déférée au détriment de la recourante (cf. 62 al. 3 PA).

                Il s’ensuit que le chiffre d’affaires déterminant pour le calcul du montant de base s’élève à [ ] francs, tel que retenu par l’autorité inférieure.

                Ainsi, le grief de violation de l’obligation de motiver invoqué par la recourante en lien avec le chiffre d’affaires retenu à la base de la sanction litigieuse est sans objet.

              3. L’autorité inférieure a ensuite pris en compte la gravité et le type d’infraction, indiquant que la possibilité de pouvoir effectuer des importations parallèles était particulièrement digne de protection et essentielle à la concurrence. Elle considère que les comportements illicites ayant pour objet de cloisonner le marché constituent dès lors des infractions graves à la loi sur les cartels, a fortiori, lorsque plus de 95% du marché sont concernés. Elle précise encore qu’en présence d’un

                cloisonnement du marché, la rente cartellaire ne peut être que difficilement estimée ou mesurée, la protection territoriale ainsi conférée n’étant pas forcément corrélée avec les profits de l’entreprise. Elle considère qu’un pourcentage dans le milieu de l’échelle prévue aux art. 49a al. 1 LCart et 3 OS LCart doit être retenu pour ce type d’infraction. En l’occurrence, elle estime que celui-ci doit, selon la pratique, être fixé à 4%. Le montant de base doit ensuite encore être majoré au vu de la durée de l’infraction. Elle constate en l’espèce que le comportement illicite de la recourante a duré, sans interruption, pendant toute la période de l’enquête - à savoir de 2005 à 2011 - de sorte qu’une majoration de 50% s’impose ; toutefois, dès lors que l’enquête a été suspendue une année, elle renonce à prononcer une majoration supplémentaire. Le montant de base majoré s’élève ainsi à [ ] francs.

                S’agissant de la gravité de l’infraction, il a été établi en l’espèce que le groupe Editis avait, entre 2005 et 2011, été partie à des accords au sens des art. 4 al. 1 et 5 al. 4 LCart avec OLF et les grossistes français (cf. supra consid. 9.9). Il a également été établi que le marché suisse avait été cloisonné en ce sens que les importations parallèles de livres francophones du catalogue de la recourante distribués en Suisse par OLF n’avaient pas été possibles entre les années 2005 et 2011. Aussi, les conséquences particulièrement néfastes de ces accords sur la concurrence justifient de fixer, à l’instar de l’autorité inférieure, le montant de base de la sanction à hauteur de 4% du chiffre d’affaires déterminant. Le montant de base ainsi calculé s’élève à [ ] francs.

                Quant à la durée de l’infraction, force est de constater que les clauses litigieuses étaient en vigueur durant la période de l’enquête. En outre, des possibilités d’arbitrage ont existé pour les librairies la Fnac suisse et Payot entre 2005 et 2011 sans que celles-ci ne puissent toutefois procéder à des importations parallèles en raison des accords d’attribution de territoires. La majoration de 50% du montant de base par l’autorité inférieure est de ce fait conforme au droit. Celui-ci ascende ainsi, après majoration, à [ ] francs.

              4. Dans un dernier temps, l’autorité inférieure a examiné les circonstances aggravantes et atténuantes. Elle constate, en l’espèce, qu’il n’y en a aucune. Elle relève en particulier que le processus législatif lié à la loi sur le prix du livre ne constitue pas une circonstance atténuante et que la recourante ne peut se prévaloir d’une incapacité contributive compte tenu du chiffre d’affaires réalisé par Grupo Planeta, auquel appartient le groupe Editis dont la recourante est une filiale.

                Les arguments de la recourante en lien avec la prévisibilité et l’imputabilité de l’infraction ayant été rejetés (cf. supra consid. 18.2.5), ils ne sauraient entraîner une réduction du montant de base.

              5. Enfin, dans la décision attaquée (ch. 753), l’autorité inférieure a examiné la capacité contributive de la recourante. Compte tenu de son appartenance au groupe Editis - lequel appartient lui-même à Grupo Planeta, dont le chiffre d’affaires s’élevait en 2008 à [ ] euros - du montant de la sanction relativement audit chiffre d’affaires et des profits nets cumulés par la recourante sur la période de l’enquête, l’autorité inférieure a exclu une réduction du montant de la sanction. La recourante fait grief à l’autorité inférieure d’avoir tenu compte de la capacité contributive du groupe Editis, ignorant de ce fait le risque qu’elle tombe en faillite en raison du montant de la sanction prononcée.

