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Entscheid des Bundesstrafgerichts: BE.2024.8 vom 19.08.2024

Hier finden Sie das Urteil BE.2024.8 vom 19.08.2024 - Berufungskammer

Sachverhalt des Entscheids BE.2024.8


Urteilsdetails des Bundesstrafgerichts

Instanz:

Bundesstrafgericht

Abteilung:

Berufungskammer

Fallnummer:

BE.2024.8

Datum:

19.08.2024

Leitsatz/Stichwort:

Schlagwörter

Apos;; Apos;a; été; énal; édure; Apos;en; énale; Apos;un; édé; Apos;art; Apos;appel; Apos;une; édéral; Apos;entreprise; économique; Apos;au; érant; Tribunal; évenu; Apos;est; érante; ésent; érale; écembre; écision; être; ître; état; Maître; Apos;encontre

Rechtskraft:

Zurzeit keine Rechtsmittel ergriffen

Rechtsgrundlagen des Urteils:

Art. 10 StGB ;

Entscheid des Bundesstrafgerichts

CN.2024.18

Tribunal pénal fédéral

Tribunale penale federale

Tribunal penal federal

Numéro de dossier : CN.2024.18

(Procédure principale : CA.2023.20)

Décision du 19 août 2024 Cour d'appel

Composition

Les juges Andrea Ermotti, juge président,

Andrea Blum et Maurizio Albisetti Bernasconi    

La greffière Aurore Peirolo

Parties

1. C., né le (…), défendu par Maître Evan Kohler,

appelant et prévenu

 

2.       Banque 2, défendue par Maître Isabelle Romy,

appelante, intimée et prévenue

3.       D., né le (…), défendu d'office par Maître Antoine Eigenmann,

prévenu

 4.      E., né le (…) à […], défendu par Maître Patrick Michod,

appelant et prévenu

contre

Ministère public de la Confédération, représenté par Alice de Chambrier et Luc Leimgruber, Procureurs fédéraux,     

 

appelant joint, intimé et autorité d'accusation

ainsi que

1. G., domicile et résidence actuels inconnus,

tiers saisi

2. Société 1, société propriété de F., domicile et résidence actuels inconnus,

tiers saisi

Objet

Participation et soutien à une organisation criminelle (art. 260ter ch. 1 CP, dans sa teneur antérieure au 1er juillet 2021), blanchiment d'argent aggravé (art. 305bis ch. 1 et 2 CP, dans sa teneur antérieure au 1er janvier 2016), responsabilité pénale de l'entreprise (art. 102 al. 1 et 2 CP, dans sa teneur antérieure au 1er juillet 2016, en lien avec l'art. 305bis ch. 1 et 2 CP)

Appels des 3 et 6 novembre 2023 et appel joint du 27 novembre 2023 contre le jugement de la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral SK.2020.62 du 27 juin 2022

Demande de disjonction et classement  

Faits :

A. Historique de l'affaire et jugement de première instance

A.1 Le 1er février 2008, le Ministère public de la Confédération (ci-après : MPC) a ouvert une procédure pénale (SV.08.0007) à l'encontre de H. et D., pour soupçons de blanchiment d'argent (art. 305bis CP), trafic aggravé de stupéfiants (art. 19 ch. 2 de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes [LStup ; RS 812.121]) et appartenance à une organisation criminelle (art. 260ter CP ; MPC 01-00-0006).

A.2 Par ordonnance du 12 novembre 2013, le MPC a étendu la procédure à la banque B. pour soupçons de blanchiment d'argent aggravé (art. 305bis CP en relation avec l'art. 102 al. 2 CP ; MPC 01‑00‑0020 s.).

A.3 Par acte d'accusation du 15 décembre 2020, le MPC a notamment sollicité auprès de la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral (ci-après : Cour des affaires pénales), en sus de la condamnation de plusieurs prévenus pour diverses infractions, la condamnation de la banque B. sur la base de l'art. 102 al. 1 et 2 CP (TPF 328.100.001 ss).

A.4 En date du 27 juin 2022, la Cour des affaires pénales a communiqué lors d'une audience publique à la banque B. et aux autres parties présentes (v. procès-verbal des débats, TPF 328.720.073 s.) le dispositif de son jugement, dans la cause SK.2020.62, reconnaissant notamment la violation du principe de célérité, classant la procédure relative à la responsabilité pénale de l'entreprise (art. 102 CP en lien avec l'infraction de blanchiment d'argent au sens de l'art. 305bis ch. 1 et 2 CP) pour les faits antérieurs au 26 juin 2007, reconnaissant la société coupable de violation à l'art. 102 al. 2 CP, en lien avec l'infraction de blanchiment d'argent aggravé au sens de l'art. 305bis ch. 1 et 2 CP, pour la période du 2 juillet 2007 au 4 décembre 2008, sauf pour un virement de EUR 111'149.75 le 21 août 2007 et la condamnant à une amende de CHF 2 millions (ch. I, IV. 1 à 3 du dispositif du jugement SK.2020.62 ). Une créance compensatrice de EUR 18'663'589.90 a également été prononcée à l'encontre de la société (ch. IX. 1 du dispositif du jugement SK.2020.62 ; TPF 328.930.684 ss).

A.5 Par lettre du 29 juin 2022, la banque B., sous la plume de sa défenseure Maître Isabelle Romy (ci-après : Me Romy), a annoncé appel du jugement de première instance (TPF 328.940.002).

A.6 Le 17 octobre 2023, la motivation du jugement SK.2020.62 a été notifiée à la banque B. (CAR 1.100.658).