        Dans sa pratique, l’autorité inférieure considère la capacité contributive des entreprises au niveau de la proportionnalité de la sanction (cf. Comco, DPC 2016 p. 384, Altimum, ch. 341 ss).

        En droit européen, dans des circonstances exceptionnelles, la commission peut, sur demande, tenir compte de l'absence de capacité contributive d'une entreprise dans un contexte social et économique particulier. Aucune réduction d'amende n’est accordée sur la seule constatation d'une situation financière défavorable ou déficitaire. Une réduction ne peut être accordée que sur le fondement de preuves objectives que l'imposition d'une amende mettrait irrémédiablement en danger la viabilité économique de l'entreprise concernée et conduirait à priver ses actifs de toute valeur (point 35 lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003, JO C 210/02 du 1er septembre 2006). Dans sa pratique, la commission a précisé que la capacité des actionnaires à recapitaliser l’entreprise peut être prise en considération. Ainsi, au-delà d’une éventuelle faillite de l’entreprise, il y a encore lieu de considérer l’éventuel sauvetage des actifs de l’entreprise. Si un tel sauvetage peut intervenir, une réduction de la sanction au titre de la capacité contributive de l’entreprise n’entre pas en ligne de compte (cf. décision de la commission du 30 juin 2010, COMP/38.344, Prestressing Steel, ch. 1136 ss ; ég. arrêt du tribunal du 5 octobre 2011 T-39/06 Transcatab contre Commission, Rec. 2011 II-06831 point 224).

        Partant, il y a lieu d’examiner dans quelle mesure la capacité des actionnaires à recapitaliser la recourante permettrait de sauver ses actifs.

        En l’occurrence, la recourante est une filiale du groupe Editis, laquelle appartient à Grupo Planeta qui a réalisé en 2008 un chiffre d’affaires de [ ] euros. Le prononcé d’une sanction de [ ] francs correspond ainsi à 0,15% de ce chiffre en 2008 et à 0,21% en 2011. De plus, le profit net, cumulé sur la période de l’enquête, réalisé par la recourante s’élève à [ ] francs. Ces critères, retenus par l’autorité inférieure et contre lesquels la recourante ne formule aucun grief quant à leur pertinence, suffisent à eux seuls à admettre l’existence d’une capacité importante de recapitalisation de la recourante.

        Il s’ensuit qu’une réduction de la sanction doit être exclue au sens de la pratique européenne, laquelle peut être reprise en droit suisse.

        18.3.5 Sur le vu de ce qui précède, le montant de la sanction prononcée par l’autorité inférieure à l’encontre de la recourante de [ ] francs doit être confirmé.

  19. esures destinées à supprimer la restriction illicite à la concurrence

    En outre, même si la recourante ne conteste pas directement l’interdiction qui lui a été imposée « d’entraver par des contrats de distribution et/ou de diffusion concernant les livres écrits en français les importations parallèles par tout détaillant actif en Suisse », il convient de confirmer cette mesure.

    En effet, lorsque l’autorité inférieure parvient à la conclusion qu’une restriction illicite à la concurrence existe dans le cas d’espèce, elle peut ordonner des mesures destinées à la supprimer (art. 30 al. 1 LCart ; cf. KENJI IZUMI/SIMONE KRIMMER, in : DIKE Kommentar, op. cit., art. 30

    p. 1283 no 24 ss ; DUCREY/CARRON, in : CR-Concurrence, op. cit., art. 30

    LCart p. 1241 no 19). L’autorité inférieure dispose d’un large pouvoir d’appréciation s’agissant des mesures concrètes qu’elle peut prendre. Dites mesures doivent être appropriées et nécessaires pour supprimer la restriction illicite à la concurrence (cf. IZUMI/KRIMMER, op. cit., art. 30

    p. 1283 no 25 ; PATRICK L. KRAUSKOPF/OLIVIER SCHALLER/SIMON

    BANGERTER, in : Schweizerisches und europäisches Wettbewerbsrecht, 2005, p. 509 no 12.85). De plus, selon l’art. 50 1re phrase LCart, l'entreprise qui contrevient à son profit à un accord amiable, à une décision exécutoire prononcée par les autorités en matière de concurrence ou à une décision rendue par une instance de recours, est

    tenue au paiement d'un montant pouvant aller jusqu'à 10% du chiffre d'affaires réalisé en Suisse au cours des trois derniers exercices.