B. Procédure devant la Cour d'appel du Tribunal pénal fédéral

B.1 En date du 3 novembre 2023, la banque B., par l'entremise de sa défenseure Me Romy, a remis à la Cour d'appel du Tribunal pénal fédéral (ci‑après : Cour d'appel) sa déclaration d'appel sollicitant, en résumé, principalement, le classement immédiat de la procédure à son égard, une condition essentielle de la responsabilité fondée sur l'art. 102 al. 2 CP faisant désormais défaut au vu du décès en date du 19 avril 2023 de son ancienne employée et co-prévenue, feu A. ; subsidiairement, son acquittement, pour le même motif ; et, partant, l'annulation des chiffres IV. 2, IV. 3, IV. 4 (culpabilité et peine), IX. 1 (créance compensatrice), X. 2 (confiscation), XII. 1, XII. 4 (frais de procédure), XIII. 3 (indemnités [art. 429 CPP]) du dispositif du jugement SK.2020.62 (CAR 1.100.666 ss).

B.2 Le 10 novembre 2023, la Cour d'appel a entre autres transmis aux parties intéressées la déclaration d'appel précitée, les a informées du délai légal de 20 jours pour présenter une demande de non-entrée en matière et/ou déclarer un appel joint et les a invitées à se déterminer dans ce même délai sur la requête de la banque B. visant le classement de la procédure la concernant (CAR 1.400.001 s.).  

B.3 Le 27 novembre 2023, le MPC a déposé un appel joint portant sur la question de la violation du principe de célérité selon l'art. 5 CPP en tant qu'il concerne la banque B., le montant de l'amende à laquelle la société a été condamnée ainsi que la mise à charge de la Confédération de 60% des frais de procédure et des indemnités imputables à ladite société (ch. I, IV. 2, XII. 4 et XIII. 3 du dispositif du jugement SK.2020.62 ; CAR 1.400.006 ss).

B.4 A l'issue d'un échange d'écritures portant sur la question du classement de la procédure à l'encontre de la banque B. en conséquence du décès de son ancienne employée et co-prévenue feu A. (CAR 1.400.009 ss ; 1.400.016 s. ; 1.400.042 ss ; 1.400.082 ss), le 13 mars 2024, la Cour d'appel a rejeté la demande de classement de la société estimant que l'éventuel défaut d'un ou plusieurs éléments constitutifs d'une infraction ne constituait ni un motif de non-entrée en matière sur l'appel ni un motif de classement en appel et que partant celle-ci ne serait en mesure de statuer dans le cas d'espèce sur ces questions qu'à l'issue des débats (CAR 8.101.001 ss).

B.5 Par décision CA.2024.8 du même jour, l'autorité de céans a disjoint la procédure pénale à l'égard de feu A. de la procédure principale CA.2023.20 et renvoyé la cause relative à celle-ci à la Cour des affaires pénales pour nouvelle décision dans le sens de ses considérants.  

B.6 En date du 28 mai 2024, le MPC a remis à la Cour d'appel un courrier du 21 mai 2024 reçu de la part de la banque 2 par lequel celle-ci indiquait que la fusion des banques 2 et B. devait avoir lieu le 31 mai 2024. L'autorité d'accusation a dès lors notamment demandé à l'autorité d'appel de prendre les mesures nécessaires destinées à assurer la présence de la partie appelante aux débats d'appel (CAR 2.101.006 ss). 

B.7 Le lendemain, la direction de la procédure a transmis cette lettre à la banque B. et lui a imparti un délai pour prendre position sur la requête susmentionnée et pour lui indiquer les prochaines étapes concrètes du processus de fusion-absorption entre les banques 2 et B. en précisant leur teneur ainsi que les dates prévues pour leur réalisation (CAR 2.104.005 s.). 

B.8 Par correspondance du 7 juin 2024, Me Romy intervenant pour le compte de la banque 2 (v. lettre du 19 juillet 2024 remise par la banque 2, sous la plume de Me Romy, CAR 8.102.179 ss) a informé la Cour de céans de l'inscription au registre du commerce en date du 31 mai 2024 de la fusion par absorption entre les banques 2 et B., la banque B. ayant simultanément été dissoute et radiée du registre du commerce. Me Romy a par conséquent sollicité le classement de la procédure pénale à l'encontre de la banque B. avec suite de frais et dépens, la renonciation au prononcé d'une créance compensatrice et la levée du séquestre concernant la relation bancaire au nom de la société 1. S'agissant de l'indemnité pour les frais de défense et Ies débours en lien avec la procédure de première instance, l'autorité d'appel a respectueusement été renvoyée aux notes d'honoraires des études ayant représenté la banque B. remises durant les débats à l'autorité inférieure, étant précisé que la note d'honoraires et de débours pour la procédure en appel serait déposée ultérieurement sur requête. En annexe de son écriture, Me Romy a joint un communiqué de presse de la banque 2 Group datant du 31 mai 2024 et un extrait du registre du commerce zurichois (CAR 8.102.001 ss). 

B.9 En date du 11 juin 2024, la Cour d'appel a accusé bonne réception de la demande de classement susmentionnée et a requis la production du contrat de fusion entre les banques B. et 2 ainsi que le rapport de fusion y relatif (CAR 8.102.134). A la demande de Me Romy, ce délai a été prolongé le 19 juin 2024 jusqu'au 28 juin 2024 (CAR 8.102.136). 

Le 24 juin 2024, Me Romy a envoyé à la Cour d'appel une copie du contrat de fusion entre les banques B. et 2 du 7 décembre 2023 (avec modifications du 30 avril 2024 ; ci-après : le contrat de fusion), le rapport n'existant pas puisque que la fusion a eu lieu sous une forme simplifiée (CAR 8.102.137 ss).

Ce contrat de fusion indique entre autres que les banques 2 et B. sont des sociétés anonymes avec un capital-actions de USD 385'840'846.60 (3'858'408'466 actions à USD 0.10 par action), respectivement CHF 4'399'680'200.- (4'399'680'200 actions à CHF 1.- par action), lesquels sont détenus entièrement par la société-mère la banque 2 Group (préambule let. A à C et art. 2 du contrat de fusion) ; que la banque B. transmet à la banque 2 l'ensemble de ses actifs et passifs, ainsi que ses contrats par succession universelle, y compris ses droits et obligations, sa position dans toute procédure judiciaire, arbitrale et administrative, les pouvoirs de représentation accordés, ainsi que l'obtention de licences, autorisations et inscriptions dans des registres (art. 5 et 19 du contrat de fusion) ; et que, dans la mesure où la banque 2 Group détient toutes les actions des banques 2 et B., le capital-actions de la banque 2 n'est pas modifié et les actions de la banque B. deviennent caduques (« null and void », « ungültig ») au moment de la réalisation de la fusion, sans qu'aucun dédommagement ou avantage particulier ne soit alloué (art. 6, 7 et 8 du contrat de fusion).

 

B.10 En date du 26 juin 2024, la Cour d'appel a transmis les écritures du 28, 29 mai, 7, 11 et 24 juin 2024 susmentionnées aux parties concernées et leur a imparti un délai pour déposer leurs éventuelles déterminations sur ces écritures, en particulier sur la demande du 7 juin 2024 relative au classement de la procédure à l'encontre de la banque B. (CAR 8.102.158 s.). 

Par pli du 1er juillet 2024, anticipé par télécopie, le MPC a notamment prié respectueusement la Cour d'appel de bien vouloir obtenir une procuration actualisée attestant des pouvoirs de Me Romy et indiqué qu'il se déterminerait par courrier séparé sur la demande de classement de la procédure à l'encontre de la banque B. (CAR 4.200.003 ss).

Le 9 juillet 2024, le MPC a conclu à ce qu'il plaise à la Cour d'appel, principalement, (1) rejeter la demande de classement de la procédure pénale à l'encontre de la banque B., ainsi que toutes les autres conclusions portant sur la créance compensatrice, les avoirs séquestrés et la disjonction des causes ; (2) constater que la responsabilité pénale de la banque B. a été transmise à la banque 2 et que la procédure pénale doit désormais être continuée contre cette dernière ; (3) constater que Me Romy a repris, de par la fusion, le mandat de défenseure de la banque 2 dans la présente procédure ; (4) requérir de la banque 2 qu'elle désigne un représentant au sens de l'art. 112 al. 1 CPP ; (5) notifier dès à présent tous les actes de procédure à la banque 2, afin de s'assurer de sa présence aux débats fixés à partir du 1er octobre 2024 ; subsidiairement, requérir la réinscription de la banque B. au registre du commerce (CAR 8.102.160 ss).

Dans une lettre du 10 juillet 2024, C., par l'intermédiaire de son défenseur Maître Evan Kohler (ci-après : Me Kohler), après s'en être préalablement remis à dire de justice s'agissant des conséquences procédurales provoquées par la fusion entre les banques B. et 2 ainsi que la radiation consécutive de la banque B. du registre du commerce, a sollicité respectueusement auprès de l'autorité de céans de bien vouloir surseoir à statuer sur cette question juridique jusqu'à droit connu dans la procédure de recours au Tribunal fédéral (7B_489/2024) intenté par celui-ci contre la décision de la Cour d'appel CA.2024.8 du 13 mars 2024 (CAR 8.102.174 s.). 

A cette même date, E., sous la plume de son défenseur Me Michod, a renoncé à se déterminer (CAR 8.102.176).

B.11 Le 15 juillet 2024, la Cour d'appel a transmis les écritures mentionnées au considérant supra B.10 à Me Romy et lui a imparti un délai pour déposer une réplique. En outre, elle l'a invitée à préciser l'identité de la mandante pour le compte de laquelle celle-ci avait agi au moment du dépôt de la demande du 7 juin 2024 de classement de la procédure pénale à l'encontre de la banque B. et, en tant que nécessaire, à lui transmettre la preuve des pouvoirs de représentation correspondants (CAR 8.102.177 s.). 

En date du 19 juillet 2024, Me Romy a transmis à la Cour d'appel deux procurations signées par la banque 2 confirmant ses pouvoirs de représentation et ceux de Maître Lorenz Erni pour notamment demander le classement de la procédure contre la banque B. et faire valoir les prétentions patrimoniales en lien avec ce classement (mais ne valant pas accord à la substitution de partie accusée dans la procédure CA.2023.20) et demandé que le délai soit prolongé d'un mois (CAR 8.102.179 ss). Le lendemain, la Cour d'appel a prolongé ledit délai jusqu'au 9 août 2024 (CAR 8.102.182).

Le 9 août 2024, la banque 2, par l'entremise de son conseil Me Romy, a déposé sa réplique, laquelle est transmise aux autres parties ce jour. Au vu de l'issue de la cause et de la proximité des débats d'appel qui débuteront le 1er octobre prochain, la Cour d'appel a décidé – à titre exceptionnel – de renoncer à donner aux parties intéressées la possibilité de dupliquer.

B.12 Les autres moyens invoqués par les parties seront, si nécessaire, repris dans les considérants en droit.

La Cour d'appel considère :

1. Compte tenu de la fusion par absorption intervenue en date du 31 mai 2024 entre les banques 2 et B. et de la radiation le même jour de la banque B. du registre du commerce du canton de Zurich, la banque 2, sous la plume de son conseil Me Romy, requiert le classement de la procédure pénale ouverte à l'encontre de la banque B. De l'avis de la requérante, il ressortirait des travaux préparatoires, de la loi et de la doctrine dominante que le sujet de la responsabilité pénale de l'art. 102 CP ne peut être qu'une entité juridique, soit la personne morale « B. ». La personnalité juridique de celle-ci ayant pris fin avec sa dissolution et sa radiation du registre du commerce en date du 31 mai 2024, la situation serait la même qu'en cas de décès d'une personne physique, de sorte que l'action pénale devrait s'éteindre. Dans ces circonstances, le transfert de la responsabilité pénale de la banque B. à la banque 2 préconisé par le MPC violerait notamment l'art. 1 CP, le principe de la personnalité des peines et la présomption d'innocence.