    Dans ces circonstances, dès lors qu’il ne ressort pas du dossier que les contrats de distribution et/ou de diffusion litigieux aient été modifiés ou amendés à la suite de la clôture de l’enquête, l’interdiction imposée à la recourante d’entraver par des contrats de distribution et/ou de diffusion concernant les livres écrits en français les importations parallèles par tout détaillant actif en Suisse demeure nécessaire. De même, elle est la mesure la moins incisive à même de supprimer la restriction illicite constatée, de sorte qu’elle se justifie pleinement.

  20. Emoluments relatifs à la procédure devant l’autorité inférieure

    La recourante reproche enfin à l’autorité inférieure de ne pas avoir retranché du montant des frais de procédure prononcés ceux occasionnés par les investigations et démarches procédurales menées en relation avec son éventuelle participation à un accord vertical sur les prix et à un accord horizontal d’attribution de territoire. De même, eu égard à l’importance du montant des frais de procédure fixé dans la décision entreprise, la recourante doute fortement que ceux liés à l’enquête portant sur l’art. 7 LCart aient effectivement été laissés à la charge de la Confédération, comme l’a prétendu l’autorité inférieure, et requiert dès lors que celle-ci en apporte la preuve.

    1. En vertu de l’art. 4 al. 1 et 2 de l'ordonnance du Conseil fédéral du 25 février 1998 relative aux émoluments prévus par la loi sur les cartels (OEmol-LCart, RS 251.2), l’émolument se calcule en fonction du temps consacré et varie entre 100 et 400 francs de l’heure, compte tenu notamment de la classe de salaire de l’employé effectuant la prestation. Est tenu de s'acquitter d'un émolument celui qui notamment occasionne une procédure administrative (art. 2 al. 1 OEmol-LCart). N’ont en revanche pas à verser d’émoluments, en particulier les parties concernées qui ont occasionné une enquête si les indices existant au départ ne se confirment pas et qu'en conséquence la procédure est clôturée sans suite (cf. art. 3 al. 2 let. c OEmol-LCart).

      En l’occurrence, l’autorité inférieure a indiqué dans la décision contestée que les frais de procédure étaient calculés en fonction du temps consacré à l’affaire et que les frais liés aux investigations fondées sur l’art. 7 LCart avaient été laissés à la charge de la Confédération en tant que celles-ci étaient clairement identifiées temporellement. Elle a ainsi pris en

      considération la totalité des frais de procédure relatifs à la période de l’enquête portant sur l’art. 5 LCart.

      Le secrétariat d’abord, puis l’autorité inférieure ensuite ont procédé à des mesures d’investigation afin de déterminer si les diffuseurs suisses de livres écrits en français avaient entre 2005 et 2011 passé des accords au sens de l’art. 5 LCart. Ils ont à cet effet en particulier envoyé des questionnaires aux revendeurs actifs en Suisse romande, lesquels entretiennent des relations commerciales avec quasiment tous les diffuseurs-distributeurs suisses de livres francophones (cf. supra consid. 13.2) ; ils ont procédé à l’audition de certains de ceux-là ainsi qu’à l’examen des procès-verbaux tenus lors des réunions de l’ASDEL. Dites mesures d’investigation ont concerné indistinctement l’existence d’accords au sens de l’art. 5 LCart, en tant qu’il n’est guère possible de délimiter le temps voué à prouver l’existence de deux accords - à savoir horizontal et vertical - dès lors que les indices réunis leur étaient communs. Il en va de même s’agissant de l’existence d’un éventuel accord vertical sur les prix. En effet, contrairement à ce que considère la recourante, les investigations et démarches procédurales liées à l’existence d’un tel accord ne sont pas distinctes de celles relatives aux accords d’attribution de territoires ; en particulier, le questionnaire du 9 décembre 2008 ainsi que les auditions menées auprès des diffuseurs portaient également sur la question d’un éventuel accord vertical sur les prix. Il s’ensuit que le temps consacré par le secrétariat et l’autorité inférieure en lien avec l’art. 5 LCart doit être pris en compte de manière globale dans le calcul des frais de procédure supportés par les diffuseurs condamnés.