Le MPC argue en revanche que ladite fusion par absorption n'entraîne pas l'extinction de l'action publique mais que celle-ci doit désormais être dirigée contre la banque 2, se fondant en particulier sur une approche économique à la notion d'entreprise. D'après le MPC, l'analogie entre personnes physiques et personnes morales développée par la requérante s'agissant du décès (personne physique), respectivement de la dissolution (personne morale), ne se justifierait pas, en particulier lorsque la dissolution d'une personne morale n'est pas suivie d'une liquidation. En effet, si une société ayant le statut de prévenue est dissoute parce qu'elle est – comme dans le cas d'espèce – absorbée par une autre société, il faudrait considérer qu'elle continue d'exister (économiquement) au sein de la société absorbante, en ce sens qu' « elle est, au moins en partie, économiquement incorporée dans une autre entreprise et continue d'exister en elle sans avoir été liquidée » (réponse du 9 juillet 2024 déposée par le MPC p. 5).

Quant à C., par l'entremise de son défenseur Me Kohler, il demande à la Cour d'appel de surseoir à statuer sur la demande de disjonction et de classement déposée par la banque 2 jusqu'à droit connu sur la procédure de recours pendante au Tribunal fédéral à l'encontre de la décision CA.2024.8 du 13 mars 2024. Vu les considérants qui suivent et en application du principe de célérité, il n'est pas donné suite à cette requête.

2. Selon la jurisprudence fédérale constante, toute interprétation doit tenir compte en premier lieu de la lettre de la loi (interprétation littérale). Lorsque plusieurs interprétations de celle-ci sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de sa relation avec d'autres dispositions légales et de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur (interprétation historique) telle qu'elle résulte notamment des travaux préparatoires (ATF 145 I 108 consid. 4.4.2 ; arrêt du TF 6B_183/2023 du 15 mars 2024 consid. 2.1.2).

L'interprétation de la loi peut conduire à la constatation d'une lacune authentique (ou lacune proprement dite), laquelle suppose que le législateur se soit abstenu de régler un point, voire y ait renoncé volontairement, ou improprement dite, laquelle se caractérise par le fait que la loi offre certes une réponse, mais que celle-ci est insatisfaisante. L'intervention du juge ne se justifie que par l'existence d'une lacune proprement dite (ATF 142 IV 389 consid. 4.3.1 ; 139 I 57 consid. 5.2 ; 138 II 1 consid. 4.2 ; 131 II 562 consid. 3.5 et les références citées).

2.1 Aux termes de l'art. 329 al. 1 let. c CPP – applicable à la procédure d'appel (art. 405 al. 1 CPP) –, la direction de la procédure examine s'il existe des empêchements de procéder. Bien que le code de procédure pénale ne définisse pas expressément ce qu'est un empêchement de procéder, il est généralement admis que le décès du prévenu, la prescription, les immunités, l'amnistie et le respect du principe ne bis in idem constituent de tels empêchements (cf. not. concernant le décès du prévenu, ATF 126 I 43 consid. 1.a ; arrêts du TF 6B_467/2016 du 14 juin 2017 consid. 2.2 ; 6B_471/2015 du 27 juillet 2015 consid. 3.2.2 ).

Aucune norme procédurale ou jurisprudence fédérale ne traite toutefois spécifiquement des conséquences de la disparition d'une société ayant la qualité de prévenu sous quelque forme que ce soit (not. liquidation, fusion, scission) sur la responsabilité pénale de celle-ci et en particulier sur les circonstances à l'aune desquelles cette disparition pourrait constituer un empêchement définitif de procéder.

2.2 La loi fédérale du 3 octobre 2003 sur la fusion, la scission, la transformation et le transfert de patrimoine (LFus ; RS 221.301) règle entre autres la procédure relative à la reprise d'une société de capitaux par une autre (fusion par absorption ; art. 3 al. 1 let. a LFus). La société transférante est radiée du registre du commerce par l'inscription de la fusion (art. 21 al. 3 LFus). La fusion déploie ses effets dès son inscription au registre du commerce. À cette date, l'ensemble des actifs et passifs de la société transférante sont en principe transférés de par la loi à la société reprenante (art. 22 al. 1 LFus). Les sociétés de capitaux peuvent fusionner à des conditions simplifiées notamment si la société de capitaux reprenante détient l'ensemble des parts sociales conférant droit de vote de la société de capitaux transférante (art. 23 al. 1 let. a LFus).

2.3 La responsabilité pénale de l'entreprise a été intégrée dans le code pénal suisse aux art. 102 (sur la punissabilité) et 102a (sur la procédure pénale) aCP – actuels art. 102 CP et 112 CPP – dans le cadre de la révision de la partie générale du code, adoptée le 13 décembre 2002 et entrée en vigueur le 1er janvier 2007. Ces dispositions ont préalablement été introduites par le biais d'une loi fédérale sous forme des art. 100quater et 100 quinquies CP, entrés en vigueur le 1er octobre 2003 (cf. message du 26 juin 2002 relatif aux conventions internationales pour la répression du financement du terrorisme et pour la répression des attentats terroristes à l'explosif ainsi qu'à la modification du code pénal et à l'adaptation d'autres lois fédérales, FF 2002 5014, 5060 s. ; sur les motifs, cf. Cassani, Droit pénal économique, Eléments de droit suisse et transnational, 2020, p. 109).

Alors que le texte des conventions internationales pertinentes a trait à la responsabilité de la « personne morale » (cf. par exemple art. 5 de la Convention internationale du 9 décembre 1999 pour la répression du financement du terrorisme ; RS 0.353.22 ; cf. aussi Pieth, Internationale Anstösse zur Einführung einer strafrechtlichen Unternehmenshaftung in der Schweiz, RPS 2001, p. 7 ss), celui de l'art. 102 CP se réfère à la responsabilité pénale de « l'entreprise ». Sont des entreprises au sens de l'art. 102 al. 4 CP, les personnes morales de droit privé (let. a), les personnes morales de droit public, à l'exception des corporations territoriales (let. b) ; les sociétés (let. c) ; et les entreprises en raison individuelle (let. d). De l'avis de Roth, ce choix de politique législative repose sur un pari d'efficacité et d'équité. En ce sens la notion d'entreprise est notamment plus proche de la réalité économique, en tant qu'« organisation unitaire d'éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé » (Roth, L'entreprise, nouvel acteur pénal, in : Berthoud [éd.], La responsabilité pénale du fait d'autrui, Travaux de la journée d'étude du 30 novembre 2001, 2002, p. 83 ; cf. sur l'implication en qualité d'expert du Professeur Roth dans l'élaboration du projet, message du 21 septembre 1998 concernant la modification du code pénal suisse [dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal] et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs, FF 1999 II 1787, 1945).

              En vertu de l'art. 102 al. 1 CP, l'entreprise n'est punissable que lorsque la commission du crime ou du délit a lieu « dans l'exercice d'activités commerciales conformes à ses buts ». Il en découle que l'entreprise doit avoir une activité de nature commerciale sans toutefois que son but consiste nécessairement à réaliser un bénéfice (Cassani, Droit pénal économique, Eléments de droit suisse et transnational, 2020, p. 119).

2.4 Il ressort du message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale que le Conseil fédéral n'a pas souhaité régler, au niveau de la loi, l'ensemble des problèmes qui pourraient se poser dans de le cadre de la procédure pénale dirigée contre l'entreprise, mentionnant à titre illustratif la question du « mode de procéder à adopter lorsqu'une entreprise impliquée dans une procédure pénale tombe en faillite ou fusionne avec une autre ». Le Conseil fédéral a ainsi estimé qu'il y avait « lieu de partir du principe que les dispositions procédurales qui valent pour les personnes physiques ayant le statut de prévenu valent aussi pour ces procédures ou peuvent leur être appliquées par analogie » (FF 2006 1057, 1146 s.).

2.5 Plusieurs dispositions ont trait au transfert de la qualité de partie dans le cadre de procédures pénales.  

2.5.1 L'art. 121 CPP prévoit que si le lésé décède sans avoir renoncé à ses droits de procédure, ceux-ci passent à ses proches au sens de l'art. 110 al. 1 CP dans l'ordre de succession (al. 1) ; la personne qui est subrogée de par la loi aux droits du lésé n'est habilitée qu'à introduire une action civile et ne peut se prévaloir que des droits de procédure qui se rapportent directement aux conclusions civiles (al. 2). Estimant que celui qui succède à une partie lésée dans ses droits n'est qu'indirectement atteint et ne peut pas, sous réserve des cas prévus à l'art. 121 al. 1 et 2 CPP, se voir reconnaître la qualité de partie plaignante, le Tribunal fédéral a retenu que, dans le cadre d'une fusion, le transfert des actifs et passifs prévu par l'art. 22 al. 1 LFus ne confère pas à la société reprenante la qualité de partie dans la procédure pénale. En outre, seul l'art. 121 al. 2 CPP est applicable aux personnes morales mais uniquement pour celles qui succèdent de par la loi dans les droits du lésé, ce qui n'est pas le cas de la fusion ou du transfert de patrimoine qui est une transaction volontaire (ATF 140 IV 162 consid. 4.1 ss ; arrêts du Tribunal fédéral [ci-après : TF] 1B_537/2021 du 13 janvier 2022 consid. 2.1 ss ; 6B_1285/2019 du 22 décembre 2020 consid. 7.3 ; 1B_4/2019 du 10 mai 2019 consid. 2.2 ; 6B_671/2014 du 22 décembre 2017 consid. 1.4.2 ; 6B_259/2016 du 21 mars 2017 consid. 2 ; 6B_549/2013 du 24 février 2014 consid. 3.2.2).

2.5.2 Ensuite, à teneur de l'art. 382 al. 3 CPP, si le prévenu, le condamné ou la partie plaignante décèdent, leurs proches au sens de l'art. 110 al. 1 CP peuvent, dans l'ordre de succession, interjeter recours ou poursuivre la procédure à condition que leurs intérêts juridiquement protégés aient été lésés. Cette disposition ne semble pas non plus directement applicable aux personnes morales étant donné la référence au décès de la partie (donc à une personne physique) et aux proches.

2.5.3 Pour ce qui est enfin des procédures de recours devant le Tribunal fédéral, l'art. 17 de la loi fédérale du 4 décembre 1947 sur la procédure civile fédérale (PCF ; RS 273), applicable par renvoi de l'art. 71 de la loi du 17 juin 2005 sur le tribunal fédéral (LTF ; RS 173.110), admet la substitution de parties avec l'accord des parties (al. 1). L'accord des entreprises concernées par la fusion n'est en revanche pas nécessaire lorsque le changement de personnes s'opère par succession universelle ou en vertu de dispositions légales spéciales (al. 3). Dans un arrêt 6B_819/2013 du 27 mars 2014, le Tribunal fédéral a ainsi admis sur cette base le transfert de la qualité de partie plaignante entre deux entreprises à la suite d'une fusion (arrêt du TF 6B_819/2013 du 27 mars 2014 consid. 1 et la référence citée).