      Il ressort de la décision attaquée (ch. 775) que les frais relatifs à la période de l’enquête portant sur l’art. 5 LCart se montent, pour les treize diffuseurs concernés par celle-ci, à 988'200 francs. Si l’on tient compte d’un tarif horaire moyen, en application de l’art. 2 al. 1 OEmol-LCart, de 200 francs, l’on obtient un nombre total d’heures de travail de 4'941, soit 380 heures par partie. Bien que conséquent, le temps consacré par le secrétariat et l’autorité inférieure à l’examen des infractions visées par l’art. 5 LCart n’apparaît pas excessif, compte tenu de la durée de la procédure y relative (près de deux ans et demi), de la nature et de la difficulté de l’affaire ainsi que des mesures d’investigation entreprises. A titre comparatif, la recourante, par l’intermédiaire de ses mandataires, a justifié 221h50 de travail pour la défense de ses intérêts devant le tribunal de céans et ceci, sans compter les heures de travail consacrées aux expertises privées sur lesquelles elle a en partie fondé la motivation de

      ses écritures et celles en lien avec sa prise de position sur le projet de décision du secrétariat dont elle a également repris une partie des arguments.

    2. Il s’ensuit qu’avec un tarif horaire moyen se situant dans le bas de l’échelle contenue à l’art. 2 al. 1 OEmol-LCart et donc avec des heures de travail largement comptées, l’on obtient un total qui n’apparaît en aucun cas excessif en relation avec l’examen des accords visés à l’art. 5 LCart, ce qui démontre, par là même, que les frais de procédure fixés dans la décision querellée n’englobent pas ceux relatifs à l’art. 7 LCart. Ceci étant, il n’y a pas lieu de donner suite à la réquisition de preuve sollicitée par la recourante.

  21. Conséquences

    Sur le vu de l’ensemble de ce qui précède, la décision de l’autorité inférieure est confirmée, en tant qu’elle condamne la recourante au paiement d’une sanction de [ ] francs, qu’elle interdit à la recourante d’entraver par des contrats de distribution et/ou de diffusion concernant les livres écrits en français les importations parallèles par tout détaillant actif en Suisse et qu’elle condamne la recourante solidairement au paiement des frais de procédure devant l’autorité inférieure, s’élevant à un montant de 760'150 francs.

    Partant, le recours doit être rejeté dans son entier.

  22. rais et dépens

    1. Les frais de procédure, comprenant l'émolument judiciaire et les débours, sont mis à la charge de la partie qui succombe (art. 63 al. 1 1ère phrase PA et art. 1 al. 1 du règlement du 21 février 2008 concernant les frais, dépens et indemnités fixés par le Tribunal administratif fédéral [FITAF, RS 173.320.2]). L'émolument judiciaire est calculé en fonction de la valeur litigieuse, de l'ampleur et de la difficulté de la cause, de la façon de procéder des parties et de leur situation financière (art. 2 al. 1 et art. 4 FITAF).

      En l’espèce, il y a lieu de fixer les frais de procédure à 30'000 francs et de les mettre à la charge de la recourante. Ceux-ci sont compensés par l’avance de frais, du même montant, acquittée par la recourante le 26 juillet 2013.

    2. L'autorité de recours peut allouer, d'office ou sur requête, à la partie ayant entièrement ou partiellement gain de cause une indemnité pour les frais indispensables et relativement élevés qui lui ont été occasionnés (cf. art. 64 al. 1 PA en relation avec l'art. 7 al. 1 FITAF).

Vu l’issue de la procédure, il n’y a pas lieu d’allouer de dépens.

Par ces motifs, le Tribunal administratif fédéral prononce :

1.

Le recours est rejeté.

2.

Les frais de procédure, d’un montant de 30’000 francs, sont mis à la charge de la recourante. Ceux-ci sont compensés par l’avance de frais déjà versée.

3.

Il n’est pas alloué de dépens.

4.

Le présent arrêt est adressé :

  • à la recourante (acte judiciaire)

  • à l'autorité inférieure (n° de réf. 31-0277 ; acte judiciaire)

  • au Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche DEFR (acte judiciaire)

L'indication des voies de droit se trouve à la page suivante.

Le président du collège : La greffière :

Pascal Richard Muriel Tissot

Indication des voies de droit :

La présente décision peut être attaquée devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par la voie du recours en matière de droit public, dans les trente jours qui suivent la notification (art. 82 ss, 90 ss et 100 LTF). Ce délai est réputé observé si les mémoires sont remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF). Le mémoire doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, les motifs et les moyens de preuve, et être signé. La décision attaquée et les moyens de preuve doivent être joints au mémoire, pour autant qu'ils soient en mains de la partie recourante (art. 42 LTF).

Expédition : 27 novembre 2019

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