2.6 Sous l'angle téléologique, l'extinction de l'action publique en cas de décès du prévenu a pour fondement le principe de la personnalité des peines ancré à l'art. 6 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH ; RS 0.101) à teneur duquel la responsabilité pénale ne survit pas à l'auteur de l'acte délictueux (arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme [ci-après : CourEDH] G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie du 28 juin 2018, not. n. 1828/06, n. 274 ; Lagardère c. France du 12 avril 2012, n. 18851/07, n. 77 ; Silickienė c. Lituanie du 10 avril 2012, n. 20496/02, n. 51 ; Succession de Nitschke c. Suède du 27 septembre 2007, n. 6301/05, n. 52 ; E.L., R.L. et J.O.-L. c. Suisse du 29 août 1997, n. 20919/92, n. 53 ; A.P., M.P. et T.P. c. Suisse du 29 août 1997, n. 19958/92, n. 48). Cela étant, la CourEDH a récemment estimé, dans une affaire civile pour laquelle l'applicabilité de l'art. 6 CEDH a été reconnue au vu la nature pénale de l'amende, qu'une approche fondée sur la continuité économique de l'entreprise, visant à prendre en compte la spécificité de la situation générée par la fusion-absorption d'une société par une autre, ne contrevenait pas au principe de la personnalité des peines tel qu'il se trouve garanti par la Convention (décision de la CourEDH Carrefour France c. France du 1er octobre 2019, n. 37858/14, n. 47). De l'avis de la CourEDH, une telle approche se justifie par le fait que « en cas de fusion-absorption d'une société par une autre société, il y a transmission universelle du patrimoine et les actionnaires de la première deviennent actionnaires de la seconde […], et l'activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée, qui était l'essence même de son existence, se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de cette opération. Du fait de cette continuité d'une société à l'autre, la société absorbée n'est pas véritablement « autrui » à l'égard de la société absorbante. Ainsi, condamner la seconde à raison d'actes restrictifs de concurrence commis avant la fusion-absorption ne contrevient qu'en apparence au principe de la personnalité des peines, alors que ce principe est frontalement heurté lorsqu'il y a condamnation d'une personne physique à raison d'un acte commis par une autre personne physique » (décision de la CourEDH Carrefour France c. France du 1er octobre 2019, n. 37858/14, n. 48).

Il est à noter de surcroît, bien que cela ne lie de toute évidence pas les tribunaux suisses, que dans le prolongement de cette décision, la Chambre criminelle de la Cour de cassation française a opéré un revirement de jurisprudence permettant dorénavant, en cas de fusion par absorption entre sociétés anonymes postérieure au 25 novembre 2020, la condamnation de la société reprenante à des amendes et confiscations pour des faits commis avant la fusion par la société transférante (cf. arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation de la République française 18-86.955 du 25 novembre 2020, en particulier para. 14 ss). Au demeurant, d'autres pays européens, dont notamment l'Italie, l'Autriche, l'Espagne, le Portugal, la Belgique et l'Allemagne, ont des législations qui prévoient – selon des modalités diverses et de manière plus ou moins étendue – l'imputation en cas de fusion de la responsabilité de la société transférante à la société reprenante pour ce qui est, à tout le moins, d'amendes de nature pénale (cf. not. art. 29 et 42 du décret législatif italien n. 231 du 8 juin 2001 [Decreto legislativo del 8 giugno 2001, n. 231 ; D.Lgs. 231/2001] ; art. 10 de la loi autrichienne du 23 décembre 2005 sur la responsabilité des personnes morales [Verbandsverantwortlichkeitsgesetz, BGBl I n. 151/2005 ; § 10 VbVG] ; art. 130 ch. 2 du code pénal espagnol du 23 novembre 1995 [Ley Orgánica 10/1995, de 23 de noviembre, del Código Penal] ; art. 11 ch. 8 du code pénal portugais du 15 mars 1995 [Decreto-Lei n. 48/95, de 15 de março, Código Penal] ; art. 20 2e paragraphe du code de procédure pénal belge du 17 avril 1878 [Loi contenant le titre préliminaire du code de procédure pénale n. 1878041750] ; art. 30 ch. 2a de la loi allemande du 19 février 1987 sur les infractions administratives [Gesetz über Ordnungswidrigkeiten ; § 30 OWiG]).

2.7 Pour ce qui est de la doctrine, les interprétations divergent (cf. à ce sujet, Postizzi, Fusionsgesetz und Unternehmensstrafrecht, PJA/AJP II 2007, p. 175 ss). Un courant soutient l'idée d'une approche économique et matérielle en cas de fusion (cf. not. Lieber, Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung, 3e éd. 2020, n. 4 ad art. 112 CPP ; Moreillon/Parein-Reymond, Petit commentaire, 2e éd. 2016, n. 5 ad art. 112 CPP ; Jeanneret/Droz, La personne morale et l'entreprise en procédure pénale, in : Bohnet/Hari (éd), La personne morale et l'entreprise en procédure, 2014, p. 60). Selon Schmid, si la société transférante continue d'exister sous la même forme économique mais qu'elle fusionne, la responsabilité pénale doit être transférée à la société reprenante (Schmid, Strafbarkeit des Unternehmens: die prozessuale Seite, Recht 2003, p. 201 ss, p. 209). Partageant cet avis, Cassani explique que la fusion se caractérise par la succession universelle ainsi que la continuité des membres et que la dissolution se fait sans liquidation. Il convient donc d'admettre que la ou les anciennes sociétés se dissolvent en quelque sorte dans la nouvelle, de sorte que le transfert de la responsabilité avec l'entité ne paraît pas violer le principe de la responsabilité pénale personnelle (Cassani, Droit pénal économique, Eléments de droit suisse et transnational, 2020, p. 126 s. ; Cassani, Droit pénal économique 2003‑2005 : actualité législative [responsabilité pénale de l'entreprise, financement du terrorisme, corruption], la pratique de l'avocat 2005, p. 671 ss, p. 686). Dans le même sens, Bertossa C. A. souligne qu'il doit exister une identité économique entre l'ancienne et la nouvelle société impliquant la poursuite de l'activité de la société transférante, l'objectif du droit pénal des entreprises étant le contrôle du comportement par la sanction des infractions commises par l'entreprise (Bertossa C. A., Unternehmensstrafrecht – Strafprozess und Sanktionen, 2003, p. 157 ss). Macaluso remarque que, la société reprenante incorporant toujours une partie de la société délinquante, la disparition de la société transférante n'est ainsi pas comparable au décès d'une personne physique. Le système suisse ne vise en effet pas les seules personnes morales mais des « entreprises » se définissant plus « par leur activité commerciale structurée (susceptible d'être transférée) que par leur forme juridique » (Macaluso, La responsabilité pénale de l'entreprise, Principes et commentaire des art. 100quater et 100quinquies CP, 2004, p. 196 ; cf. aussi Bertossa B., De quelques problèmes pratiques de mise en œuvre, L'art. 102a CP n'a pas réponse à tout, ECS éd. spéciale n. 7 2003, p. 28).

Un autre pan de la doctrine estime au contraire que les principes de la culpabilité (art. 12 CP) et de la légalité (Analogieverbot ; art. 1 CP) imposent ipso iure la suppression de toute responsabilité pénale en cas de disparition de la société transférante résultant d'une fusion (cf. Graf, Zurechnung von Unternehmensbussen, GesKR 2015 III, p. 356 ss, p. 365 ; Heiniger, Der Konzern im Unternehmensstrafrecht gemäss Art. 102 StGB, Die strafrechtliche Erfassung eines wirtschaftlichen Phänomens, 2011, p. 277). Etant donné la référence à l'art. 102 al. 1 et 2 CP à « l'entreprise », pour les auteurs Niggli et Gfeller, il ne peut s'agir de toute autre entreprise qui apparaît comme successeur juridique de l'entreprise responsable, sinon la même chose devrait être applicable aux personnes physiques et à leurs successeurs juridiques. Le transfert de la sanction, soit une amende, à la société reprenante serait exclu par le principe de culpabilité et la présomption d'innocence (art. 32 al. 1 Cst. ; Niggli/Gfeller, Basler Kommentar, 4e éd. 2019, n. 452 ad art. 102 CP ; cf. aussi Trechsel/Jean-Richard-dit-Bressel, Schweizerisches Strafgesetzbuch Praxiskommentar, 4e éd. 2021, n. 2 ad art. 102 CP ; Macaluso, Commentaire romand, 2e éd. 2021, n. 87 ss ad art. 102 CP remettant désormais en cause le transfert de la responsabilité pénale prévue à l'art. 102 CP en cas de fusion).

3. En l'espèce, avant d'analyser in concreto les conséquences de la fusion par absorption entre la banque 2 et la banque B. sur la présente cause, il appartient à la Cour d'appel de mettre en évidence les principes applicables en cas de disparition par fusion-absorption d'une société prévenue.  

3.1 D'emblée, il sied de constater que le législateur a sciemment renoncé à légiférer sur « le mode de procéder à adopter lorsqu'une entreprise impliquée dans une procédure pénale tombe en faillite ou fusionne avec une autre » (FF 2006 1057, 1146 s.). Cette lacune – proprement dite – appelle l'intervention du juge (v. supra consid. 2).

Il est vrai que les dispositions procédurales qui valent pour les personnes physiques sont en principe applicables aux personnes morales. C'est le cas par exemple de la présomption d'innocence (art. 10 CPP). Il n'existe cependant pas de parallèle entre la disparition d'une personne physique et la fusion par absorption d'une société. En renonçant à une solution uniforme en cas de liquidation, de dissolution et de transformation, le législateur a reconnu les spécificités inhérentes au statut de l'entreprise et a ainsi invité le juge à traiter chaque situation à l'aune des circonstances qui lui sont propres. La jurisprudence fédérale a d'ailleurs établi en lien avec l'art. 121 CPP (norme qui, de l'avis du Tribunal fédéral, ne consacre pas de lacune proprement dite, ATF 140 IV 162 consid. 4.9.6), qu'il n'y avait pas d'analogie entre le décès du lésé et l'absorption d'une société lésée à la suite d'une fusion (cf. not. ATF 140 IV 162 consid. 4.7 ss ; arrêt du TF 6B_671/2014 du 22 décembre 2017 1.4.2). Il est intéressant de remarquer à ce sujet que le changement de personnes (et non la substitution de partie) en cas de succession universelle semble néanmoins possible devant le Tribunal fédéral (art. 17 PCF applicable par renvoi de l'art. 71 LTF ; arrêt du TF 6B_819/2013 du 27 mars 2014 consid. 1 et la référence citée).

3.2 Dès lors, il revient à la l'autorité d'appel d'établir si, en cas de fusion par absorption, la responsabilité pénale de la société transférante peut être imputée à la société reprenante ou si la dissolution sans liquidation d'une société constitue en tout état de cause un empêchement définitif de procéder.

3.2.1 La responsabilité de « l'entreprise », telle que consacrée par le droit pénal suisse, englobe les personnes morales de droit privé et public (à l'exception des corporations territoriales), les sociétés et les entreprises en raison individuelle (art. 102 al. 4 CP). A la lecture de la lettre l'art. 102 CP et des travaux parlementaires y relatifs, la volonté du législateur était d'englober le plus grand nombre d'entités, avec ou sans personnalité juridique, ayant une activité et des buts commerciaux (cf. not. les interventions relatives à la proposition subsidiaire du Conseiller national Jacques-Simon Eggly sur le remplacement du mot « entreprise » par « personne morale », BO 2001 CN 591 ss). Or, une interprétation basée sur la personnalité juridique ne tiendrait pas compte du fait que les entreprises dépourvues d'une telle personnalité sont également punissables. Arrêter l'existence de l'entreprise à son enregistrement et sa radiation du registre du commerce apparaît par conséquent inadéquat et, selon les cas, excessivement formaliste. Si la forme juridique de l'entreprise ne constitue pas l'essence même de son existence, il faut bien reconnaître que c'est le cas de son but social et de son activité économique. Face à ce constat, le critère de la continuité économique et fonctionnelle – mieux adapté à toutes les formes d'entreprise visées par l'art. 102 CP – doit être préféré.

3.2.2 Dans cette perspective, la fusion par absorption ne fait pas nécessairement obstacle à la continuité de l'activité économique et fonctionnelle de l'entreprise. L'absorption par la société reprenante de la société transférante entraîne certes sa dissolution (sans liquidation), mais la totalité de ses actifs et passifs sont transférés par succession universelle à la société reprenante. Par ailleurs, comme relevé par la CourEDH, cette interprétation ne viole a priori pas le principe de la personnalité des peines (art. 6 CEDH) dans la mesure où la société reprenante n'est « économiquement » pas un tiers par rapport à la société transférante (en ce sens, cf. décision de la CourEDH Carrefour France c. France du 1er octobre 2019, n. 37858/14, n. 47 ss ; v. aussi les pratiques applicables dans d'autres pays en la matière, supra consid. 2.6 in fine).

3.3 Reste encore à étudier les conséquences de la fusion par absorption pour les sociétés concernées, ici la banque B. et la banque 2, au regard du critère de la continuité économique et fonctionnelle. De prime abord, on peut observer que le but social poursuivi par lesdits sociétés – consistant pour l'essentiel à l'exploitation d'une banque – est, sinon identique, au moins analogue (v. en particulier « Zweck der Gesellschaft ist der Betrieb einer Bank. Ihr Geschäftskreis umfasst alle Arten von Bank-, Finanz‑, Beratungs‑, Dienstleistungs und Handelsgeschäften im In- und Ausland […] », extraits du registre du commerce relatif à la banque B., CAR 8.102.007, et relatif à la banque 2, CAR 8.102.173, annexe). Pour ce qui est ensuite de leur activité économique, la LFus et le contrat de fusion simplifiée prévoyant la succession universelle de tous les actifs, passifs et contrats de la banque B. à la banque 2 (art. 22 al. 1 LFus ; art. 5 et 19 du contrat de fusion), l'ensemble des clients de la banque B. et l'entier de son activité commerciale ont été absorbés par la banque 2 (v. not. le communiqué de presse de la banque 2 Group et la banque 2 du 31 mai 2024, CAR 8.102.005 ss). Concrètement, cela comprend notamment l'ensemble du capital sous gestion (env. CHF 80 milliards au 31 décembre 2023, CAR 8.102.157), son personnel (sauf opposition de l'employé, art. 333 CO par renvoi de l'art. 27 al. 1 LFus) et ses locaux. Il est remarqué pour le surplus qu'avant la fusion, les actions des deux sociétés étaient déjà entièrement détenues par la société-mère banque 2 Group (art. 5 du contrat de fusion). A la lumière du critère de la continuité de l'activité économique et fonctionnelle, l'entreprise prévenue n'a pas cessé d'exister le jour de la dissolution de la banque B. en dépit de la modification de sa raison sociale. Au contraire, l'activité économique de la banque B. s'est dissoute dans celle de la banque 2, laquelle poursuit le même but social, et se perpétue sous cette nouvelle forme. La banque 2 ayant repris l'activité économique de la banque B., la Cour d'appel retient que la procédure pénale CA.2023.20 doit se poursuivre à son encontre et que cela ne constitue en l'espèce ni une violation du principe de la personnalité des peines, ni de celui de la légalité. Contrairement à ce que soutient la requérante, cela ne viole a fortiori pas non plus la présomption d'innocence, la procédure suivant simplement son cours sans que cela ne préjuge en rien de l'éventuelle condamnation ou acquittement de la banque 2 pour les faits objet de la présente cause. Il est en outre précisé à ce sujet, au vu des motifs soulevés dans la requête de classement et surtout dans la réplique y relative, que cette conséquence s'impose en raison des circonstances particulières du cas d'espèce exposées ci-dessus, qui ne concernent nullement le respect par la banque 2 de « ses propres obligations selon la LBA, la LB et sa licence bancaire » (réplique du 9 août 2024 déposée par la banque 2 p. 7), lequel n'est en l'occurrence pas remis en question.

3.4 Au vu des considérations qui précèdent, l'autorité de céans prend acte de la dissolution le 31 mai 2024 de la banque B. et du fait que la banque 2 succède à celle-ci en qualité de partie à la procédure.

En prévision des débats d'appel qui se tiendront à partir du 1er octobre 2024, la banque 2 est invitée à communiquer à la direction de la procédure, d'ici au mardi 27 août 2024, l'identité de son représentant au sens de l'art. 112 al. 1 CPP. Il est relevé que celui-ci devra pouvoir comprendre la langue française et s'exprimer aux débats d'appel dans cette langue.  

4. La fusion par absorption entre les banques B. et 2 ne constituant pas un empêchement définitif de procéder (art. 329 al. 1 let. c CPP), il convient de rejeter la demande de classement de la procédure pour ce motif.

5. Etant donné l'issue de la cause, la demande de disjonction de la procédure est également rejetée. Il n'est en sus pas nécessaire d'examiner la requête subsidiaire du MPC portant sur la réinscription au registre du commerce de la banque B.

6. La Cour d'appel fixe les frais dans la décision finale (art. 421 al. 1 CPP).

La Cour d'appel prononce :

 I. La banque 2 a succédé à la banque B. en qualité de prévenue en date du 31 mai 2024.

II. La banque 2 est invitée à communiquer l'identité de son représentant (art. 112 al. 1 CPP) à la direction de la procédure d'ici au mardi 27 août 2024.

III. La demande de disjonction de la procédure du 7 juin 2024 déposée par la banque 2 est rejetée.

IV. La demande de classement du 7 juin 2024 déposée par la banque 2 est rejetée.

V. Il sera statué sur les frais dans la décision finale.

Au nom de la Cour d'appel

du Tribunal pénal fédéral

Le juge président                                                              La greffière

Andrea Ermotti                                                                 Aurore Peirolo

Notification (acte judiciaire) :

- Ministère public de la Confédération, Alice de Chambrier et Luc Leimgruber, Procureurs fédéraux

- Maître Evan Kohler

- Maître Isabelle Romy

- Maître Patrick Michod

Indications des voies de droit

Recours au Tribunal fédéral

Le recours contre les décisions incidentes de la Cour d'appel du Tribunal pénal fédéral doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les 30 jours qui suivent la notification de l'expédition complète (art. 78, art. 80 al. 1, art. 90 et art. 100 al. 1 LTF). L'observation d'un délai pour la remise d'un mémoire en Suisse, à l'étranger ou en cas de transmission électronique est réglée à l'art. 48 al. 1 et 2 LTF.

Le recours peut être formé pour violation du droit fédéral ou du droit international (art. 95 let. a et b LTF). Le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).

Expédition : 19 août 2024

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